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Opposer à un salarié (intermittent du spectacle) pourtant régulièrement recruté en CDD d’usage, un refus d’embauche en raison de sa participation à un mouvement de grève, est une discrimination et un refus d’embauche injustifié.
Pour rappel, aux termes de l’article L.1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification ou de promotion professionnelle, en raison : – de son origine, de son sexe, de ses m’urs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, – de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, – de ses opinion politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, – de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison son état de santé ou de son handicap. Par ailleurs, selon l’article L.2141-5 du code du travail, « Il est interdit à l’employeur de prendre en considération l’appartenance à un syndicat ou l’exercice d’une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d ‘avancement de rémunération et d’octroi d’avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail ». En outre, l’article L.2511-1 du code du travail prévoit que : « L’exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié. Son exercice ne peut donner lieu à aucune mesure discriminatoire telle que mentionnée à l’article L.1132-2, notamment en matière de rémunérations et d’avantages sociaux. Tout licenciement prononcé en absence de faute lourde est nul de plein droit ”. Lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions relatives au principe de non-discrimination, il ressort des dispositions de l’article L 1134-1 que le salarié qui se prétend victime doit présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte ; au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est fondée sur des objectifs étrangers à toute discrimination. En l’espèce, M. [J] [W] a été engagé par l’association pour le Festival International d’Art Lyrique et l’Académie européenne de musique d'[Localité 2] pour travailler au sein du théâtre de l’Archevêché à travers plusieurs contrats à durée déterminée d’usage. Il a participé à un mouvement de grève en juillet 2014 en lien avec les professionnels du spectacle et du monde de la culture pour contester le nouveau protocole d’assurance-chômage des intermittents. Bien que les entretiens préalables n’aient pas abouti à des sanctions, l’association a indiqué que sa confiance dans la relation de travail était sérieusement ébranlée. En novembre 2014, l’association a informé M. [W] qu’elle n’avait pas l’intention de le reprendre pour l’année 2015 en raison de son comportement lors du mouvement de grève. Malgré sa demande de renouvellement de candidature, il n’a plus été appelé à participer au festival. M. [W] a saisi le conseil des prud’hommes en mai 2015 pour discrimination syndicale à l’embauche. Le jugement rendu en décembre 2019 a condamné l’association à verser des dommages et intérêts pour refus d’embauche discriminatoire. Les parties ont fait appel et l’affaire est en attente de décision de la cour. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Chambre 4-2
ARRÊT AU FOND
DU 09 AOUT 2024
N°2024/146
Rôle N° RG 20/01502 – N° Portalis DBVB-V-B7E-BFQ5H
[J] [W]
C/
Association FESTIVAL INTERNATIONAL D’ART LYRIQUE ET L’ACADEMIE EUROPEENNE DE MUSIQUE D'[Localité 2]
LE DEFENSEUR DES DROITS
Copie exécutoire délivrée
le : 09 août 2024
à :
Me Benjamin CORDIEZ de la SCP CORDIEZ, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
(Vest 227)
Me Constance DRUJON D’ASTROS, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
(Vest 202)
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation de départage d’AIX EN PROVENCE en date du 16 Décembre 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 15/00455.
APPELANT
Monsieur [J] [W], demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Benjamin CORDIEZ de la SCP CORDIEZ, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
INTIMEE
Association FESTIVAL INTERNATIONAL D’ART LYRIQUE ET L’ACADEMIE EUROPEENNE DE MUSIQUE D’AIX agissant pousuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège, demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Constance DRUJON D’ASTROS, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Sophie BOURGUIGNON de l’ASSOCIATION BL & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
PARTIE INTERVENANTE
LE DEFENSEUR DES DROITS, demeurant [Adresse 1]
non comparant – non représenté
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 Mai 2024 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre, et Mme Marianne FEBVRE, Présidente de chambre suppléante, chargées du rapport.
Mme Marianne FEBVRE, Présidente de chambre suppléante, a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre
Mme Marianne FEBVRE, Présidente de chambre suppléante
Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Cyrielle GOUNAUD.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 09 Août 2024..
ARRÊT
Réputé contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 09 Août 2024.
