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La nouvelle loi n° 2024-494 du 31 mai 2024 vise à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille et tend à mieux encadrer les conséquences d’une séparation au sein d’un couple. Le texte concerne notamment le sort des avantages matrimoniaux en cas de décès de l’un des époux, de la main de l’autre époux.
Le conjoint, qui vient de tuer son partenaire, est exclu de la succession de celle-ci : c’est le mécanisme de l’indignité successorale qui s’applique. Toute donation faite par son épouse à son encontre est également révoquée : c’est le dispositif de l’ingratitude qui s’applique. Mais la loi est muette aujourd’hui sur le sort à réserver aux avantages matrimoniaux, c’est-à-dire aux clauses de contrat de mariage qui bénéficient à l’époux lorsque l’autre décède. En l’absence de disposition expresse, l’époux meurtrier en conserve le bénéfice.
C’est à cette situation injuste que la loi entend remédier, en prévoyant expressément la révocation d’un avantage matrimonial dans les cas les plus graves d’atteintes aux personnes, notamment lorsqu’un époux a attenté à la vie de l’autre époux.
Les époux, ou les personnes pacsées, forment un seul et unique foyer fiscal. À ce titre, ils sont solidairement responsables des impositions dues par ce foyer fiscal. Cette solidarité s’applique même si le couple se sépare et quel que soit le régime matrimonial sous lequel il vivait, pour les impositions dues au titre de la période d’imposition commune. L’administration fiscale peut donc réclamer indifféremment les sommes dues à l’un ou à l’autre des deux ex-conjoints.
Cette situation peut mettre en difficulté financière l’un des ex-conjoints s’il n’a pas les moyens financiers de rembourser cette dette. Il existe donc un mécanisme qui permet à l’administration fiscale de décharger la personne qui le demande de son obligation de rembourser les dettes dues au titre de la solidarité fiscale. Ce dispositif de décharge de responsabilité solidaire est accordé lorsque trois critères sont respectés : la séparation des conjoints est effective, le demandeur n’a pas bénéficié ou participé à la fraude, et il existe une disproportion marquée entre la situation financière du demandeur et le montant de la dette fiscale. Autrement dit, si le demandeur n’a pas les moyens de rembourser la dette sur une période de trois ans, alors il peut bénéficier d’une décharge de responsabilité solidaire.
Toute personne qui se voit refuser une décharge de responsabilité solidaire peut former un recours gracieux auprès de l’administration fiscale, puis un recours devant le tribunal administratif si le premier recours a échoué.
Ce mécanisme est essentiel pour éviter de faire peser un fardeau fiscal trop lourd sur des ex-conjoints. Les chiffres de demandes accordées sont cependant encore trop faibles : ainsi, en 2022, sur 245 demandes traitées, 100 décharges avaient été octroyées et 103 avaient été rejetées.
Le texte vise à assouplir ce dispositif, en excluant certains biens de l’assiette utilisée pour apprécier la situation patrimoniale du demandeur. Il a significativement évolué lors de l’examen du texte en commission : à l’assouplissement du dispositif de décharge de responsabilité solidaire a été préféré la possibilité laissée à l’administration fiscale de dissocier le demandeur de son foyer fiscal, laissant le conjoint à l’origine des dettes en assumer pleinement le remboursement.
I. – Le chapitre Ier du titre V du livre III du code civil est complété par des articles 1399-1 à 1399-5 ainsi rédigés :
« Art. 1399-1. – L’époux condamné, comme auteur ou complice, pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort à son époux ou pour avoir volontairement commis des violences ayant entraîné la mort de son époux sans intention de la donner est, dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial, déchu de plein droit du bénéfice des clauses de la convention matrimoniale qui prennent effet à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l’un des époux et qui lui confèrent un avantage.
« La déchéance mentionnée au premier alinéa s’applique y compris lorsque, en raison du décès de l’époux qui a commis les actes mentionnés au même premier alinéa, l’action publique n’a pas pu être exercée ou s’est éteinte.
