Droit de rétractation : décision du 12 janvier 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/01288
Droit de rétractation : décision du 12 janvier 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/01288
Ce point juridique est utile ?

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 9 – A

ARRÊT DU 12 JANVIER 2023

(n° , 12 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/01288 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CC6TQ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 novembre 2020 – Juge des contentieux de la protection de PANTIN – RG n° 11-20-000357

APPELANTE

La CAISSE D’ÉPARGNE ET DE PRÉVOYANCE IDF, société coopérative à forme anonyme à capital fixe agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié ès-qualités audit siège

N° SIRET : 382 900 942 00014

[Adresse 1]

[Localité 5]

représentée et assistée de Me Coralie-Alexandra GOUTAIL, avocat au barreau de PARIS, toque : A0201

INTIMÉS

Monsieur [N] [M]

né le [Date naissance 3] 1965 à [Localité 8]

[Adresse 4]

[Localité 6]

représenté et assisté de Me Marie-Pierre MATHIEU, avocat au barreau de PARIS, toque : B0295

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Partielle numéro 2021/023556 du 25/05/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de PARIS)

Madame [F] [X] épouse [M]

née le [Date naissance 2] 1973 à [Localité 7] (ALGÉRIE)

[Adresse 4]

[Localité 6]

représentée et assistée de Me Marie-Pierre MATHIEU, avocat au barreau de PARIS, toque : B0295

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/032300 du 06/07/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de PARIS)

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Muriel DURAND, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Muriel DURAND, Présidente de chambre

Mme Fabienne TROUILLER, Conseillère

Mme Laurence ARBELLOT, Conseillère

Greffière, lors des débats : Mme Camille LEPAGE

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Mme Muriel DURAND, Présidente et par Mme Camille LEPAGE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Selon offre préalable acceptée le 21 mai 2016, la société Caisse d’épargne et de prévoyance d’Île-de-France (la Caisse d’épargne) a consenti à M. [N] [M] et à Mme [F] [X] épouse [M] un crédit personnel d’un montant en capital de 40 000 euros remboursable en 120 mensualités de 404,98 euros hors assurance incluant les intérêts au taux nominal de 4 %, le TAEG s’élevant à 4,07 %.

Plusieurs échéances n’ayant pas été honorées, la Caisse d’épargne a entendu se prévaloir de la déchéance du terme.

Par actes du 1er juillet 2020, la Caisse d’épargne a fait assigner M. et Mme [M] devant le tribunal de proximité de Pantin en paiement du solde du prêt, lequel par jugement réputé contradictoire du 16 novembre 2020, a constaté la forclusion de la demande formulée par la Caisse d’épargne, dit la demande irrecevable, rejeté toutes les demandes de la Caisse d’épargne et laissé les dépens à sa charge.

Par déclaration réalisée par voie électronique le 18 janvier 2021, la Caisse d’épargne a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées par voie électronique le 25 novembre 2021, la Caisse d’épargne demande à la cour :

– d’infirmer le jugement,

– de la déclarer recevable en ses demandes,

– de constater que la déchéance du terme a été régulièrement prononcée, subsidiairement, de dire et juger qu’en l’absence de régularisation des échéances impayées, il y a lieu de prononcer la déchéance du terme du contrat objet de la présente ; encore plus subsidiairement de prononcer la résolution judiciaire du contrat,

– de condamner M. et Mme [M] solidairement à lui payer la somme de 23 843,49 euros outre intérêts au taux conventionnel de 4,07 % à compter du 18 décembre 2019, date de déchéance du terme, jusqu’au jour du parfait paiement,

– de débouter M. et Mme [M] de l’ensemble de leurs demandes,

– d’ordonner la compensation judiciaire des sommes allouées à chacune des parties,

