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L’affaire jugée concerne une demande d’annulation de la vente d’un tableau suite à une erreur sur l’authenticité de l’oeuvre. Le demandeur, M. [X], a sollicité l’annulation de la vente conclue avec M. [Z] le 20 décembre 2012, arguant que son consentement à la vente a été vicié par une erreur sur la paternité de l’oeuvre. En effet, M. [X] pensait que le tableau avait été peint en collaboration avec Gustave [10], alors que l’expert judiciaire a conclu que l’oeuvre était authentique et de la seule main de Gustave [10]. Le tribunal a annulé la vente, ordonnant la restitution du tableau à M. [X] et le remboursement du prix de vente à M. [Z].
Concernant la responsabilité de l’institut Gustave [10], le tribunal a jugé que l’avis donné par [E] [V] au nom de l’institut engageait ce dernier contractuellement. Cependant, le tribunal a estimé que l’erreur commise par [E] [V] dans son avis n’était pas fautive, car il avait agi avec diligence et dans le cadre de ses obligations de moyen. Par conséquent, les demandes indemnitaires de M. [X] à l’encontre de l’institut Gustave [10] ont été rejetées.
Enfin, la demande reconventionnelle de M. [Z] pour un préjudice moral a été rejetée, car aucune faute n’a été reconnue à M. [X] dans la procédure. M. [Z] a été condamné aux dépens de l’instance, y compris les frais d’expertise judiciaire, et à verser une somme de 5.000 euros à M. [X] au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:
■
4ème chambre 1ère section
N° RG 19/03312
N° Portalis 352J-W-B7D-CPL3Q
N° MINUTE :
Assignation du :
21 Février 2019
JUGEMENT
rendu le 23 Janvier 2024
DEMANDEUR
Monsieur [U] [S] [Y] [X]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté par Me Michèle TROUFLAUT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1214
DÉFENDEURS
Monsieur [A] [Z]
[Adresse 7]
[Localité 8]
représenté par Me Sophia BINET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D0014
Association LES AMIS DE GUSTAVE [10]
[Adresse 5]
[Localité 2]
représentée par Me Corinne HERSHKOVITCH, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0124
Monsieur [E] [V]
[Adresse 3]
[Localité 6]
représenté par Me Corinne HERSHKOVITCH, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0124
Décision du 23 Janvier 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 19/03312 – N° Portalis 352J-W-B7D-CPL3Q
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Géraldine DETIENNE, Vice-Présidente
Nathalie VASSORT-REGRENY, Vice-Présidente
Pierre CHAFFENET, Juge
assistés de Nadia SHAKI, Greffier,
DÉBATS
A l’audience du 07 Novembre 2023 tenue en audience publique devant Monsieur CHAFFENET, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.
JUGEMENT
Prononcé par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 2 décembre 2009, M. [U] [X] a sollicité [E] [V], vice-président de l’association Les amis de Gustave [10] exerçant son activité sous le nom « institut Gustave [10] », aux fins d’obtenir un avis sur l’attribution à Gustave [10] d’un tableau de marine dont il était alors propriétaire.
Dans un courrier du 8 février 2010, après analyse de l’œuvre, [E] [V] a indiqué en conclusion de celui-ci : « En conséquence, je retiendrai cette œuvre dans le Catalogue Raisonné Critique par Thèmes, de l’Oeuvre de Gustave [10] et de ses Collaborateurs, publié ultérieurement sous mon autorité par la Fondation [Localité 13] sous la rubrique : Œuvre de [10] et Collaboration, circa 1875 ».
Le 20 décembre 2012, le tableau a été présenté à la vente par l’intermédiaire de la société de ventes Bailly-Pommery & Voutier Associés, le catalogue mentionnant : « [10] et Collaboration [I], gros temps, circa 1875 Huile sur toile Porte un paraphe « GC » en bas à gauche. 20 x 35 cm Dans son cadre d’origine en bois stuqué doré réalisé par [P] [B] (cachet au dos). Un courrier de M. [E] [V] daté du 8 février 2010 indiquant que l’œuvre serait reproduite dans l’ouvrage à paraître (Catalogue Raisonné Critique par Thèmes, de l’œuvre de Gustave [10] et de ses collaborateurs) sera remis à l’acquéreur (sous l’égide du [Localité 13] institute) 2 500 / 3 500 € ».
Le tableau a été adjugé à M. [A] [Z] au prix de 3.800 euros.
En 2015, le tableau a été exposé lors d’une exposition temporaire organisée au musée Gustave [10] d’[Localité 12] comme étant de Gustave [10], sans autre précision. Il a également été présenté de la même façon en 2018 lors d’une exposition temporaire tenue au musée [11] d’[Localité 9].
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 7 février 2019, le conseil de M. [X] a indiqué à M. [Z], à [E] [V] et à l’institut Gustave [10] entendre se prévaloir d’une erreur sur la qualité essentielle du tableau vendu tenu de sa paternité désormais affichée à l’artiste.
Par réponse en date du 11 février 2019, M. [Z] lui a opposé un doute sur l’authenticité du tableau au jour de la vente prévenant toute erreur sur la qualité invoquée.
Par exploits d’huissier en date des 21 et 22 février 2019 et du 4 mars 2019, M. [X] a fait assigner M. [Z], [E] [V] et l’institut Gustave [10] devant le tribunal de grande instance de Paris, principalement aux fins d’annulation de la vente.
Le 25 février 2020, le juge de la mise en état a ordonné une mesure d’expertise du tableau, confiée par ordonnance de remplacement d’expert du 7 juillet 2020 à M. [L] [O].
[E] [V] est décédé au cours de la mesure d’expertise, le 25 mars 2020.
M. [L] [O] a déposé son rapport définitif d’expertise le 7 mai 2021.
Suivant ordonnance du 22 mars 2022, le juge de la mise en état a déclaré irrecevable comme relevant du pouvoir du juge du fond la demande en nullité du rapport d’expertise et a rejeté comme étant tardive la demande de remplacement de l’expert désigné.
