Droit de rétractation : décision du 5 janvier 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/06817
Droit de rétractation : décision du 5 janvier 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/06817
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 30B

12e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 05 JANVIER 2023

N° RG 21/06817 – N° Portalis DBV3-V-B7F-U23K

AFFAIRE :

SCI SANA

C/

S.A.R.L. LATARD

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 Octobre 2021 par le Tribunal judiciaire de NANTERRE

N° Chambre : 8

N° RG : 20/01979

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Martine DUPUIS

Me Christophe DEBRAY

TJ NANTERRE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE CINQ JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

SCI SANA

RCS Nanterre n° 434 382 438

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 et Me David TAVERNIER de la SELARL JOFFE & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0108

APPELANTE

****************

S.A.R.L. LATARD

RCS Nanterre n° 702 021 809

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 et Me Karine ALTMANN de la SELEURL AL-TITUDE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E2070

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 22 Novembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Bérangère MEURANT, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur François THOMAS, Président,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,

Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,

Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,

EXPOSE DU LITIGE

Par actes sous seing privé des 17 juillet 1973 et 11 janvier 1991, M. [K] [S] et les consorts [D], aux droits desquels viennent les consorts [O] et [C], ont consenti à la SARL Latard un bail commercial portant sur des locaux situés [Adresse 2], composés d’une boutique et d’un atelier. Un troisième bail dont la date est inconnue a été consenti à la société Latard portant sur un bureau situé dans le même immeuble.

Par acte authentique du 16 novembre 2012, les consorts [O] et [C] ont vendu à la SCI Sana l’immeuble dont ils étaient propriétaires, sis [Adresse 2]. L’acte d’acquisition fait état de trois baux commerciaux consentis à la société Latard portant sur une boutique, un atelier et un bureau.

Le 10 octobre 2017, la société Latard a sollicité le renouvellement des trois baux à compter du 1er janvier 2018.

Par courrier recommandé du 23 octobre 2017, la société Sana a refusé le renouvellement des baux commerciaux et a indiqué vouloir délivrer un congé avec paiement d’une indemnité d’éviction.

Par courrier recommandé du 22 janvier 2018, la société Latard a informé la société Sana qu’elle considérait que celle-ci avait accepté le principe du renouvellement des baux, dès lors qu’elle ne l’avait pas refusé dans les formes prescrites par l’article L.145-10 du code de commerce.

Le 13 mars 2018, la société Sana a mis en demeure la société Latard de remettre en état l’ensemble des locaux selon leur configuration initiale.

Par acte du 3 mai 2018, la société Sana a signifié à la société Latard un refus de renouvellement des trois baux commerciaux pour motifs graves et légitimes sans offre d’indemnité d’éviction.

Par acte du 3 mars 2020, la société Latard a assigné la société Sana devant le tribunal judiciaire de Nanterre afin de voir constater le renouvellement des trois baux.

Par jugement du 11 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Nanterre a :

– Déclaré nuls les mises en demeure en date des 13 mars et 3 mai 2018 et le refus de renouvellement;

– Constaté que les trois baux des locaux occupés par la société Latard sis [Adresse 2] sont renouvelés pour neuf années à compter du 1er janvier 2018 aux mêmes clauses, charges et conditions notamment de loyer que les baux expirés ;

– Condamné la société Sana à payer à la société Latard la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Rappelé que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit ;

– Condamné la société Sana aux dépens de l’instance.

Par déclaration du 16 novembre 2021, la société Sana a interjeté appel du jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 1er septembre 2022, la société Sana demande à la cour de :

– Recevoir la SCI Sana en son appel et la déclarer bien fondée ;

– Infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a :

– Déclaré nuls les mises en demeure en date des 13 mars et 3 mai 2018 et le refus de renouvellement ;

– Constaté que les trois baux des locaux occupés par la société Latard sis [Adresse 2] sont renouvelés pour neuf années à compter du 1er janvier 2018 aux mêmes clauses, charges et conditions notamment de loyer que les baux expirés ;

– Condamné la SCI Sana à payer à la société Latard la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Rappelé que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit ;

– Condamné la SCI Sana aux dépens de l’instance ;

Statuant à nouveau,

A titre principal,

– Juger que le refus de renouvellement des trois baux commerciaux pour motifs graves et légitimes du 3 mai 2018 est recevable et bien fondé et qu’aucune indemnité d’éviction n’est due à la société Latard ;

En conséquence,

– Débouter la société Latard de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