Signé par Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre et Mme Cyrielle GOUNAUD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La relation de travail était régie par la convention collective nationale des activités artistiques et culturelles.
M. [W] était chaque fois employé au même poste de machiniste / cintrier, classé agent de maîtrise, et son dernier contrat prévoyait un salaire mensuel modulé de 2.505,58 € en brut pour 186,33 heures de travail et la moyenne de ses salaires des trois derniers mois (mai à juillet 2014) est de 1.889,85 € en brut.
Le salarié a participé au mouvement de grève du personnel du festival d’art lyrique d'[Localité 2] des 2 et 3 juillet 2014 en lien avec les professionnels du spectacle et du monde de la culture dans le cadre d’un mouvement national pour contester le nouveau protocole d’assurance-chômage des intermittents en date du 26 juin 2014.
Un manifestation organisée le 3 juillet 2014 a perturbé un spectable et justifié l’intervention des forces de l’ordre.
Plusieurs salariés syndiqués – dont M. [W] faisait partie – ont été convoqués le 4 juillet 2014 à des entretiens préalables fixés au 5 juillet, en vue de sanctions disciplinaire. Ces entretiens n’ont finalement donné lieu à aucune sanction mais, dans un courrier daté du jour de l’entretien, l’association a indiqué que – sans remettre en cause le droit de grève – sa ‘confiance dans la relation de travail (était) sérieurement ébranlée’. L’absence de sanction était fondée sur le fait que les salariés concernés avaient ‘clairement déapprouvé les intrusions illégales des 2 et 3 juillet’.
L’employeur a de nouveau évoqué une ‘confiance sérieusement ébranlée’ à l’égard des salariés ayant participé à ce mouvement ‘suite à leur comportement de cet été’, à l’occasion d’un entretien (qualifié par l’association d’entretien d’embauche ou d’entretien de recrutement) auquel M. [W] a été convoqué en novembre 2014 et qui s’est finalement tenu le 19 décembre 2014, le salarié étant alors informé que l’association n’avait pas l’intention de le reprendre sur l’année 2015 pour ce motif.
Le salarié a adressé un courrier à la direction le 19 février 2015 pour renouveler sa candidature en soulignant que la direction du Festival n’avait pas été en mesure de lui préciser à quelles actions violentes il lui était reproché d’avoir participé et qu’il avait d’ailleurs poursuivi son travail après le 3 juillet 2014 et ce jusqu’à la fin du mois sans faire l’objet d’aucun reproche. Il a demandé qu’à défaut d’être repris, les motifs de cette décision lui soient indiqués conformément aux accords d’entreprise du 16 juin 2020.
L’association lui a répondu dans un courrier du 20 mars 2015 que le Festival avait un besoin moindre en personnel au sein des équipes de machineries et que tous les intermittents de 2014 n’avaient pas pu être repris.
Le salarié n’a plus jamais été appelé à participer au festival depuis.
C’est dans ce contexte que, le 7 mai 2015, M. [W] a saisi le conseil des prud’hommes d’Aix-en-Provence en paiement de dommages et intérêts (23.351 €) pour discrimination syndicale à l’embauche. Par voie de conclusions ultérieures, il a réclamé 25.000 € pour discrimination syndicale et 25.000 € pour sanction liée à l’exercice normal du droit de grève.
Le Défenseur des droits est intervenu volontairement à l’instance pour soutenir l’existence d’un refus d’embauche discriminatoire.
