Diffamation dans le secteur de la santé

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Diffamation dans le secteur de la santé
Ce point juridique est utile ?

Conseils juridiques à partir des motifs présentés :

1. Attention à l’application précise des dispositions légales : Il est recommandé de veiller à une interprétation rigoureuse des textes de loi pertinents, tels que l’article 1382 du code civil et l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, pour établir correctement les fondements juridiques de l’action et éviter toute confusion quant à leur applicabilité.

2. Attention à la recevabilité de la demande indemnitaire : Il est recommandé de respecter les délais de prescription et de déposer la demande d’indemnisation dans les délais impartis par la loi, comme le délai de trois mois prévu à l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881, afin de garantir la recevabilité de la demande et d’éviter tout rejet pour non-conformité procédurale.

3. Attention à la preuve des faits constitutifs de diffamation : Il est recommandé de fournir des éléments de preuve solides et spécifiques pour étayer les allégations de diffamation, conformément à l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881. Il est essentiel de démontrer de manière claire et convaincante que les propos litigieux ont effectivement porté atteinte à la réputation des parties concernées pour justifier une demande d’indemnisation.

En suivant ces conseils, les parties impliquées pourront renforcer leurs arguments juridiques, respecter les procédures légales et maximiser leurs chances de succès dans le cadre de cette affaire.

Résumé de l’affaire

L’affaire concerne un litige entre les associés de la société civile des Dr [K] & associés, notamment Mme [M] [Z] épouse [S] et M. [N] [V], médecins radiothérapeutes, et la Sas Centre de cancérologie [9] détenue par la Sas Holdiparc, société mère de la Sa [10]. Les associés ont pris des résolutions lors d’une assemblée générale extraordinaire en 2010, incluant la cession de parts sociales et la signature de contrats d’exercice.

Suite à la résiliation des contrats des médecins [S] et [V] en 2013, ces derniers ont intenté une action en justice pour obtenir des indemnisations. Le tribunal de grande instance de Caen a rejeté leurs demandes, mais la cour d’appel de Caen a partiellement infirmé cette décision en 2021, condamnant la [10] et la société Holdiparc à verser des indemnités aux médecins.

Cependant, la Cour de cassation a annulé partiellement la décision de la cour d’appel en 2022, remettant l’affaire en état et renvoyant les parties devant la cour d’appel de Rouen. La Cour de cassation a souligné que l’atteinte à la réputation ne pouvait relever que des dispositions de la loi sur la liberté de la presse.

Les parties ont ensuite formulé des prétentions devant la cour, avec Mme [S] et M. [V] demandant des dommages et intérêts pour atteinte à leur réputation due à une lettre adressée aux patients, tandis que la Sas Vedici et la Sa [10] ont contesté ces demandes, arguant de l’inapplicabilité de l’article 1240 du code civil au profit de la loi sur la liberté de la presse.

Les médecins ont soutenu que la lettre en question portait atteinte à leurs qualités professionnelles, causant un préjudice moral, tandis que les sociétés ont affirmé que la lettre visait à informer les patients de manière transparente et n’avait pas généré de préjudice.

L’affaire est actuellement en cours devant la cour, avec des demandes d’indemnisation et des arguments juridiques en conflit entre les parties.

Les points essentiels

Sur le fondement juridique de l’action

L’article 1382 du code civil, applicable en l’espèce compte tenu de la date des faits, pose le principe selon lequel tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. L’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 dispose que toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure.

La demande formée par Mme [S] et M. [V]

La demande formée par Mme [S] et M. [V] est exclusivement fondée sur l’atteinte à leur réputation causée par les termes de la lettre du 10 septembre 2013 signée par les Drs [T], [L] et [P] qui remettrait en cause leurs qualités professionnelles. Elle répond strictement à la qualification ci-dessus reprise au titre de l’article 29 soit le grief fait aux établissements de soins d’avoir utilisé une rédaction diffamatoire.