– de condamner M. et Mme [M] solidairement à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Coralie Goutail, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Elle fait principalement valoir que l’historique du compte démontre que le premier incident de paiement non régularisé date du 7 décembre 2018 et que pour arriver à cette conclusion, elle n’a pas comptabilisé les annulations de retard qui apparaissent sur l’historique mais seulement les paiements effectivement réglés par les débiteurs. Elle précise que les « régularisations » sont des versements effectués par un moyen non habituel (chèque d’un tiers, chèque partiel, espèces) et que les « MSO » sont des mensualités prélevées sur ordre du débiteur en plus de l’échéance normale. Elle ajoute que les règlements effectués sont, aux termes de l’article IV-8 du contrat, imputés sur les échéances les plus anciennes. Elle précise que même sans prendre en compte la ligne intitulée régularisation, elle aurait agi dans les 2 ans du premier impayé non régularisé qui serait alors l’échéance du 7 novembre 2018.

En réponse aux conclusions de M. et Mme [M], elle rappelle que si la forclusion éteint l’action de la banque, elle n’éteint nullement la dette, qui subsiste alors en tant qu’obligation naturelle et morale et soutient que même si la forclusion est prononcée, elle n’a donc pas à rembourser les sommes versées par les emprunteurs après l’assignation dans le cadre d’un accord pris avec la banque. Elle ajoute que les règlements effectués ont été déduits, ce qui explique la différence des montants réclamés depuis la première instance.

Elle soutient que M. et Mme [M] ne peuvent se prévaloir de la déchéance du droit aux intérêts plus de 5 ans après la conclusion du contrat, ce moyen étant prescrit. A titre subsidiaire, elle soutient que le bordereau de rétractation est un document annexe à l’offre de prêt, que l’exemplaire de l’emprunteur n’en comprend pas nécessairement un et qu’il ne figure que dans l’exemplaire emprunteur, ce que M. et Mme [M] ont expressément reconnu en signant juste sous la clause de reconnaissance, que l’article III-2 du contrat rappelle aussi cette faculté et soulignent que M. et Mme [M] ne produisent pas leur exemplaire de l’offre.

Elle indique s’agissant de son devoir de mise en garde que celui-ci n’a pas lieu d’être en l’absence de risque de surendettement et que les revenus de M. et Mme [M] leur permettaient aisément de faire face aux remboursements et que les divers documents remis les mettaient suffisamment en garde. S’agissant de l’assurance, elle rappelle que celle-ci est facultative, que l’offre était accompagnée d’une fiche de conseil en assurance et qu’elle n’était pas tenue de proposer une assurance perte d’emploi.

Elle conteste toute irrégularité dans le prononcé de la déchéance du terme, ayant adressé une mise en demeure préalable en lettre recommandée avec accusé de réception impartissant un délai de 8 jours pour payer et n’ayant prononcé la déchéance du terme que postérieurement et souligne que M. et Mme [M] qui devaient contractuellement rembourser ne l’ont pas fait, ce qui constitue un manquement grave à leurs obligations.

Elle s’oppose à tout délai, observant que M. et Mme [M] ont déjà bénéficié de larges délais de fait et qu’aucune proposition n’est formulée.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 25 août 2021, M. et Mme [M] demandent à la cour :

– à titre principal de confirmer le jugement et y ajoutant de constater qu’ils ont payé 11 900 euros non comptabilisés par la Caisse d’épargne, d’ordonner le remboursement de cette somme augmentée des intérêts au taux légal à compter de leur paiement, les sommes étant indues du fait de la forclusion, de constater que le décompte de la banque est totalement erroné de ce fait et de la débouter de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

– à titre subsidiaire, de constater que la Caisse d’épargne ne justifie pas du bordereau de rétractation qui leur aurait été remis, d’ordonner en conséquence la déchéance du droit aux intérêts, de dire que les sommes perçues au titre des intérêts, qui sont productives d’intérêts au taux de l’intérêt légal à compter du jour de leur versement, sont restituées par le prêteur ou imputées sur le capital restant dû, de dire que la déchéance du terme n’a pas été valablement prononcée, en conséquence de dire qu’ils ne sont redevables que des échéances échues, arrêtées au mois d’août 2021, d’ordonner en conséquence à la banque de présenter un nouveau décompte, tenant compte de la déchéance des intérêts, et des versements effectués par eux ;