– Constater que les baux ont définitivement pris fin au 1er janvier 2018 et que la société Latard est occupant sans droit ni titre depuis le 1er janvier 2018 ;

– Ordonner l’expulsion de la société Latard et de tout occupant de son chef des locaux situés [Adresse 2], au besoin avec l’appui de la force publique et l’assistance d’un serrurier et ce huit jours après la signification du jugement (sic) à intervenir ;

– Autoriser la SCI Sana à séquestrer dans un local ou garde-meuble au choix du bailleur et aux frais et risques et périls du locataire, les objets mobiliers garnissant les lieux ;

– Juger que la société Latard est redevable pour chacun des trois baux commerciaux d’une indemnité d’occupation à compter du 1er janvier 2018 et la condamner à payer à la société Sana d’avance et le 1er de chaque mois pour chacun des trois baux commerciaux une indemnité mensuelle d’occupation s’élevant au triple du montant du loyer en vigueur à la date d’effet du refus de renouvellement (1er janvier 2018), et ce jusqu’à la libération effective et intégrale des lieux loués et la remise des clés ;

– Condamner la société Latard à remettre en état les locaux commerciaux conformément à la mise en demeure dans l’état dans lequel ils se trouvaient le jour de la prise à bail et ce sous astreinte de 200 € par jour de retard trois mois après la signification du jugement (sic) à intervenir;

– Condamner la société Latard à mettre aux normes de sécurité incendie l’ensemble des locaux qu’elle exploite dans les lieux et ce sous astreinte de 300 € par jour de retard, quinze jour après la signification du jugement (sic) à intervenir ;

– Ordonner la capitalisation des intérêts sur le fondement de l’article ancien 1154 du code civil ;

A titre subsidiaire, si par extraordinaire le refus de renouvellement pour motifs graves et légitime du 3 mai 2018 était jugé irrégulier (pour quelque cause que ce soit),

– Juger que le refus de renouvellement pour motifs graves et légitimes des trois baux commerciaux du 3 mai 2018 fait, en tout état de cause, obstacle au renouvellement desdits baux ;

En conséquence,

– Débouter la société Latard de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

– Constater que l’ensemble des baux ont définitivement pris fin au 1er janvier 2018 et que la SCI Sana est redevable envers la société Latard d’une indemnité d’éviction pour chacun des trois baux commerciaux ;

– Juger que la société Latard est redevable envers la SCI Sana d’une indemnité d’occupation au titre des trois baux commerciaux à compter du 1er janvier 2018, et ce jusqu’à la libération effective et intégrale des lieux loués et la remise des clés ;

– Désigner, avant dire droit, tel expert qu’il lui plaira, lequel pourra s’adjoindre tout sapiteur, mais dans une spécialité autre que la sienne, avec mission :

– D’entendre les parties en leurs explications, visiter les locaux litigieux sis [Adresse 2], les décrire, prendre connaissance des documents contractuels et de tous autres, notamment des documents comptables et fiscaux relatifs à l’exploitation du fonds de commerce exploité dans les lieux par la société Latard, et, plus généralement, réunir tous éléments d’appréciation utiles permettant à la Cour de fixer, par référence aux dispositions de l’article L.145-14 du code de commerce, l’indemnité d’éviction due à la société Latard à la suite de son éviction;

– Lui donner également mission de fournir à la Cour tous éléments lui permettant de fixer, par référence aux dispositions de l’article L.145-28, alinéa 1 du code de commerce, l’indemnité due par la société Latard pour l’occupation des lieux pour chacun des baux commerciaux, à compter du 1er janvier 2018 jusqu’à leur libération complète, et la remise des clés ;

– Dire que l’expert devra déposer son rapport au secrétariat-greffe dans le délai de deux mois de sa saisine ;

– Dire que l’expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile ;

– Fixer le montant de la provision à valoir sur les frais d’expertise ;

En tout état de cause,

– Condamner la société Latard à payer à la SCI Sana la somme de 6.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– La condamner aux entiers dépens.

