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L’influenceur, créateur de contenu est plus qu’un mannequin (qualification juridique écartée) s’il ne se contente pas de prêter son image pour réaliser une prestation normée et contrôlée par l’annonceur, exclusive de toute liberté d’interprétation et qu’il crée des mises en scène, en fonction de choix créatifs, demeure libre de réaliser des vidéos selon son propre style et de déterminer la manière selon laquelle il présente le produit.
Autrement dit, ces mises en scène ne se limitent pas une reproduction de l’image ou à des poses comme modèle, au sens de l’article de L. 7123-2 du code du travail.
Par ailleurs, le contrat liant l’influenceur et son agent ou l’annonceur est, suivant les cas d’espèce, susceptible de recevoir diverses qualifications, relevant du droit commercial ou du droit du travail, en fonction des prestations attendues et des modalités de leur réalisation, étant rappelé que le juge n’est pas tenu par la qualification donnée par les parties à leurs relations contractuelles.
Le 24 mars 2021, M. [W] [T] a conclu un contrat de représentation exclusive, d’une durée d’un an, avec la société Bolt Influence. Aux termes de cette convention, M. [W] [T] a concédé à la société Bolt Influence, désignée comme son « représentant personnel et exclusif » , la gestion de sa participation aux campagnes de marketing sur les réseaux sociaux.
Ce contrat a été renouvelé, le 17 janvier 2022, pour une durée de deux ans.
Par courriel du 10 juin 2022, M. [W] [T] a notifié à la société Bolt Influence la résiliation immédiate du contrat aux torts exclusifs de cette dernière.
Suivant exploits des 3 et 10 novembre 2022, la société Bolt Influence a fait assigner M. [W] [T] et la société [X] & Co devant le tribunal de commerce de Paris, afin qu’il leur soit fait injonction de communiquer la liste des prestations réalisées depuis le 1er juin 2022, les factures correspondantes et les éléments comptables permettant la détermination de leur chiffre d’affaires, et de les voir condamner au titre de la rupture brutale anticipée du contrat
Estimant que la convention liant les parties devait être requalifiée en contrat de travail, M. [W] [T] et la société [X] & Co ont soulevé in limine litis une exception d’incompétence matérielle au profit du conseil des prud’hommes de Meaux. Ils ont demandé au tribunal de prononcer un sursis à statuer dans l’attente de la décision du conseil des prud’hommes de Meaux, à qui il serait demandé, par la voie d’une question préjudicielle, de qualifier le contrat litigieux et, subsidiairement, de décliner sa compétence et de renvoyer le dossier devant cette juridiction.
Les appelants soutiennent que la convention conclue entre M. [W] [T] et la société Bolt Influence doit être requalifiée en contrat de travail, de sorte que le conseil des prud’hommes a une compétence exclusive et d’ordre public pour connaître du contentieux relatif à son exécution. Ils prétendent, plus précisément, que M. [W] [T] réalisait des prestations, en tant que salarié, en qualité de mannequin, telle que cette activité est définie par l’article L. 7123-2 du code du travail. Ils expliquent que l’intéressé prêtait son image pour réaliser une présentation normée et contrôlée par l’annonceur, laquelle était exclusive de toute liberté d’interprétation au regard des instructions précises et contraignantes qu’il recevait, souvent sous la forme de feuilles de route ou de « briefs », assorties d’un calendrier de publication. Subsidiairement, ils revendiquent le statut d’artiste interprète, prévu par l’article L. 7121-3 du code du travail.
La société Bolt Influence réplique que l’activité de mannequin diffère de celle d’influenceur, telle qu’elle est désormais définie par la loi du 9 juin 2023. Ils soulignent que les prestations de M. [W] [T] n’étaient pas réduites à la seule utilisation de son image, comme mannequin, mais que celui-ci était libre de déterminer la manière dont il présentait les produits ou les services à son public, selon son propre style et le ton qui lui semblait adaptés. Elle considère que M. [W] [T] n’est pas non plus fondé à revendiquer le statut d’artiste-interprète, dès lors qu’elle ne lui dictait en aucun cas le rôle qu’il devait jouer. Elle prétend inversement que les relations entre les parties étaient de nature commerciale.
Le contrat liant l’influenceur et son agent ou l’annonceur est, suivant les cas d’espèce, susceptible de recevoir diverses qualifications, relevant du droit commercial ou du droit du travail, en fonction des prestations attendues et des modalités de leur réalisation, étant rappelé que le juge n’est pas tenu par la qualification donnée par les parties à leurs relations contractuelles.