– en tout état de cause, de dire n’y avoir lieu à application de l’indemnité de résiliation de 8 % sur le capital restant dû, du fait de l’absence de déchéance du terme régulière et de l’absence de préjudice subi par la Caisse d’épargne et de son caractère excessif ;

– de dire que la Caisse d’épargne n’a pas respecté son devoir de mise en garde au regard de leur situation et de condamner en conséquence la Caisse d’épargne à leur payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

– de dire que la Caisse d’épargne n’a pas respecté ses obligations en ce qui concerne son devoir de conseil d’une assurance adaptée à leur situation, et de la condamner à leur payer une somme de 3 300 euros à titre de dommages et intérêts ;

– d’ordonner la compensation des sommes dues ;

– de leur accorder de larges délais de paiement ;

– en tout état de cause, de condamner la Caisse d’épargne à leur payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700-2 du code de procédure civile.

Ils font principalement valoir que depuis le 7 avril 2018, les échéances impayées n’ont plus jamais été régularisées et que la demande est forclose. Ils ajoutent qu’après l’assignation, ils ont fait des versements dont la banque n’a pas fait état devant le premier juge et qui doivent leur être remboursés du fait de la forclusion prononcée, que la banque a au surplus effectué un prélèvement de 500 euros alors que l’accord portait sur 200 euros par mois, les plaçant dans une situation difficile et les contraignant à suspendre les versements.

A titre subsidiaire, ils font valoir que le contrat ne comprend aucun bordereau de rétractation et que la déchéance du droit aux intérêts est encourue de ce chef. Ils soutiennent que la déchéance du terme est irrégulière dès lors que la mise en demeure qui leur a été envoyée le 2 décembre 2019, portait sur une somme de 953,22 euros sans explication et ne correspondant pas aux échéances mensuelles et qu’aucun courrier ne prononce clairement la déchéance du terme. Ils ajoutent que la banque n’a subi aucun préjudice et ne peut réclamer l’indemnité de 8 %. Ils font encore valoir que la banque n’a pas respecté son devoir de mise en garde et qu’elle s’est fondée sur le salaire du mois d’avril 2016 lequel était bien plus important que les autres et n’ont pas tenu compte des revenus réels et qu’elle a minoré les charges de loyer notamment si bien que leur taux d’endettement était de l’ordre de 45 %. Ils exposent que M. [M] était âgé de 51 ans au moment de l’octroi du prêt et exerçait l’activité de déménageur, qu’il a fait l’objet d’un licenciement pour inaptitude, n’étant plus en capacité de porter des poids de plus de 10 kg et qu’aucune mention ne lui permettait de savoir s’il était ou non garanti en cas de perte d’emploi alors qu’il s’agissait d’un événement prévisible et indiquent que la remise de la notice n’est pas suffisante.

Ils font état d’une situation financière particulièrement difficile, M. [M] ne touchant qu’une indemnité chômage et Mme [M] ne touchant plus que le RSA et leurs deux enfants étant toujours à charge.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 4 octobre 2022 et l’affaire a été appelée à l’audience le 15 novembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande en paiement

Le présent litige est relatif à un crédit souscrit le 21 mai 2016 soumis aux dispositions de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 de sorte qu’il doit être fait application des articles du code de la consommation dans leur rédaction en vigueur après le 1er mai 2011 et leur numérotation antérieure à l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 et au décret n° 2016-884 du 29 juin 2016 comme l’a justement fait le premier juge.

Sur la forclusion

L’article L. 311-37 du code de la consommation, applicable à la date du contrat (devenu R. 312-35), dispose que les actions en paiement à l’occasion de la défaillance de l’emprunteur dans le cadre d’un crédit à la consommation, doivent être engagées devant le tribunal dans les deux ans de l’événement qui leur a donné naissance à peine de forclusion.

