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En vertu de l’article 81 du Code de procédure civile, la désignation de la juridiction compétente par la juridiction saisie « s’impose aux parties et au juge de renvoi », en sorte que sauf à contester préalablement la décision sur la compétence, les parties ne peuvent plus contester la compétence devant la juridiction de renvoi, toute exception d’incompétence devenant irrecevable. De même, le juge de renvoi doit accepter sa désignation et statuer sur le litige.
A ce titre, la cession d’actions d’une société commerciale est un acte de commerce même si la cession n’emporte pas modification du contrôle de la société concernée. La compétence du Tribunal de commerce est donc entière. |
Résumé de l’affaire :
Contexte de l’AffaireLe 18 juin 2014, la société BM Invest et M. [L] [D] ont signé une convention de portage d’actions, permettant à BM Invest d’acquérir 10 500 actions de MCE 5 pour 504 000 €. M. [D] devait racheter ces actions au même prix d’ici le 30 juin 2017, tout en versant une rémunération annuelle de 1% HT sur le prix d’acquisition. Non-Paiement et Mise en DemeureÀ l’échéance, M. [D] a payé une partie de la rémunération, mais n’a pas réglé le prix d’acquisition. Un protocole d’accord du 25 février 2021 a fixé la dette totale à 521 674,52 €, avec un échéancier de paiement. Après quelques paiements, M. [D] a cessé de payer, entraînant une mise en demeure de BM Invest en octobre 2022. Procédures JudiciairesBM Invest a assigné M. [D] devant le tribunal de commerce de Paris, qui a renvoyé l’affaire au tribunal de commerce de Lyon pour des raisons de compétence territoriale. Le 6 octobre 2023, le tribunal de Lyon a rejeté l’exception d’incompétence et a condamné M. [D] à payer la somme provisionnelle de 435 721,75 €. Appel de M. [D]M. [D] a interjeté appel, contestant la compétence du tribunal de commerce de Lyon et la validité de la convention de portage. Il a demandé la réformation de l’ordonnance, notamment en ce qui concerne le montant à payer et les pénalités de retard. Arguments de BM InvestBM Invest a soutenu que la créance était non contestable, citant le protocole d’accord et la reconnaissance de la dette par M. [D]. Elle a également affirmé que la convention de portage ne contrevenait pas aux dispositions légales sur les clauses léonines. Décision de la Cour d’AppelLa cour a confirmé la compétence du tribunal de commerce de Lyon et a rejeté les contestations de M. [D] concernant la validité de la convention de portage. Elle a également statué que la créance était exigible et a modifié le taux d’intérêt à 1% pour la créance principale, tout en maintenant le taux majoré de 5% pour les retards de paiement. ConclusionLa cour a condamné M. [D] à payer la somme de 435 721,75 €, avec des intérêts au taux de 1% et des intérêts majorés de 5%. Elle a également rejeté sa demande de délais de paiement et l’a condamné aux dépens d’appel. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Décision du Tribunal de Commerce de Lyon en référé
du 06 octobre 2023
RG : 2023r00714
[D]
C/
S.A.S. BM INVEST
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE LYON
8ème chambre
ARRÊT DU 23 Octobre 2024
APPELANT :
M. [L] [D]
né le 02 Octobre 1970 à [Localité 4]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Gaël SOURBE de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, toque : 1547
Ayant pour avocat plaidant Me Sybille BARATIN, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
La société BM INVEST, société par actions simplifiée au capital de 271.479 euros, dont le siège social est situé au [Adresse 3], immatriculée sous le numéro 389 706 912 au registre du commerce et des sociétés de Pontoise, agissant poursuites et diligences de son Président domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me Alexis CHABERT et Edouard de MELLON de la SELARL DELSOL AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 1132
* * * * * *
Date de clôture de l’instruction : 17 Septembre 2024
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 17 Septembre 2024
Date de mise à disposition : 23 Octobre 2024
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
– Bénédicte BOISSELET, président
– Véronique DRAHI, conseiller
– Nathalie LAURENT, conseiller
assistés pendant les débats de William BOUKADIA, greffier
A l’audience, un membre de la cour a fait le rapport,
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Bénédicte BOISSELET, président, et par William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Le 18 juin 2014, la société BM Invest et M. [L] [D], dirigeant et actionnaire de la société MCE 5 Development (MCE 5), ont conclu une convention de portage d’actions, en vertu de laquelle il était convenu que la société BM Invest acquière et détienne au prix de 504 000,00 €, 10500 actions MCE 5 jusqu’au 30 juin 2017, date à laquelle M. [L] [D] s’engageait à les acquérir au même prix et à verser à la société BM Invest une rémunération annuelle de ce portage (sur une base de 365 jours) de 1% HT du prix d’acquisition, c’est à dire un prix total de 531 726,91 €.