Le contrat dit de « représentation exclusive », conclu entre les parties, stipule que l’influenceur exerce une activité de communication sur Internet et qu’il est titulaire d’un ou plusieurs comptes sur les réseaux sociaux, qu’il dispose d’un certain niveau de notoriété et de visibilité sur Internet et qu’il est en mesure de relayer des messages pour développer l’image de marque ou la connaissance des produits et/ou services proposés par des sociétés commerciales (article 1.3).
Il prévoit que l’influenceur concède à la société Bolt Influence, à titre exclusif, la gestion de sa participation aux Campagnes Instagram et TikTok auxquelles il participera individuellement ou collectivement, et qu’il confie à la société Bolt Influence, à titre exclusif, la mission de manager de la gestion de ses activités et de sa carrière (articles 4.1 et 4.2).
Le contrat attribue, par ailleurs, à la société Bolt Influence une mission de manager (article 5.1). Il est précisé, que l’influenceur la désigne à ce titre comme son représentant personnel et exclusif et qu’il lui donne mandat et pouvoir d’agir pour lui et en son nom, avec mission de :
Selon ses termes, la société Bolt Influence assure également une mission d’apporteur d’affaires (article 5.2).
Il y est indiqué, en substance, que la société Bolt Influence percevra, en contrepartie des services rendus, une rémunération forfaitaire fixée à 30 % du chiffre d’affaires brut hors taxes réalisé et encaissé par l’influenceur au titre de ses activités, à l’exclusion des Campagnes qu’elle aura réalisées pour le compte de ses clients Annonceurs ou Agences Média et des placements professionnels (article 6.1).
Les parties sont, en outre, convenues que la société Bolt Influence verserait à M. [W] [T], à sa demande, une avance sur Chiffre d’Affaires à venir pour les Campagnes conclues, préparées et/ou exécutées, mais non encore payées par l’Annonceur ou l’Agence Média (article 7).
Enfin, la convention stipule expressément qu’aucun lien de dépendance quelconque et/ou de subordination n’est institué entre la société Bolt Influence et l’influenceur, ce dernier disposant d’une pleine autonomie dans l’organisation de ses activités et de son emploi du temps, d’un droit de regard sur l’opportunité de sa collaboration aux Campagnes, ainsi qu’à leur contenu et de la liberté de participer à tout projet artistique (article 9.3).
L’activité de M. [W] [T] est ainsi clairement définie, dans le contrat litigieux, comme une influence commerciale s’exerçant par la diffusion de contenus sur les réseaux sociaux où il jouit d’une certaine notoriété. Elle correspond à la formulation, qui figure désormais à l’article 1 de la loi n° 2023-451 du 9 juin 2023, quoique non applicable aux faits de la cause, qui définit l’activité d’influence commerciale par voie électronique, comme étant l’activité exercée par les personnes physiques ou morales qui, à titre onéreux, mobilisent leur notoriété auprès de leur audience pour communiquer au public, par voie électronique, des contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de services ou d’une cause quelconque.
L’article L. 7123-2 du code du travail dispose :
« Est considérée comme exerçant une activité de mannequin, même si cette activité n’est exercée qu’à titre occasionnel, toute personne qui est chargée :
1° Soit de présenter au public, directement ou indirectement par reproduction de son image sur tout support visuel ou audiovisuel, un produit, un service ou un message publicitaire ;
2° Soit de poser comme modèle, avec ou sans utilisation ultérieure de son image. »
L’article L. 7123-3 du même code précise : « L’exercice de l’activité de mannequin est conditionné à la délivrance d’un certificat médical. Ce certificat atteste que l’évaluation globale de l’état de santé du mannequin, évalué notamment au regard de son indice de masse corporelle, est compatible avec l’exercice de son métier (…). »
Enfin, en vertu de l’article L. 7123-3, tout contrat par lequel une personne s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un mannequin est présumé être un contrat de travail.
En l’occurrence, l’absence de certificat médical détenu par M. [W] [T] est susceptible d’établir tout au plus le non-respect des dispositions du code du travail, mais ne permet pas, en tant que telle, d’écarter le statut de mannequin qu’il revendique. Les conditions d’application de ce statut doivent néanmoins être réunies.
En l’espèce, l’intéressé ne se contentait pas, en pratique, de prêter son image pour réaliser une prestation normée et contrôlée par l’annonceur, exclusive de toute liberté d’interprétation.
