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La nullité du contrat de licence de marque sur des produits de confiseries ne peut être obtenue sur le fondement du dol si les produits en cause ne présentent pas une dangerosité établie pour la santé publique (l’usage du colorant E171).
En vertu de l’article 1137 du Code civil, “le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges. Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie. Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation.” En la cause, s’il n’est pas exclu que la présence d’additifs dans des confiseries, ait pu avoir des conséquences sur la notoriété de la marque de manière générale, la décision du confiseur de retirer l’additif dès avant la sortie de l’étude était de nature à contenir la difficulté, les retombées médiatiques étant aussi positives à cet égard. En tout état de cause, le sujet était connu et public au moment des négociations précontractuelles entre les parties, en sorte que la société VIBERATION JUNIOR ne pouvait l’ignorer. Pour toutes ces raisons, il ne saurait être reproché à la société THEBRANDCO aucune dissimulation relative à un sujet de santé public et maîtrisé. |
Résumé de l’affaire : La société VIBERATION JUNIOR, spécialisée dans la conception et la distribution de boissons, a signé un contrat de licence avec la société THEBRANDCO pour l’exploitation de la marque « Têtes Brûlées » en 2018. En 2019, VIBERATION JUNIOR a exprimé des préoccupations concernant l’accueil de ses produits et un incident de santé publique lié à un colorant. En 2020, elle a demandé l’annulation du contrat et le remboursement de redevances et investissements, invoquant des manœuvres dolosives de THEBRANDCO. Après une assignation en justice en 2021, l’affaire a été radiée puis réinscrite.
VIBERATION JUNIOR a demandé la constatation de manœuvres dolosives, l’annulation du contrat, la restitution des redevances et une indemnisation pour préjudice. THEBRANDCO a contesté ces demandes, réclamant le paiement de factures impayées et affirmant que la résiliation du contrat était due aux manquements de VIBERATION JUNIOR. Le tribunal a finalement débouté VIBERATION JUNIOR de ses demandes, prononcé la résiliation du contrat aux torts exclusifs de VIBERATION JUNIOR, et condamné cette dernière à payer des sommes à THEBRANDCO. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Chambre 01
N° RG 23/03223 – N° Portalis DBZS-W-B7H-XC3C
JUGEMENT DU 04 OCTOBRE 2024
DEMANDERESSE :
S.A.S. VIBERATION JUNIOR
inscrite au RCS de PARIS sous le n° 848 016 242
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Claire TITRAN, avocat au barreau de LILLE, postulant et Me Alban RAIS, avocat au barreau de PARIS, plaidant
DÉFENDERESSE :
S.A.S. THEBRANDCO
inscrite au RCS de LLLE sous le n° 828 468 074
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Aymeric DRUESNE, avocat au barreau de LILLE
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Président : Marie TERRIER,
Assesseur : Juliette BEUSCHAERT,
Assesseur : Carine GILLET,
Greffier : Benjamin LAPLUME,
DÉBATS :
Vu l’ordonnance de clôture en date du 08 Novembre 2023.
A l’audience publique du 13 Juin 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré,les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 04 Octobre 2024.
Marie TERRIER, Présidente de chambre, et Juliette BEUSCHAERT, Vice-Présidente, entendue en son rapport oral, qui ont entendu la plaidoirie, en ont rendu compte au Tribunal dans son délibéré.
JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 04 Octobre 2024 par Marie TERRIER, Présidente, assistée de Benjamin LAPLUME, Greffier.
La société VIBERATION JUNIOR est une société qui a pour activité la conception, la fabrication et la distribution de boissons, de sodas, de produits aromatisés, en particulier de produits utilisant des technologies encapsulant des poudres.