Il résulte de l’historique de compte que depuis l’origine du crédit, les sommes suivantes ont été réglées par M. et Mme [M] avant l’assignation, étant précisé que les prélèvements MSO comme la régularisation doivent être comptabilisés comme des versements.

Il en résulte qu’en assignant le 1er juillet 2020, la Caisse d’épargne n’était pas forclose en son action, la première échéance non régularisée étant celle du mois de décembre 2018 et que même si le règlement de 500 euros n’avait pas été pris en compte, elle n’aurait pas non été forclose, puisqu’en ce cas la dernière mensualité non régularisée aurait été celle du mois de novembre 2018.

Elle est donc recevable et le jugement doit donc être infirmé.

Sur la déchéance du droit aux intérêts

1- Sur la prescription du moyen

La prescription est sans effet sur l’invocation d’un moyen qui tend non pas à l’octroi d’un avantage, mais seulement à mettre en échec une prétention adverse.

C’est ainsi que, défendant à une action en paiement du solde d’un crédit à la consommation, les emprunteurs peuvent opposer tout moyen tendant à faire rejeter tout ou partie des prétentions du créancier par application d’une disposition du code de la consommation prévoyant la déchéance du droit aux intérêts, sans se voir opposer la prescription, pour autant qu’ils n’entendent pas en obtenir un autre avantage tel le remboursement d’intérêts indûment acquittés.

Ce moyen peut également être soulevé d’office par le juge en application de l’article L. 141-4 devenu R. 632-1 du code de la consommation après avoir recueilli les observations des parties.

En conséquence, il convient d’écarter la fin de non-recevoir soulevée par la Caisse d’épargne.

2- Le bordereau de rétractation

Il résulte de l’article L. 311-12 du code de la consommation devenu L. 312-21 qu’afin de faciliter l’exercice par l’emprunteur de son droit de rétractation, « un formulaire détachable est joint à son exemplaire du contrat de crédit », lequel doit aux termes de l’article R. 311-4 du même code (devenu R. 312-9) être établi conformément à un modèle type et ne peut comporter au verso aucune mention autre que le nom et l’adresse du prêteur.

Il résulte de l’article L. 311-48 al.1 du code de la consommation (devenu L. 341-4) que lorsque le prêteur n’a pas respecté les obligations fixées à l’article L. 311-12, il est déchu du droit aux intérêts.

La reconnaissance écrite, par l’emprunteur, dans le corps de l’offre préalable juste au-dessus de leur signature, de la remise d’un bordereau de rétractation détachable joint à cette offre laisse présumer la remise effective de celui-ci.

Faute pour M. et Mme [M] de produire leur contrat, ils ne renversent pas cette présomption et ne démontrent pas l’absence de remise du bordereau ou, à défaut, son caractère irrégulier, et ne peuvent donc se prévaloir de la déchéance du droit aux intérêts du prêteur pour ce motif.

M. et Mme [M] admettent que la Caisse d’épargne produit aux débats le contrat de prêt et l’ensemble des annexes ainsi que les justificatifs remis par les emprunteurs et ne réclament la déchéance du droit aux intérêts sur aucun autre fondement.

Il n’y a pas lieu à déchéance du droit aux intérêts.

Sur la déchéance du terme

Le contrat comprend une clause de déchéance du terme.

La Caisse d’épargne justifie avoir mis M. et Mme [M] en demeure le 2 décembre 2019 de lui payer la somme de 953,22 euros correspondant aux échéances impayées majorées des indemnités légales. Cette mise en demeure, envoyée par lettre recommandée avec accusé de réception qui leur impartissait un délai de régularisation de 8 jours et mentionnait qu’à défaut ils seraient poursuivis pour paiement du solde du contrat soit 33 908,72 euros outre les indemnités légales, intérêts de retard et frais de justice, est donc parfaitement claire et correspond à 2 mensualités majorées de l’indemnité de 8 % prévue par l’article D. 311-7 devenu D. 312-17 du code de la consommation.

