Le principe d’immunité judiciaire des écrits produits devant les tribunaux

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Le principe d’immunité judiciaire des écrits produits devant les tribunaux
Ce point juridique est utile ?

Le principe d’immunité judiciaire des écrits produits devant les tribunaux que consacre la loi sur la presse, sous la seule réserve des écrits injurieux, outrageants ou diffamatoires, exige que les passages des conclusions dont la suppression est demandée soient précisément identifiés, leur caractère injurieux, outrageant ou diffamatoire caractérisé, et qu’ils soient étrangers à la cause ou excèdent le droit à la défense

L’article 24 du code de procédure civile dispose que les parties sont tenues de garder en tout le respect dû à la justice.

Le juge peut, suivant la gravité des manquements, prononcer, même d’office, des injonctions, supprimer les écrits, les déclarer calomnieux, ordonner l’impression et l’affichage de ses jugements.

L’application des dispositions de l’article 24 du code de procédure civile, sur le pouvoir du juge de suppression d’écrits estimés calomnieux, renvoie impérativement à l’application des dispositions de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 dès lors que les écrits incriminés constituent des conclusions d’avocat.

Selon l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, les écrits produits devant les tribunaux ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage mais les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, pourront néanmoins prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts.

Résumé de l’affaire

Mme [A] [D] a été embauchée en tant que comptable par l’association UNIVAC en novembre 2000 et a été licenciée pour motif économique en novembre 2018. Elle a saisi le conseil de prud’hommes de Fréjus pour contester son licenciement. Le conseil de prud’hommes a statué en faveur de l’association UNIVAC, mais Mme [D] a interjeté appel. Elle demande à la cour d’infirmer le jugement, de juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse, et de lui accorder des indemnités. L’association UNIVAC demande la confirmation du jugement et des dommages-intérêts pour des affirmations jugées désobligeantes.

Les points essentiels

Sur la recevabilité des conclusions du 25 janvier 2024

L’article 15 du code de procédure civile énonce que les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense. Par ailleurs, selon l’article 16 du même code, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction et ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement. Après examen des termes des conclusions du 25 janvier 2024, la cour constate que celles-ci ne contiennent aucun moyen nouveau ni demandes nouvelles par rapport à celles déposées en juin 2022 de sorte qu’elles n’appelaient pas nécessairement une réponse de la part de l’intimée et ne peuvent être considérées comme violant le principe du contradictoire ou la loyauté des débats. Il n’est dès lors pas fait droit à la demande de l’association UNIVAC tendant à faire écarter ces conclusions.

Sur la rupture du contrat de travail

En application de l’article L.1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement doit être notifiée par l’employeur ou par la personne habilitée par ce dernier. Le pouvoir de licencier appartient au président de l’association, sauf si les statuts attribuent cette compétence à un autre organe et l’absence de pouvoir du signataire de la lettre de licenciement prive celui-ci de cause réelle et sérieuse, sauf à ce que l’employeur démontre l’existence d’une délégation de pouvoir en cette matière, conforme aux statuts et au règlement de l’association. La délégation de pouvoir doit avoir été donnée conformément aux statuts de l’association. En l’espèce, la lettre de convocation à entretien préalable et la lettre de licenciement ont été signées par M. [M] [D], «’directeur général’» de l’association. Les statuts de l’association ne prévoient pas la compétence de licencier pour un autre organe que le président. Pour justifier de la qualité à agir de M. [D], directeur général, en matière de licenciement, l’association UNIVAC verse aux débats plusieurs pièces. Il résulte de ce qui précède que les statuts prévoient une délégation du président de tout ou partie de ses attributions au vice-président ou à tout autre membre du bureau ou du conseil d’administration. Le directeur général de l’association n’avait dès lors pas qualité pour signer la lettre de convocation à l’entretien préalable au licenciement et la lettre de rupture, ce qui rend le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences pécuniaires de la rupture