Par dernières conclusions notifiées le 28 avril 2022, la société Latard demande à la cour de :

– Déclarer l’appel mal fondé et en débouter l’appelante ainsi qu’en l’ensemble de ses demandes fins et conclusions ;

– Juger recevables et bien fondées les demandes, fins et conclusions de la société Latard;

– Juger nuls et de nul effet les mises en demeure et refus de renouvellement notifiés à la requête de la SCI Sana à la société Latard suivant exploits de Me [Y], huissier associé à [Localité 4], en date des 13 mars et 3 mai 2018 ;

– Juger que les trois baux dont était titulaire la société Latard des locaux qu’elle occupe à [Adresse 2], se sont trouvés renouvelés pour neuf années à compter du 1er janvier 2018 aux mêmes clauses, charges et conditions, notamment de loyer que les baux expirés ;

En conséquence,

– Confirmer le jugement entrepris et débouter la SCI Sana de l’ensemble de ses demandes;

– Condamner la SCI Sana à payer à la société Latard la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, dont distraction au profit de Me Debray, avocat aux offres de droit ;

– La condamner en outre et enfin aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 22 septembre 2022.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur le renouvellement des baux

La société Latard fait valoir qu’elle a demandé, le 10 octobre 2017, le renouvellement de ses trois baux pour 9 années à compter du 1er janvier 2018 et qu’en application de l’article L.145-10 du code de commerce, il appartenait à la SCI bailleresse, dans les trois mois de la notification de la demande de renouvellement, de faire connaître à son locataire, par acte extrajudiciaire, qu’elle refusait le renouvellement sollicité, en précisant les motifs de ce refus’; que cette formalité n’a pas été respectée, de sorte qu’en application de l’article L.145-10 précité, le bailleur est réputé avoir accepté le principe du renouvellement des baux précédents. La société Latard sollicite la confirmation du jugement en ce qu’il a déclaré le refus de renouvellement des baux notifié par la SCI Sana le 3 mai 2018 prescrit. Elle conteste les manquements invoqués par la bailleresse précisant que les locaux n’ont jamais été destinés à l’habitation et qu’elle n’y a entrepris aucun travaux d’aménagement. Elle demande, par confirmation du jugement, que les actes que la SCI Sana lui a fait délivrer les 13 mars et 3 mai 2018 soient déclarés nuls et que les baux dont elle est titulaire soient renouvelés pour neuf années à compter du 1er janvier 2018, aux mêmes clauses, charges et conditions, notamment de loyer.

La SCI Sana répond avoir refusé la demande de renouvellement des baux commerciaux par courriers recommandés du 23 octobre 2017. Elle ajoute avoir découvert, suivant procès-verbal de constat du 21 décembre 2017, soit postérieurement aux demandes de renouvellement, que la société Latard avait modifié les lieux loués en installant notamment une pièce en mezzanine dans l’atelier, en modifiant la toiture et en installant un velux, afin de créer des bureaux avec sanitaires. Elle précise que ces installations ne sont pas conformes aux normes de sécurité. Le bailleur explique avoir mis la société Latard en demeure de remettre les locaux selon leur configuration d’origine, sans effet pendant plus d’un mois, l’amenant à faire signifier à la locataire par acte extrajudiciaire du 3 mai 2018 un refus de renouvellement des trois baux commerciaux pour motifs graves et légitimes, rétractant ainsi son acceptation implicite du renouvellement. La SCI Sana demande donc à la cour de constater que pour chacun des trois baux, la société Latard est occupante sans droit ni titre depuis le 1er janvier 2018, d’ordonner son expulsion et de fixer le montant de l’indemnité d’occupation au triple de la valeur locative. Subsidiairement, la SCI Sana considère que le refus qu’elle a manifesté s’oppose au renouvellement des baux parce que d’une part, la sanction d’un refus de renouvellement sans offre d’indemnité d’éviction irrégulier ne réside pas dans le renouvellement du bail commercial, mais dans l’octroi d’une indemnité d’éviction, dès lors que la nullité n’affecte pas le refus de renouvellement, mais uniquement l’absence d’offre d’indemnité d’éviction et d’autre part, le refus de renouvellement pour motifs graves et légitimes jugé infondé vaut a minima exercice du droit d’option. La SCI Sana sollicite une mesure d’expertise afin de déterminer le montant de l’indemnité d’éviction.

*****

Sur la nullité de la mise en demeure du 13 mars 2018 et du congé portant refus de renouvellement du bail du 3 mai 2018

En application de l’article L.145-10 du code de commerce, il appartient au bailleur dans les trois mois de la notification de la demande de renouvellement du bail par le locataire, de faire connaître à son locataire, par acte extrajudiciaire, s’il refuse le renouvellement en précisant les motifs de ce refus. A défaut d’avoir fait connaître ses intentions dans ce délai, le bailleur est réputé avoir accepté le principe du renouvellement du bail précédent.

Par ailleurs, l’article L.145-60 du code de commerce dispose que ‘Toutes les actions exercées en vertu du présent chapitre se prescrivent par deux ans’.