La société THEBRANDCO est propriétaire notamment de la marque de l’Union Européenne «TETES BRULEES» enregistrée le 23 mai 2016 sous le n°015468 143 pour différents produits et services et notamment n°32 : Eaux aromatisées: Boissons à base de légumes et jus de légumes Sorbets : boissons[ Boissons glacées (sorbets] Limonades. Sodas: Apéritifs sans alcool à l’exception des bières sans alcool: Boissons a base de fruits: lus de fruits Nectars de fruits. Eaux minérales (boissons] eaux gazeuses. Sirops pour la fabrication de boissons
La société VIBERATION JUNIOR a signé avec la société THEBRANDCO, le 15 octobre 2018, un contrat de licence pour l’exploitation de la marque « Têtes Brulées », pour des boissons en poudre à préparer, d’une durée de quatre ans.
En 2019, la société VIBERATION JUNIOR prenait attache avec la société THEBRANDCO pour lui faire un retour sur l’accueil fait aux produits par les distributeurs sollicités et demandait des informations sur un incident de santé publique concernant l’usage d’un colorant. Plus tard, elle faisait état de remontées négatives des prospects en raison du recul de la gamme confiserie et sollicitait des données chiffrées.
La société VIBERATION JUNIOR manifestait son souhait de voir réviser les conditions financières du contrat. Puis, elle adressait le 30 avril 2020 un courrier à la société TheBrandco, sollicitant l’annulation du contrat de licence et le règlement d’une somme globale de 673.700 € HT correspondant au remboursement des redevances de 60.000 € HT et à ses investissements réalisés pour 613.700 € HT.
Sur ce et en l’absence d’issue amiable, la société VIBERATION JUNIOR a fait assigner, le 11 mars 2021, devant le tribunal judiciaire de Lille la société THEBRANDCO à l’effet de voir annuler le contrat de licence pour dol.
La défenderesse a constitué avocat et les parties ont échangé leurs écritures.
L’affaire a été radiée par ordonnance du 12 octobre 2022 en raison de la demande tardive de report de la clôture. L’affaire a été réinscrite en mars 2023.
L’affaire a été clôturée le 30 mai 2024 pour être fixée à plaider à l’audience du 13 juin 2024.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières écritures signifiées par la voie électronique le 12 avril 2023, la société VIBERATION JUNIOR demande au tribunal de :
Vu les articles 1112-1, 1130 et suivants, 1178 et suivants du Code Civil
Vu l’article 514 du Code de Procédure Civile
Vu l’article 1195 du Code Civil
I. – constater l’existence de manœuvres dolosives visant à donner une présentation faussée de la notoriété de la marque « Têtes Brûlées » et de sa capacité à générer du chiffre d’affaires,
– constater que ces manœuvres ont été commises intentionnellement dans le but de tromper la société Viberation Junior dans le cadre de la signature du Contrat de Licence de Marque
« Têtes Brulées »,
– constater que ces manœuvres dolosives ont eu un caractère déterminant sur le consentement de la société Viberation Junior dans le cadre de la signature du Contrat de Licence de Marque «Têtes Brulées »,
– constater que la société TheBrandCo a dissimulé une information sur l’incident de santé
public attaché à la marque « Têtes Brûlées »,
II. En conséquence :
– dire et juger que le consentement de la société Viberation Junior a été vicié,
– annuler le Contrat de Licence de Marque en date du 15 octobre 2018,
– ordonner la restitution par la société TheBrandCo des redevances versées par la société
Viberation Junior, soit la somme de 60.000 HT (72.000 € TTC),
III. Sur l’indemnisation du préjudice,
– dire et juger que la société Viberation Junior doit être intégralement indemnisée de l’entier préjudice qu’elle a subi du fait de la dissimulation d’information et des manœuvres dolosives de la société TheBrandCo,
– condamner en conséquence la société TheBrandCo à verser à la société Viberation Junior la somme de 593.563 € H.T. au titre de l’indemnisation de son préjudice matériel.
IV. – débouter la société TheBrandCo de l’intégralité de ses demandes et en particulier de sa demande de paiement de la somme de 216.000 Euros outre les intérêts comme de toute demande ultérieure au titre de redevance ou de minimum garanti.
V. A titre subsidiaire,
– réviser le Contrat de Licence de Marque en supprimant la clause de minimum garanti de la redevance telle que prévue audit Contrat de Licence de Marque et ce, à effet de la date de conclusion du Contrat de Licence de Marque, soit le l5 octobre 2018.