A la date convenue, M. [D] s’est acquitté de la rémunération de 27 726,91 € mais n’a pas été en mesure de payer le prix d’acquisition des actions, de 504 000,00 €.
Aux termes d’un protocole d’accord du 25 février 2021, le montant de la somme due par M. [D] à la société BM Invest a été fixé à un montant total, en principal et intérêts de 521 674,52 € décomposé comme suit :
prix d’acquisition : 504 000,00 €,
rémunération du 30 juin 2017 au 31 décembre 2017 : 2 540,71 €,
rémunération 2018 : 5 040,00 € ;
rémunération 2019 : 5 040,00 € ;
rémunération 2020 : 5 053,81 €.
Un échéancier de paiement de la créance était également stipulé.
Les deux premières échéances de 25 000,00 € chacune ont été payées par M. [D] qui n’a pas payé la 3ème échéance du 1er juin 2022 à bonne date puis a cessé tout paiement.
Par LRAR du 12 octobre 2022, la société BM Invest a mis en demeure M. [D] de payer l’intégralité de la somme restant dûe de 435 221,75 €.
Par acte d’huissier du 15 novembre 2022, la société BM Invest a fait assigner M. [L] [D] devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, en paiement d’une provision à valoir sur sa créance.
Par ordonnance du 22 février 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris s’est déclaré matériellement compétent mais territorialement incompétent au profit du juge des référés du tribunal de commerce de Lyon auquel il a renvoyé l’affaire.
Par ordonnance contradictoire du 6 octobre 2023, le président du tribunal de commerce de Lyon a :
Rejeté l’exception d’incompétence matérielle du tribunal de commerce au profit du tribunal judiciaire soulevée par M. [L] [D] ;
Condamné M. [L] [D] à payer la somme provisionnelle de 435 721,75 € au titre du protocole d’accord signé le 25 février 2021, outre intérêts au taux de 6% tel que prévu aux articles 4.3 et 4.4 du protocole ;
Rejeté la demande de pénalités de retard ;
Condamné M. [D] à payer la somme de 2 000,00 €, en application de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ;
Le premier juge a considéré que le renvoi ordonné par le Président du tribunal de commerce de Paris empêchait tout nouveau renvoi.
Sur le fond, le juge des référés qui observe qu’aucune contestation de la convention de portage, ni demande de la part de M. [D] n’ont été portés à la connaissance de la société BM Invest, avant la réclamation du paiement de la dette, alors que ce dernier en conteste désormais la validité, estime que :
la nullité soulevée n’est pas sérieuse s’agissant d’un acte usuel ne rentrant pas dans le champ des clauses léonines,
la contestation sur la fin du contrat ne l’est pas davantage, dans la mesure où la cession devait avoir lieu au 30 juin 2017 et que l’absence de réalisation provient du non-paiement qui a donné lieu par ailleurs à des transactions,
les autres contestations visant à remettre en cause un contrat librement négocié entre les parties ne sont pas sérieuses,
la demande de pénalités supplémentaires de 10 000 € n’est pas justifiée sur le point de départ et dans la mesure où elle peut être assimilée à une clause pénale,
M. [D] ne justifie pas de sa situation précaire à l’appui de sa demande de délais de paiement qui doit être rejetée.
Par déclaration enregistrée le 13 octobre 2023, M. [D] a interjeté appel du jugement :
Par conclusions enregistrées au RPVA le 15 décembre 2023, M. [D] demande à la cour de :
Vu les articles 33, 42, 48, 835 et 873 du Code de Procédure Civile,
Vu l’article L. 211-3 Code de l’organisation judiciaire,
Vu les articles 1178, 1231-5 et 1844-1 du Code civil,
Vu la jurisprudence citée et les pièces versées au débat,
Réformer l’ordonnance déférée en ce qu’elle a :
« rejeté l’exception d’incompétence soulevée,
condamné [L] [D] au paiement de la somme de provisionnelle de 435.721,75 € au titre du protocole d’accord signé le 25 février 2021, outre intérêts au taux de 6 % tel que prévu aux articles 4.3 et 4.4 du protocole,
condamné [L] [D] au paiement de la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
condamné [L] [D] au entiers dépens ».
