Guide Michelin c/ La Fourchette
Guide Michelin c/ La Fourchette
Ce point juridique est utile ?

Dans l’affaire opposant les sociétés Michelin et La Fourchette, les juges n’ont pas retenu la   contrefaçon / le pillage du Guide Michelin.

La SAS Michelin Travel Partner a été constituée le 30 novembre 2000 et a pour objet la conception, le développement, la négociation et la vente, y compris à distance, de tous biens et de tous services se rapportant au domaine en particulier routier du déplacement intra et interurbain, ainsi qu’aux domaines du tourisme et du voyage, par l’intermédiaire de tous moyens et, plus généralement, toutes opérations de quelque nature qu’elles soient se rattachant directement ou indirectement à cet objet, ou à tous objets similaires ou connexes et susceptibles d’en faciliter le développement ou la réalisation. La société édite le Guide Michelin, imaginé en 1900, qui s’est étoffé à partir de 1926 de son système de classification ‘Les étoiles de bonnes tables’.

La SAS La Fourchette édite depuis 2007 le site <www.lafourchette.com> proposant aux internautes un service de réservation de restaurants sur Internet et sur téléphone mobile en France, Espagne et Suisse, permettant de trouver un restaurant en fonction de critères spécifiques et de le réserver en ligne avec la possibilité de bénéficier de promotions dans certains restaurants.

La société Michelin a fait dresser un procès-verbal de constat d’huissier établissant selon elle  que les données provenant du Guide Michelin étaient reprises sur le site lafourchette.com. Estimant que l’utilisation de la base de données du guide constituait des actes fautifs, la société Michelin a  fait assigner la société Fourchette devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de droits d’auteur sur cette base de données, pour atteinte au droit sui generis du producteur de la base de données et en parasitisme.

Guide Michelin, une œuvre collective

Le Guide Michelin a été qualifié d’oeuvre collective au sens de l’article L 113-5 du code de la propriété intellectuelle et en vertu des dispositions de l’article L 123-3, la durée du droit exclusif pour les oeuvres collectives est de 70 années à compter du 1er janvier de l’année civile suivant celle où l’oeuvre a été publiée. Les refontes et mises à jour successives d’une oeuvre collective, qui ont donné naissance à de nouvelles oeuvres collectives dérivées des précédentes, indivisiblement fondues avec elles, font l’objet d’une protection propre de la même durée que l’oeuvre initiale et qui persiste alors même que l’oeuvre première serait tombée dans le domaine public.

En l’espèce le Guide Michelin fait depuis 1900 l’objet de rééditions annuelles et la SAS Michelin Travel Partner justifie du caractère substantiel des mises à jour successives du guide faisant de chaque réédition une nouvelle oeuvre dérivée. La version dématérialisée du Guide Michelin depuis 2001 constitue également une oeuvre collective dérivée du fait de l’adaptation de la version papier. En conséquence, chacune des rééditions annuelles du Guide Michelin ainsi que ses deux versions dématérialisées constitue une oeuvre collective dérivée bénéficiant personnellement de la durée de protection des oeuvres collectives prévue à l’article L 123-3. La SAS Michelin Travel Partner est donc recevable à agir en contrefaçon de droits d’auteur du Guide Michelin.

Droits d’auteur et bases de données

L’article L 112-3 du code de la propriété intellectuelle dispose que les auteurs de recueils de données diverses, telles que les bases de données, qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent des créations intellectuelles, bénéficient de la protection au titre du droit d’auteur. Le  second alinéa de cet article précise qu”on entend par base de données un recueil d’oeuvres, de données ou d’autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique, et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou par tout autre moyen’.

Cet article doit être interprété à la lumière des articles 1 à 6 de la directive (CE) n° 96/9 du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données, dont il est la transposition en droit interne. La Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit dans son arrêt Football Dataco du 01 mars 2012 que :

« la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de données, doit être interprété en ce sens qu’une «base de données» est protégée par le droit d’auteur prévu par celle-ci à condition que le choix ou la disposition des données qu’elle contient constitue une expression originale de la liberté créatrice de son auteur, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier. »

Par conséquent : i) les efforts intellectuels et le savoir-faire consacrés à la création desdites données ne sont pas pertinents pour déterminer l’éligibilité de ladite base à la protection par ce droit ; ii) il est indifférent, à cette fin, que le choix ou la disposition de ces données comporte ou non un ajout significatif à celles-ci, et iii) le travail et le savoir-faire significatifs requis pour la constitution de cette base ne sauraient, comme tels, justifier une telle protection s’ils n’expriment aucune originalité dans le choix ou la disposition des données que celle-ci contient.

La CJUE précise que ‘les notions de «choix» et de «disposition» visent, respectivement, la sélection et l’agencement de données, par lesquels l’auteur de la base confère à celle-ci sa structure’ et ‘ne couvrent pas la création des données contenues dans cette base’ et en conclut que ‘les éléments relatifs aux efforts intellectuels ainsi qu’au savoir-faire consacrés à la création de données ne sauraient entrer en ligne de compte pour apprécier l’éligibilité de la base de données qui les contient à la protection par le droit d’auteur prévue par la directive 96/9.

En l’espèce, s’agissant d’une base de données destinée à la confection d’un guide recensant et classant selon leur qualité les hôtels et les restaurants, le travail de sélection de ces établissements tel que revendiqué par la SAS Michelin Travel Partner au titre du droit d’auteur de la base de données ainsi que le code couleur et le graphisme utilisés ne portent que sur la création des données elle-même et non pas sur la structuration de la base de données par le choix et l’agencement de ces données.