La salariée est en droit de prétendre à des dommages et intérêts au titre de l’absence de cause réelle et sérieuse de licenciement. Mme [D] demande à la cour d’écarter le barème d’indemnisation prévu à l’article L.1235-3 du code du travail au motif que sa mise en ‘uvre concrète ne saurait créer une atteinte disproportionnée à son droit à une réparation adéquate reconnu par l’article 10 de la convention internationale du travail n°158 de l’Organisation Internationale du Travail. La cour considère que le barème fixé par l’article L. 1235-3 du code du travail permet de réparer le préjudice invoqué par Mme [D] par une indemnisation adaptée, adéquate et appropriée et qu’il convient de faire application de celui-ci. Compte tenu notamment du montant de la rémunération, de l’âge de la salariée (54 ans), de son ancienneté, des circonstances de la rupture et des pièces produites, il convient de lui allouer la somme de 30’000,00 euros, sur la base d’une rémunération brute de référence de 3’015,92 euros, cette somme offrant une indemnisation adéquate du préjudice.

Sur les demandes de suppression d’écritures et de dommages et intérêts

L’association UNIVAC demande à la cour de retrancher des conclusions de l’appelante un paragraphe contenant selon elle des propos extrêmement désobligeants envers M. [M] [D] et son cousin, M. [J] [D], frère de Mme [A] [D]. La cour observe que les propos litigieux ne sont pas étrangers à la cause, Mme [D] évoquant un ressenti et un mal-être durant la relation contractuelle. En conséquence, la demande tendant à la suppression d’un passage des conclusions de l’appelante ainsi que la demande de dommages et intérêts associée ne sont pas accueillies.

Sur les demandes accessoires

Il y a lieu d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté Mme [A] [D] de sa demande relative aux frais irrépétibles et l’a condamnée aux dépens. Il convient de condamner l’association UNIVAC, partie perdante, aux dépens de première instance et d’appel ainsi qu’à payer à Mme [A] [D] la somme de 2’200,00 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance et en cause d’appel. L’association UNIVAC est déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés à hauteur d’appel.

Les montants alloués dans cette affaire: – 30’000,00 euros à Mme [A] [D] à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
– 2’200,00 euros à Mme [A] [D] au titre des frais exposés en première instance et en cause d’appel
– Montant non spécifié pour les dépens de première instance et d’appel

Réglementation applicable

– Code de procédure civile
– Code du travail

Article 15 du code de procédure civile:
Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense.

Article 16 du code de procédure civile:
Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction et ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.

Article L.1232-6 du code du travail:
La lettre de licenciement doit être notifiée par l’employeur ou par la personne habilitée par ce dernier.

Article L.1235-3 du code du travail:
Pour une ancienneté de 18 années (qui s’entendent en années complètes) et dans une entreprise d’au moins 11 salariés, l’indemnité de licenciement est comprise entre 3 mois de salaire et 14,5 mois de salaire.

Article 24 du code de procédure civile:
Les parties sont tenues de garder en tout le respect dû à la justice. Le juge peut, suivant la gravité des manquements, prononcer, même d’office, des injonctions, supprimer les écrits, les déclarer calomnieux, ordonner l’impression et l’affichage de ses jugements.

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Me Gordana TEGELTIJA
– Me Alain-David POTHET