VI. En tout état de cause :
– condamner la société TheBrandCo à payer à la société Viberation Junior la somme de 10.000
Euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
– ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir, nonobstant appel et sans
constitution de garantie en ce qui concerne les demandes de la société Viberation Junior et écarter l’exécution provisoire pour les demandes en paiement de la société TheBrandCo.
– condamner la société TheBrandCo en tous les dépens.
Au soutien de ses demandes, elle fait valoir que c’est par des informations mensongères sur la notoriété de la marque « Têtes Brulées » et sur les capacités à générer du chiffre d’affaires que la société TheBrandCo a obtenu la signature du Contrat avec un minimum garanti de redevance pour un montant cumulé de 780.000 €, s’abstenant volontairement de fournir le chiffre d’affaires de l’année précédente et celui de l’année en cours ainsi que de l’informer de l’incident de santé publique lié à l’usage du colorant E171, ce qui caractérise des manoeuvres dolosives et une dissimulation intentionnelle d’éléments, dont la requérante n’a été informée que postérieurement à la conclusion du contrat.
Elle ajoute qu’il importe peu que le colorant ait déjà été retiré du produit au moment de la conclusion du contrat, dès lors que “l’affaire” du colorant E171 avait bien impacté la notoriété de la marque sur le long terme ; que ces informations sont essentielles et déterminantes du consentement. Elle souligne que les éléments invoqués par la défenderesse pour appuyer sa notoriété – tels que les placements de personnalités de premier plan – sont postérieurs à la conclusion du contrat et traduisent en réalité la volonté de la société TheBrandCo de « redorer » l’image de marque des produits « Têtes Brulées », dans une période où celle-ci avait un cruel déficit d’image.
En réplique, elle soutient aussi que seule la société TheBrandCo était en possession de ces informations et qu’il n’est pas d’usage de vérifier si son futur cocontractant a rencontré un problème de santé publique, fait exceptionnel. S’il était considéré qu’elle a été négligente, elle rappelle que selon la jurisprudence le dol rend toujours excusable l’erreur provoquée.
Elle insiste sur le fait que ces éléments sont nécessairement déterminants du consentement.
En réplique, elle indique que le prévisionnel d’activité a certes été établi par la société Viberation Junior mais sur le fondement de la projection de chiffre d’affaires donnée par la société TheBrandCo.
Elle soutient que si selon la société TheBrandCo, la raison de l’absence des ventes des produits de Viberation Junior la première année est dû à un problème d’approvisionnement, le fait n’est pas démontré.
Sur la demande renconventionnelle de la défenderesse au titre des redevances, elle conclut au débouté compte tenu de sa demande de nullité.
Subsidiairement, elle se prévaut d’un changement de circonstances imprévisibles pour elle – baisse de chiffre d’affaires, baisse de notoriété, problème de santé publique -rendant l’exécution du contrat excessivement onéreuse.
Aux termes de ses dernières écritures signifiées par la voie électronique le 30 mai 2023, la société THEBRANDCO demande au tribunal de :
Vu les articles 1112-1 et suivants et 1137 et suivants du Code civil,
Débouter la société VIBERATIONJUNIOR de l’ensemble de ses demandes,
Vu les articles 1104 et suivants et 1224 et suivants du Code civil,
Condamner la société VIBERATION JUNIOR à payer à la société THEBRANDCO la somme de 216.000 € au titre des factures impayées avec application des intérêts contractuels correspondant à trois fois le taux d’intérêt légal à compter de la date d’échéance de chaque facture,
Juger que le contrat de licence de marque est résolu aux torts exclusifs de la société VIBERATION JUNIOR à la date du 8 mai 2021 et la condamner au paiement de la somme de 648.000 € en réparation du gain manqué,
Vu l’article 700 du Code de procédure civile,
Condamner la société VIBERATION JUNIOR à payer à la société THEBRANDCO la somme de 15.000 €,
Vu les articles 696 et suivants du Code de procédure civile,
Condamner la société VIBERATION JUNIOR aux entiers frais et dépens,
Vu l’article 514-1 du Code de procédure civile,
Ecarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir sur les demandes formulées par la société VIBERATION JUNIOR et la maintenir en ce qui concerne le paiement par la société VIBERATION JUNIOR des factures réclamées par la société THEBRANDCO.