Vu le procès-verbal de partage de voix en date du 29 juin 2017,
Vu le jugement rendu le 16 décembre 2019 en formation de départage, qui a :
– condamné l’association à verser au salarié les sommes de 4.000 € à titre de dommages et intérêts pour refus d’embauche discriminatoire, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, ainsi qu’une indemnité de 1.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeté toute autre demande ou plus ample,
– ordonné l’exécution provisoire du jugement,
– condamné l’employeur aux dépens,
Vu la déclaration d’appel de M. [W] en date du 30 janvier 2020, expressément limité aux chefs du jugement suivants : le quantum des dommages intérêts alloués pour refus d’embauche discriminatoire et le rejet de « toute autre demande ou plus ample », dont sa demande de dommages et intérêts pour discrimination syndicale,
Vu l’appel incident régularisé par l’association aux termes de ses premières conclusions en date du 2 octobre 2020,
Vu la signification de la déclaration d’appel et des premières conclusions de l’appelant au Défenseur des Droits suivant procès verbal en date du 3 septembre 2020 remis à personne habilitée, et l’absence de constitution d’avocat pour cette partie intervenante en première instance,
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 23 décembre 2020 pour M. [W], qui demande à la cour en substance de :
– confirmer le jugement entrepris du chef du constat du refus d’embauche discriminatoire imputable à l’association intimée,
– l’infirmer pour le surplus,
– condamner l’association pour le Festival International d’Art Lyrique et l’Académie européenne de musique d'[Localité 2] au paiement des sommes suivantes, avec intérêt au taux légal à compter de jugement entrepris pour la créance allouée par la juridiction de première instance, et à compter de l’arrêt à intervenir, pour le surplus s’agissant des créances indemnitaires :
– 25.000 € à titre de dommages et intérêts pour sanction illicite liée à l’exercice normal du droit de grève,
– 25.000 € à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale à l’embauche,
– 2.500 € à titre d’indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, en sus de la somme allouée sur le même fondement par la juridiction de première instance,
– ordonner la capitalisation des intérêts en application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil,
– condamner l’association aux entiers dépens de première instance et d’appel,
– la débouter de l’intégralité de ses demandes reconventionnelles.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 17 avril 2023 pour l’association intimée aux fins de voir :
– confirmer le jugement qui a rejeté les demandes indemnitaires du salarié pour
sanction de l’exercice normal du droit de grève,
– infirmer le jugement qui l’a condamnée à verser au salarié 4.000 € de dommages et intérêts pour discrimination à l’embauche et 1.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– condamner le salarié à lui verser une indemnité de 1.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens
Vu l’ordonnance de clôture en date du 16 avril 2024,
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites susvisées.
A l’issue de l’audience, les parties présentes ont été avisées que la décision était mise en délibéré pour être rendue le 9 août 2024 par mise à disposition au greffe.
Sur la non comparution du Défenseur des droits :
Le Défenseur des droits qui était intervenu en première instance a régulièrement été assigné à personne habilitée par un acte du 3 septembre 2020 portant signification de la déclaration d’appel et dénonciation des conclusions remplissant les conditions des articles 654 du code de procédure civile.
A défaut de constitution d’avocat pour le compte de cette autorité, la cour statuera par arrêt réputé contradictoire à l’égard de tous conformément aux dispositions des articles 473 et 474 du même code.
L’article 472 précise que si le défendeur ne comparaît pas, le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et fondée, au seul vu des pièces fournies par les parties présentes ou représentées.
En l’espèce, les demandes formées par le salarié sont régulières en la forme et recevables. Elles peuvent donc être examinées au fond.
Sur le fond :
Aux termes de l’article L.1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification ou de promotion professionnelle, en raison :
– de son origine, de son sexe, de ses m’urs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques,
– de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race,
– de ses opinion politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes,
– de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison son état de santé ou de son handicap.
Par ailleurs, selon l’article L.2141-5 du code du travail, « Il est interdit à l’employeur de prendre en considération l’appartenance à un syndicat ou l’exercice d’une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d ‘avancement de rémunération et d’octroi d’avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail ».
En outre, l’article L.2511-1 du code du travail prévoit que :
« L’exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié.
Son exercice ne peut donner lieu à aucune mesure discriminatoire telle que mentionnée à l’article L.1132-2, notamment en matière de rémunérations et d’avantages sociaux.
Tout licenciement prononcé en absence de faute lourde est nul de plein droit ”.
Lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions relatives au principe de non-discrimination, il ressort des dispositions de l’article L 1134-1 que le salarié qui se prétend victime doit présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte ; au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est fondée sur des objectifs étrangers à toute discrimination.