Dans ses dernières conclusions régularisées par la voie électronique le 23 septembre 2022, M. [X] demande au tribunal :
« Vu le rapport d’expertise de Mr [O],
Vu les articles 1130 et suivants du Code Civil, 1217 et suivants du Code Civil, 1240 et suivants du Code Civil,
DEBOUTER Monsieur [Z] de toutes ses demandes, fins et conclusions, comme étant irrecevables en tous cas non fondées ;
DEBOUTER l’institut [10] de toutes ses demandes, fins et conclusions, comme étant irrecevables en tous cas non fondées ;
==> DECLARER recevable et bien fondée l’action engagée par Monsieur [U] [X] ;
En conséquence, PRONONCER la nullité de la vente intervenue le 20 décembre 2012 entre Mr [X] et Mr [Z] concernant un tableau présenté sous le Lot 18 de la vente BAILLY POMMERY VOUTIER), comme étant de [10] et collaboration : [I] [M] Temps circa 1875 ;
En conséquence, de cette nullité, CONDAMNER Monsieur [Z] à restituer à Monsieur [X] le tableau objet du litige, et ce sous astreinte de 100 € par jour de retard, à compter du prononcé de la décision à intervenir. En contrepartie ce dernier restituera le prix perçu, à savoir 3 800 €, dès lors que le tableau lui aura été remis ;
En outre, CONDAMNER in solidum Monsieur [Z] et l’institut [10], responsable de l’appréciation erronée du tableau litigieux, à régler à Monsieur [X] une somme de 8 000 € au titre du préjudice moral, de même qu’une somme de 5 000 €, au titre du préjudice de jouissance ;
CONDAMNER tout succombant à rembourser à Mr [X] les frais d’expertise qui se sont élevés à 9 252,09 € (neuf mille deux cent cinquante deux euros et neuf centimes) ;
CONDAMNER in solidum tout succombant au paiement de la somme de 10 000 € au titre de l’article 700 du CPC ;
ORDONNER la capitalisation des intérêts depuis l’introduction de l’instance ;
Ne pas écarter l’exécution provisoire de droit de la décision à intervenir ;
CONDAMNER in solidum les défendeurs en tous les dépens (art. 696 du C.P.C.) dont distraction au profit de Maître Michèle TROUFLAUT, Avocat aux offres de droit, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de Procédure Civile ».
Dans ses dernières conclusions régularisées le 24 juin 2022, M. [Z] demande au tribunal de :
« 1) Prononcer la nullité du rapport d’expertise rendu par Monsieur [L] [O] le 30 avril 2021 pour défaut d’impartialité et d’objectivité
2) Débouter Monsieur [U] [X] de l’ensemble de ses demandes ;
3) Condamner Monsieur [U] [X] à payer à Monsieur [A] [Z] la somme de 10.000 euros au titre de son préjudice moral ;
4) Condamner Monsieur [U] [X] aux dépens ;
5) Condamner Monsieur [U] [X] à verser à Monsieur [A] [Z] la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
6) Condamner Monsieur [U] [X] aux dépens qui seront recouvrés par la SELARLU [T] [G] AVOCAT en la personne de Maître Sophia BINET, Avocat au Barreau de PARIS, en application de l’article 699 du Code de procédure civile ».
Dans ses dernières conclusions régularisées par la voie électronique le 23 août 2022, l’institut Gustave [10] demande au tribunal, au visa des articles 1146 et suivants du code civil, de :
« – CONSTATER l’interruption de l’instance concernant M. [E] [V]
– REJETER les demandes tendant à engager la responsabilité de l’institut GUSTAVE [10] ;
– CONDAMNER, Monsieur [X] à verser à l’institut GUSTAVE [10] la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– CONDAMNER, Monsieur [X] aux entiers dépens ».
La clôture a été ordonnée le 3 janvier 2023, l’affaire plaidée lors de l’audience du 7 novembre 2023 et mise en délibéré au 23 janvier 2024.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux dernières écritures des parties conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
A titre liminaire, postérieurement au décès de [E] [V] le 25 mars 2020 et en lien avec cet événement, le juge de la mise en état a invité M. [X], par message électronique du 4 septembre 2020, à régulariser l’instance en mettant en cause les héritiers du défunt. Sans qu’il ait été déféré à cette demande, le tribunal observe que dans leurs dernières écritures, les parties ne forment aucune demande à l’encontre de [E] [V] et que le conseil de ce dernier, commun avec l’institut Gustave [10], a également renoncé à toute demande au nom du défunt.
Ces demandes étant donc réputées abandonnées par l’effet de l’article 768 du code de procédure civile, il y a lieu de considérer sans objet la demande de l’institut Gustave [10] que soit constatée l’interruption de l’instance en raison du décès de [E] [V].
Sur la demande de nullité du rapport d’expertise
In limine litis, M. [Z], se fondant sur les articles 232 et suivants du code de procédure civile et sur l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH), reproche à l’expert d’avoir manqué d’impartialité et d’objectivité dans l’exercice de sa mission. Il expose ainsi que certaines remarques figurant au rapport de l’expert ont une incidence nécessaire sur l’exercice des droits de la défense, l’expert exprimant sans ambiguïté des réserves sur les compétences de son conseil, voire de l’hostilité à l’égard de ce dernier ; que ces propos révèlent une opinion de l’expert incompatible avec l’exigence d’impartialité notamment objective.
Il conclut par ailleurs à l’absence de tout discours technique et juridique dans le rapport de l’expert, lequel se limite à un pré-jugement personnel sans répondre en droit ou en fait aux critiques émises par les parties. Il considère que l’expert a ainsi manifestement pris position en faveur de la partie adverse tout en faisant abstraction de la législation.
