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Les atteintes à la réputation des influenceuses relèvent bien du droit spécial de la presse et non d’une atteinte à la vie privée y compris en cas de “propos mixtes”.
L’action ici intentée par une influenceuse vise, selon les termes de l’acte introductif d’instance, à voir réparer l’atteinte portée à sa vie privée « sur les réseaux sociaux et notamment sur Tiktok, en évoquant son intimité, en publiant sa correspondance avec une autre femme et en appelant sa « communauté » à se désabonner des réseaux sociaux de cette dernière ». L’analyse de l’acte introductif d’instance, permet de considérer que, sous couvert d’invoquer une atteinte au respect dû à leur vie privée, la demanderesse critique en réalité les attaques dont elle ferait l’objet, sur la base des commentaires relatifs à la relation amoureuse qu’elle avait alors nouée et affichée avec une ancienne amie, peu de temps après leur rupture, ce afin de nuire à son image et sa réputation. Les détails sur lesquels reposent ces allégations de mauvais comportement ne sont pas divisibles de l’atteinte ainsi déplorée par la demanderesse. Il s’agit ici d’une action tendant à voir reconnaître la faute commise par les défendeurs du fait de la diffusion de propos lui imputant des faits qu’elle qualifie de graves et de nature à porter atteinte à sa réputation. L’action introduite devant le présent tribunal relève donc des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 et précisément de l’article 29 alinéa 1er qui vise la diffamation publique. La juridiction a requalifié l’action sur le fondement de l’article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 avec nullité de la procédure dans la mesure où elle ne répond pas aux critères posés par les dispositions de l’article 53 de cette loi, notamment quant aux exigences de visa des textes. Pour rappel, les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet l88l ne pouvant être réparés sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile, il appartient au juge saisi d’une action fondée sur l’article 1240 du code civil, de restituer aux faits allégués leur exacte qualification au regard du droit de la presse, sans s’arrêter à la dénomination retenue par le requérant, par application des dispositions de l’article 12 du code de procédure civile. Il en va de même si l’action est engagée sur les dispositions de l’article 9 du code civil qui protègent contre toute atteinte à la vie privée. Seule l’existence de faits distincts justifie que les dispositions de la loi sur la liberté de la presse n’excluent pas l’application des dispositions du code civil. Pour chaque cas d’espèce, il convient de déterminer si l’assignation vise uniquement des propos et actes constitutifs d’atteinte à la vie privée ou si elle a tend à voir réparer, en réalité, un dommage causé par une atteinte à la réputation telle que protégée au titre de la sanction de la diffamation publique envers particulier prévue par les dispositions des articles 29 alinéa 1er et 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881. |
Résumé de l’affaire : Le 1er août 2024, [F] [M] a assigné [B] [J], la société 2 ZS PRODUCTION, [N] [G] et la société CLD, en raison d’une atteinte à sa vie privée liée à une vidéo publiée le 11 janvier 2024 sur YouTube et sur les réseaux sociaux de [N] [G]. [F] [M] demandait 200 000 euros en dommages et intérêts, 7 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, la publication de l’ordonnance sur les comptes Instagram des défendeurs, ainsi que le remboursement des dépens. En défense, [N] [G] et la société CLD ont contesté la validité de l’assignation, nié l’atteinte à la vie privée et demandé des dommages pour abus de droit. Après l’audience, le tribunal a déclaré nulle l’assignation de [F] [M], rejeté sa demande d’abus de droit, et condamné [F] [M] à verser 1 500 euros aux défendeurs pour les frais irrépétibles, tout en rejetant sa demande de frais. [F] [M] a également été condamné aux dépens.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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N° RG 24/55649 – N° Portalis 352J-W-B7I-C5PR5
N° : 1/MM
Assignation du :
01,14 Août 2024
[1]
[1] 2Copies exécutoires
délivrées le:
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 15 octobre 2024
par Delphine CHAUCHIS, Première vice-présidente adjointe au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier.