En l’espèce, le conseil des prud’hommes d’Aix-en-Provence présidé par le juge départiteur a constaté que :
– la notion récurrente de perte de confiance avancée par l’employeur, notion distincte des critères conventionnels de réembauche que l’association affirmait pourtant appliquer, renvoyait à l’engagement syndical et à la participation à un mouvement de grève du salarié,
– ce même constat avait été fait par l’inspection du travail, dans un courrier du 23 mars 2015 notant que « cette perte de confiance dans la relation de travail (semblait) liée à la participation des salariés au mouvement de grève. Sous réserve de l’appréciationsouveraine des juges, ces faits, s’ils sont avérés, peuvent être qualifiés de sanctions à l’égard des salariés grévistes et discrimination à l’embauche liée à l’activité syndicale des salariés ayant répondu à un mot d’ordre de grève nationale des organisations syndicales ”,
– le protocole annexe à l’accord collectif du 20 juin 2000 avait prévu des avantages (notamment majoration de salaire) liés à la réembauche chaque année des salariés ayant déjà travaillé sur le festival depuis 1998, dans le but de fidéliser le personnel engagé sous contrat à durée déterminée d’usage d’intermittent technique et avait dégagé lesdits critères déterminants et prédominants pour l’embauche d’un salarié sur le festival : la compétence, l’ancienneté et la proximité géographique,
– M. [W], domicilié dans le Var, embauché durant 4 saisons consécutives, remplissait ces critères et avait bénéficié d’une revalorisation régulière de son salaire,
– en conséquence, le salarié présentait des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination à l’embauche à son encontre, en l’état notamment de la non-reconduction du contrat d’usage pour 1’année 2015, ayant suivi la participation du salarié au mouvement de grève de l’édition 2014, la question de la perte de confiance récurrente, le non-respect des critères de recrutement prévus par l’accord collectif, éléments permettant d’étab1ir une discrimination dans le recrutement du salarié pour la saison 201 5 et les saisons postérieures, liée à sa participation syndicale ayant répondu à un mot d°ordre de grève nationale des organisations syndicales,
– il incombait donc à l’association de justifier la décision prise à l’égard du salarié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination et s’agissant également de la perte de confiance alléguée par l’employeur, ce dernier devait de même énoncer des éléments objectifs, matériellement vérifiables, imputables au salarié,
– dans sa réponse au salarié sollicitant les motifs de sa non réembauche pour l’édition 2015, par courrier du 20 mars 2015, l’association avait notamment mis en avant des motifs tenant à la variation de ses effectifs techniques et indiqué que les effectifs des machinistes/cintriers avaient été réduits en 2015 compte tenu des caractéristiques techniques des productions lyriques présentées, notamment du décor très réduit du spectacle « L’enlèvement au Sérail ”, l’association précisant par ailleurs qu’aucune nouvelle embauche n’avait eu lieu au service machinerie de l’Archevéché en 2015,
– il résultait cependant des pièces versées aux débats, notamment des registres d’entrées et sorties du personnel pour les années 2015 et 2016, et du tableau comparatif produit par l’association sur les embauches de différentes catégories de personnel technique en 2014 et 2015, que si 2 machinistes et 4 cintriers avaient été recrutés en moins pour la saison complète 2015, en revanche 9 salariés ne figurant pas dans les effectifs des éditions 2011 à 2014 avaient été recrutés en qualité de machinistes en 2015, certes sur des périodes plus courtes et en tant que « volants », non pour la saison complète, mais l’association ne justifiait pas de ces nouvelles embauches au regard du critère déterminant d’ancienneté prévu dans l’accord susvisé,
– les contrats n’avaient pas été proposés au salarié alors que ce dernier avait déjà pourtant signé de tels contrats ponctuels précédemment,
– le véritable motif de son éviction était résumé par M. [I] en ce que : « Le comportement de Messieurs [H] [Y], ([J]) [W] et [B] [E] est resté trouble. Ces derniers ont participé à des événements violents en marge de la manifestation des intermittents..ce qui a créé un certain malaise au sein de l’équipe machinerie de l’Archevêché ”,
– M. [I] avait ajouté que « des actes d’intimidation ont été rapportés au sein des équipes. Les salariés non-grévistes ont été menacés de représailles et de ne pas être pris dans les équipes des autres employeurs de la Région.. ”,
– l’association invoquait donc des faits illicites commis en marge de l’exercice normal du droit de grève, relevant de l’entrave à la liberté du travail des salariés non-grévistes le 3 juillet 2014 notamment.