Mots clefs associés & définitions

– Motifs de la décision
– Recevabilité des conclusions
– Code de procédure civile
– Principe de la contradiction
– Moyens de fait
– Éléments de preuve
– Moyens de droit
– Loyauté des débats
– Association UNIVAC
– Rupture du contrat de travail
– Pouvoir du signataire de la lettre de licenciement
– Article L.1232-6 du code du travail
– Compétence pour licencier
– Délégation de pouvoir
– Statuts de l’association
– Lettre de licenciement
– Dommages et intérêts
– Licenciement sans cause réelle et sérieuse
– Barème d’indemnisation
– Convention internationale du travail
– Âge de la salariée
– Ancienneté
– Préjudice
– Suppression d’écritures
– Dommages-intérêts
– Immunité judiciaire des écrits
– Diffamation
– Injure
– Outrage
– Demande de suppression d’écrits
– Demande de dommages et intérêts
– Demandes accessoires
– Frais irrépétibles
– Dépens
– Article 700 du code de procédure civile
– Motifs de la décision: Raisons justifiant une décision prise par une autorité judiciaire ou administrative
– Recevabilité des conclusions: Possibilité pour les conclusions d’une partie d’être prises en compte par le juge
– Code de procédure civile: Ensemble des règles régissant le déroulement des procédures judiciaires civiles
– Principe de la contradiction: Obligation pour chaque partie de pouvoir discuter et contester les arguments de l’autre partie
– Moyens de fait: Arguments basés sur des faits concrets
– Éléments de preuve: Documents ou témoignages permettant d’établir la véracité des faits allégués
– Moyens de droit: Arguments basés sur des règles de droit
– Loyauté des débats: Obligation pour les parties de se comporter de manière loyale et respectueuse lors des débats judiciaires
– Association UNIVAC: Organisation regroupant des professionnels de l’informatique
– Rupture du contrat de travail: Fin anticipée du contrat de travail liant un employeur et un salarié
– Pouvoir du signataire de la lettre de licenciement: Capacité du signataire de la lettre de licenciement à engager l’employeur dans une procédure de licenciement
– Article L.1232-6 du code du travail: Article du code du travail français traitant des conséquences d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse
– Compétence pour licencier: Capacité d’une personne à prendre la décision de licencier un salarié
– Délégation de pouvoir: Transfert de responsabilités et de pouvoirs à une autre personne
– Statuts de l’association: Document définissant les règles de fonctionnement et les objectifs d’une association
– Lettre de licenciement: Document officiel notifiant à un salarié son licenciement
– Dommages et intérêts: Somme d’argent versée à une partie lésée pour compenser un préjudice subi
– Licenciement sans cause réelle et sérieuse: Licenciement ne reposant pas sur des motifs valables et sérieux
– Barème d’indemnisation: Grille de référence fixant les montants d’indemnisation pour certains préjudices
– Convention internationale du travail: Accord international visant à protéger les droits des travailleurs
– Âge de la salariée: Nombre d’années de la salariée
– Ancienneté: Durée pendant laquelle un salarié a travaillé pour un même employeur
– Préjudice: Dommage subi par une personne du fait d’une action ou d’une situation
– Suppression d’écritures: Effacement de documents ou de données
– Dommages-intérêts: Somme d’argent versée en réparation d’un préjudice subi
– Immunité judiciaire des écrits: Protection légale empêchant la poursuite judiciaire pour certains écrits
– Diffamation: Atteinte à la réputation d’une personne par des propos mensongers
– Injure: Attaque personnelle visant à blesser l’honneur ou la dignité d’une personne
– Outrage: Comportement irrespectueux envers une autorité judiciaire
– Demande de suppression d’écrits: Requête visant à faire effacer des écrits jugés diffamatoires ou injurieux
– Demande de dommages et intérêts: Requête visant à obtenir une compensation financière pour un préjudice subi
– Demandes accessoires: Demandes complémentaires formulées dans le cadre d’une procédure judiciaire
– Frais irrépétibles: Frais engagés par une partie dans le cadre d’une procédure judiciaire et non remboursables
– Dépens: Frais de justice engagés par les parties dans le cadre d’une procédure judiciaire
– Article 700 du code de procédure civile: Article permettant au juge de condamner une partie à verser une somme à l’autre partie pour ses frais de justice

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

19 avril 2024
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
20/09218
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-6

ARRÊT AU FOND

DU 19 AVRIL 2024

N° 2024/ 155

Rôle N° RG 20/09218 – N° Portalis DBVB-V-B7E-BGKIU

[A] [D]

C/

Association UNION POUR LES VACANCES FAMILIALES ET LES RESIDENC ES DE RETRAITE (UNIVAC)

Copie exécutoire délivrée

le :19/04/2024

à :

Me Gordana TEGELTIJA, avocat au barreau de DRAGUIGNAN

Me Alain-David POTHET, avocat au barreau de DRAGUIGNAN

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de FREJUS en date du 01 Septembre 2020 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 19/00131.

APPELANTE

Madame [A] [D], demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Gordana TEGELTIJA, avocat au barreau de DRAGUIGNAN

INTIMEE

Association UNION POUR LES VACANCES FAMILIALES ET LES RESIDENCES DE RETRAITE (UNIVAC), sise [Adresse 2]

représentée par Me Alain-David POTHET, avocat au barreau de DRAGUIGNAN

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été appelée le 27 Février 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des demandes des parties dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe SILVAN, Président de chambre

Madame Estelle de REVEL, Conseiller

Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 19 Avril 2024.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 19 Avril 2024

Signé par Monsieur Philippe SILVAN, Président de chambre et Mme Suzie BRETER, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

Mme [A] [D] a été embauchée par l’association Union pour les vacances familiales et les résidences de retraites (UNIVAC) par contrat à durée indéterminée et à compter du 13 novembre 2000 en qualité de comptable.