DEMANDERESSE
Madame [F] [M]
domiciliée : chez Me [U] [H]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Maître Emmanuel ASMAR de l’AARPI ASMAR ASSAYAG, avocats au barreau de PARIS – #R0261
DEFENDEURS
S.A.S.U. CLD
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Me Marine VIEGAS, avocat au barreau de PARIS – #C0593
Madame [N] [G]
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Me Marine VIEGAS, avocat au barreau de PARIS – #C0593
S.A.S.U. 2 ZS PRODUCTION
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par Me Marine VIEGAS, avocat au barreau de PARIS – #C0593
Monsieur [B] [J]
[Adresse 5]
[Localité 3]
représenté par Me Marine VIEGAS, avocat au barreau de PARIS – #C0593
DÉBATS
A l’audience du 03 Septembre 2024, tenue publiquement, présidée par Delphine CHAUCHIS, Première vice-présidente adjointe, assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier,
– de condamner in solidum [N] [G], [B] [J], la société CLD et la société 2 ZS PRODUCTION au paiement d’une somme de 200 000 euros à titre de provision sur dommages et intérêts en raison des préjudices subis ;
– de condamner in solidum [N] [G], [B] [J], la société CLD et la société 2 ZS PRODUCTION à lui verser en application de l’article 700 du code de procédure civile une somme de 7 000 euros ;
– d’ordonner la publication de l’ordonnance à intervenir sur les comptes Instagram de [N] [G] et [B] [J], selon des modalités précisées dans l’acte, et ce, sous astreinte ;
– de condamner in solidum [N] [G], [B] [J], la société CLD et la société 2 ZS PRODUCTION aux dépens.
Vu les conclusions en défense de [N] [G] et la société CLD, déposées et soutenues à l’audience, qui nous demande :
– in limine litis, de juger nulle et prescrite l’assignation ainsi délivrée,
– à titre subsidiaire, de constater l’absence d’atteinte à la vie privée d’[F] [M],
– à titre très subsidiaire, de constater l’absence de préjudice et en conséquence de dire n’y avoir lieu à référé et débouter la demanderesse de toutes ses demandes,
– en tout état de cause, de condamner [F] [M] à payer à chacun des défendeurs la somme de 1.000 euros au titre de l’abus de droit sur le fondement de l’article 1240 du code civil, et celle de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,
– d’ordonner l’exécution provisoire de la présente décision,
A l’audience, les conseils ont été entendus en leurs plaidoiries.
Le conseil de la demanderesse a sollicité le rejet de l’exception de nullité soulevée in limine litis puis soutenu les termes de l’acte introductif d’instance.
Le conseil des défendeurs a soutenu les termes de ses écritures.
À l’issue de l’audience, il leur a été indiqué que la présente décision serait rendue le 15 octobre 2024 par mise à disposition au greffe.
Sur les publications litigieuses
[F] [M] est une influenceuse française connue pour ses publications sur les réseaux sociaux tels que YouTube, Instagram et TikTok sous le pseudonyme de « [F] [X] ».
[N] [G] est une danseuse et influenceuse française connue sur les réseaux sociaux TikTok et Instagram sous le pseudonyme de « [N] la danseuse ». Elle dirige la société CLD ayant pour activité principale la création de contenus sur les réseaux sociaux (pièce n°2 en demande).
[B] [J] est créateur de vidéos publiant des émissions et des interviews sur une chaîne YouTube intitulée « sam zirah », celles-ci étant produites par la société 2 ZS PRODUCTION.
Le 11 janvier 2024, la chaîne YouTube « sam zirah » publiait une vidéo d’une durée de 2h19 intitulée « AJA163 – DOSSIER JAZZ & [I], [O] vs [T], [N] vs [S] & [F], [A] vs [L] ».
Le sujet « POP UP – [N] LA DANSEUSE / [S] / [F] [X] » était traité dans l’émission entre 1h04 et 1h32. Il était introduit par un rappel de la vie amoureuse de [N] [G] par une voix off qui poursuivait en indiquant que « lors d’un live, [N] apprend par ses abonnés que son ex [Y] s’affiche en story avec sa nouvelle petite copine, une semaine après seulement la rupture ». La voix off indiquait ensuite : « on apprend que la nouvelle chérie n’est autre que [F] [X], anciennement [F] [Z] […] Tromperie, exotérisme, caméras de surveillance, harcèlement, c’est l’histoire qui secoue la toile ».
[B] [J] accueillait ensuite sur le plateau de l’émission [N] [G] et proposait un récapitulatif de la querelle médiatique. Il décidait de diffuser une vidéo qui avait été retransmise en direct par [N] [G] sur son compte TikTok lors de laquelle elle apprenait l’infidélité de sa compagne. Il était précisé que suite à la diffusion de cette vidéo, [F] [M] subissait un harcèlement sur les réseaux sociaux. [N] [G] présentait alors des excuses et expliquait qu’elle ne souhaitait pas que la demanderesse soit inquiétée.