Elle souligne que le contrat de licence conclu entre les parties a été librement négocié entre elles et la société VIBERATION JUNIOR a notamment obtenu, dans le cadre des négociations une durée initiale du contrat sur 4 années alors que le format standard est de 2 années, que ce que la société VIBERATION JUNIOR nomme un «démarrage prudent de la commercialisation des produits» est en réalité l’aveu que celle-ci n’a pas déployé les moyens financiers et humains qu’elle avait annoncés au moment de la signature du contrat ; qu’elle tente d’échapper à ses obligations contractuelles et au paiement des redevances.
S’agissant du dol allégué, elle fait valoir qu’ à aucun moment la société VIBERATION JUNIOR n’explique en quoi et comment la baisse du chiffre d’affaires aurait été dissimulée volontairement, et antérieurement au contrat du 15 octobre 2018 ; souligne que les confiseries sous marque «TÊTES BRÛLEES» ne sont pas produites ni distribuées par la société THEBRANDCO mais par la société CONFISERIE DU NORD, seule titulaire de la marque pour ces produits ; que la société THEBRANDCO n’est pas licenciée de la société CONFISERIE DU NORD et n’a donc pas vocation à être informée du chiffre d’affaires et du volume des ventes réalisés par une société tierce. Elle ajoute qu’elle ne démontre pas non plus que cette information aurait un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat.
Elle ajoute que la baisse non substantielle du chiffre d’affaires de la société CONFISERIE DU NORD, tiers au contrat de licence, sur les produits de confiseries sous marque «Têtes Brûlées» était dû à un défaut d’innovation ; que rien dans les pièces de la société VIBERATION JUNIOR ne permet de constater que la marque «Têtes Brûlées » subissait un désintérêt de la part des consommateurs.
Elle développe son argumentation en soulignant la notorité de sa marque et la satisfaction des autres licenciés.
S’agissant du colorant litigieux, elle soutient que la requérante ne démontre pas la réalité d’une dissimulation intentionnelle, alors qu’elle est parfaitement informée des composants intégrés dans les produits alimentaires ; qu’en outre la question de la nocivité du dioxyde de titane (E171) avait été anticipée par la société VERQUIN CONFISEUR, aujourd’hui CONFISERIE DU NORD, qui a supprimé dès 2016 l’usage de l’E171 ; que l’additif n’a été interdit qu’à partir du 1er janvier 2020 ; que la société THEBRANDCO n’avait aucune raison d’évoquer la question de l’additif E171 car les produits « Têtes Brûlées » n’en comportaient déjà plus ; qu’en tout état de cause, et pour mémoire, le fabricant du produit sous licence est la société VIBERATION JUNIOR qui est la seule à connaître la composition de sa boisson.
Elle ajoute que rien ne démontre non plus que la marque «Têtes Brûlées» aurait subi un déficit d’image en raison de l’utilisation, dans les confiseries, de l’additif E171.
Ensuite, elle invoque le caractère injustifié de la demande en révision, en l’absence de démonstration d’un changement de circonstance imprévisible ni de ce que le déséquilibre est dû à des circonstances extérieures, les difficultés invoquées étant imputables à la seule requérante.
Elle s’oppose à la demande de restitutions des redevances en l’absence de preuve de dol et détaille sa contestation des différents postes de préjudices également invoqués par la requérante.
Puis, au soutien de sa demande reconventionnelle, elle se prévaut des fautes graves de la société requérante qui n’a jamais engagé les mesures suffisantes pour développer les produits sous licence exclusive “Têtes Brûlées” et a cessé de payer les redevances.