Elle a été licenciée pour motif économique par courrier du 12 novembre 2018 signé par le directeur général, M. [M] [D].

Mme [D] a saisi, par requête réceptionnée au greffe le 28 mai 2019, le conseil de prud’hommes de Fréjus pour contester, à titre principal, le bien-fondé de son licenciement et, à titre subsidiaire, le non-respect des critères d’ordre à son égard et solliciter diverses sommes à caractère indemnitaire.

Par jugement du 1er septembre 2020, le conseil de prud’hommes de Fréjus, section activités diverses, a ainsi statué’:

– dit et confirme que le licenciement de Mme [A] [D] est intervenu pour des motifs économiques,

– déboute Mme [A] [D] de l’ensemble de ses demandes,

– déboute l’association UNIVAC de sa demande reconventionnelle,

– condamne Mme [A] [D] aux entiers dépens.

Par déclaration du 28 septembre 2020 notifiée par voie électronique, Mme [D] a interjeté appel de ce jugement.

PRÉTENTIONS ET MOYENS

Dans ses dernières conclusions notifiées au greffe par voie électronique le 25 janvier 2024 auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, Mme [A] [D], appelante, demande à la cour de :

– infirmer le jugement rendu le 1er septembre 2020 par le conseil de prud’hommes de Fréjus dans toutes ses dispositions,

et statuant à nouveau,

à titre principal :

– écarter le montant maximal d’indemnisation prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de 1’OIT et le droit au procès équitable,

– juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

– condamner l’association Union pour les vacances familiales et les résidences de retraites (UNIVAC) à lui payer la somme de 50’000,00 euros d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

à titre subsidiaire,

– condamner l’association Union pour les vacances familiales et les résidences de retraites (UNIVAC) à lui payer la somme de 50’000,00 euros de dommages-intérêts pour non-respect de l’ordre des licenciements,

dans toutes les hypothèses,

– débouter l’association Union pour les vacances familiales et les résidences de retraites (UNIVAC) de l’intégralité de ses demandes,

– condamner l’association Union pour les vacances familiales et les résidences de retraites (UNIVAC) à lui payer la somme de 2’500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner l’association Union pour les vacances familiales et les résidences de retraites (UNIVAC) aux entiers dépens.

A l’appui de son recours, l’appelante fait valoir en substance que :

– M. [M] [D], directeur général, était dépourvu du pouvoir de procéder au licenciement, cette irrégularité rendant le licenciement sans cause réelle et sérieuse’;

– la lettre de licenciement ne comporte pas l’énonciation des difficultés économiques ayant donné lieu à la suppression de son poste’et ne mentionne pas la faculté pour le salarié de demander à l’employeur de préciser le motif du licenciement’;

– en tout état de cause, le motif économique n’est pas justifié’;

– l’employeur a manqué à son obligation de reclassement’;

– l’association ne justifie pas de l’ensemble des critères retenus pour fixer l’ordre des licenciements’;

– le plafond d’indemnisation prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail, qui est inconventionnel, doit être écarté, les dispositions de cet article n’étant pas compatibles avec les dispositions de l’article 10 de l’Organisation Internationale du Travail et l’article 24 de la charte européenne des droits de l’homme’;

– s’agissant de la demande reconventionnelle de dommages et intérêts en raison de l’émoi qu’aurait provoqué un paragraphe de ses dernières écritures, elle est libre de faire valoir ses arguments au soutien de ses prétentions, lesquels ne comportent aucune allégation injurieuse ou offensante.

Dans ses dernières écritures transmises au greffe par voie électronique le 8 février 2022 auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, l’association UNIVAC demande à la cour de :

– confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

– condamner Mme [A] [D] à lui payer la somme de 2’000,00 euros au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonner le bâtonnage des écritures déposées le 10 juin 2021 par Mme [A] [D] et y retrancher les phrases suivantes :

«’Le frère de la salariée, [J] [D], et son cousin, [M] [D], ont depuis son embauche nourri une animosité à son encontre, ce dernier en particulier exerçant des pressions psychologiques sur sa personne qui ont eu des répercussions sur son état de santé nécessitant un arrêt de travail à plusieurs reprises, arrêts de travail dont fait état la partie adverse dans ses écritures (arrêt maladie du 4 janvier 2014 au 4 mars 2014 puis du 13 octobre 2014 au 19 avril 2015 – puis à compter du 22 octobre 2018 à ce jour), son état de santé ayant nécessité des hospitalisations pour cause de dépression sévère.’»