Et statuant à nouveau,
A titre principal,
Juger matériellement incompétent le Président du Tribunal de commerce de Lyon, et renvoyer l’affaire devant le Président du Tribunal Judiciaire de Lyon,
À titre subsidiaire,
Juger n’y avoir lieu à référé en raison de l’existence de contestations sérieuses ;
Rejeter toutes les demandes, moyens, fins et conclusions de la société BM Invest, et la débouter ;
A titre très subsidiaire,
Reporter le paiement de toute somme provisionnelle mise à la charge de [L] [D] à 24 mois ;
Rejeter toutes les demandes de la société BM Invest au titre de majoration de 5% et de pénalité de 10 000,00 € par mois de retard, et la débouter ;
En tout état de cause,
Condamner la société BM Invest à payer à [L] [D] la somme de 14 000,00 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
Condamner la société BM Invest aux entiers dépens de première instance et d’appel, à distraire entre les mains de la SCP BAUFUME SOURBE.
Par conclusions régularisées au RPVA le 30 novembre 2023, la société BM Invest demande à la cour :
Vu l’article 873 du Code de procédure civile,
Vu les articles 1134 ancien et 1103 nouveau du Code civil,
Vu les pièces versées aux débats,
Confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a :
« Rejeté l’exception d’incompétence ;
Condamné M. [D] au paiement de la somme provisionnelle de 435 721,75 € au titre du protocole d’accord signé le 25 février 2021, outre intérêts au taux contractuel de 6% ;
Condamné M. [D] à payer à la société BM Invest la somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamné M. [D] aux entiers dépens ».
Infirmer l’ordonnance en ce qu’elle a rejeté la demande de pénalité de retard ;
Statuant à nouveau,
Ordonner à M. [D] de payer à la société BM Invest une pénalité de retard d’un montant de 10 000,00 € par mois de retard jusqu’à parfait paiement ;
Condamner M. [L] [D] à payer à la société BM Invest la somme de 10 000,00 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
Condamner M. [L] [D] aux entiers dépens de l’instance.
Vu l’ordonnance du 17 septembre 2024 ordonnant la clôture des débats,
Il convient de se référer aux conclusions des parties pour plus amples exposé de leurs prétentions et moyens.
Sur la compétence
M. [D] conteste la compétence matérielle du tribunal de commerce de Lyon aux motifs d’une part, qu’il n’est pas commerçant, son mandat social étant à ce sujet indifférent, en sorte que le litige relève de la compétence exclusive du tribunal judiciaire en vertu de l’article L 211-3 du Code de commerce, d’autre part que la convention litigieuse ne portant que sur 10500 actions de MCE 5 (0,06% de son capital social) n’est pas un acte de commerce en ce qu’elle n’emporte pas transfert du contrôle de la société, selon la jurisprudence.
Il fait en outre valoir que le juge des référés de Lyon a consacré à tort une autorité définitive de chose jugée à l’ordonnance du juge des référés de Paris, alors qu’elle n’a qu’une autorité relative, ne liant pas le juge de renvoi.
La société BM Invest objecte que par ordonnance du 22 février 2023, le président du tribunal de commerce de Paris a rejeté l’exception d’incompétence matérielle et renvoyé l’affaire devant le président du tribunal de commerce de Lyon, désignation qui s’impose aux parties en vertu de l’article 81 du Code de procédure civile, dès lors qu’il n’a pas été fait appel de cette décision. Elle prétend également que selon la jurisprudence constante rendue en application de l’article L 721-3 du Code de commerce, les litiges nés à l’occasion d’une cession de titres d’une société commerciale relèvent de la compétence de la juridiction consulaire, ce qui est le cas en l’espèce, s’agissant d’une opération de portage et d’un protocole ayant pour objet une cession de droits, la société BM Invest ayant acquis puis détenu 10500 actions de la société MCE 5 et M. [D] s’étant engagé à les racheter au terme et au prix convenus. Au visa de l’article 90 du Code de procédure civile, elle ajoute que même si la cour devait faire droit à l’exception d’incompétence matérielle au profit du tribunal judiciaire de Lyon, elle devrait néanmoins statuer sur le fond du litige en sa qualité de juridiction d’appel de ce dernier.