M. [W] [T] devait effectivement appliquer des feuilles de route contenant certaines instructions ; il recevait ainsi des « briefs » contenant, selon l’article 2.5 du contrat, l’ensemble des caractéristiques de la Campagne, telles que la désignation des produits ou services à promouvoir, les réseaux sociaux concernés, les contraintes et exigences relatives aux contenus Influenceur et les éventuels contenus Annonceur à publier ou relayer.
Cependant, au vu des captures d’écran qu’il produit, il est manifeste que l’influenceur, qui créait des mises en scène, en fonction de choix créatifs, demeurait libre de réaliser des vidéos selon son propre style et de déterminer la manière selon laquelle il présentait le produit.
Autrement dit, ces mises en scène ne se limitaient pas une reproduction de son image ou à des poses comme modèle, au sens de l’article de L. 7123-2 du code du travail.
L’existence d’un contrat de travail suppose l’existence d’un lien de subordination juridique, exclusif de toute autonomie dans la réalisation de la prestation délivrée.
Il apparaît, ensuite, que M. [W] [T] disposait d’une totale liberté choix quant à la réalisation des Campagnes qui lui étaient proposées par la société Bolt Influence, et qu’il a pouvait ainsi refuser d’y participer (comme en témoigne, une réponse donnée, dans un message SMS, à propos de la marque DCM Jennifer).
Ainsi que l’a relevé le tribunal de commerce, M. [W] [T] ne peut, par ailleurs, valablement prétendre qu’il recevait une rémunération mensuelle, fixe et forfaitaire d’un montant de 1.800 €, s’apparentant au versement d’un salaire, alors que cette avance mensuelle était déduite des sommes qu’il facturait postérieurement, conformément aux stipulations de l’article 2.4 du contrat.
Il suit de là qu’aucun lien de subordination avec la société Bolt Influence n’apparaît caractérisé, les stipulations du contrat étant en cela conformes avec les conditions de fait dans lesquelles M. [W] [T] exerçait son activité.
Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que M. [W] [T] n’est pas fondé à prétendre qu’il était lié par un contrat de travail, en considération du statut de mannequin, prévu par les dispositions susvisées.
L’artiste-interprète est défini, par l’article L. 212-1 du code de la propriété intellectuelle, comme étant la personne qui représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière une oeuvre littéraire ou artistique, un numéro de variétés, de cirque ou de marionnettes.
L’article L. 7121-3 du code du travail précise que tout contrat par lequel une personne s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un artiste du spectacle en vue de sa production, est présumé être un contrat de travail dès lors que cet artiste n’exerce pas l’activité qui fait l’objet de ce contrat dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce et des sociétés.
Or, M. [W] [T] n’avait aucun rôle prédéfini à jouer ni aucun texte à dire, dans le cadre des vidéos, mais il créait lui-même des mises en scènes, afin de promouvoir les produits.
Aucun lien de subordination n’est, par ailleurs, caractérisé, dans les faits, à l’égard de l’influenceur. Un tel lien ne saurait, en tout état de cause, être déduit de la mission contractuellement dévolue à la société Bolt Influence d’assurer la négociation des contrats pour son compte, alors que M. [W] [T] lui avait donné mandat à cet effet.
En conséquence, la juridiction a considéré que M. [W] [T] n’est pas fondé non plus à se prévaloir d’un contrat de travail en lien avec le statut d’artiste-interprète.
L’article L. 721-3 du code de commerce dispose que les tribunaux de commerce connaissent :
1° Des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre artisans, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux ;
2° De celles relatives aux sociétés commerciales ;
3° De celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes.
L’article L. 121-1 du même code précise que “Sont commerçants ceux qui exercent des actes de commerce et en font leur profession habituelle.”
Selon l’article L. 110-1, 6°, dudit code, toute entreprise de fournitures est réputée acte de commerce.
Dans les faits, M. [W] [T], en tant qu’« influenceur », exerçait une activité consistant à diffuser, à titre habituel, des messages de promotion publicitaire de produits, qu’il concevait et réalisait sous une forme humoristique, dans le cadre de vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, en contrepartie d’une « rémunération » prévue dans le contrat, versée par la société Bolt Influence pour le compte de l’Annonceur. Une telle activité, telle qu’exercée dans le cas présent, revêt ainsi la nature d’acte de commerce.
La SAS [X] & Co est elle-même une société commerciale.
Dans ces conditions, le tribunal de commerce était compétent pour connaître du litige. Affaire au fonds à suivre …