Le conseil présidé par le juge départiteur a cependant considéré que :
– ces accusations, n’étaient étayées par aucun élément probant de nature à établir les intimidations, les menaces de représailles ou le malaise invoqué (tel qu’une attestation d’un membre de l’équipe), hormis l’attestation d’un cadre de la Direction produite plus de deux ans après lesdits faits,
– de même, – le nom de M. [W] n’apparaissait nullement dans les éléments communiqués par le festival au soutien de son accusation : ni dans la main courante déposée suite aux incidents du 3 juillet 2014, ni dans la demande d’intervention adressée aux forces de l’ordre, ni dans le procès-verbal d’huissier dressé le même jour à la demande de la même direction,
– tout en invoquant des faits illicites auxquels aurait concouru M. [W], l’association n’avait pas saisi le juge des référés compétent ni sanctionné disciplinairement le salarié pour de tels faits, alors qu’il est constant que seule une faute lourde du salarié lors de l’exercice du droit de grève peut légitimer une sanction disciplinaire à son encontre,
– la volonté de l’employeur de ne pas poursuivre la relation contractuelle avec le salarié était motivée par sa participation au mouvement de grève survenu lors de l’édition 2014, faute pour lui de démontrer que sa décision de ne pas reprendre le salarié était justifiée par des éléments objectifs étrangers à l’exercice normal du droit de grève,
– le salarié avait donc été victime d’un refus d’embauche discriminatoire lié à l’exercice normal du droit de grève et il en avait subi un préjudice moral et financier du fait de sa non réembauche sur les éditions 2015 et suivantes par le Festival d’art lyrique d'[Localité 2], compte tenu de la renommée mondiale de ce dernier,
– au vu de ces éléments, il convenait de condamner l’association à payer à M. [W] une somme de 4.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice consécutif à la discrimination syndicale dont il avait été victime et de rejeter le surplus des demandes,
– en effet, le salarié invoquait les mêmes faits pour réclamer également des dommages et intérêts pour sanction liée à l’exercice du droit de grève, alors que le même préjudice ne pouvait être indemnisé deux fois,
– il devait donc être débouté de sa demande de dommages et intérêts à ce dernier titre.
En cause d’appel, le salarié conclut à la confirmation de ce jugement du chef de la reconnaissance d’un refus d’embauche discriminatoire lié à l’exercice normal du droit de grève. Il s’appuie la fois sur :
– les observations de l’inspection du travail qui a écrit ceci : « Sous réserve de l’appréciation souveraine des juges, ces faits, s’ils sont avérés, pourraient être qualifiés de sanction à l’égard des salariés grévistes et discrimination à l’embauche liée à l’activité syndicale des salariés ayant répondu à un mot d’ordre de grève nationale des organisations syndicales »,
– la décision rendue par le défenseur des droits le 29 juillet 2016 qui, après analyse détaillée de la situation, a considéré : « que Messieurs [Y], [W] et [E] ont fait l’objet de refus d’embauche discriminatoires. ».
En revanche – d’où son appel – il s’estime fondé à solliciter la reconnaissance et l’indemnisation d’une discrimination syndicale, car selon lui ‘le lien entre (ses) activités syndicales (…), l’exercice du droit de grève et son éviction discriminatoire des effectifs de l’Association est parfaitement démontré.’
Il soutient pour l’essentiel qu’un même fait générateur peut matérialiser la violation de deux règles distinctes dont chacune ouvre droit pour le salarié à une indemnisation spécifique, à savoir :
– pour sanction abusive lié à l’exercice normal du droit de grève d’une part,
– pour discrimination syndicale à l’embauche et la perte de gains espérés en ayant résulté (outre le nombre de cachets nécessaires au bénéfice du chomage des intermittents)
De son côté, l’association intimée et appelante incidente objecte, s’agissant de la discrimination syndicale à l’embauche, que :
– M. [W] ne lui a jamais adressé quoi que ce soit qui puisse même laisser supposer son appartenance à un syndicat et sa simple participation à une grève ne suffit pas à prouver une activité syndicale au regard de la jurisprudence applicable,
– en matière de discrimination, le critère requis tient à la mesure prise par l’employeur qui doit consister soit à écarter un salarié d’une procédure de recrutement, soit à ne pas renouveler son contrat ce qui n’est pas le cas si bien que ces critères ne sont pas réunis.