Au soutien de sa demande indemnitaire, elle fait valoir qu’en conséquence des manquements de la requérante qui n’a pas fourni les efforts suffisants pour exploiter la marque, conformément à l’article 7 du contrat, elle n’a pu obtenir le paiement de redevances qu’elle pouvait espérer obtenir, d’un montant supérieur au minimum garanti, et fixé au contrat à hauteur de 15% du chiffre d’affaires. Elle évalue son préjudice tiré du manque à gagner en retenant le montant minimum garanti en y appliquant une majoration de 20 %, pour les trimestres manquants postérieurs à la résiliation de 2021 et 2022.
Elle s’oppose à ce que soit écartée l’exécution provisoire.
Sur les demandes de la société VIBERATION JUNIOR
Sur le dol
En vertu de l’article 1137 du Code civil, “le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges. Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie. Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation.”
La société requérante reproche à la défenderesse des manoeuvres dolosives et dissimulations visant à donner une image faussement florissante de l’entreprise, ainsi que la dissimulation intentionnelle d’une information déterminante relativement à un incident de santé publique.
Il ressort des écritures concordantes des parties que la société VIBERATION JUNIOR a pris attache avec la société THEBRANDCO dans le courant de l’année 2018 et qu’en suite de leurs négociations, un contrat de licence pour l’exploitation de la marque « Têtes Brulées» a été conclu le 15 octobre 2018 entre les parties.
Il apparaît qu’un document de présentation écrit et imagé intitulé “TETES BRULEES EXPERIENCE” a été remis à la société VIBERATION présentant la marque, son historique et exposant sa notoriété en tous domaines, y compris la confiserie. Le document comporte particulièrement une page ainsi rédigée :
“TETES BRULEES, UNE NOTORIETE QUI NE CESSE D’AUGMENTER” suivi d’un schéma “notoriété Assistée 9-14 ans (1)
2013 : 14 %
2014 : 27 %
2015 : 40 %
2016 : 66 %
2017 : 77 %
Source : (1)Etude Notoriété Confiserie – OPSIO Sept 2017″
et celle-ci :
“UNE CROISSANCE EN CONFISERIE TRES SOUTENUE DEPUIS 2012
Plus de 3MEuros de CA additionnels au CAM 2017, soit une progression de +22%
Têtes Brûlées représente 42% du total des gains du marché confiserie”
suivi d’un graphique comparatif entre les différentes marques de confiserie présentant l’évolution de leur chiffre d’affaires en 2017, dont il ressort que sur l’augmentation globale des gains du marché, Têtes Brûlées est en deuxième position, derrière Haribo.
Il s’agit d’une présentation certainement positive de la marque.
Puis, la société requérante appuie son argumentation sur la pièce n°12 qui est un mail adressé le 27 juin 2019 par la société THEBRANDCO et dans lequel il est indiqué que :
“comme les graphiques l’indiquent, les chiffres sont moins bons mais la croissance pluriannuelle reste forte”,
affirmation suivie d’un graphique peu lisible dans sa version soumise aux débats mais dont il ressort que :
– le chiffre d’affaires n’a cessé d’augmenter de 2012 à 2016, a très légèrement baissé en 2017 et a baissé plus significativement en 2018, tout en restant cependant élevé (8 981 258 en 2018).
– le volume des ventes suit à peu près la même progression.
La société indique que le marché des bonbons est très fluctuant et qu’il a souffert en 2018 d’un manque d’innovations.
Il ne peut être reproché à la société THEBRANDCO de ne pas avoir fourni le chiffre d’affaires de l’année 2018 au moment des négociation précontractuelles, s’agissant d’une année en cours.
Puis, il apparaît que si le document de présentation ne comporte pas le chiffre d’affaires de 2017, il ne comporte pas non plus les précédents et il ne résulte pas des pièces soumises aux débats ni même des allégations de la requérante que celle-ci aurait sollicité ces informations et en auraient obtenu de fausses. Surtout, l’analyse des éléments chiffrés, qui ont été fournis par la défenderesse en 2019 à sa cocontractante, permet de conclure que si le document de présentation initialement produit à la requérante lors des négociations précontractuelles était volontairement avantageux pour la société THEBRANDCO, il n’était pas mensonger, puisqu’en effet les éléments chiffrés plus précis fournis en 2019 ne les contredisent pas.