L’émission évoquait ensuite les difficultés personnelles et émotionnelles de [N] [G] qui l’auraient poussée à réagir et tenir des propos « durs » à l’égard de son ancienne compagne et d’[F] [M]. [N] [G] indiquait à [B] [J] vouloir « que les choses s’apaisent » et souhaitait « de la bienveillance pour elles ».
[B] [J] diffusait ensuite l’extrait d’une vidéo retransmise en direct par [F] [M] sur son compte TikTok où elle évoquait son « coach de boxe » et la nature de leur relation puis questionnait [N] [G] à ce sujet.
L’émission revenait ensuite sur la relation entre [F] [M] et l’ex-compagne de [N] [G], nouée peu de temps après leur rupture, et s’achevait ainsi.
C’est dans ces conditions qu’a été délivrée la présente assignation.
Sur l’exception de nullité soulevée en défense :
Les défendeurs arguent de ce que les atteintes présentées dans l’acte introductif d’instance par [F] [M] comme portées aux droits de la personnalité de cette dernière ont, en réalité, vocation, sous couvert d’une action fondée sur une atteinte à la vie privée et à l’image, à faire sanctionner une atteinte à son honneur et sa réputation, celle-ci leur reprochant « la présentation » qui est faite de sa personne, de la « dépeindre » et de la « mettre en cause » « comme une briseuse de couple ».
La demanderesse s’oppose à cette analyse et demande le rejet de la demande de requalification et de l’exception de nullité ainsi soulevée, insistant sur l’atteinte à la vie privée constituée ici du fait de la révélation au grand public de la relation amoureuse entretenue avec une nouvelle compagne.
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Les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet l88l ne pouvant être réparés sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile, il appartient au juge saisi d’une action fondée sur l’article 1240 du code civil, de restituer aux faits allégués leur exacte qualification au regard du droit de la presse, sans s’arrêter à la dénomination retenue par le requérant, par application des dispositions de l’article 12 du code de procédure civile.
Il en va de même si l’action est engagée sur les dispositions de l’article 9 du code civil qui protègent contre toute atteinte à la vie privée.
Seule l’existence de faits distincts justifie que les dispositions de la loi sur la liberté de la presse n’excluent pas l’application des dispositions du code civil.
En l’espèce, il convient de déterminer si l’assignation vise uniquement des propos et actes constitutifs d’atteinte à la vie privée ou si elle a tend à voir réparer, en réalité, un dommage causé par une atteinte à la réputation telle que protégée au titre de la sanction de la diffamation publique envers particulier prévue par les dispositions des articles 29 alinéa 1er et 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881.
L’action ici intentée par [F] [M] vise, selon les termes de l’acte introductif d’instance, à voir réparer l’atteinte portée à sa vie privée « sur les réseaux sociaux et notamment sur Tiktok, en évoquant son intimité, en publiant sa correspondance avec une autre femme et en appelant sa « communauté » à se désabonner des réseaux sociaux de cette dernière ».
La relation des faits par la demanderesse évoque les « faits graves et attentatoires à [sa] vie privée et à [sa] réputation » commis par [N] [G] réagissant « de manière impulsive » en commentant la révélation, en janvier 2024, du fait que l’« ex-copine » de cette dernière aurait une nouvelle relation avec elle, suscitant de multiples réactions sur les réseaux sociaux, « chaque utilisateur abonné au compte de Madame [N] [G] relayant les imputations graves et attentatoires à la vie privée et à la réputation de Madame [F] [M] en lui attribuant le rôle de la « méchante » ».
Les propos publiés sur les réseaux sociaux ainsi que les captures d’écran qui les accompagnaient le cas échéant, outre les commentaires qu’ils ont entraînés, sont mis en exergue dans l’assignation avant d’énoncer, en page 8, que « le 11 janvier 2024, lors de ladite émission, [N] [G] a dévoilé sa vie privée et imputé des faits attentatoires à la vie privée d’[F] [M] », introduisant ainsi la reprise des « imputations de [N] [G] portant atteinte à la vie privée d’[F] [M] ».
L’acte reprend les échanges consacrés à la vie amoureuse de « [N] la danseuse » puis au « scandale » et à la « surprise » de la « nouvelle chérie » de son ancienne amie, donnant ensuite des détails sur la vie sentimentale et sexuelle d’[F] [M] et commentant son comportement en lui attribuant le « mauvais rôle ».