En lien avec cette demande, l’institut Gustave [10] relève que l’expert désigné ne présentait aucune compétence particulière en lien avec le parcours artistique de Gustave [10] et qu’il n’a pourtant sollicité aucun spécialiste reconnu de cet artiste pour son rapport. Il souligne alors qu’au contraire, [E] [V] était une autorité de référence de l’artiste, ainsi que l’a d’ailleurs reconnu l’expert ; qu’en l’absence de consultation d’autres spécialistes, l’expert n’a pas correctement accompli sa mission. Il lui reproche également des insuffisances dans son examen de l’oeuvre, n’ayant pas analysé le coup de pinceau ou le traitement des détails de la composition, seuls éléments pouvant caractériser l’intervention de l’artiste ; que l’expert ne fait non plus aucune référence à l’avis de [E] [V] tant pour confirmer qu’infirmer les hypothèses et conclusions de ce dernier.
En réponse, M. [X] fait en substance valoir que si les propos de l’expert ont pu être véhéments à l’encontre du conseil de M. [Z] compte tenu des critiques formulées par celui-ci, cette circonstance ne remet pas en cause son analyse de l’oeuvre, pour laquelle il s’est appuyé sur les catalogues raisonnés de l’artiste, des études stylistiques de l’oeuvre et d’autres investigations objectives. Il estime que le reste des critiques invoquées a pour seule visée de remettre en cause cette analyse et est donc inopérant à caractériser une éventuelle cause de nullité du rapport de l’expert.
Sur ce,
Selon l’article 6-1 de la CESDH, « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (…) ».
Conformément à l’article 237 du code de procédure civile, « Le technicien commis doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité ».
Selon l’article 276 du même code, l’expert doit prendre en considération les observations ou réclamations des parties et faire mention, dans son avis, de la suite qu’il aura donnée aux observations ou réclamations présentées.
L’inobservation de ces règles se trouve régie par les dispositions de l’article 175 du même code, qui renvoient aux règles relatives aux nullités des actes de procédure. Elle s’analyse alors en un manquement à une formalité substantielle, sanctionnée par une nullité pour vice de forme qui ne peut être prononcée qu’à charge pour celui qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité.
En l’espèce, M. [Z] relève les passages suivants issus du rapport de l’expert et attestant, selon lui, du manque d’impartialité et d’objectivité de ce dernier :
– en annexe IV-2, correspondant au courrier par lequel l’expert répond au conseil de M. [Z], lequel refusait tout dessaisissement du tableau pour dépôt entre les mains de l’expert et sollicitait l’organisation de rencontres contradictoires pour son examen : « votre interprétation du principe du contradictoire vous est personnelle et je ne la partage pas. Je pense avoir plus d’expérience que vous-même dans les expertises judiciaires de tableaux et je considère qu’il me revient de l’organiser. Ainsi je dois pouvoir regarder à ma guise le tableau objet du litige sans la présence des parties. Mes opérations d’observation et de comparaison du tableau litigieux seront transcrites dans mon rapport dans un premier temps dans ma note de synthèse que vous aurez le loisir de critiquer par des dires (…). En conséquence, je désire que votre client, Monsieur [Z] prenne contact par téléphone avec moi afin d’organiser le dépôt de son tableau, objet du litige » ;
– en pages I-3 et I-4 du rapport lui-même, dans une partie intitulée « Difficultés pour le dépôt du tableau litigieux et méfiance », la narration par l’expert de cette même opposition avec le conseil de M. [Z] : « Le 3 octobre 2020, j’envoyai une réponse à Maître (…). Après l’avoir remerciée de m’avoir adressé son dossier, je lui indiquais que son interprétation du principe du contradictoire lui était propre et que ce n’était pas la mienne. Pensant qu’elle n’avait pas beaucoup d’expérience en matière d’expertise judiciaire de tableaux, j’insistai sur le fait que c’était à l’expert d’organiser l’expertise et que je devais pouvoir regarder à ma guise le tableau objet du litige sans la présente des parties (…). Méfiance et incrédulité sont apparues lors du dépôt du tableau litigieux le 19 novembre 2020. (…) » ;
– en pages I-11 et I-12, en réponse au dire présenté par le conseil de M. [Z] : « Maître [T] [G] considère que « la consultation des 2 tomes du Catalogue raisonné de Gustave [10] manifeste mon absence de connaissance de l’œuvre générale de Gustave [10] ». Cette phrase de Maître [T] [G] est presque insultante à mon égard ; je pense être plus habitué qu’elle à l’étude de tableaux et je considère qu’il est primordial de consulter un catalogue raisonné. Déjà j’avais remarqué que Maître [T] [G] n’était pas habituée aux expertises judiciaires en matière de tableaux (difficultés pour me faire déposer l’œuvre litigieuse), cette remarque renforce mon idée qu’elle est incompétente pour ce type d’affaire. (…) Etant moi-même co-auteur de l’unique Catalogue raisonné des tableaux, pastels, dessins et aquarelles de Pierre-Auguste RENOIR et spécialiste de l’œuvre de [H] [J], je pense être plus compétent que Maître [G] pour déterminer si une provenance est « loin d’être négligeable ». Par ailleurs elle met en doute « des simples dires de Monsieur [X] » ; une fois de plus Maître [G] est insultant, cette fois-ci vis-à-vis de Monsieur [X] qu’elle qualifie de menteur ! (…) Il est risible voire ridicule que Maître [G] me reproche de considérer que la participation du tableau litigieux aux expositions du Musée [10] ainsi qu’au Musée [11] est un facteur supplémentaire en faveur de l’authentification du tableau litigieux ».
Ainsi que le concède le demandeur, il ressort de ces extraits une dureté certaine de la part de l’expert judiciaire dans ses propos à l’égard du conseil de M. [Z].
Toutefois, il ressort également de la lecture complète du rapport que l’expert a procédé aux constatations et recherches selon lui utiles à la détermination de l’authenticité. Il a communiqué aux parties l’ensemble des documents ayant fondé son appréciation, a retranscrit fidèlement dans son rapport le contenu des réunions d’expertise et de ses échanges avec les parties, en ce compris ceux critiqués, sans qu’aucune dénaturation ne lui soit reprochée. Il a ainsi exposé sur plus d’une dizaine de pages l’ensemble des étapes de l’expertise et de son raisonnement, puis a conclu son rapport en partageant son analyse quant à l’authenticité et à la paternité de l’oeuvre en cause. De plus, l’expert a adressé aux parties un pré-rapport avec possibilité de lui adresser des dires qu’il a inclus dans son rapport définitif et auxquels il a apporté les compléments qu’il a estimé nécessaires.