Sur le second grief, la société VIBERATION JUNIOR s’appuie sur des réponses négatives que les grandes enseignes lui ont apportées en évoquant la baisse de notoriété de la marque Têtes Brûlées en confiserie, en raison d’un additif dangereux.
La société THE BRANDCO justifie de ce que l’usage de cet additif est devenu controversé suite à la publication d’une étude en 2017 par l’INRA concluant que l’exposition chronique au E171 favorisait la croissance des lésions précancéreuses chez le rat. Mais, il ressort des éléments qu’elle fournit que Verquin Confiseur qui utilisait cet additif dans une référence de bonbons avait, dès 2016, soit avant la parution de l’étude, cherché à retirer l’additif de sa fabrication. Ainsi, dans un article du mois de janvier 2019, la Voix du Nord rappelait que la secrétaire d’Etat à la transition écologique avait, le 18 mai 2018, visité l’entreprise à [Localité 5] et s’était réjouie de la démarche : “entreprise vertueuse, qui a rapidement trouvé des produits de substitution.”
L’additif a finalement été interdit en janvier 2020.
S’il n’est pas exclu que ce sujet de santé publique relatif aux confiseries, ait pu avoir des conséquences sur la notoriété de la marque de manière générale, la décision du confiseur de retirer l’additif dès avant la sortie de l’étude était de nature à contenir la difficulté, les retombées médiatiques étant aussi positives à cet égard. La société THE BRANDCO produit au demeurant deux courriers rédigés en avril 2022 par des licenciés évoquant pour l’un son contrat de licence d’exploitation de la marque conclu le 1er janver 2018 sur le marché des glaces et reconduit en 2021, grâce à la progression des ventes, pour l’autre sa satisfaction de collaborer depuis 2016 s’agissant de la distribution de jouets permettant à l’enfant de réaliser ses confiseries Têtes Brûlées.
En tout état de cause, il ressort de ces éléments que le sujet était connu et public au moment des négociations précontractuelles entre les parties, en sorte que la société VIBERATION JUNIOR ne pouvait l’ignorer.
Pour toutes ces raisons, il ne saurait être reproché à la société THEBRANDCO aucune dissimulation relative à un sujet de santé public et maîtrisé.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, il apparaît que la société VIBERATION JUNIOR ne justifie pas d’un dol imputable à la société THEBRANDCO. La demande de nullité et les demandes subséquentes en restitution et indemnisation seront ainsi rejetées.
Sur l’imprévision
En vertu de l’article 1195 du Code civil, “ si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe.”
En l’espèce, la société VIBERATION JUNIOR évoque au titre des circonstances imprévisibles ayant changé : imprévisibilité d’un chiffre d’affaires pouvant être en grave déclin, baisse de notoriété et incident de santé publique.
L’incident de santé publique détaillé plus haut ne constitue pas un élément nouveau survenu au cours de l’exécution du contrat mais préalablement et n’était pas imprévisible, au regard des circonstances ci dessus rappelées, en sorte qu’il ne saurait être retenu au titre de l’imprévision.
Ensuite, la société VIBERATION JUNIOR ne saurait, au titre de l’imprévision, invoquer la baisse de son propre chiffre d’affaires qui ne constitue pas, en soi, une circonstance imprévisible admissible au titre des dispositions précitées. Quant à la notoriété de la marque elle-même, la requérante ne justifie que :
– d’un mail de Lidis adressé le 10 juin 2019 “nous rencontrons un recul plus que significatif sur la marque Têtes Brûlées, nous avons par ailleurs été très déçus du lancement des sucettes congelées Têtes Brûlées. Ainsi, nous ne donnerons pas suite à votre proposition.”
– et du courrier concernant l’enseigne Carrefour qui ne fait que confirmer l’arrêt de la commercialisation des boissons à préparer Têtes Brûlées, en septembre 2020, sans en évoquer le motif.
Au demeurant, ces éléments doivent être relativisés au regard de ceux apportés par la société THEBRANDCO, c’est à dire la persistance de partenariats avec d’autres licenciés qui se satisfont des ventes et de la notoriété de leurs produits, renouvelant leur confiance, d’une part, et en 2018, le maintien d’un chiffre d’affaires non négligeable malgré sa baisse d’autre part.