Contenu de la lettre litigieuse

La lettre litigieuse est ainsi rédigée : « Vous bénéficiez actuellement d’un traitement par chimiothérapie. Les équipes médicales de la [10] et du Centre [9] évoluent dans le souci constant de la qualité des soins et de la prise en charge des patients. Nous avons l’honneur de vous informer que le Docteur [U], oncologue médical, devient responsable de l’unité de chimiothérapie et le référent de votre traitement. Les Docteurs [V] et [S] cessent leur activité au sein des deux structures le 30 septembre 2013 et assure la passation de votre dossier dans les meilleures conditions à leur confrère. »

Application des dispositions relatives à la responsabilité civile

Pour obtenir l’application des dispositions relatives à la responsabilité civile de droit commun, les appelants soutiennent qu’en l’espèce, aucun fait précis ne leur est imputé de sorte que la loi du 29 juillet 1881 serait inapplicable. Ce moyen est inopérant puisque les appelants défendent l’existence de mots préjudiciables et donc de faits constitutifs de diffamation. Seul l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 est dès lors applicable.

Sur la recevabilité de la demande indemnitaire

Contrairement à ce que soutiennent les appelants, leur demande étant soumise aux dispositions de la loi du 29 juillet 1881, la prescription abrégée de trois mois au titre du délai pour agir prévu à l’article 65 de cette loi est applicable. La lettre litigieuse est datée du 10 septembre 2013 ; Mme [S] et M. [V] ont fait assigner les établissements de santé par actes d’huissier de justice le 10 octobre 2013 en demandant expressément dès l’acte introductif d’instance l’indemnisation de leur préjudice de ce chef. Le débat relatif au fondement de l’action ne fait pas obstacle à la recevabilité de la demande, étant précisé que les établissements de santé ne développent aucune autre argumentation pour soutenir l’irrecevabilité de l’appel. La demande indemnitaire est dès lors recevable.

Sur le bien-fondé de la demande indemnitaire

La phrase incriminée « Les équipes médicales de la [10] et du Centre [9] évoluent dans le souci constant de la qualité des soins et de la prise en charge des patients » ne comporte ni le visa ni le sous-entendu d’appréciations négatives à l’égard de Mme [S] et M. [V] : elle constitue une phrase de portée générale dans le cadre d’une communication rassurante à l’égard des patients. Elle n’est pas immédiatement suivie de l’annonce du départ des deux praticiens appelants et dans ce cas en insinuant l’existence d’un lien entre la qualité des soins et le changement opéré en raison du changement d’exercice mais révèle l’arrivée d’un nouveau professionnel le Dr [U]. L’existence dès lors d’une diffamation, d’un fait préjudiciable imputable aux établissements de soins n’est pas établie.

Éléments de preuve produits par Mme [S] et M. [V]

Outre les termes utilisés, pour soutenir leur demande, Mme [S] et M. [V] produisent aux débats en pièce 8 : six lettres et une attestation de patients, trois attestations de confrères. Les lettres anonymisées au regard du secret médical de [C], [R], [X], [A] [O] sont des correspondances marquant la reconnaissance des patients et ne révèlent aucune atteinte à la réputation des médecins concernés. Celle d'[W] permet de savoir que cette patiente a choisi de poursuivre les soins auprès du Dr [V] dans sa nouvelle affectation au Centre hospitalier de [Localité 8] : elle fait uniquement état du ressenti de ce praticien en raison de la mise en cause de « son professionnalisme » sans référence à la lettre circulaire litigieuse, mais « lors d’une visite de contrôle, j’ai appris ».

Attestations des confrères

L’attestation de [B] [Y] vise des « attaques non fondées » de M. [V], évoque « les conditions insupportables dans lesquelles les docteurs [L] [T] et [P] avait décidé de se séparer des docteurs [S] et [V] » sans préciser l’origine de ses informations, et donc de façon non objective, sans évoquer précisément la lettre circulaire. En outre, loin de démontrer une atteinte à la réputation des professionnels, elle marque l’attachement du patient à son médecin. Les attestations émises par les confrères de M. [V], l’une, et de Mme [S], les deux autres, démontrent de la considération, évoquent l’injustice de la situation et le ressenti des médecins : il s’agit tout au plus d’un débat distinct sur le préjudice moral mais ne traduisent pas des faits et les conséquences d’une atteinte à la réputation de ces professionnels.