– le non renouvellement de contrat consiste à mettre un terme à un contrat sans faire jouer la clause de renouvellement éventuelle qu’il contient tandis qu’en l’espèce, le contrat de travail avait pris fin le 27 juillet 2014 et il ne s’agit donc pas de non renouvellement de contrat au sens du code du travail mais d’une non-embauche pour la saison suivante.
L’employeur fait ainsi valoir que le salarié ne pouvait revendiquer aucun droit à embauche future au titre de son contrat passé.
S’agissant de la discrimination pour fait de grève, l’association objecte que :
– il résulte des textes que le salarié qui exerce normalement son droit de grève ne peut être écarté d’une procédure de recrutement, ni privé du renouvellement de son contrat de travail tandis qu’en l’occurrence, le salarié n’a ni été écarté d’une procédure de recrutement, ni été privé du bénéfice d’une clause de renouvellement de son contrat de travail si bien que les dispositions des articles L.2511-1 et L.1132-2 du code du travail ne lui sont pas applicables,
– ne pas embaucher quelqu’un qui n’est pas salarié ne saurait être considéré comme une sanction disciplinaire,
– la sanction illicite pour fait de grève ne donne pas ‘nécessairement’ droit à des dommages et intérêts et le salarié doit rapporter la preuve de son préjudice.
Pour sa part, la cour constate – au vu des pièces versées aux débats et justement analysées par le premier juge – que l’association a effectivement pris en considération la participation du salarié au mouvement de grève du 3 juillet 2014 pour refuser de procéder à son embauche en 2015 par le biais d’un contrat à durée déterminée d’usage.
Or, dans un ‘protocole d’accord annexe pour les intermittents techniques’ signé en parallèle de l’accord d’entreprise du 20 juin 2000,
« La direction et les salariés conviennent :
– des avantages liés à la réembauche chaque année des salariés ayant déjà travaillé sur le festival depuis 1998,
– de la capitalisation de l’expérience qui en résulte pour ces salariés entraînant un niveau de compétence plus élevé,
Et décident donc afin de fidéliser le personnel engagé sous contrat à durée déterminée d’usage d’intermittent technique, de créer une notion d’ancienneté pour les personnes susceptibles de revenir sur plusieurs saisons, dans le but de créer une équipe de techniciens habitués au mode de travail du festival.
Trois critères seront donc déterminants et prédominants pour l’embauche d’un salarié sur le festival : la compétence, l’ancienneté et la proximité géographique [‘]
Si un salarié ayant déjà travaillé au Festival, ne voyait pas sa candidature retenue l’annéesuivante, la direction s’engage à lui communiquer les motifs de cette décision. »
Compte tenu de ces dispositions conventionnelles imposant à l’association de ‘reprendre’ les techniciens ayant travaillé sur le festival l’année précédente, le fait de ne pas proposer de nouveaux contrats au salarié constitue une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, ‘notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification ou de promotion professionnelle’ visée à l’article L.1132-1 du code du travail, alors que l’association a engagé de nouveaux techniciens, peu important que ce fût en vertu de contrats plus précaires que ceux précédemment offert à l’intéressé.
Cette mesure, consistant en un refus d’embauche dans le cadre de l’édition 2015 du festival, méconnaissait – directement directement ou indirectement – les dispositions de l’article L.2511-1 du code du travail relatif à l’exercice du droit de grève, lequel ne peut donner lieu ‘à aucune mesure discriminatoire telle que mentionnée à l’article L.1132-2″.