La société Latard établit avoir sollicité le renouvellement des trois baux dont elle est titulaire à compter du 1er janvier 2018 par trois actes extrajudiciaires du 10 octobre 2017.

Par courrier recommandé du 23 octobre 2017, dont l’accusé de réception n’est toutefois pas communiqué, la SCI Sana a contesté la demande de renouvellement du bail. Cependant, cette réponse ne satisfait pas aux conditions de forme imposées par l’article L.145-10 du code de commerce et équivaut de ce fait à une absence de réponse du bailleur. La SCI Sana est donc présumée avoir accepté le principe du renouvellement du bail à compter du 1er janvier 2018.

La SCI Sana soutient néanmoins avoir fait valoir son droit de rétractation pour motifs graves et légitimes, en faisant signifier à la société Latard, en application des dispositions de l’article L.145-17 du code de commerce, un acte extrajudiciaire portant refus de renouvellement des baux pour motifs graves et légitimes sans offre d’indemnité d’éviction le 3 mai 2018.

L’acceptation du principe du renouvellement du bail résultant de l’absence de réponse du bailleur à une demande de renouvellement formée par son locataire ne présente effectivement qu’un caractère provisoire et ne fait pas obstacle à l’exercice ultérieur du droit d’option du bailleur qui refuse le renouvellement du bail en offrant le paiement d’une indemnité d’éviction.

En l’espèce, la SCI Sana a exercé son droit d’option, qui n’est soumis à aucune forme, dans les deux ans du renouvellement du bail consécutif à l’absence de réponse du bailleur dans les trois mois de la signification par le preneur de sa demande de renouvellement du bail.

L’acte du 3 mai 2018 rappelle qu’en application de l’article L.145-10 du code de commerce, ‘L’acte extrajudiciaire notifiant le refus de renouvellement doit, à peine de nullité, indiquer que le locataire qui entend, soit contester le refus de renouvellement, soit demander le paiement d’une indemnité d’éviction, doit saisir le tribunal avant l’expiration d’un délai de deux ans à compter de la date à laquelle est signifié le refus de renouvellement’.

Il appartenait donc au preneur de saisir le tribunal compétent dans les deux années de la notification du droit d’option, tant pour contester les motifs du refus de renouvellement que pour faire fixer l’indemnité d’éviction.

La société Latard a saisi le tribunal judiciaire de Nanterre le 3 mars 2020, soit dans les deux ans courant à compter de la signification par la SCI Sana de son droit d’option le 3 mai 2018, afin de voir constater le renouvellement des trois baux et donc de contester le refus de renouvellement.

Dans ces conditions, le jugement déféré doit être infirmé en ce qu’il a déclaré nuls les mises en demeure en date des 13 mars et 3 mai 2018 et le refus de renouvellement en raison de l’expiration d’un délai de deux ans entre la date de prise d’effet du bail renouvelé, le 1er janvier 2018 et l’acte introductif d’instance le 3 mars 2020.

Sur le bien-fondé du refus de renouvellement du bail pour motifs graves et légitimes sans offre d’indemnité d’éviction

L’article L.145-17 du code de commerce dispose que : ‘I.-Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail sans être tenu au paiement d’aucune indemnité : 1° S’il justifie d’un motif grave et légitime à l’encontre du locataire sortant. Toutefois, s’il s’agit soit de l’inexécution d’une obligation, soit de la cessation sans raison sérieuse et légitime de l’exploitation du fonds, compte tenu des dispositions de l’article L.145-8, l’infraction commise par le preneur ne peut être invoquée que si elle s’est poursuivie ou renouvelée plus d’un mois après mise en demeure du bailleur d’avoir à la faire cesser. Cette mise en demeure doit, à peine de nullité, être effectuée par acte extrajudiciaire, préciser le motif invoqué et reproduire les termes du présent alinéa ; 2° S’il est établi que l’immeuble doit être totalement ou partiellement démoli comme étant en état d’insalubrité reconnue par l’autorité administrative ou s’il est établi qu’il ne peut plus être occupé sans danger en raison de son état. II.-En cas de reconstruction par le propriétaire ou son ayant droit d’un nouvel immeuble comprenant des locaux commerciaux, le locataire a droit de priorité pour louer dans l’immeuble reconstruit, sous les conditions prévues par les articles L.145-19 et L.145-20″.

Il ressort du procès-verbal de constat d’huissier dressé le 21 décembre 2017 que l’atelier comporte une pièce à usage de bureau en mezzanine éclairée par une fenêtre de toit Velux et des sanitaires.