Conclusion sur la demande d’indemnisation

Compte tenu de ces seuls éléments du dossier, Mme [S] et M. [V] ne rapportent pas la preuve de faits entrant dans le cadre de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 justifiant une indemnisation, et de surcroît à hauteur de 100 000 euros. La demande sera rejetée et le jugement confirmé en ce qu’il a débouté ces derniers de leur prétention à ce titre.

Sur les frais de procédure

Mme [S] et M. [V] succombent à l’instance et supporteront in solidum les dépens d’appel sans qu’il y ait lieu de faire application de l’article 699 du code de procédure civile en l’absence de demande au nom de l’avocat des intimés. L’équité et la nature de l’affaire commandent de ne pas faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Les montants alloués dans cette affaire: – M. [N] [V] et Mme [M] [S] née [Z]: Déboutés de leur demande de 100 000 euros au titre de l’atteinte à leur réputation
– Sas Vedici, Sas Holdiparc, Sas Centre de cancérologie [9] et Sa [10]: Déboutés de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile
– M. [N] [V] et Mme [M] [S] née [Z]: Condamnés aux dépens d’appel

Réglementation applicable

Articles des Codes cités

– Article 1382 du Code civil:
“Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.”

– Article 29 de la loi du 29 juillet 1881:
“Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure.”

– Article 65 de la loi du 29 juillet 1881:
“L’action publique et l’action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par la présente loi se prescrivent après trois mois révolus, à compter du jour où ils ont été commis ou du jour du dernier acte de poursuite, s’il en a été fait.”

– Article 699 du Code de procédure civile:
“La partie perdante est condamnée aux dépens, sauf si le juge met tout ou partie de ces dépens à la charge d’une autre partie, par une décision motivée.”

– Article 700 du Code de procédure civile:
“Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation.”

Reproduction du texte de chaque article de Code cité

1. Article 1382 du Code civil:
“Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.”

2. Article 29 de la loi du 29 juillet 1881:
“Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure.”

3. Article 65 de la loi du 29 juillet 1881:
“L’action publique et l’action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par la présente loi se prescrivent après trois mois révolus, à compter du jour où ils ont été commis ou du jour du dernier acte de poursuite, s’il en a été fait.”

4. Article 699 du Code de procédure civile:
“La partie perdante est condamnée aux dépens, sauf si le juge met tout ou partie de ces dépens à la charge d’une autre partie, par une décision motivée.”

5. Article 700 du Code de procédure civile:
“Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation.”

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Me Vincent MOSQUET
– Me Olivier LECLERE
– Me Yannick ENAULT
– Me Julie GRINGORE

Mots clefs associés & définitions

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

17 janvier 2024
Cour d’appel de Rouen
RG n°
23/00509
N° RG 23/00509 – N° Portalis DBV2-V-B7H-JJGD

COUR D’APPEL DE ROUEN

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 17 JANVIER 2024

APRES RENVOI COUR DE CASSATION

DÉCISION DÉFÉRÉE :

tribunal de grande instance de Caen du 21 décembre 2018

cour d’appel de Caen du 6 juillet 2021

Cour de cassation de Paris du 14 décembre 2022

APPELANTS :

Monsieur [N] [V]

[Adresse 3]

[Localité 1]

représenté par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de Rouen et assisté de Me Olivier LECLERE, avocat plaidant au barreau de Paris

Madame [M] [S] née [Z]

[Adresse 6]

[Localité 2]

comparante, représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de Rouen et assistée de Me Olivier LECLERE, avocat plaidant au barreau de Paris

INTIMÉES :

SA [10]

RCS de Caen 950 505 461

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée par Me Yannick ENAULT de la SELARL YANNICK ENAULT-GREGOIRE LECLERC, avocat au barreau de Rouen et assistée de Me Julie GRINGORE de la Selarl DERBY, avocat plaidant au barreau de Caen

SAS VEDICI venant aux droits de la SAS HOLDIPARC elle-même venant aux droits de la SAS CENTRE DE CANCEROLOGIE [9]

RCS de Paris 429 237 084

[Adresse 5]

[Localité 7]

représentée par Me Yannick ENAULT de la SELARL YANNICK ENAULT-GREGOIRE LECLERC, avocat au barreau de Rouen et assistée de Me Julie GRINGORE de la Selarl DERBY, avocat plaidant au barreau de Caen

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats et du délibéré :

Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre

M. Jean-François MELLET, conseiller

Mme Anne-Laure BERGERE, conseillère

GREFFIER LORS DES DÉBATS :

Mme Catherine CHEVALIER

DÉBATS :

A l’audience publique du 20 septembre 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 13 décembre 2023, date à laquelle le délibéré a été prorogé au 17 janvier 2024

ARRÊT :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 17 janvier 2024, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.