Par suite, la cour confirmera le jugement entrepris sur le principe de la condamnation de l’association – qui a expressément fait part d’une perte de confiance à l’égard du salarié du fait de sa participation au mouvement de grève du début du mois de juillet 2014 pour ne pas donner suite à sa candidature pour le festival 2015 – à réparer le préjudice causé par ce refus discriminatoire d’embauche.
En revanche, la discrimination syndicale suppose un comportement intentionnel de la part de l’employeur et un lien de causalité doit exister entre les décisions prises et les discriminations prohibées.
Ainsi, comme l’objecte à juste titre l’employeur intimé, il ne peut y avoir de discrimination si l’employeur n’a pas connaissance de l’engagement syndical du salarié (cf. Cass. Soc., 1er juillet 2015, pourvoi n° 14-11.459).
Or, en l’occurrence, la seule circonstance que la participation du salarié au mouvement de grève ait été fait à l’appel d’organisations syndicales ne démontre ni un engagement syndical de sa part, ni surtout que l’employeur aurait tenu compte cet engagement syndical en considération pour prendre sa décision de ne pas poursuivre la relation de travail à l’occasion du festival 2015.
Le jugement sera donc confirmé sur le rejet de la demande indemnitaire formulée par le salarié à ce titre.
En revanche, s’agissant du quantum des dommages et intérêts alloués par le premier juge au titre du refus discriminatoire d’embauche, la cour constate que le salarié justifie d’un préjudice économique plus important que celui susceptible d’être réparé par l’indemnité allouée par le conseil des prud’hommes.
M. [W] est en effet intermittent du spectable et il établit que l’association n’ignorait pas que « Le festival (était) un gros employeur qui permet(tait) aux salariés intermittents d’atteindre le nombre d’heures nécessaires à leur statut » et « qu’une personne qui travaill(ait) au festival pendant un certain nombre d’années, met(tait) en sommeil son réseau professionnel, par conséquent lorsque son contrat n'(était) pas reconduit, il (pouvait) se retrouver en grande précarité et ne pas trouver de poste dans les autres structures culturelles de la région » (compte rendu de la réunion de la DUP du 27 janvier 2015).
Il justifie par ailleurs de ce qu’à la suite de son éviction discriminatoire pour la saison 2015 du festival, il n’a jamais retravaillé pour l’association intimée.
Il a perdu le bénéfice d’un emploi qui lui procurait un revenu chaque année, correspondant à une moyenne de plus de 540 heures de travail au cours des années 2012, 2013 et 2014, si bien que dès le 12 octobre 2015, il a perdu le bénéfice du régime d’assurance chômage applicable aux intermittents du spectacle faute d’avoir pu justifier d’un nombre suffisant de journées ou d’heures de travail. S’il travaillait auparavant ponctuellement, il déclare ne plus avoir d’emploi depuis le mois de février 2017 et il justifie qu’il percevait le revenu de solidarité active en septembre 2019.
Compte tenu également de l’importance de son ancienneté au festival, la cour estime que son préjudice sera justement réparé par l’octroi d’une indemnité de 15.000 €.
Sur les autres demandes :
Partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile, l’association intimée supportera les dépens d’appel et sera condamnée à payer à M. [W] une indemnité au titre des frais irrépétibles qu’il a dû exposer conformément aux dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La cour, statuant par arrêt réputé contradictoire, mis à la disposition des parties au greffe et dans les limites de sa saisine :
– Confirme le jugement rendu le 16 décembre 2019 par le conseil des prud’hommes de Martigues en sa formation de départage, sauf sur le quantum de dommages et intérêts alloués à M.[J] [W] ;
Statuant à nouveau de ce chef infirmé, et y ajoutant,
– Condamne l’association pour le Festival International d’Art Lyrique et l’Académie européenne de musique d'[Localité 2] à payer à M.[J] [W] la somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts pour refus d’embauche discriminatoire lié à l’exercice normal du droit de grève,
– Condamne également l’association pour le Festival International d’Art Lyrique et l’Académie européenne de musique d'[Localité 2] à payer à M.[J] [W] une indemnité de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamne enfin l’association pour le Festival International d’Art Lyrique et l’Académie européenne de musique d'[Localité 2] aux dépens d’appel.
Le greffier Le président