La SCI Sana prétend avoir découvert ces installations postérieurement aux demandes de renouvellement.

L’acte notarié de vente des locaux litigieux à la SCI Sana du 16 novembre 2012 ne comporte aucune description détaillée des locaux vendus à laquelle se référer, puisqu’il se contente d’indiquer que l’objet de la vente est : « Un ensemble immobilier composé de :

(…)

– Deux bâtiments de droite du fond composés de :

(…)

Au rez-de-chaussée au fond : partie local d’activité comprenant un atelier ».

Il ne peut donc être déduit de l’acte de vente que l’atelier ne comportait pas de mezzanine.

En outre, la société Latard communique un rapport de vérification électrique du 21 mars 2003, dont il ressort qu’à cette date, il existait dans l”atelier de menuiserie’ une ‘mezzanine’ et un ‘bureau’ (page 15). Le rapport d’expertise relatif à l’évaluation du bien immobilier de juillet 2011 évoque également une partie bureau dans l’atelier en page 8.

La SCI Sana ne peut donc sérieusement prétendre avoir découvert l’existence d’une mezzanine et d’un bureau à l’occasion du procès-verbal de constat du 21 décembre 2017, alors qu’il est démontré que cette installation existait déjà à la date de la vente de l’ensemble immobilier, et donc à la date de la reprise des baux par l’appelante, le 16 novembre 2012.

S’il ne ressort ni du rapport de vérification électrique du 21 mars 2003, ni du rapport d’expertise relatif à l’évaluation du bien immobilier de juillet 2011, que l’atelier était équipé d’une fenêtre de toit et de sanitaires, l’installation de ces équipements par le preneur, sans autorisation préalable du bailleur, ne caractérise pas un manquement du preneur de gravité suffisante pour justifier le refus de renouvellement du bail.

En outre, la SCI Sana prétend que l’huissier a ‘constaté que les installations n’étaient pas aux normes de sécurité en dépit de l’activité dangereuse réalisée dans les lieux’ sans fournir la moindre précision concernant les défauts de conformité allégués, qui ne ressortent au surplus pas de la lecture du procès-verbal du 21 décembre 2017.

Les motifs graves et légitimes invoqués par le bailleur, concernant au demeurant un seul des trois baux, ne sont donc pas fondés.

Néanmoins, comme le rappelle la SCI Sana, la sanction de cette absence de motifs graves et légitimes ne réside pas dans la nullité du refus de renouvellement, mais dans l’obligation faite au bailleur de payer l’indemnité d’éviction.

La demande de la société Latard tendant à voir constater que les trois baux dont elle était titulaire ont été renouvelés pour neuf années à compter du 1er janvier 2018 aux mêmes clauses, charges et conditions, ne peut aboutir, le refus de renouvellement signifié par la SCI Sana le 3 mai 2018 ayant mis fin aux baux.

Il convient de faire droit à la demande d’expertise formulée par la SCI Sana afin de recueillir tous les éléments utiles à la fixation du montant de l’indemnité d’occuption et de l’indemnité d’éviction s’agissant des trois baux. Mme [W] [P] sera désignée avec la mission décrite au dispositif de la décision. Le montant de la consignation, fixé à la somme de 10.000 €, sera mis à la charge de la SCI Sana.

En revanche, la SCI Sana doit être déboutée de sa demande tendant à voir ordonner l’expulsion de la société Latard.

En effet, l’article L.145-28 alinéa 1er du code de commerce dispose que’: “Aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d’éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l’avoir reçue. Jusqu’au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. Toutefois, l’indemnité d’occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections 6 et 7, compte tenu de tous éléments d’appréciation”.

En application de ces dispositions, le locataire évincé bénéficie ainsi d’un droit au maintien dans les lieux jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Compte tenu de la solution du litige, le jugement déféré sera infirmé du chef des dépens et des frais irrépétibles.

En application de l’article 696 du code de procédure civile, la société Latard sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.