*

* *

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Dans le cadre d’une assemblée générale extraordinaire du 23 septembre 2010, les associés de la société civile des Dr [K] & associés dont Mme [M] [Z] épouse [S] et M. [N] [V], médecins radiothérapeutes ont pris différentes résolutions et notamment ont :

– agréé la cession par les Drs [D], [S] et [V] de la totalité de leurs parts sociales soit 771 372 parts au bénéfice de la Sas Centre de cancérologie [9] détenue par la Sas Holdiparc, société mère de la Sa [10] avec une prise d’effet au 1er octobre 2010,

– constaté que l’acceptation des résolutions était donnée par ces trois médecins sous la condition suspensive de la signature pour chacun d’eux avant le 1er octobre 2010 notamment d’un contrat d’exercice d’une part avec le Centre de cancérologie et d’autre part avec la Sa [10].

Cette condition s’est réalisée ; des contrats d’exercice ont été signés par les médecins concernés avec effet au 1er octobre 2010. Par lettres du 30 mars 2013, la Sa [10] et le Centre de cancérologie ont notifié aux Drs [S] et [V] la résiliation de leurs contrats avec préavis de six mois sans clause de non-concurrence.

Après échec de la tentative de conciliation, les deux médecins ont fait assigner leurs cocontractants, au visa des articles 1134 et suivants du code civil et L. 4113-5 du code de la santé publique, afin d’obtenir différentes indemnisations.

Par jugement contradictoire du 21 décembre 2018, le tribunal de grande instance de Caen a :

– déclaré la Sas Holdiparc venant aux droits de la Sas Centre de cancérologie [9] et la Sa [10] irrecevables en leur demande de nullité des assignations qui leur ont été délivrées par Mme [S] et M. [V] le 10 octobre 2013,

– débouté Mme [S] et M. [V] de toutes leurs demandes,

– rejeté la demande tendant au prononcé de l’exécution provisoire de la décision,

– condamné in solidum Mme [S] et M. [V] aux dépens dont distraction au profit de la Selarl Mezerac Chevret & associés représentée par Me Jean de Mezerac, avocat,

– condamné in solidum Mme [S] et M. [V] à payer à la Sas Holdiparc venant aux droits de la Sas Centre de cancérologie [9] et la Sa [10] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par arrêt du 6 juillet 2021, la cour d’appel de Caen a :

– confirmé le jugement entrepris en ce qu’il a :

. déclaré irrecevable l’exception de nullité de l’assignation,

– débouté M. [V] et Mme [S] de leurs demandes d’indemnisation au titre de la cession de patientèle, droit à préavis de deux ans et des honoraires du Dr [U],

– infirmé pour le surplus,

statuant à nouveau et y ajoutant,

– condamné in solidum la [10] et la société Holdiparc à payer

M. [V] et Mme [S] chacun :

. la somme de 10 000 euros au titre de leur préjudice moral,

. la somme de 15 000 euros pour l’atteinte à leur réputation,

– dit que la [10] et la société Holdiparc devraient verser chacune à Mme [S] et M. [V] l’indemnité contractuelle de résiliation prévue à l’article 10 des contrats d’exercice,

– condamné en conséquence la [10] et la société Holdiparc au paiement de différentes sommes, une indemnité procédurale, les dépens.

Par arrêt du 14 décembre 2022, la Cour de cassation, 1ère chambre civile, a :

– cassé et annulé mais seulement en ce qu’il condamne in solidum la société [10] et la société Holdiparc à payer à M. [V] et à Mme [S] la somme de 15 000 euros à chacun pour l’atteinte à la réputation, l’arrêt rendu le 6 juillet 2021, entre les parties, par la cour d’appel,

– remis sur ce point l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyé devant la cour d’appel de Rouen,

– condamné M. [V] et Mme [S] aux dépens,

– en application de l’article 700 du code de procédure civile, rejeté les demandes.