La cour rappelle qu’en vertu de l’article 81 du Code de procédure civile, la désignation de la juridiction compétente par la juridiction saisie « s’impose aux parties et au juge de renvoi », en sorte que sauf à contester préalablement la décision sur la compétence, les parties ne peuvent plus contester la compétence devant la juridiction de renvoi, toute exception d’incompétence devenant irrecevable. De même, le juge de renvoi doit accepter sa désignation et statuer sur le litige. En l’espèce, le renvoi au juge des référés du tribunal de commerce de Lyon est lié à sa compétence territoriale.
Pour autant, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a ordonné ce renvoi après avoir tranché la question de la compétence matérielle de la juridiction consulaire, en sorte que ce renvoi s’impose au juge et aux parties, ces dernières n’ayant pas interjeté appel de cette décision.
La décision de première instance sera confirmée à ce titre, étant au demeurant rappelé qu’il est de jurisprudence constante qu’une cession d’actions d’une société commerciale est un acte de commerce même si la cession n’emporte pas modification du contrôle de la société concernée.
Sur la demande de provision
En application des dispositions de l’article 873 alinéa 2 du Code de procédure civile, une provision peut être accordée au créancier par le juge des référés, dans le cas où cette obligation n’est pas sérieusement contestable.
1) Sur la contestation de la validité de la convention de portage
M. [D] invoque l’existence de contestations sérieuses et en premier lieu, au visa de l’article 1844-1 du Code civil, la nullité de la convention de portage du fait de son caractère léonin, en ce qu’elle a pour objet de déterminer à l’avance les conditions financières garantissant au porteur de réaliser une plus-value de cession, quelle que soit l’évolution de la société et la valeur de ses titres, alors que c’est seulement par exception que les clauses de portage peuvent être valables entre associés, lorsque la stipulation du prix de cession garantit au porteur de ne pas subir de perte, à la condition essentielle que le porteur soit un pur «bailleur de fonds», non-associé avant d’avoir conclu la convention de portage, dépourvu d’affectio societatis et dont le seul objectif est de réaliser une plus-value de cession à court terme, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, la société BM Invest étant actionnaire de MCE 5 depuis février 2011, à hauteur de 4,27% du capital en décembre 2022 (et de 2,56% ensuite) et administrateur depuis 2012, et partant engagée dans la conduite des affaires sociales.
Il estime qu’elle n’est donc pas un actionnaire dit «bailleur de fonds», dépourvu d’affectio societatis et ne poursuivant qu’un objectif à court terme de ses actions mais un actionnaire impliqué dans la gestion et l’administration de la société, la convention de portage, lui ayant permis d’augmenter sa participation en 2014 en souscrivant 10500 nouvelles actions et ainsi d’augmenter ses droits politiques et financiers dans la société, tout en la garantissant abusivement contre toute dévaluation de la valeur des actions acquises : cette convention contourne le pacte social, en garantissant à la société BM Invest l’augmentation de ses droits d’actionnaire et la réalisation d’une plus-value de cession, en cédant ses 10500 actions à leur valeur de souscription, majorée d’une rémunération garantie de 27.726,91 € qui lui a été versée. Il conteste la qualification d’acte usuel retenu par le premier juge s’agissant d’une convention rétroactive stipulée près de trois ans après l’acquisition des actions par le porteur.
Il ajoute que la nullité de la convention de portage entraîne la nullité du protocole d’accord dont l’objet est l’exécution de cette convention, dont il est indivisible.
La société BM Invest retient que la créance de 435 721,75 € n’est pas sérieusement contestable au regard du protocole d’accord signé entre les parties liées par la convention de portage, lequel organise un échéancier de règlement et dont l’article 3 stipule que M. [D] a expressément reconnu l’existence de la créance, à hauteur alors de 521 674,52 €, dont elle observe qu’il a réglé les deux premières échéances. Elle précise que conformément à l’article 4.4 du protocole la créance est intégralement exigible, raison pour laquelle elle l’a mis en demeure de payer la somme de 435 221,75 € par courrier recommandé du 12 octobre 2022.