« Art. 1399-2. – Dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial, peut être déchu du bénéfice des clauses de la convention matrimoniale qui prennent effet à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l’un des époux et qui lui confèrent un avantage l’époux condamné :
« 1° Comme auteur ou complice de tortures, d’actes de barbarie, de violences volontaires, de viol ou d’agression sexuelle envers son époux ;
« 2° Pour témoignage mensonger porté contre son époux dans une procédure criminelle ;
« 3° Pour s’être volontairement abstenu d’empêcher un crime ou un délit contre l’intégrité corporelle de son époux d’où il est résulté la mort, alors qu’il pouvait le faire sans risque pour lui ou pour les tiers ;
« 4° Pour dénonciation calomnieuse contre son époux lorsque, pour les faits dénoncés, une peine criminelle était encourue.
« Art. 1399-3. – La déchéance prévue à l’article 1399-2 est prononcée par le tribunal judiciaire à la demande d’un héritier, de l’époux de la personne condamnée ou du ministère public. La demande doit être formée dans un délai de six mois à compter de la dissolution du régime matrimonial ou du décès si la décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité lui est antérieure, ou dans un délai de six mois à compter de cette décision si elle lui est postérieure.
« Art. 1399-4. – L’époux déchu du bénéfice des clauses de la convention matrimoniale est tenu de rendre tous les fruits et revenus résultant de l’application des clauses de la convention matrimoniale qui lui confèrent un avantage et dont il a eu la jouissance depuis la dissolution du régime matrimonial.
« Art. 1399-5. – Dans les cas prévus aux articles 1399-1 et 1399-2, lorsqu’une clause de la convention matrimoniale prévoit l’apport à la communauté de biens propres de l’époux de la personne condamnée, la communauté doit récompense à l’époux apporteur. »
Pour rappel, l’article 1691 bis du code général des impôts fixe le principe de solidarité fiscale entre époux et entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité s’agissant notamment de l’impôt sur le revenu lorsqu’ils font l’objet d’une imposition commune.
Ce principe de solidarité fiscale s’applique quel que soit le régime matrimonial choisi par les époux.
Aucune répartition préalable de la dette fiscale du foyer n’a lieu : chacun des partenaires ou des époux peut être tenu responsable du paiement de la totalité de l’imposition due.
L’imposition commune consiste à utiliser la moyenne des revenus des deux conjoints pour déterminer le niveau d’imposition de leur foyer fiscal. Ce mécanisme est avantageux lorsque les revenus des deux conjoints sont inégaux et correspondent à des tranches différentes d’imposition. Cela concernait en 2010 71 % des couples mariés ou pacsés. Le mécanisme est neutre lorsque les conjoints ont un niveau de revenus équivalent
Cette solidarité fiscale cesse en même temps que se termine l’imposition commune. Elle continue néanmoins de s’appliquer dès lors que la totalité des montants dus au titre de l’imposition commune n’a pas été réglée, même lorsque les époux ou les partenaires se sont séparés et que l’imposition commune a cessé.
L’article 1691 bis, qui prévoit les conditions dans lesquelles une décharge de responsabilité solidaire peut être octroyée, a été introduit par l’article 9 de la loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007 de finances pour 2008. L’administration disposait auparavant d’un large pouvoir d’appréciation, aucun critère n’étant fixé par voie législative.
Le II de l’article 1691 bis du code général des impôts prévoit ainsi la possibilité pour les personnes séparées ou divorcées d’être déchargées du paiement des impôts dus au titre de la solidarité fiscale. Cette demande doit être expressément formulée par la personne poursuivie en responsabilité.