La Cour de cassation a, au visa de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, rappelé qu’il résultait de ce texte qu’une atteinte à la réputation d’une personne physique ou morale qui est constitutive de diffamation ne pouvait relever que des dispositions de cette loi et :

« Pour condamner la polyclinique et la société Holdiparc à indemniser les praticiens du préjudice résultant d’une atteinte à leur réputation, l’arrêt retient que celles-ci ont adressé le 10 septembre 2013 aux patients suivis par ceux-ci une lettre les informant de leur départ imminent, que, si ce document n’impute aucun fait précis aux praticiens et ne comporte donc aucun fait diffamatoire, il peut laisser penser que le départ des praticiens est lié à la nécessité d’améliorer la qualité des soins et la prise en charge des patients et que leur successeur assurera une prise en charge de meilleure qualité, de sorte que, par leur comportement fautif, ces établissements de santé ont nui à la réputation des praticiens.

En statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé par refus d’application. »

Par déclaration reçue au greffe le 9 février 2023, M. [N] [V] et Mme [M] [S] née [Z] ont saisi notre cour.

Par décision de la présidente de chambre du 28 février 2023, l’affaire a été fixée suivant les dispositions de l’article 1037-1 du code de procédure civile, à bref délai.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 8 mars 2023, Mme [M] [S] née [Z] et M. [N] [V] demandent à la cour, au visa des articles 1382 ancien devenu 1240 du code civil, des décisions du Conseil national de l’ordre des médecins du 29 novembre 2016, de la décision de la Chambre disciplinaire de première instance du Conseil régional de l’ordre des médecins du 8 décembre 2014 confirmée en cause d’appel, de :

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il les a déboutés de leur demande tendant à voir condamner les intimées à leur verser, chacun, la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour les propos tenus dans leur lettre du 10 septembre 2013 adressée à leurs patients, mettant en cause leurs compétences et qualités professionnelles,

statuant à nouveau,

– dire et juger que par la lettre adressée aux patients suivis par leurs soins le 10 septembre 2013, les intimées présentant leur départ et leur remplacement comme une volonté d’améliorer la qualité des soins au sein du Centre ont commis une faute engageant leur responsabilité civile,

– condamner en conséquence les intimées in solidum à leur verser à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi et à chacun la somme de

100 000 euros,

– condamner in solidum les intimées à leur verser en application de l’article 700 du code de procédure civile et à chacun la somme de 10 000 euros,

– condamner les intimées aux dépens dont distraction au profit de Me Vincent Mosquet conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Ils soutiennent que si la sanction de faits constitutifs de presse ne relève que de la loi du 29 juillet 1881, le droit commun de la responsabilité civile a vocation à s’appliquer en présence de faits distincts des délits de presse ; que la mise en cause des qualités professionnelles ne relève pas du droit spécial de la presse soumis à la prescription du délai pour agir de trois mois mais peut être indemnisée au titre du droit commun de la responsabilité de sorte que la demande est recevable ; que la lettre circulaire du 10 septembre 2013 jette le discrédit sur leurs mérites en ce qu’elle porte notamment la phrase suivante : « Les équipes médicales de la [10] et du Centre [9] évoluent dans un souci constant de la qualité des soins et de la prise en charge des patients. ».

Ils précisent que cette phrase est commentée et complétée de telle manière qu’elle laisse entendre qu’il existe un lien entre le départ des médecins et la volonté d’améliorer les soins ; que la rédaction de la lettre a suscité l’incompréhension des patients et cause aux deux professionnels de santé un préjudice moral ; que le Conseil national de l’ordre des médecins a reconnu que les médecins signataires de cette lettre avaient manqué à leur obligation de confraternité, avaient commis un manquement déontologique justifiant une sanction disciplinaire ; qu’en conséquence, le jugement entrepris doit être infirmé et l’indemnisation sollicitée leur être accordée.