Elle relève que l’interdiction édictée par l’article 1844-1 du Code civil qui répute nulles les conventions entre associés dites « léonines » attribuant à un associé la totalité du bénéfice ou l’exonérant des pertes et celles excluant un associé des bénéfices ou mettant à sa charge toutes les pertes, clauses effectivement radicalement contraires à la nature même du pacte social n’a absolument pas vocation à interdire les cessions de titres à termes à prix convenu à l’avance ou à interdire les conventions de portage de titres, qui demeurent très classiques, même entre associés, selon une jurisprudence constante applicable à la cause, où les relations des parties ne se situent pas dans le cadre d’un contrat de société tel que défini à l’article 1832 du Code civil, BM Invest étant bien intervenue à la convention de portage en tant que simple bailleur de fonds ayant accepté de faire un apport financier important pour acheter des titres à la place de M. [D] qui n’avait à l’époque pas les liquidités nécessaires comme le rappelle le préambule de la convention, celui-ci s’engageant irrévocablement à les racheter à terme à un prix déterminé, moyennant une rémunération du portage.
Il s’agit d’une pure opération de financement qui ne contrevient en rien au pacte social. Elle estime en conséquence que la nullité invoquée ne consiste pas en une contestation sérieuse.
La cour relève que malgré l’existence du protocole d’accord sur le fondement duquel la société BM Invest fonde sa demande et la reconnaissance de créance qu’elle implique de la part de M. [D], il doit être statué sur l’existence ou non d’une contestation sérieuse de la validité de la convention de portage au regard de la prohibition des clauses léonines, dont dépend la validité du protocole d’accord.
L’article 1844-1 du Code civil prohibe la seule clause qui porte atteinte au pacte social qu’il s’agisse de la clause attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l’exonérant de la totalité des pertes ou de celle l’excluant des bénéfices ou mettant à sa charge toutes les pertes.
Les conventions de portage entre associés de droits sociaux d’une même société commerciale ne contreviennent donc pas aux dispositions de ce texte dès lors qu’elles n’ont pour objet que d’assurer, moyennant un prix librement convenu, la transmission de droits sociaux entre associés et qu’elles sont sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes dans les rapports sociaux.
En l’espèce, les parties ont librement convenu, aux termes d’une convention dont les termes sont clairs et précis, qu’il n’est pas nécessaire d’interpréter des promesses croisées de vente et d’achat d’actions entre M. [D] et la holding BM Invest, partenaire financier ou «bailleur de fonds» qui n’entend ni conserver ses actions au-delà d’une certaine période, ni assumer une quelconque responsabilité de gestionnaire ou d’administrateur, les relations des parties ne se situant pas dans le cadre d’un contrat de société, mais dans celui d’un portage et la convention étant expressément motivée par le défaut de liquidités de M. [D]. La décision du premier juge qui n’a pas retenu l’existence de contestations sérieuses à ce titre sera confirmée.
2) Sur la contestation de l’existence de la dette
M. [D] invoque en deuxième lieu des contestations sérieuses s’agissant de l’existence de la dette, expliquant que la convention de portage était à durée déterminée, le 30 juin 2017 constituant la date limite de cession des-dites actions, le terme des promesses croisées d’achat et de vente et le terme de la convention de portage et que ces promesses croisées ne valaient pas vente, en raison des deux conditions érigées par les parties en éléments essentiels de la réalisation de la vente :
la remise par le porteur au donneur d’ordre de l’ordre de mouvement correspondant au transfert de l’intégralité des actions, dûment signé par le porteur,
le paiement intégral au porteur du prix et de la rémunération par le donneur d’ordre.
Il constate qu’aucune de ces deux conditions cumulatives n’a été réalisées au 30 juin 2017, terme du contrat, la société BM Invest n’ayant pas cédé ses actions à M. [D] qui lui a payé la rémunération totale de 27 726,91 €, en sorte que depuis l’arrivée du terme, elle n’a aucun droit à rémunération, ni aucune créance envers M. [D], ce qui entraîne la nullité du protocole d’accord, dépourvu d’objet.
L’intimée retient que le raisonnement tenu par M. [D] au titre de la prise de fin de la convention au 30 juin 2017 faute de réalisation des deux conditions essentielles que sont le paiement du prix et la remise en contrepartie de l’ordre de mouvement n’est pas davantage sérieux dès lors que le fait que la remise par le porteur de l’ordre de mouvement est la contrepartie du paiement intégral du prix contractuellement convenu au plus tard au jour du prétendu terme invoqué.