Au-delà du ton employé dans certains passages de son rapport, l’expert s’est ainsi attaché à respecter le principe du contradictoire et a mené une expertise complète. Il a accompli sa mission tenant à apporter au tribunal les éclairages qui lui sont apparus utiles et pertinents pour répondre aux questions posées par la juridiction et ce, dans le respect des droits des différentes parties à l’instance.
En dépit des circonstances reprochées à l’expert, M. [Z] n’a jamais sollicité sa récusation préalablement au dépôt du rapport définitif, soit de manière manifestement tardive ainsi que l’a relevé le juge de la mise en état. A l’issue de cette mesure d’instruction, aucune des parties n’a non plus saisi ce magistrat ou le tribunal aux fins de complément d’expertise.
Compte tenu de l’ensemble de ces circonstances, le seul ton employé par l’expert dans une partie limitée de ses propos est insuffisant à établir un quelconque grief effectivement porté aux droits de M. [Z] et justifiant dès lors l’annulation du rapport d’expertise.
Pour le reste, M. [Z] et l’institut Gustave [10] reprochent à l’expert, selon des moyens concourants, un manque de compétence et un défaut de diligences dans l’exécution de sa mission.
Cependant, le fait que les parties ne partagent pas la position de l’expert judiciaire, appuyée par des explications détaillées et par l’examen des documents en sa possession, ne saurait en lui-même caractériser l’existence d’une faute de sa part.
Ainsi, les moyens développés par les parties, tendant uniquement à contester la qualité des diligences réalisées par l’expert et la valeur probatoire de ses conclusions, ne sont pas susceptibles d’entraîner la nullité de son rapport.
Il résulte du tout que les moyens présentés par M. [Z] ne justifient pas l’annulation du rapport d’expertise.
Sa demande sera en conséquence rejetée.
Sur l’annulation de la vente du tableau
M. [X] soutient en substance que son consentement à la vente a été vicié, étant certain de se dessaisir d’un tableau peint par Gustave [10] et par ses collaborateurs, alors que la qualité de l’oeuvre comme étant de la seule main de Gustave [10] est désormais établie par l’expert judiciaire ; que cette paternité constitue une qualité substantielle de l’oeuvre et que sa conviction erronée au jour de la vente a nécessairement joué un rôle déterminant dans sa volonté de la céder.
Il considère son erreur excusable puisqu’il avait pris la précaution de solliciter un professionnel spécialiste de l’artiste, qui lui avait indiqué, à tort, que Gustave [10] n’avait pas peint seul ce tableau mais avec l’intervention d’un collaborateur. Il conteste ainsi tout aléa au moment de la vente compte tenu des termes précis et univoques employés par [E] [V], expert renommé de l’artiste et de son oeuvre, et dont l’avis avait ainsi la même valeur qu’un certificat d’authenticité.
Il souligne enfin que M. [Z] a acquis le tableau en qualité de professionnel averti ; qu’il tente, depuis la vente, de faire reconnaître l’oeuvre comme étant de Gustave [10] et qu’il a ainsi agi en parfaite mauvaise foi.
En réponse, M. [Z] conteste pour l’essentiel toute démonstration d’une erreur au moment de la vente de la part de M. [X]. Il expose que tant les éléments produits par ce dernier que l’expertise judiciaire n’établissent pas avec certitude l’authenticité de l’oeuvre en cause, cette qualité ne pouvant se déduire de choix effectués par des tiers après la vente de présenter le tableau sous la paternité exclusive de Gustave [10], sans réalisation d’analyses complémentaires et alors qu’il déclare avoir toujours confié le tableau accompagné de l’avis de [E] [V].
Rappelant ensuite sa qualité de profane du marché de l’art, contrairement selon lui à M. [X], il expose que l’erreur commise par ce dernier, qui s’est appuyé sur un simple avis dont il n’ignorait pas la valeur probante limitée comme n’étant pas un certificat d’authenticité délivré sans réserve, est inexcusable puisqu’il a accepté de présenter l’oeuvre sans réaliser d’autres vérifications quant à son authenticité.
Il considère à tout le moins qu’en se contentant d’un tel avis sans solliciter la délivrance d’un certificat d’authenticité, M. [X] a accepté que persiste jusqu’au jour de la vente un doute sur la paternité exacte de l’oeuvre, aléa alors convenu entre les parties et excluant donc toute erreur relative à la qualité de l’oeuvre. Il insiste à cet égard et de nouveau sur les termes de l’avis délivré par [E] [V], reflétant une simple opinion émise avec prudence et qui ne pouvait donc permettre à M. [X] d’avoir la conviction définitive de ce que son tableau n’était pas de Gustave [10] seul. Il souligne alors qu’en poursuivant malgré tout la vente, le demandeur a manifestement accepté un risque que cet avis soit postérieurement remis en cause.
Sur ce,
En vertu de l’article 9 de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, seuls les contrats conclus après le 1er octobre 2016 sont soumis à la loi nouvelle. En l’espèce le contrat conclu entre les parties le 20 décembre 2012 est ainsi soumis aux dispositions du code civil antérieures à cette ordonnance.
Conformément à l’article 1108 du code civil dans sa version en vigueur à cette date, « Quatre conditions sont essentielles pour la validité d’une convention :
Le consentement de la partie qui s’oblige ;
Sa capacité de contracter ;
Un objet certain qui forme la matière de l’engagement ;
Une cause licite dans l’obligation. ».
L’article 1109 prévoit alors que : « Il n’y a point de consentement valable si le consentement n’a été donné que par erreur ou s’il a été extorqué par violence ou surpris par dol ».
Sur l’erreur, l’article 1110 du même code dispose en son alinéa 1er que : « L’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet ».
La substance s’entend de la qualité substantielle de la chose, c’est-à-dire celle en considération de laquelle les parties ont décidé, expressément ou tacitement, de contracter. Il est constant qu’en matière de vente d’oeuvre d’art, l’authenticité d’une oeuvre constitue l’une de ses qualités substantielles, tant pour le vendeur que pour l’acquéreur.