Par dernières conclusions notifiées le 9 mai 2023, la Sas Vedici, venant aux droits de la Sas Holdiparc, venant elle-même aux droits de la Sas Centre de cancérologie [9] et la Sa [10] demandent à la cour, au visa de l’article 1240 du code civil et des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, de :

– déclarer Mme [S] et M. [V] irrecevables et infondés en leur appel,

– déclarer les intimées recevables et fondées en leur appel incident,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté les appelants de leur demande d’indemnisation au titre de l’atteinte à la réputation invoquée du fait de la lettre du 10 septembre 2013 adressée aux patients,

– débouter les appelants de leurs demandes,

– condamner les appelants à payer à chaque société intimée la somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens dont distraction au profit de « Me Vincent Mosquet » conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Elles font valoir d’une part l’inapplicabilité de l’article 1240 du code civil au profit de la loi du 29 juillet 1881 : elle reprend les termes de l’arrêt de la Cour de cassation pour souligner que la référence au droit spécial de la presse exclut toute action sur le fondement de l’article 1240 du code civil. Dès lors, l’action entreprise est irrecevable.

Elles exposent d’autre part, qu’en toute hypothèse, elles n’ont commis aucune faute nonobstant la décision de la formation disciplinaire du Conseil national de l’ordre des médecins ; que l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 suppose « l’imputation d’un fait précis portant atteinte à l’honneur et à la considération » conditions qui ne sont pas réunies en l’espèce ; que la formulation de la lettre procédait de la volonté d’être claire et sans équivoque de recherche de qualité de soins au profit des patients ; qu’elle n’est pas fautive mais correspond à leur volonté d’informer les patients et qu’en outre, elle n’a pas généré de préjudice aux deux médecins concernés.

Elles ajoutent que la correspondance litigieuse fait suite aux propos tenus par les deux professionnels suggérant aux patients de se faire soigner dans un autre établissement ; que les termes concernés par la critique ont été ajoutés par l’agence de communication des intimées pour souligner la continuité des soins ; qu’aucune attestation produite par les appelants ne décrit une perception correspondant à la remise en cause des qualités professionnelles des professionnels de la santé ; qu’en conséquence, la demande d’indemnisation de Mme [S] et de M. [V] sera rejetée.

MOTIFS

Sur le fondement juridique de l’action

L’article 1382 du code civil, applicable en l’espèce compte tenu de la date des faits, pose le principe selon lequel tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

L’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 dispose que toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure.

La demande formée par Mme [S] et M. [V] est exclusivement fondée sur l’atteinte à leur réputation causée par les termes de la lettre du 10 septembre 2013 signée par les Drs [T], [L] et [P] qui remettrait en cause leurs qualités professionnelles. Elle répond strictement à la qualification ci-dessus reprise au titre de l’article 29 soit le grief fait aux établissements de soins d’avoir utilisé une rédaction diffamatoire.

La lettre litigieuse est ainsi rédigée :

« Vous bénéficiez actuellement d’un traitement par chimiothérapie.

Les équipes médicales de la [10] et du Centre [9] évoluent dans le souci constant de la qualité des soins et de la prise en charge des patients.

Nous avons l’honneur de vous informer que le Docteur [U], oncologue médical, devient responsable de l’unité de chimiothérapie et le référent de votre traitement.

Les Docteurs [V] et [S] cessent leur activité au sein des deux structures le 30 septembre 2013 et assure la passation de votre dossier dans les meilleures conditions à leur confrère’ ».

Pour obtenir l’application des dispositions relatives à la responsabilité civile de droit commun, les appelants soutiennent qu’en l’espèce, aucun fait précis ne leur est imputé de sorte que la loi du 29 juillet 1881 serait inapplicable. Ce moyen est inopérant puisque les appelants défendent l’existence de mots préjudiciables et donc de faits constitutifs de diffamation.

Seul l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 est dès lors applicable.

Sur la recevabilité de la demande indemnitaire

Contrairement à ce que soutiennent les appelants, leur demande étant soumise aux dispositions de la loi du 29 juillet 1881, la prescription abrégée de trois mois au titre du délai pour agir prévu à l’article 65 de cette loi est applicable.