M. et Mme [M] ne soutiennent ni ne démontrent qu’ils étaient à jour du contrat à cette date pas plus qu’ils ne soutiennent ni ne démontrent avoir payé les sommes réclamées, lesquelles étaient ainsi qu’il résulte de l’historique de compte de ce montant, la banque ayant accordé des « annulations de retard » qui sont des reports dont il n’a pas été tenu compte pour le calcul de la forclusion.

Elle les a ensuite mis en demeure le 18 décembre 2019 d’avoir à payer la somme totale de 36’943,48 euros. Ce faisant elle a clairement montré qu’elle réclamait la totalité des sommes dues et ce même si les mots de « déchéance du terme » n’étaient pas employés.

C’est donc de manière légitime que la Caisse d’épargne s’est prévalue de la déchéance du terme.

Sur le montant des sommes dues

En application de l’article L. 311-24 du code de la consommation (devenu L. 312-39) en cas de défaillance de l’emprunteur, le prêteur pourra exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, majoré des intérêts échus mais non payés. Jusqu’à la date du règlement effectif, les sommes restant dues produisent les intérêts de retard à un taux égal à celui du prêt. En outre, le prêteur pourra demander à l’emprunteur défaillant une indemnité qui, dépendant de la durée restant à courir du contrat et sans préjudice de l’application des articles 1152 et 1231 du code civil, sera fixée suivant un barème déterminé par décret.

L’article D. 311-6 devenu D. 312-16 du même code dispose que le prêteur peut demander une indemnité égale à 8 % du capital restant dû à la date de défaillance. Aucune autre pénalité notamment de retard ne peut être exigée par le prêteur.

La Caisse d’épargne produit outre les pièces déjà discutées plus avant, le tableau d’amortissement, l’historique de prêt et un décompte de créance.

Il en résulte qu’elle est fondée à obtenir paiement des sommes dues à la date de déchéance du terme soit :

– au titre des échéances impayées au jour de la déchéance du terme le 18 décembre 2019 :

à cette date 42 échéances étaient échues. La première échéance était de 465,49 euros et les suivantes de 432,98 euros soit un total de 465,49 + (41 X 432,98) = 18’217,67 euros à déduire les sommes versées telles qu’elles résultent du tableau ci-dessus de 12 939,16 euros = 5’278,51 euros

– au titre du capital restant dû après imputation de l’échéance de décembre 2019 :

27 775,35 euros

– à déduire les règlements effectués par M. et Mme [M] à hauteur de 12 200 euros, étant observé que M. et Mme [M] ne démontrent pas avoir versé davantage,

soit un total de 20 853,86 euros majorée des intérêts au taux de 4 % à compter du 19 décembre 2019.

Elle est en outre fondée à obtenir une indemnité de résiliation de 8 % laquelle apparaît excessive et doit être réduite à la somme de 1 euro et produire intérêts au taux légal à compter du 19 décembre 2019.

La cour condamne donc M. et Mme [M] solidairement à payer ces sommes à la Caisse d’épargne.

Sur la responsabilité de la banque

Au titre de son devoir de mise en garde

Les intimés invoquent une violation de mise en garde de la banque et réclament une somme de 10 000 euros en réparation de leur préjudice.

Il est admis que dans la relation entre un professionnel du crédit et son client, le premier a un devoir de mise en garde du second lorsque l’opération litigieuse présente un risque d’endettement excessif et lorsque le second n’est pas un emprunteur averti.

Ce devoir oblige le banquier, avant d’apporter son concours, à vérifier les capacités financières de son client et à l’alerter des risques encourus. Le devoir de mise en garde n’existe donc qu’à l’égard de l’emprunteur profane et n’existe qu’en cas de risque d’endettement excessif.