Dès lors, les éléments invoqués par la société VIBERATION JUNIOR ne constituent pas des changements tels qu’ils rendent l’exécution excessivement onéreuse pour elle.
La demande formée au titre de l’imprévision sera ainsi également rejetée.
Sur les demandes de la société THEBRANDCO
Sur la résiliation aux torts exclusifs de la société VIBERATION JUNIOR
Selon l’article 1224 du Code civil, la résolution résulte soit de l’application d’une clause résolutoire soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice.
L’article 1228 du même code dispose que le juge peut, selon les circonstances, constater ou prononcer la résolution ou ordonner l’exécution du contrat, en accordant éventuellement un délai au débiteur, ou allouer seulement des dommages et intérêts.
En l’espèce, le contrat de licence exclusive litigieux prévoit en son article 4 le versement d’une redevance trimestrielle et d’un minimum garanti par le licencié pendant toute la durée du contrat. Le montant est fixé par l’annexe 4 et sur le fondement du business plan fourni par le licencié. L’annexe visée prévoit le versement d’une redevance trimestrielle de 15% du CA net facturé des produits.
Le minimum garanti trimestriel est fixé pour la France et le Benelux à :
du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2019 : 7500 euros
du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2020 : 15.000 euros
du 1er janvier 2021 au 31 décembre 2021 : 30.000 euros
du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2022 : 45.000 euros
Et pour le Japon, la Corée et Israël :
du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2019 : 7500 euros
du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2020 : 15.000 euros
du 1er janvier 2021 au 31 décembre 2021 : 30.000 euros
du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2022 : 45.000 euros.
Il est constant que la société THE VIBERATION JUNIOR s’est acquittée des factures de 2019 mais n’a pas payé celles de 2020 en sorte que le 2 juin 2020, la société THEBRANDCO lui adressait mise en demeure de régler la somme de 36.000 euros TTC par trimestre impayé soit 72.000 euros. Elle ne s’est plus acquittée d’aucune autre facture ensuite. Le 26 avril 2021, la société THEBRANDCO la mettait en demeure de s’acquitter de la somme de 216.000 euros au titre des quatre trimestres 2020 et du premier trimestre 2021, sous huitaine. Le courrier était réceptionné le 30 avril 2021.
Ainsi, pour ce seul motif suffisamment grave et en l’absence de justification apportée par la société VIBERATION JUNIOR qui ne fonde sa contradiction que sur le dol et à défaut l’imprévision, la société THEBRANDCO est fondée en sa demande et il y a lieu de prononcer la résiliation judiciaire du contrat aux torts exclusifs de la société VIBERATION JUNIOR à compter du 8 mai 2021.
Sur les factures impayées
Compte tenu de ce qui précède, la société VIBERATION JUNIOR sera condamnée à payer la somme de 216.000 euros au titre des factures non acquittées. La somme sera due avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure réceptionnée le 30 avril 2021, la société THEBRANDCO ne démontrant pas que des intérêts ont été prévus au contrat.
Sur les dommages et intérêts
La société THEBRANDCO fonde sa demande indemnitaire sur le manquement de la société VIBERATION JUNIOR à ses obligations définies à l’article 7.
L’article 7 du contrat de licence prévoyait que le licencié s’engage à fournir les meilleurs efforts pour exploiter la marque, exploiter la marque de manière loyale, effective, sérieuse et continue, ne pas porter atteinte à l’image de la marque concédée.
La société VIBERATION JUNIOR était ainsi astreinte à fournir les “meilleurs efforts”, sans engagement de résultats sur ce point.