– condamner Mme [A] [D] au paiement d’une somme de 1’000,00 euros à titre de dommages et intérêts,

– condamner Mme [A] [D] aux entiers dépens tant de première instance que d’appel et dire que la SELAS Cabinet Pothet, avocat, pourra recouvrer directement ceux dont elle aura fait l’avance sans avoir reçu provision conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

L’intimée expose en substance que :

– le directeur général était habilité à prononcer un licenciement’;

– les difficultés économiques et la suppression de postes par suppression de tâches externalisées, sont justifiées’;

– l’ordre des licenciements a été parfaitement respecté’;

– le paragraphe dont il est demandé la suppression consiste en des affirmations très désobligeantes à l’égard de M. [M] [D] et de son propre frère qui ont provoqué un émoi au sein du groupe UNIVAC, groupe familial et social.

Une ordonnance de clôture est intervenue le 26 janvier 2024, renvoyant la cause et les parties à l’audience des plaidoiries du 27 février suivant.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens et de l’argumentation des parties, il est expressément renvoyé aux conclusions des parties et au jugement déféré.

Par conclusions en date du 29 janvier 2024, le conseil de l’association UNIVAC a sollicité le rejet des débats les conclusions notifiées le 25 janvier 2024 pour le compte de Mme [D] pour violation du principe de la contradiction des débats.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité des conclusions du 25 janvier 2024’:

L’article 15 du code de procédure civile énonce que les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense.

Par ailleurs, selon l’article 16 du même code, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction et ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.

Après examen des termes des conclusions du 25 janvier 2024, la cour constate que celles-ci ne contiennent aucun moyen nouveau ni demandes nouvelles par rapport à celles déposées en juin 2022 de sorte qu’elles n’appelaient pas nécessairement une réponse de la part de l’intimée et ne peuvent être considérées comme violant le principe du contradictoire ou la loyauté des débats.

Il n’est dès lors pas fait droit à la demande de l’association UNIVAC tendant à faire écarter ces conclusions.

Sur la rupture du contrat de travail’:

Sur le défaut de pouvoir du signataire de la lettre de licenciement’:

En application de l’article L.1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement doit être notifiée par l’employeur ou par la personne habilitée par ce dernier.

Le pouvoir de licencier appartient au président de l’association, sauf si les statuts attribuent cette compétence à un autre organe et l’absence de pouvoir du signataire de la lettre de licenciement prive celui-ci de cause réelle et sérieuse, sauf à ce que l’employeur démontre l’existence d’une délégation de pouvoir en cette matière, conforme aux statuts et au règlement de l’association.

La délégation de pouvoir doit avoir été donnée conformément aux statuts de l’association (Soc., 12 février 2014, nº 12-27.897). Elle doit être expresse et viser le pouvoir de licencier (Soc., 2 mars 2011, nº 08-45.422).

Il résulte de cette jurisprudence constante que les juges du fond doivent déterminer, au vu des statuts de l’association, quel organe est compétent pour procéder à un licenciement et, ensuite, vérifier que le signataire de la lettre était régulièrement habilité à le faire, toujours au regard des statuts et, le cas échéant, du règlement intérieur.

En l’espèce, la lettre de convocation à entretien préalable et la lettre de licenciement ont été signées par M. [M] [D], «’directeur général’» de l’association.

Les statuts de l’association versés aux débats n’attribuent pas la compétence de licencier à un autre organe que le président. Ils précisent toutefois à l’article 12 que le président peut «’déléguer au Vice-Président ou à tout autre membre du Bureau ou du Conseil d’Administration pour tout ou partie de ses attributions, en cas d’urgence ou d’empêchement ou pour faciliter le service de l’Association’».