Faute pour M. [D] de s’être acquitté de son obligation de payer le prix, l’ordre de mouvement ne pouvait pas être remis. Elle estime que M. [D] confond ainsi obligations réciproques des parties et conditions de l’obligation, le paiement du prix et la remise de l’ordre de mouvement en contrepartie ne sont pas des conditions de l’obligation, mais constitue l’obligation elle-même. Or, si le non-accomplissement d’une condition du contrat à la date convenue entraîne l’annihilation du contrat, une inexécution de l’obligation elle-même à la date convenue donne au contraire droit à l’autre partie d’en demander l’exécution. Dans le cas contraire, il n’y aurait en fait pas de contrat puisque son inexécution conduirait à son annihilation.
Elle ajoute que M. [D] ne peut de toute façon pas sérieusement soutenir aujourd’hui que la convention de portage d’origine serait nulle ou qu’elle serait arrivée à terme, alors même qu’il a depuis signé un protocole d’accord le 25 février 2021 aux termes duquel il a reconnu la créance, accepté un échéancier et procédé au règlement des premières échéances convenues. Si ce protocole ne vaut en effet pas novation de la convention de portage, il n’en est pas moins un contrat aux termes duquel il s’est engagé à payer la dette moyennant un échéancier.
La cour estime que les contestations émises par M. [D] à ce titre ne sont effectivement pas sérieuses, dès lors que son obligation de payer qui conditionnait le transfert des actions, n’a pas cessé au terme de la période visée par la convention, elle est au contraire devenue susceptible d’exécution forcée ou à tout le moins de faire l’objet d’un protocole d’accord destiné à échelonner sa dette, ce qui est précisément le cas en l’espèce, M. [D] ayant ainsi reconnu sa dette.
3) Sur l’exigibilité anticipée
M. [D] invoque en troisième lieu des contestations sérieuses relativement à la déchéance anticipée du terme dès lors que le protocole ne contient aucune clause dispensant la société BM Invest de mettre M. [D] en demeure préalablement à la déchéance anticipée du terme alors que dans la mise en demeure du 12 octobre 2022, la société BM Invest prétend avoir déjà acquis la déchéance du terme pourtant non précédée d’une mise en demeure.
La société BM Invest estime que M. [D] ne peut davantage sérieusement prétendre que faute de mise en demeure préalable, l’exigibilité anticipée de la créance n’est pas acquise, le protocole de remboursement stipulant expressément une clause parfaitement claire et explicite dispensant la société BM Invest d’une mise en demeure préalable. La société BM Invest qui a informé M. [D] de l’exigibilité anticipée le 12 octobre 2022 a donc parfaitement respecté les prévisions contractuelles.
La clause d’exigibilité anticipée stipulée au protocole d’accord selon laquelle, « Le montant total de la créance et des éventuels intérêts ou la somme restant à payer en cas d’échéances déjà versées, sera exigible par anticipation, immédiatement, notamment en cas de non-respect de l’une quelconque des engagements pris par le donneur d’ordre aux termes du protocole. La mise en oeuvre de l’exigibilité anticipée fera l’objet d’une information délivrée par le porteur, par quelque moyen que ce soir, au donneur d’ordre » dispense en effet sans aucune ambiguïté la société BM Invest de mise en demeure préalable à l’exigibilité anticipée de l’intégralité de sa créance. La contestation de ce chef n’est pas sérieuse et la décision de première instance sera confirmée.
Sur les intérêts majorés et la clause pénale
Le protocole d’accord stipule que :
le porteur percevra outre le remboursement en principal, une rémunération de 1% calculée trimestriellement sur le montant de la créance restant dû,
des intérêts majorés de 5% sur les sommes en principal, frais et intérêts non réglés à leur échéance, à compter de la mise en demeure de payer, devant être adressée à cet effet par LRAR par le porteur au donneur d’ordre,
une pénalité de retard de 10 000,00 € par mois de retard dans le paiement intégral de la créance du porteur.
M. [D] qualifie de clause pénale tant la pénalité de retard que la stipulation d’intérêts de 5% (et non de 6% comme retenu à tort, selon lui, dans l’ordonnance déférée) en ce qu’elle sanctionne un retard de paiement, clauses pénales qu’il estime manifestement excessives compte tenu du cumul qui en résulte et de la disproportion entre ses revenus et la rentabilité notable de la société BM Invest.
La société BM Invest qui dénie la qualification de clause pénale au taux d’intérêt de 1% correspondant à la rémunération du porteur, prévue dès l’origine, conteste le caractère manifestement excessif de la majoration de 5% de ce taux, qui consiste en une obligation contractuelle normale destinée à assurer le paiement d’une somme de plus de 430 000,00 € pour laquelle un délai avait d’ores et déjà été accordé et non respecté par l’appelant et de réparer le préjudice subi par elle.