Elle peut être aujourd’hui accordée par l’administration fiscale lorsque trois conditions sont remplies :
– une rupture de la vie commune (jugement de divorce ou de séparation de corps, déclaration de dissolution du pacte civil de solidarité, autorisation pour les époux d’être dans des résidences séparées, abandon par l’un des deux de la résidence commune) ;
– l’existence d’une disproportion marquée entre le montant de la dette fiscale et, à la date de la demande, la situation financière et patrimoniale, nette de charges, du demandeur. La situation financière du demandeur est appréciée sur une période de trois années ;
– un comportement fiscal impliquant, de la part du demandeur, le respect de ses obligations déclaratives depuis la rupture de la vie commune et l’absence de manœuvres frauduleuses pour se soustraire au paiement de l’impôt.
Constatant que l’appréciation de l’administration fiscale de l’évolution de la situation se faisait sur une période qui variait entre cinq et dix ans, le législateur a souhaité fixer une période dans la loi lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2022.
L’article 139 de la loi de finances pour 2022 a ainsi complété l’article 1691 bis pour prévoir que la situation patrimoniale et nette du demandeur est appréciée sur une période de trois ans.
Des précisions sur ce que recouvre la situation patrimoniale et financière du demandeur sont apportées par une instruction fiscale.
Le patrimoine recouvre à la fois le patrimoine immobilier et le patrimoine mobilier du demandeur. Sont exclus à la fois la résidence principale du demandeur et le patrimoine des personnes vivant habituellement avec celui-ci.
La situation financière du demandeur est appréciée au regard de l’ensemble des revenus perçus, à l’exclusion des revenus patrimoniaux.
Les deux éléments sont cumulés et la somme comparée au montant de la dette fiscale.
Si la dette fiscale est inférieure ou égale à la valeur du patrimoine, alors il n’y a pas de disproportion marquée.
Dans le cas inverse, le montant de la dette fiscale est diminué du montant de la valeur du patrimoine ; une nouvelle comparaison est alors faite, entre ce nouveau montant de dette fiscale et la situation financière nette du demandeur.
Si la situation financière permet d’envisager de recouvrir le montant de la dette fiscale (diminuée du montant du patrimoine) sur une période qui n’excède pas trois ans, alors il n’y a pas de disproportion marquée. Si ce n’est pas le cas, alors la disproportion est considérée comme marquée.
Malgré l’assouplissement des conditions d’appréciation de la situation patrimoniale et financière du demandeur en 2022, le nombre de demandes de décharges rejetées demeure important, comme l’illustre le tableau ci-dessous.
TABLEAU RÉCAPITULANT LE NOMBRE DE DEMANDES DE DÉCHARGE OCTROYÉES ET REJETÉES DEPUIS 2014
2014 | 2015 | 2016 | 2017 | 2018 | 2019 | 2020 | 2021 | 2022 | |
Demandes de décharges de solidarité reçues par la DGFIP | 415 | 362 | 362 | 328 | 322 | 398 | 230 | 279 | 288 |
Demandes traitées | 412 | 381 | 326 | 363 | 327 | 403 | 234 | 285 | 245 |
dont décharges octroyées | 76 | 94 | 80 | 94 | 77 | 126 | 71 | 94 | 100 |
% de décharges octroyées/demandes traitées | 18,4% | 24,7% | 24,5% | 25,9% | 23,5% | 31,3% | 30,3% | 33,0% | 40,8% |
dont décharges rejetées | 204 | 162 | 148 | 197 | 177 | 179 | 126 | 140 | 103 |
% de décharges rejetées/demandes traitées | 49,5% | 42,5% | 45,4% | 54,3% | 54,1% | 44,4% | 53,8% | 49,1% | 42,0% |
dont autres ([24]) | 132 | 125 | 98 | 72 | 73 | 98 | 37 | 51 | 42 |
Source : commission des lois à partir du rapport du rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale sur le projet de loi de finances pour 2024 modifié par le Sénat
Ainsi, en 2022, 40,8 % des demandes de décharge avaient été octroyées et 42 % des demandes rejetées.