Pour caractériser l’existence d’une erreur, laquelle s’apprécie au jour du contrat, il n’est pas indispensable de disposer d’une certitude absolue à laquelle puisse être confrontée la croyance du contractant. Le doute n’interdit ainsi pas le constat d’une erreur.
Cependant, l’erreur n’est cause d’annulation du contrat que si elle est excusable. L’erreur inexcusable est en effet une erreur fautive, privant celui qui l’a commise de toute possibilité de s’en prévaloir.
En l’espèce, l’oeuvre en cause a été présentée dans le catalogue de la société Bailly–Pommery & Voutier Associés, en vue de la vente aux enchères organisée par celle-ci le 20 décembre 2012, sous l’intitulé : « [10] et Collaboration – [I], gros temps, circa 1875 – Huile sur toile Porte un paraphe « GC » en bas à gauche (…) » avec référence au courrier de [E] [V] daté du 8 février 2010.
Cette description ne fait aucune allusion à un doute éventuel quant à la possibilité que l’oeuvre soit de la seule main de Gustave [10], peu important que la mention « et Collaboration » ne figure pas parmi les spécifications prévues au décret n° 81-255 du 3 mars 1981 sur la répression des fraudes en matière de transactions d’oeuvres d’art et d’objets de collection. En toute hypothèse, compte tenu du paraphe figurant sur la toile tenant lieu de signature, cette description est assimilable à une réserve sur l’authenticité conforme au cadre fixé à l’article 3 de ce décret : « A moins qu’elle ne soit accompagnée d’une réserve expresse sur l’authenticité, l’indication qu’une oeuvre ou un objet porte la signature ou l’estampille d’un artiste entraîne la garantie que l’artiste mentionné en est effectivement l’auteur ».
Dans son courrier intitulé « avis sur oeuvre » daté du 8 février 2010 ayant justifié cette mention « et Collaboration », [E] [V] expose que :
« L’oeuvre est inspirée d’un thème que [10] (et son entourage parfois) a exprimé à plusieurs reprises, en apportant à quelques paysages de mer aux falaises toujours situées à gauche, une connotation anthropomorphique en modifiant légèrement le tracé de ladite falaise et des rochers qui l’accompagnent de sorte qu’apparaissent de subtils profils de visages humains qui se découpent face au ciel. L’oeuvre que vous m’avez présentée comporte cette sorte de profil, mais qui me semble exprimé ultérieurement à l’esquisse de l’œuvre, lorsqu’un fort repeint, porté sur le ciel principalement, a augmenté le caractère dramatique de l’orage sur l’océan, en modifiant le tracé du profil de la roche à gauche et en gommant, pour ce faire, ce qui paraissait avoir été le prolongement vertical de la falaise désormais masquée.
L’oeuvre est peinte sur une toile fine serré, préalablement couverte d’une préparation brunâtre diluée. La mer, en vagues successives s’éclatant sur les rochers esquissés du rivage, est traitée au couteau, très largement, et le ciel couvert et brumeux, d’un pinceau largement rapporté sur un fond sombre, témoignent ensemble que le paysage d’origine est bien de la main de [10].
Ultérieurement une main différente, à mon avis un des collaborateurs de l’atelier créé par [10] après sa libération de prison, à partir de 1872, aura maquillé la falaise, à gauche, pour donner, en la couvrant d’un ciel d’orage, un dessin d’esprit anthropomorphe sur la roche de gauche. A la même époque, le paraphe très discret évoqué ci-avant : G.-C. a été rapporté en bas à gauche sans que je puisse avoir le sentiment qu’il ne soit pas de la main de [10] (ce qui justifie une signature apportée par lui dans les dernières années de sa vie, durant son exil suisse, tandis qu’i1 doit répondre à une très forte demande d’oeuvre sur le marché international et qu’en conséquence, il utilisa fortement le travail de ses collaborateurs) ».
Il émet, au vu de cette analyse, la conclusion suivante : « En conséquence, je retiendrai cette oeuvre dans le Catalogue Raisonné mon autorité par la Fondation [Localité 13] sous la rubrique : Oeuvre de [10] et Collaboration, circa 1875 ».
Par ailleurs, les parties s’accordent pour considérer [E] [V] comme ayant été, de son vivant, un spécialiste mondialement renommé de l’artiste et de son oeuvre, dont l’opinion était ainsi reconnue comme ayant une grande valeur sur le marché de l’art. Cette circonstance se trouve en outre confirmée par l’expert judiciaire, lequel expose (pages II-3 et II-4 de son rapport) que :
« En effet chaque grand artiste a un ou deux spécialistes reconnus mondialement (…). Ainsi pour [10], M. [R] [V] a publié deux tomes du catalogue raisonné de l’oeuvre de Gustave [10]. Feu Monsieur [E] [V] préparait un troisième tome de cet ouvrage et en conséquence de quoi, ses avis font autorité. Depuis son décès, les « avis » du Comité [10] qu’il avait créé feront autorité.
Autrement dit, le simple « avis » de feu Monsieur [E] [V] dans sa lettre du 8 février 2010 obligeait les commissaires-priseurs (BAILLY-POMMERY & VOUTIER) de la vente à Drouot du 20 décembre 2012 à vendre le tableau litigieux comme une oeuvre de « [10] et Collaboration » même si Monsieur [X] et sa famille avaient toujours considéré que le dit tableau avait été peint par Gustave [10] ».
Toutefois, l’expert judiciaire procède à une analyse différente de l’oeuvre et parvient ainsi à une conclusion opposée à celle de [E] [V] puisqu’en pages II – 7 et II – 8 de son rapport, dans lesquelles il synthétise son avis, il écrit :
« J’ai comparé le tableau litigieux avec sept tableaux de Gustave [10] répertoriés dans le catalogue raisonné [V]. Ces sept comparaisons montrent que ledit tableau litigieux peut parfaitement s’inscrire dans l’oeuvre de Gustave COUBERT par son sujet, le traitement des vagues et de leur écume, des rochers, des couleurs sombres dues à la tempête et à l’orage.