La lettre litigieuse est datée du 10 septembre 2013 ; Mme [S] et M. [V] ont fait assigner les établissements de santé par actes d’huissier de justice le 10 octobre 2013 en demandant expressément dès l’acte introductif d’instance l’indemnisation de leur préjudice de ce chef. Le débat relatif au fondement de l’action ne fait pas obstacle à la recevabilité de la demande, étant précisé que les établissements de santé ne développent aucune autre argumentation pour soutenir l’irrecevabilité de l’appel.

La demande indemnitaire est dès lors recevable.

Sur le bien-fondé de la demande indemnitaire

La phrase incriminée « Les équipes médicales de la [10] et du Centre [9] évoluent dans le souci constant de la qualité des soins et de la prise en charge des patients » ne comporte ni le visa ni le sous-entendu d’appréciations négatives à l’égard de Mme [S] et M. [V] : elle constitue une phrase de portée générale dans le cadre d’une communication rassurante à l’égard des patients.

Elle n’est pas immédiatement suivie de l’annonce du départ des deux praticiens appelants et dans ce cas en insinuant l’existence d’un lien entre la qualité des soins et le changement opéré en raison du changement d’exercice mais révèle l’arrivée d’un nouveau professionnel le Dr [U].

L’existence dès lors d’une diffamation, d’un fait préjudiciable imputable aux établissements de soins n’est pas établie.

Outre les termes utilisés, pour soutenir leur demande, Mme [S] et M. [V] produisent aux débats en pièce 8 : six lettres et une attestation de patients, trois attestations de confrères.

Les lettres anonymisées au regard du secret médical de [C], [R], [X], [A] [O] sont des correspondances marquant la reconnaissance des patients et ne révèlent aucune atteinte à la réputation des médecins concernés. Celle d'[W] permet de savoir que cette patiente a choisi de poursuivre les soins auprès du Dr [V] dans sa nouvelle affectation au Centre hospitalier de [Localité 8] : elle fait uniquement état du ressenti de ce praticien en raison de la mise en cause de « son professionnalisme » sans référence à la lettre circulaire litigieuse, mais « lors d’une visite de contrôle, j’ai appris ‘ ».

L’attestation de [B] [Y] vise des « attaques non fondées » de M. [V], évoque « les conditions insupportables dans lesquelles les docteurs [L] [T] et [P] avait décidé de se séparer des docteurs [S] et [V] » sans préciser l’origine de ses informations, et donc de façon non objective, sans évoquer précisément la lettre circulaire. En outre, loin de démontrer une atteinte à la réputation des professionnels, elle marque l’attachement du patient à son médecin.

Les attestations émises par les confrères de M. [V], l’une, et de Mme [S], les deux autres, démontrent de la considération, évoquent l’injustice de la situation et le ressenti des médecins : il s’agit tout au plus d’un débat distinct sur le préjudice moral mais ne traduisent pas des faits et les conséquences d’une atteinte à la réputation de ces professionnels.

Compte tenu de ces seuls éléments du dossier, Mme [S] et M. [V] ne rapportent pas la preuve de faits entrant dans le cadre de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 justifiant une indemnisation, et de surcroît à hauteur de

100 000 euros.

La demande sera rejetée et le jugement confirmé en ce qu’il a débouté ces derniers de leur prétention à ce titre.

Sur les frais de procédure

Mme [S] et M. [V] succombent à l’instance et supporteront in solidum les dépens d’appel sans qu’il y ait lieu de faire application de l’article 699 du code de procédure civile en l’absence de demande au nom de l’avocat des intimés.

L’équité et la nature de l’affaire commandent de ne pas faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

Déclare recevable l’action fondée sur l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, à l’exclusion de tout autre fondement,

Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [N] [V] et Mme [M] [S] née [Z] de leur demande en paiement d’une somme de

100 000 euros au titre de l’atteinte à leur réputation,

Y ajoutant,

Déboute la Sas Vedici, venant aux droits de la Sas Holdiparc, venant elle-même aux droits de la Sas Centre de cancérologie [9] et la Sa [10] de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum M. [N] [V] et Mme [M] [S] née [Z] aux dépens d’appel.

Le greffier, La présidente de chambre,


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