Pour justifier de la qualité à agir de M. [D], directeur général, en matière de licenciement, l’association UNIVAC verse aux débats les pièces suivantes’:

– le contrat d’engagement de Mme [A] [D] conclu le 17 octobre 2000 et signé par M. [M] [D], directeur de l’association’;

– un extrait du procès-verbal du conseil d’administration du 6 juillet 1972 aux termes duquel «’le conseil d’administration autorise M. [D] [M] et M. [L] [C], agissant ensemble ou séparément, à ouvrir tous les comptes bancaires nécessaires, entreprendre toutes les démarches administratives utiles à la bonne marche de l’association’»’;

– une attestation du 2 juin 1981 du président de l’association certifiant que «’Mr. [D] [M], Directeur, a pouvoir pour nous représenter et prendre toutes décisions se rapportant au fonctionnement du service’»’;

– un courrier du 13 mai 1991 du président de l’association adressé au directeur de l’association, M. [M] [D], lui confirmant l’absence d’incidence du déménagement des services administratifs de [Localité 1] à [Localité 4] sur sa «’responsabilité à la Direction Générale des Centres de Vacances UNIVAC’»’;

– une citation à prévenu devant le tribunal de police de Menton du 12 avril 2010 adressée à M. [M] [D]’et un jugement du 10 mai 2010 du tribunal de police de Menton condamnant le centre de vacances UNIVAC, personne moral, à diverses contraventions et à payer des dommages et intérêts à UFC QUE CHOISIR’;

– un procès-verbal du conseil d’administration du 2 mars 2006 indiquant’: «’Après discussion le Conseil d’Administration décide de compléter l’offre de nos centres en proposant certaines destinations à l’étranger. A cet effet, il mandate,’Monsieur [M] [D], Directeur, pour réaliser l’ensemble des démarches administratives nécessaires à la réalisation de ce projet à qui il donne pouvoir de procéder aux signatures des conventions de partenariat avec les Tour-opérateurs qui seront retenus’»’;

– un extrait du procès-verbal du conseil d’administration du 31 mai 2006 indiquant’: «’Le procès-verbal de la réunion du Conseil d’Administration du 2 mars 2005 est lu et adopté à l’unanimité’»’;

– un pouvoir du 31 mai 2006 de M. [W] [V], président de l’association UNIVAC, donné à M. [M] [D], Vice-Président, pour le «’représenter et prendre toutes décisions se rapportant au fonctionnement de l’association’».

Il résulte de ce qui précède que les statuts prévoient une délégation du président de tout ou partie de ses attributions au vice-président ou à tout autre membre du bureau ou du conseil d’administration’; que la délégation de pouvoir du 31 mai 2006 du président de l’association pour le «’représenter et prendre toutes décisions se rapportant au fonctionnement de l’association’» qui est produite est d’ailleurs donnée à M. [M] [D], en sa qualité de vice-président et non de directeur général.

Le directeur général de l’association n’avait dès lors pas qualité pour signer la lettre de convocation à l’entretien préalable au licenciement et la lettre de rupture, ce qui rend le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le jugement déféré est infirmé sur ce point.

Sur les conséquences pécuniaires de la rupture’:

La salariée est en droit de prétendre à des dommages et intérêts au titre de l’absence de cause réelle et sérieuse de licenciement.

Mme [D] demande à la cour d’écarter le barème d’indemnisation prévu à l’article L.1235-3 du code du travail au motif que sa mise en ‘uvre concrète ne saurait créer une atteinte disproportionnée à son droit à une réparation adéquate reconnu par l’article 10 de la convention internationale du travail n°158 de l’Organisation Internationale du Travail.

La cour considère que le barème fixé par l’article L. 1235-3 du code du travail permet de réparer le préjudice invoqué par Mme [D] par une indemnisation adaptée, adéquate et appropriée et qu’il convient de faire application de celui-ci.

Par ailleurs, un contrôle de conventionnalité « in concreto » porterait atteinte au principe d’égalité des citoyens devant la loi, garanti à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789.

Mme [D] réclame une somme de 50’000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle indique qu’elle totalisait au moment du licenciement 18 ans d’ancienneté et avait 54 ans. Elle dit vivre seule et être toujours en arrêt maladie. Elle ajoute que sa perception future d’un héritage, invoquée par l’intimée, ne saurait dispenser celle-ci de réparer le préjudice résultant de la perte de son emp1oi.