Le fait que le tableau litigieux porte simplement le monogramme « GC » et non la signature « G. [10] » s’explique par la petite taille dudit tableau.
La provenance du tableau objet du litige est intéressante. En effet selon Monsieur [X] ledit tableau a été acheté par son arrière-grand-père, [P] [D] qui l’acquit chez [B] (encadreur et marchand de tableaux, rue Laffitte) durant son séjour de 1889 pour l’exposition universelle. Je rappelle ici que beaucoup de galeries étaient installées à l’époque rue Laffitte près de l’Hôtel Drouot.
Le catalogue raisonné [V] répertorie trente-huit tableaux de « [10] et collaboration » dans son deuxième tome. Aucun de ces tableaux n’a une taille aussi réduite que celle du tableau litigieux. Ceci est un point supplémentaire pour l’authentification dudit tableau.
Sa participation aux expositions du Musée [10] d’[Localité 12] et au Musée DAUBIGNY D’[Localité 9] comme tableau de Gustave [10] est un facteur supplémentaire en faveur de l’authentification du tableau litigieux.
L’ensemble de ces éléments m’amènent à considérer que le tableau objet du litige « [I], gros temps » (huile sur toile, 20 x 35 cm, monogrammé « GC » est à mon avis une oeuvre authentique de Gustave [10] ».
Le tribunal observe que si les conclusions des deux hommes de l’art ayant examiné le tableau sont naturellement inconciliables, leurs deux raisonnements ne se trouvent en revanche pas incompatibles.
En effet, [E] [V] s’est avant tout intéressé au sujet et à la technique picturale employée pour le tableau, notamment ses possibles modifications par une main autre que celle de Gustave [10], afin de rattacher cette toile dans le contexte de l’oeuvre générale de l’artiste et de sa biographie. L’expert judiciaire, s’il a étudié le sujet de l’oeuvre en le comparant avec d’autres oeuvres issues du catalogue raisonné de l’artiste, a porté une attention particulière à l’histoire du tableau lui-même, à sa taille ainsi qu’à sa présentation, postérieurement à la vente, comme étant de Gustave [10].
A cet égard, si l’erreur doit être appréciée au moment de la formation du contrat, il est loisible aux parties et par extension, à l’expert d’invoquer des éléments postérieurs aux fins d’établir la commission d’une erreur à cette date. C’est donc à tort que M. [Z] s’oppose à ce que soit prise en considération à titre d’indice de la paternité du tableau sa présentation, après la vente, comme étant de Gustave [10] dans diverses expositions.
Pour autant, l’expert judiciaire ne dément pas l’étude de la technique picturale réalisée par [E] [V] et partant, une possible altération de l’esquisse originelle de l’illustre peintre par un collaborateur. En effet, l’expert judiciaire ne propose dans son rapport aucun examen comparable de l’oeuvre, bien qu’il ait tenté, sans succès compte tenu des couleurs sombres utilisées, de procéder à une analyse aux rayons ultraviolets de l’oeuvre.
Il résulte du tout que l’expert judiciaire se fonde pour sa conclusion sur un faisceau d’indices, tout comme l’a fait [E] [V], sans que les diligences effectuées par l’un des deux éminents spécialistes consultés ne permettent au tribunal d’exclure avec certitude le raisonnement et la conclusion définitive proposée par l’autre.
Le tribunal n’étant alors pas tenu de suivre l’expert dans ses conclusions et devant tout autant tenir compte des autres éléments probants communiqués, il ne se trouve pas en position de trancher définitivement la question de l’authenticité de l’attribution du tableau à Gustave [10].
Néanmoins, cette persistance d’une incertitude ne conduit pas nécessairement au rejet des prétentions de M. [X] dès lors que l’erreur invoquée ne porte pas seulement sur l’authenticité de l’oeuvre comme étant de Gustave [10] mais également et avant tout sur la conviction erronée pour M. [X] que son tableau résultait nécessairement d’une collaboration entre cet artiste et une personne de son atelier.
Contrairement à ce que soutient M. [Z], la seule qualité d’artiste et de collectionneur amateur de M. [X] est insuffisante à faire de ce dernier un professionnel du marché de l’art et dès lors, à lui attribuer une connaissance supérieure à celle d’un profane notamment quant à la différence à opérer entre un certificat d’authenticité et un avis tel celui sollicité auprès de [E] [V].
Or, le contenu déjà rappelé de cet avis fait apparaître un examen fin et argumenté du tableau, de son style, des étapes de sa conception et de sa date d’achèvement au regard d’éléments biographiques de Gustave [10]. Il apparaît également que les hésitations de [E] [V], soulignées par M. [Z], portaient sur l’authenticité du paraphe figurant sur l’oeuvre comme étant ou non de la main de l’artiste, et non sur l’intervention d’un des collaborateurs du peintre dans la réalisation de l’oeuvre. En effet, [E] [V] indique sans réserve apparente que « le paysage d’origine est bien de la main de [10] » et que « ultérieurement une main différente, à mon avis un des collaborateurs (…) aura maquillé la falaise ». C’est également non sur un mode conditionnel mais bien sur un ton affirmatif qu’il décide de retenir l’oeuvre dans son catalogue raisonné sous la rubrique « Oeuvre de [10] et Collaboration, circa 1875 ».
Ce même avis est également apparu suffisamment précis, argumenté et ferme aux yeux du commissaire-priseur pour être directement cité au sein de la description donnée du tableau dans le catalogue de vente.
Ainsi que précédemment exposé, la description de l’oeuvre insérée dans ce catalogue ne laisse non plus aucune part à l’ambiguïté quant au fait que la paternité de l’oeuvre était à partager entre Gustave [10] et l’un de ses collaborateurs.