Elle ajoute qu’il en va de même de la pénalité de retard de 10 000,00 € par mois, constitutive d’une clause pénale ayant pour objet de sanctionner le retard de paiement intégral de la créance et dont le point de départ doit être fixé à la première échéance impayée, c’est à dire celle du 1er juin 2022, étant rappelé que l’article 1231-5 du Code civil n’autorise pas le juge à écarter purement et simplement son application qui relève de la loi des parties, mais seulement à la modérer ou l’augmenter. En l’occurrence, cette pénalité est destinée à contraindre M. [D] à exécuter ses obligations dans les délais et à éviter qu’il ne s’y soustraie pendant plusieurs années, à défaut de quoi l’intérêt contractuel ne serait pas suffisant.
La cour rappelle qu’en application de l’article 873 alinéa 2 du Code de procédure civile, le juge des référés peut accorder une provision sur le montant non contestable d’une clause pénale.
Les intérêts de retard au taux majoré de 5% contractuellement prévus ne se heurtent en l’espèce à aucune contestation sérieuse, ni dans leur principe, ni dans leur quantum.
S’agissant de la pénalité de 10 000,00 € par mois de retard dans le paiement intégral de la créance au porteur, elle est sérieusement contestable en ce que son point de départ n’est pas clairement défini.
La décision de première instance sera toutefois infirmée en ce qu’elle a condamné M. [D] au paiement de la somme de 435 721,75 €, outre intérêts au taux de 6% tel que prévu aux articles 4.3 et 4.4 du protocole, le taux de 1% consistant en la rémunération de la société BM Invest et n’ayant pas la même assiette que le taux majoré de 5%.
M. [D] sera condamné à payer la somme de 435 721,75 €, outre intérêts au taux de 1%, tel que prévus à l’article 4.3 du protocole et intérêts au taux majoré de 5%, tel que prévu à l’article 4.4 du protocole.
Sur la demande de délais de paiement
En application de l’article 1343-5, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.
M. [D] sollicite à titre subsidiaire le report du paiement de sa dette de 24 mois, demande qui n’a pas été tranchée dans le dispositif de l’ordonnance déférée, étant précisé qu’il estime ne pas avoir les moyens de régler les sommes réclamées ce dont il dit justifier.
La société BM Invest s’oppose à la demande de délai de grâce formée par M. [D], lequel dispose d’un patrimoine très important, notamment de nombreuses SCI et ne justifie nullement de sa situation personnelle qu’il prétend précaire, étant rappelé l’ancienneté de la dette et l’échéancier dont il a bénéficié.
M. [D] ne justifie pas de sa demande ne versant aux débats que deux avis d’imposition non révélateurs de sa situation exacte et notamment de son patrimoine, en sorte qu’il sera débouté de cette demande, sur laquelle le juge de première instance n’a effectivement pas statué.
Sur les mesures accessoires
La décision déférée sera confirmée en ce qu’elle a mis les dépens de première instance à la charge de M. [D], lequel succombant, supportera également les dépens en cause d’appel.
L’équité commande en outre de confirmer l’ordonnance déférée en ce qu’elle a condamné M. [D] au paiement de la somme de 2 000,00 € en application de l’article 700 du Code de procédure civile et de faire application des dispositions de ce texte, en cause d’appel en condamnant M. [D] à payer la somme de 2 000,00 € à ce titre.
La cour d’appel,
Statuant dans les limites de l’appel,
Confirme la décision attaquée en toutes ses dispositions sauf en ce qu’elle a condamné M. [L] [D] à payer la somme de 435 721,75 €, outre intérêts au taux de 6% tel que prévu aux articles 4.3 et 4.4 du protocole.
Statuant à nouveau,
Condamne M. [L] [D] à payer la somme de 435 721,75 €, outre intérêts au taux de 1%, tel que prévus à l’article 4.3 du protocole d’accord du 25 février 2021 et intérêts au taux majoré de 5%, tel que prévu à l’article 4.4 du même protocole.
Y ajoutant,
Déboute M. [L] [D] de sa demande de délais de paiement ;
Condamne M. [L] [D] aux dépens d’appel.
Condamne M. [L] [D] à payer à la société BM Invest la somme de 2 000,00 €, en application de l’article 700 du Code de procédure civile en cause d’appel ;
LE GREFFIER LE PRESIDENT