Pour une ancienneté de 18 années (qui s’entendent en années complètes) et dans une entreprise d’au moins 11 salariés, l’article L.1235-3 du code du travail prévoit une indemnité comprise entre 3 mois de salaire et 14,5 mois de salaire.

Compte tenu notamment du montant de la rémunération, de l’âge de la salariée (54 ans), de son ancienneté, des circonstances de la rupture et des pièces produites (justification de la perception d’une pension d’invalidité catégorie 2 du 22 octobre 2021 au 31 janvier 2023), il convient de lui allouer la somme de 30’000,00 euros, sur la base d’une rémunération brute de référence de 3’015,92 euros, cette somme offrant une indemnisation adéquate du préjudice.

Le jugement déféré est infirmé en ce sens.

Sur les demandes de suppression d’écritures’et de dommages et intérêts’:

L’article 24 du code de procédure civile dispose que les parties sont tenues de garder en tout le respect dû à la justice.

Le juge peut, suivant la gravité des manquements, prononcer, même d’office, des injonctions, supprimer les écrits, les déclarer calomnieux, ordonner l’impression et l’affichage de ses jugements.

L’application des dispositions de l’article 24 du code de procédure civile, sur le pouvoir du juge de suppression d’écrits estimés calomnieux, renvoie impérativement à l’application des dispositions de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 dès lors que les écrits incriminés constituent des conclusions d’avocat.

Selon l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, les écrits produits devant les tribunaux ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage mais les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, pourront néanmoins prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts.

Le principe d’immunité judiciaire des écrits produits devant les tribunaux que consacre la loi sur la presse, sous la seule réserve des écrits injurieux, outrageants ou diffamatoires, exige que les passages des conclusions dont la suppression est demandée soient précisément identifiés, leur caractère injurieux, outrageant ou diffamatoire caractérisé, et qu’ils soient étrangers à la cause ou excèdent le droit à la défense.

Au visa de l’article 24 du code de procédure civile, l’association UNIVAC demande à la cour de retrancher des conclusions de l’appelante un paragraphe contenant selon elle des propos extrêmement désobligeants envers M. [M] [D] et son cousin, M. [J] [D], frère de Mme [A] [D]. Elle ajoute que l’affaire ne concerne pas des faits de harcèlement mais un licenciement pour motif économique et que la fragilité et l’état de dépression de l’appelante préexistaient à l’embauche.

La cour observe que les propos litigieux ne sont pas étrangers à la cause, Mme [D] évoquant un ressenti et un mal-être durant la relation contractuelle’; que leur caractère calomnieux n’est pas établi et n’excède pas le droit à la défense et les limites de la liberté d’expression devant nécessairement présider à l’échange des conclusions lors d’une instance.

En conséquence, la demande tendant à la suppression d’un passage des conclusions de l’appelante ainsi que la demande de dommages et intérêts associée ne sont pas accueillies.

Sur les demandes accessoires’:

Il y a lieu d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté Mme [A] [D] de sa demande relative aux frais irrépétibles et l’a condamnée aux dépens.

Il convient de condamner l’association UNIVAC, partie perdante, aux dépens de première instance et d’appel ainsi qu’à payer à Mme [A] [D] la somme de 2’200,00 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance et en cause d’appel.

L’association UNIVAC est déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés à hauteur d’appel.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement,

REJETTE la demande formée par l’association Union pour les vacances familiales et les résidences de retraites (UNIVAC) tendant au « bâtonnage » des conclusions de Mme [A] [D] ainsi que la demande de dommages et intérêts associée,

INFIRME le jugement déféré en ses dispositions soumises à la cour,

STATUANT à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

DECLARE le licenciement de Mme [A] [D] dépourvu de cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE l’association Union pour les vacances familiales et les résidences de retraites (UNIVAC) à payer à Mme [A] [D] la somme de 30’000,00 euros à de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE l’association Union pour les vacances familiales et les résidences de retraites (UNIVAC) aux dépens de première instance et d’appel,

CONDAMNE l’association Union pour les vacances familiales et les résidences de retraites (UNIVAC) à payer à Mme [A] [D] la somme de 2’200,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance et en cause d’appel,

REJETTE la demande de l’association Union pour les vacances familiales et les résidences de retraites (UNIVAC) au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés à hauteur d’appel.

Le Greffier Le Président


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