En revanche, l’équité commande de débouter la SCI Sana de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions’;

Statuant à nouveau,

Déboute la société Latard de sa demande tendant à voir constater le renouvellement des trois baux dont elle était titulaire pour neuf années à compter du 1er janvier 2018 aux mêmes clauses, charges et conditions ;

Déclare mal fondé l’acte de refus de renouvellement desdits baux pour motifs graves et légitimes sans offre d’indemnité d’éviction du 3 mai 2018 ;

Constate que cet acte du 3 mai 2018 a néanmoins mis fin aux trois baux dont la société Latard était titulaire ;

Déboute la SCI Sana de sa demande tendant à voir ordonner l’expulsion de la société Latard ;

Ordonne une mesure d’expertise et commet pour y procéder :

Mme [W] [P]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

tél : [XXXXXXXX01]

mél : [Courriel 5]

avec la mission de :

– convoquer les parties, se faire remettre dans un délai qu’il lui appartiendra de fixer tous documents nécessaires à l’exécution de sa mission, entendre les parties en leurs dires et observations et y répondre,

– se rendre sur place, [Adresse 2], visiter les lieux afférents aux trois baux, les décrire, les photographier, en cas de contestation, les mesurer et dresser le cas échéant la liste du personnel employé par le locataire,

– s’entourer si besoin est de tout sachant et technicien de son choix,

– rechercher, en tenant compte des activités autorisées par le bail et des facilités offertes par la situation des lieux, tous éléments utiles à l’estimation de l’indemnité d’éviction pour chacun des trois baux :

1°) En cas de perte du fonds : valeur marchande déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, des frais et droits de mutation, de la réparation du trouble commercial et de tous autres postes de préjudice, ainsi que de la plus value en résultant,

2°) En cas de possibilité de transfert de fonds, sans perte conséquente de clientèle, sur un emplacement de qualité équivalente et en tout état de cause le coût d’un tel transfert comprenant l’acquisition d’un titre locatif avec les mêmes avantages que l’ancien, les frais et droits de mutation, les frais de déménagement et de réinstallation, la réparation du trouble commercial et de tous autres préjudices éventuels,

– fournir tous éléments permettant d’évaluer, par référence aux dispositions de l’article L.145-14 du code de commerce, le montant de l’indemnité d’occupation due par le preneur pour les 3 baux en cause à compter du 3 mai 2018, date de notification du refus de renouvellement du bail ;

Dit que l’expert commis, saisi par Ie greffe de la cour d’appel de Versailles :

1/ devra accomplir sa mission en présence des parties ou elles dûment appelées, les entendre en leurs dires, explications et réclamations et y répondre et, lorsque ces observations seront écrites, les joindre à son rapport si les parties le demandent et faire mention de la suite qui leur aura été donnée,

2/ devra impartir un délai de rigueur pour déposer les pièces justificatives qui lui paraîtraient nécessaires et, à l’expiration de ce délai, aviser le juge de la carence des parties,

3/ sauf accord contraire des parties, devra adresser à celles-ci une note de synthèse de ses observations et constatations,

4/ devra vérifier que les parties ont été à même de débattre des constatations ou des documents au vu desquels il entend donner son avis,

5/ devra fixer aux parties un délai pour formuler leurs dernières observations ou réclamations en application de l’article 276 du code de procédure civile et qu’il ne sera pas tenu de prendre en compte les transmissions tardives ;

Dit que l’expert devra procéder personnellement à ces opérations ;

Dit qu’au cas d’empêchement retard ou refus de l’expert commis il sera pourvu à son remplacement par ordonnance rendue sur requête ;

Dit que l’expert devra déposer un rapport de ses opérations au greffe de la cour d’appel de Versailles, service des expertises, dans un délai maximal de 8 mois à compter du jour ou il aura été avisé de la réalisation de la consignation, sauf prorogation du délai dûment sollicitée en temps utile auprès du magistrat chargé du contrôle des expertises ;

Subordonne l’exécution de la présente décision en ce qui concerne l’expertise à la consignation par la SCI Sana d’une somme de 10.000 € à titre de provision à valoir sur les frais et honoraires de l’expert au greffe de la cour d’appel de Versailles, service de la Régie des avances et recettes, dans un délai de cinq semaines à compter de la présente décision ;

Rappelle qu’à défaut de consignation dans ce délai, la désignation de l’expert sera caduque en vertu de l’article 271 du code de procédure civile ;

Dit que l’expert devra, lors de l’établissement de sa première note d’expertise, indiquer le calendrier des opérations et le coût prévisionnel de la mesure d’expertise, qu’il devra par la suite, avant toute demande de complément de consignation et toute demande de taxation communiquer aux parties ses mémoires prévisionnels et son mémoire définitif de frais et honoraires ;

Désigne le président de la 12ème chambre de la cour d’appel de Versailles pour surveiller les opérations d’expertise ;

Condamne la société Latard aux dépens de première instance et d’appel ;

Déboute la SCI Sana de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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