Il est précisé, in fine, que « l’échange se conclut sur une mise en cause indirecte de Madame [M] comme étant à l’origine de la séparation de Madame [G] ».
Il est ensuite déploré la vague de harcèlements que la demanderesse a subi consécutivement à ces révélations ainsi que l’absence de prise en compte des mises en demeure adressées à [N] [G] « pour lui demander de cesser d’évoquer sa vie privée de manière grave et insultante » et du maintien de la vidéo en ligne malgré la mise en demeure adressée à la société 2SZ PRODUCTIONS en vue de son retrait.
Les atteintes au droit à la vie privée sont énoncées par la demanderesse comme résultant « des propos scabreux et des insinuations portées à [son] encontre, la dépeignant comme une « briseuse de couple » », estimant que sa « vie privée et sentimentale » avait été ainsi exposée et qu’il avait été « porté atteinte à son image ».
Il est ajouté qu’en « diffusant des images et des propos attentatoires à la vie privée, à l’image et à la réputation de Madame [F] [M], tels que rappelés ci-avant, 2ZS Production, [N] [G], [B] [J] ont, en vertu des dispositions de l’article 9 du code civil, porté sciemment et gravement atteinte à la vie privée de Madame [F] [M] ».
[F] [M] sollicite, en outre, réparation, sur le fondement des dispositions de l’article 9 du code civil et du droit commun de la responsabilité civile, du préjudice moral subi résultant de l’atteinte en elle-même et de la campagne de haine dont elle a fait l’objet sur les réseaux sociaux ainsi que du préjudice économique lié à la perte de plusieurs contrats.
L’analyse de l’acte introductif d’instance, ainsi détaillé, permet de considérer que, sous couvert d’invoquer une atteinte au respect dû à leur vie privée, la demanderesse critique en réalité les attaques dont elle ferait l’objet, sur la base des commentaires relatifs à la relation amoureuse qu’elle avait alors nouée et affichée avec l’ancienne amie de [N] [G], peu de temps après leur rupture, ce afin de nuire à son image et sa réputation. Les détails sur lesquels reposent ces allégations de mauvais comportement ne sont pas divisibles de l’atteinte ainsi déplorée par la demanderesse.
Il s’agit ici d’une action tendant à voir reconnaître la faute commise par les défendeurs du fait de la diffusion de propos lui imputant des faits qu’elle qualifie de graves et de nature à porter atteinte à sa réputation.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, il doit être considéré que l’action introduite devant le présent tribunal par [F] [M] relève des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 et précisément de l’article 29 alinéa 1er qui vise la diffamation publique.
Il convient ainsi de requalifier son action sur le fondement de l’article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 et de considérer qu’elle encourt la nullité dans la mesure où elle ne répond pas aux critères posés par les dispositions de l’article 53 de cette loi, notamment quant aux exigences de visa des textes.
Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de statuer sur les autres moyens.
Sur les autres demandes :
Sur la demande formée au titre de l’abus du droit d’agir :
Il n’est pas démontré que l’action engagée par [F] [M] dans les conditions ci-avant décrites caractérise une faute ayant fait dégénérer en abus son droit d’agir en justice.
Dans ces conditions, il convient de rejeter la demande des défendeurs à ce titre.
Sur la demande au titre des frais irrépétibles :
Il serait inéquitable de laisser à la charge des défendeurs les frais exposés par eux au titre de la présente procédure de sorte qu’il y a lieu de condamner [F] [M] à payer la somme globale de 1.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile. La demande d’[F] [M], à ce même titre, sera rejetée.
Cette dernière, qui succombe, sera également condamnée aux dépens.
Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort ,
Fait droit à l’exception de procédure soulevée en défense,
Prononce la nullité de l’assignation délivrée à la requête d’[F] [M] à l’encontre de [N] [G], [B] [J], la société 2 ZS PRODUCTION et la société CLD,
Rejette la demande de [N] [G], [B] [J], la société 2 ZS PRODUCTION et la société CLD au titre de l’abus de droit,
Condamne [F] [M] à payer à [N] [G], [B] [J], la société 2 ZS PRODUCTION et la société CLD la somme globale de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles,
Rejette la demande d’[F] [M] au titre des frais irrépétibles,
Condamne [F] [M] aux dépens,
Fait à Paris le 15 octobre 2024
Le Greffier, Le Président,
Minas MAKRIS Delphine CHAUCHIS