Or, il ressort des mails échangés que la société VIBERATION JUNIOR avait démarché les distributeurs et lancé des actions de promotion. Ainsi était-il fait état : des retours de Carrefour et d’Auchan en mai 2019 ; en septembre 2019, des actions commerciales par le biais d’animations, des discussions en cours avec UPYAA dans l’univers du jouet ; en janvier 2020, du fait que des distributeurs et partenaires au Japon, en Corée ou Israël contactés n’avaient pas été convaincus. Dans un courrier qu’elle adressait à la société VIBERATION JUNIOR le 20 février 2020, la société THEBRANDCO évoquait le choix de la requérante d’avoir finalement testé ses produits sous licence dans une seule région de France, et dans une seule enseigne, de la manière suivante :
“ c’est une décision de gestion de Viberation et c’est d’ailleurs peut-être une bonne décision car elle permet de faire le “POC” (c’est-à-dire la “preuve de son concept”) sur un produit innovant à tous points de vue. Les résultats ont été excellents aux dires mêmes de Viberation. Cela crédibilise par ailleurs la démarche pour les référencements futurs mais retardent de ce fait la génération de chiffres d’affaires”,
soulignant ensuite que le licencié a peut-être sous estimé les difficultés de la phase de démarrage avec son sous-traitant industriel, et pas mis en oeuvre tous les moyens qu’il avait prévus à son business plan.
Il ressort de ces éléments que la société VIBERATION JUNIOR a fourni des efforts pour le déploiement de ses produits et que les résultats n’ont pas été à la hauteur des attentes des parties, sans que soit établi un manque d’engagement de la licenciée qui a conçu, fait fabriquer son produit puis commercialisé son produit sous la marque et tenté de le déployer. Le fait de tester ses produits dans une zone géographique en France chez un seul distributeur, caractérise un choix de gestion certes prudent, ainsi que le qualifie elle-même la société THEBRANDCO, sans que l’on puisse en déduire que les efforts n’ont pas été suffisants par rapport aux engagements contractuels pris.
De même, il ne saurait être reproché à la société VIBERATION JUNIOR de ne pas avoir mis en place le plan d’action marketing de l’agence “Nice to meet you” s’agissant d’un plan proposé par la société THEBRANDCO, impliquant un investissement supplémentaire de la somme non négligeable 250.000 euros selon ses propres dires, susceptible d’obérer financièrement la situation déjà fragile du licencié sans assurance de résultat.
La société THEBRANDCO n’est donc pas fondée en sa demande indemnitaire qui sera rejetée.
Sur les demandes accessoires
Sur les dépens et l’article 700
Au regard de l’issue du litige, la société VIBERATION JUNIOR sera condamnée aux dépens, déboutée de sa demande pour les frais non compris dans les dépens et condamnée à payer à la défenderesse la somme de 3500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
Sur l’exécution provisoire
Sur le fondement de l’article 514-1 du Code de procédure civile, “le juge peut écarter l’exécution provisoire de droit s’il estime qu’elle est incompatible avec la nature de l’affaire.”
La requérante se prévaut de son faible chiffre d’affaires mais ne justifie pas que l’exécution provisoire serait incompatible avec la nature de l’affaire. La demande sera écartée.
Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort, prononcé par mise à disposition au greffe,
DEBOUTE la société VIBERATION JUNIOR de sa demande de nullité du contrat de licence exclusive conclu avec la société THEBRANDCO,
DEBOUTE la société VIBERATION JUNIOR de sa demande en restitution de redevances,
DEBOUTE la société VIBERATION JUNIOR de sa demande indemnitaire ;
DEBOUTE la société VIBERATION JUNIOR de ses demandes fondées sur l’imprévision;
PRONONCE la résiliation du contrat de licence exclusive aux torts exclusifs de la société VIBERATION JUNIOR à la date du 8 mai 2021 ;
CONDAMNE la société VIBERATION JUNIOR à payer à la société THEBRANDCO la somme de 216 000 euros au titre des factures non acquittées, avec intérêts au taux légal à compter du 30 avril 2021 ;
DEBOUTE la société THE BRANDCO de sa demande indemnitaire ;
CONDAMNE la société VIBERATION JUNIOR à payer à la société THE BRANDCO la somme de 3500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société VIBERATION JUNIOR aux entiers dépens ;
PRONONCE l’exécution provisoire de la présente décision.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE
Benjamin LAPLUME Marie TERRIER