De plus, la vente a été acceptée par M. [X] pour une fourchette de prix comprise entre 2.500 euros et 3.500 euros, soit un prix nettement moindre que la cote du tableau en cas de reconnaissance de sa paternité à l’illustre artiste seul, l’expert judiciaire retenant en ce cas une valeur de 30.000 euros au regard de ventes aux enchères passées.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments qu’au jour de la vente, M. [X] n’avait aucune raison de douter de l’avis de [E] [V], spécialiste mondialement reconnu de l’artiste en cause et qu’il avait ainsi acquis la certitude, erronée, que l’oeuvre ne pouvait pas être de la seule main de Gustave [10].
En effet, il se déduit des éléments de la cause que ce doute n’est apparu dans l’esprit du vendeur que postérieurement à la vente en raison des circonstances d’exposition du tableau avec l’accord de M. [Z]. S’il en résulte que ce dernier pouvait avoir conscience dès la vente d’une éventuelle attribution de l’oeuvre à Gustave [10] seul, rien ne démontre toutefois que le défendeur aurait partagé ce doute avec son vendeur avant la conclusion de leur accord.
Dès lors, il n’est aucunement caractérisé un quelconque aléa convenu entre les parties au moment de la vente quant à l’authenticité du tableau objet du litige telle que fixée dans le catalogue de vente.
Ces mêmes circonstances excluent également que soit reproché à M. [X], simple amateur d’art, d’avoir commis une faute en ne menant pas de plus amples investigations sur l’oeuvre et notamment de ne pas avoir cherché à obtenir un second avis ou un certificat d’authenticité auprès d’un autre expert, aucun nom n’étant d’ailleurs donné par le défendeur dans ses écritures d’un spécialiste disposant d’une renommée similaire à celle de [E] [V] pour la production artistique de Gustave [10].
De l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de retenir qu’est justifiée l’existence d’une erreur excusable de la part de M. [X] au jour de la vente portant sur la qualité substantielle de l’oeuvre cédée – à savoir que celle-ci n’était en toute hypothèse pas de Gustave [10] – et que cette erreur a été déterminante de son consentement compte tenu des conditions de la vente.
Il y a dès lors lieu d’annuler la vente conclue le 20 décembre 2012 entre M. [X] et M. [Z] portant sur le tableau référencé sous le numéro 18 et l’intitulé « [I], gros temps » dans le catalogue produit par le demandeur en pièce n° 2.
M. [Z] sera en conséquence condamné à restituer à M. [X] cette oeuvre, sans qu’il y ait lieu d’assortir cette condamnation d’une astreinte en l’absence de démonstration, à ce stade, d’une quelconque volonté de M. [Z] de résister de manière fautive à l’exécution de cette obligation.
M. [X] devra pareillement procéder à la restitution du prix de la vente, soit la somme de 3.800 euros, à M. [Z].
Sur les demandes indemnitaires formées par M. [X]
A l’encontre de M. [Z]
A l’issue de ses dernières écritures, M. [X] sollicite la condamnation in solidum de M. [Z] et de l’institut Gustave [10] à lui payer les sommes de 8.000 euros et de 5.000 euros en réparation de ses préjudices moral et de jouissance.
S’il conclut dans ses écritures sur une éventuelle responsabilité de l’institut Gustave [10], il ne développe en revanche aucun moyen de nature à établir une faute quelconque de M. [Z] dans le cadre de la vente conclue le 20 décembre 2012.
Or, l’annulation de cette vente pour erreur ne saurait, à elle-seule, justifier l’engagement de la responsabilité du défendeur et sa condamnation à indemniser M. [X] des préjudices qu’il allègue avoir subis.
Compte tenu de cette carence du demandeur dans ses explications, ses demandes ne peuvent pas prospérer et seront donc rejetées.
A l’encontre de l’institut Gustave [10]
M. [X] soutient que l’avis formulé par [E] [V] et l’institut Gustave [10] est à l’origine de son erreur sur les qualités de l’oeuvre vendue car, informé de l’authenticité de cette dernière, il aurait choisi de la conserver ; qu’à supposer la vente annulée, il a tout de même subi un préjudice en raison des tracas liés à la procédure engagée pour obtenir la restitution du tableau. Il ajoute que [E] [V] s’est engagé dans son avis au nom de l’institut Gustave [10], de sorte que ce dernier doit être tenu responsable de l’erreur commise par son expert ; que l’institut ne peut non plus se prévaloir d’une simple hypothèse émise par [E] [V] alors que les termes de l’avis sont précis et affirmatifs et que le défendeur se targue en outre de sa position d’autorité en matière d’expertise des oeuvres de Gustave [10].
Il indique alors que, pour la première fois partie à une procédure, cette situation a été source de stress et d’inquiétude ; qu’il a en outre subi un préjudice de jouissance, ayant été privé pendant plusieurs années de l’oeuvre qu’il souhaitait conserver.
En réponse, l’institut Gustave [10] fait valoir qu’il n’a pas été sollicité pour avis sur l’oeuvre en débats, seul [E] [V] ayant été contacté par M. [X] à cette fin ; que ce spécialiste s’étant ainsi exclusivement prononcé en son nom personnel, sa réponse ne peut engager la responsabilité de l’institut. Il précise à cet égard que le Comité [10], composé de plusieurs experts, est depuis 2016 seul apte à rendre des avis au nom de l’institut. Il prétend ensuite qu’un simple avis, qui se distingue d’un certificat d’authenticité, n’est pas de nature à engager la responsabilité de l’expert l’ayant rendu, reflétant uniquement une opinion, exprimée en l’occurrence avec prudence. Il critique pour le reste et pour des moyens déjà exposés les conclusions de l’expert qui attribue l’oeuvre à la seule main de Gustave [10].
Sur ce,
L’article 1134 du code civil dispose que : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi ».
Conformément à l’article 1147 du même code, « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part ».
L’article 1165 du même code ajoute que : « Les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l’article 1121 ».
En l’espèce, il ressort de l’avis de [E] [V] que ce document a été établi sur papier à en-tête de l’institut Gustave [10] et rédigé par ce spécialiste en se prévalant de sa qualité de vice-président de l’institut.
Il résulte en outre des explications et pièces communiquées par l’association défenderesse elle-même que M. [X] est cité comme membre donateur de l’institut au titre de l’année 2010 pour lui avoir versé la somme de 800 euros en contrepartie de l’avis délivré.