En ce qui concerne donc la base de données proprement dite, il apparaît que le choix des éléments expressément revendiqués par la SAS Michelin Travel Partner pour les restaurants au titre du droit d’auteur (qualité des produits, maîtrise des cuissons et des saveurs, personnalité du chef dans ses plats, rapport qualité-prix, constance de la prestation dans le temps) est dicté par le sujet même de la base de données et par son objet et ne présente donc aucune originalité.

La disposition de ces données par une présentation dans l’ordre alphabétique des communes (avec pour les plus importantes un plan de celles-ci) puis, dans chacune d’elles, par la qualité attribuée à chaque établissement, par ordre décroissant, est strictement fonctionnelle et ne présente aucun caractère spécifique ou inédit.

En conséquence le choix et la disposition des données contenues dans la base de données revendiquée par la SAS Michelin Travel Partner au titre du droit d’auteur sont banals et ne constituent pas une expression originale de la liberté créatrice de son auteur.

Droit sui generis des bases de données

En application des dispositions de l’article L 341-1 du code de la propriété intellectuelle, le producteur d’une base de données, entendu comme la personne qui prend l’initiative et le risque des investissements correspondants, bénéficie d’une protection spécifique (qualifiée de sui generis) du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel.  L’article L 343-5 précise que la durée de protection du droit sui generis du producteur de base de données est de quinze ans à compter de l’achèvement de la base ou de sa mise la disposition du public.

La Cour de justice de l’Union européenne, dans quatre arrêts du 09 novembre 2004 (affaire The British Horseracing Board Ltd et a. c/ William Hill Organization Ltd – affaires Fixtures Marketing Ltd c/ Oy Veikkaux Ab, Svenska Spel AB et Organismos prognostikon agonon podosfairou AE), a jugé que ‘la notion d’investissement lié à l’obtention du contenu d’une base de données doit s’entendre comme désignant les moyens consacrés à la recherche d’éléments existants et à leur rassemblement dans ladite base’, à l’exclusion des ‘moyens mis en oeuvre pour la création des éléments constitutifs du contenu d’une base de données’ ; la ‘notion d’investissement lié à la vérification du contenu de la base de données (…) doit être comprise comme visant les moyens consacrés, en vue d’assurer la fiabilité de l’information contenue dans ladite base, au contrôle de l’exactitude des éléments recherchés, lors de la constitution de cette base ainsi que pendant la période de fonctionnement de celle-ci’, à l’exclusion des ‘moyens consacrés à des opérations de vérification au cours de la phase de création d’éléments par la suite rassemblés dans une base de données’.

Le droit sui generis n’est donc pas destiné à stimuler la création de données mais à rentabiliser l’investissement affecté à la constitution d’un ensemble informationnel. La SAS Michelin Travel Partner a bien justifié du caractère substantiel de ses investissement pour la création, la vérification et la présentation de sa base de données.

Notion d’extractions substantielles illicites de base de données

Sur le plan quantitatif, la SAS Michelin Travel Partner ne fait état que de l’extraction des bases de données relatives aux adresses parisiennes figurant dans les éditions successives de son Guide Michelin et selon ses propres affirmations, corroborées par les procès-verbaux de constats d’huissier, ce nombre d’adresses/données varie de 160 (pour l’édition 2009 du Guide Michelin) à 194 (pour l’édition 2012) et 200 (pour les éditions 2010 et 2011).

Or, conformément à la jurisprudence européenne précitée, il faut se référer non pas aux seules adresses/données parisiennes de la base de données mais au volume du contenu total de la base qui concerne la France entière, soit 27.194 restaurants ainsi que cela ressort des pièces versées aux débats. Il s’ensuit que le volume des données extraites n’est que de 0,59 % pour l’édition 2009, de 0,74 % pour les éditions 2010 et 2011 et de 0,71 % pour l’édition 2012, de telle sorte qu’il n’est pas démontré l’extraction d’une partie quantitativement substantielle du contenu de la base de données de la SAS Michelin Travel Partner.

Sur le plan qualitatif, la SAS Michelin Travel Partner invoquait le caractère stratégique et d’actualité de la sélection et du classement établis par le Guide Michelin, renouvelable chaque année et rendu public en février/mars. Toutefois pour justifier d’une extraction d’une partie qualitativement substantielle de sa base de données la SAS Michelin Travel Partner ne fait état que du formulaire d’adhésion proposé par la SAS La Fourchette aux restaurateurs souhaitant se faire référencer sur son site Internet et qui comporte une partie ‘infos pratiques’ leur permettant de préciser, le cas échéant, leur distinction dans le Guide Michelin ; elle affirmait que ce formulaire constituerait un outil d’extraction du contenu de sa base de données, dans la mesure où il permettrait à la SAS La Fourchette de collecter et réutiliser pour le compte de son propre site Internet les données relatives au Guide Michelin. Or, il s’agissait là des renseignements fournis par les restaurateurs eux-même et la SAS Michelin Travel Partner admet elle-même que ‘la référence à une distinction dans le Guide MICHELIN n’est pas, en soi, interdite’. Il n’était donc pas non plus démontré l’extraction d’une partie qualitativement substantielle du contenu de la base de données de la SAS Michelin Travel Partner.

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