Il s’en déduit la formation d’un contrat entre M. [X] et l’institut Gustave [10] ayant pour objet l’avis délivré le 8 février 2010, peu important d’une part que, dans son courrier du 2 décembre 2009, le premier se soit adressé directement à [E] [V] à cette fin et d’autre part, que l’institut ait créé un Comité [10] en 2016, soit six ans après l’avis objet des débats.
Ainsi, l’institut Gustave [10] ne peut soutenir que cet avis engageait uniquement [E] [V] à titre personnel et il doit répondre des préjudices pouvant résulter d’un manquement à ses obligations contractuelles en lien avec les diligences et les conclusions de son ancien vice-président.
Il revient alors à M. [X] d’établir un tel manquement ainsi que le lien causal entre ce dernier et les préjudices pour lesquels il réclame une réparation.
Or, pour les motifs précédemment retenus, si l’expert judiciaire aboutit à une conclusion opposée à celle de [E] [V], son analyse n’infirme, ni ne confirme celle réalisée par ce dernier quant à la paternité et à l’authenticité de l’oeuvre. Force est en outre de rappeler que malgré cette divergence de conclusions, l’expert accorde un fort crédit à l’avis donné par [E] [V] qu’il reconnaît comme l’un des grands spécialistes de l’artiste.
M. [X] ne conteste pas la remise de l’oeuvre à [E] [V] pour examen ainsi que la transmission de l’ensemble des informations utiles concernant la provenance de celle-ci. Il ne justifie pas non plus de diligence supplémentaire que [E] [V] aurait dû réaliser et qui l’aurait nécessairement conduit à donner un avis différent.
De plus, au vu des indications biographiques données sur Gustave [10], ce dernier a eu une importante production artistique durant les dernières années de sa vie à l’aide de son atelier. Dans ces circonstances et compte tenu du temps écoulé depuis l’exécution de l’oeuvre, il est certain que [E] [V] ne pouvait être tenu que d’une obligation de moyens et non de résultat dans ses recherches et son examen du tableau afin de détermination de son authenticité.
Au surplus, l’institut Gustave [10] souligne à raison que son ancien vice-président avait été uniquement sollicité pour un avis, et non pour délivrer un certificat d’authenticité, de sorte que la portée de ses obligations s’en trouvait également réduite.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la seule discordance entre les opinions des deux spécialistes consultés est insuffisante à établir un manquement fautif de [E] [V] dans l’exécution de sa mission consistant à donner son avis sur l’oeuvre appartenant à M. [X].
En conséquence, les demandes indemnitaires de ce dernier seront entièrement rejetées.
Sur la demande reconventionnelle de M. [Z]
Au visa de l’article 1240 du code civil, M. [Z] se prévaut d’un préjudice moral important en raison de la procédure menée par M. [X].
Néanmoins, la demande en annulation de la vente formulée par M. [X] ayant été reconnue comme bien fondée, aucune faute ne peut lui être reprochée dans la poursuite de la présente instance.
En conséquence, la demande indemnitaire de M. [Z] sera rejetée.
Sur les autres demandes
En l’absence de toute demande d’intérêts formée par M. [X], sa demande de capitalisation se trouve sans objet et ne peut qu’être rejetée.
M. [Z], seul succombant, sera condamné aux entiers dépens de l’instance, lesquels incluent les frais d’expertise judiciaire conformément aux dispositions de l’article 695 du code de procédure civile.
De ce fait, la demande distincte formulée par M. [X] dans son dispositif de remboursement de ces mêmes frais ne peut qu’être rejetée.
En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, il convient de mettre à la charge de M. [Z] une partie des frais non compris dans les dépens et exposés par M. [X] à l’occasion de la présente instance. Il sera condamné à lui payer la somme de 5.000 euros à ce titre.
En application de ces mêmes dispositions et compte tenu de l’équité, il y a lieu de rejeter l’ensemble des autres demandes formées par les parties au titre de leurs frais irrépétibles.
L’ancienneté du litige, la nature de l’affaire et le sens de la présente décision commandent que soit ordonnée son exécution provisoire en vertu des dispositions de l’article 515 du code de procédure civile dans sa version en vigueur au jour de l’introduction de la présente instance.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire, en premier ressort et par mise à disposition au greffe,
Dit sans objet la demande de l’association Les amis de Gustave [10] que soit constatée l’interruption de l’instance,
Déboute M. [A] [Z] de sa demande en nullité du rapport d’expertise déposé au greffe de la juridiction le 7 mai 2021,
Annule la vente conclue le 20 décembre 2012 entre M. [U] [X] et M. [A] [Z] portant sur le tableau référencé sous le numéro 18 et identifié sous l’intitulé « [I], gros temps » dans le catalogue de la société de vente Bailly-Pommery & Voutier Associés de cette même vente,
Condamne en conséquence M. [A] [Z] à restituer à M. [U] [X] le tableau intitulé « [I], gros temps »,
Dit que M. [U] [X] devra en contrepartie restituer à M. [A] [Z] la somme de 3.800 euros correspondant au prix de la vente,
Déboute M. [U] [X] de ses demandes indemnitaires à l’encontre de M. [A] [Z],
Déboute M. [U] [X] de ses demandes indemnitaires à l’encontre de l’association Les amis de Gustave [10],
Déboute M. [A] [Z] de sa demande indemnitaire formée à titre reconventionnel,
Condamne M. [A] [Z] à payer à M. [U] [X] la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles engagés par ce dernier.
Déboute les parties de leurs autres demandes au titre des frais irrépétibles,
Condamne M. [A] [Z] aux dépens, en ce compris les frais d’expertise judiciaire, lesquels pourront en outre être recouvrés par Maître Michèle Trouflaut, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
Rejette toute autre demande plus ample ou contraire des parties,
Ordonne l’exécution provisoire du présent jugement.
Fait et jugé à Paris le 23 Janvier 2024.
Le GreffierLa Présidente
Nadia SHAKIGéraldine DETIENNE