La transposition en droit interne de la Directive n° 2008/48/CE du 23 avril 2008 concernant les crédits à la consommation par la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 a renforcé les obligations formelles imposées au fournisseur de crédit dans le but manifeste de protéger les intérêts du consommateur face au professionnel en imposant des modalités spécifiques d’information et d’explication notamment dans la phase précontractuelle.

Pour autant, ces dispositions spéciales ne prévoient pas de dispenser le fournisseur professionnel de crédit de ses obligations de droit commun, ce qui serait contraire à l’esprit du texte, ni de s’y substituer.

Il s’induit que le respect des dispositions des articles L. 311-1 et suivants du code de la consommation n’exclut pas, par lui-même, l’existence d’un devoir général de mise en garde du prêteur en présence d’un emprunteur non averti exposé à un risque d’endettement excessif.

En revanche, dès lors que toutes les dispositions précitées ont été satisfaites, il incombe à l’emprunteur qui se prévaut d’un défaut de mise en garde, de rapporter la preuve que des circonstances de fait particulières, connues du prêteur requéraient du professionnel un avertissement spécifique au-delà des exigences des articles L. 311-1 et suivants précités.

En l’espèce, M. et Mme [M] qui justifiaient d’un revenu mensuel de 1 574 euros en 2015 et avaient produit un bulletin de salaire d’avril 2016 de 2 352,42 euros dont ils soutiennent aujourd’hui qu’il était exceptionnel, ont déclaré un revenu en 2016 de 20 289 euros soit mensuellement 1 690 euros et recevaient en outre chaque mois des prestations de la CAF de 521,42 euros, APL comprise. Leur revenu moyen en 2016 s’élevait donc à 2 211,42 euros soit un peu plus que ce qui a été retenu sur la fiche de dialogue qui mentionne un revenu de 2 191 euros mensuel sans détailler entre le revenu et les prestations CAF et qui n’a donc pas été gonflé. Les mensualités du prêt étant de 432,98 euros, elles représentaient 19,60 % du revenu.

Pour autant, il convient de retenir que M. et Mme [M] ont déclaré sur cette même fiche de dialogue un loyer de 324 euros lequel tient déjà compte de la déduction de l’APL de 133 euros, par ailleurs déjà comptabilisée dans les prestations de la CAF et donc dans le revenu, ce que la banque ne pouvait ignorer puisqu’elle disposait à la fois du décompte détaillé de la CAF et d’autre part de la quittance de loyer si bien que cette allocation a donc été comptée 2 fois et que le loyer était en réalité de 457 euros et qu’une fois réglé il ne leur restait plus pour 4 personnes que la somme de 2 211,42 euros ‘ 457 euros = 1 754 euros pour faire face à toutes les charges courantes. Une fois déduite la mensualité du crédit envisagé de 432,98 euros, il ne restait plus à la famille que 1 321,02 euros pour vivre soit par personne 330,25 euros.

Le crédit était prévu sur 10 ans. Le risque d’endettement était donc manifeste et la banque était par conséquent tenue par un devoir de mise en garde à leur encontre qu’elle ne démontre pas avoir respecté puisqu’elle soutient qu’elle n’y était pas tenue.

Dès lors, le préjudice de M. et Mme [M] s’analyse en une perte de chance de ne pas souscrire de crédit s’ils avaient été correctement mis en garde laquelle sera justement réparée par l’allocation d’une somme de 6’000 euros au regard de la situation d’endettement dans laquelle ils se trouvent aujourd’hui.

Au titre du devoir de conseil pour l’assurance

Les intimés font valoir que la banque aurait dû leur conseiller de prendre une assurance perte d’emploi compte tenu de l’âge de M. [M] et de son secteur d’activité, s’agissant d’un prêt d’une durée de 10 ans, souscrit à l’âge de 51 ans alors qu’il exerçait dans le secteur privé, l’activité de déménageur depuis de longues années (20 ans) et réclament une somme de 3 000 euros en réparation de leur préjudice.

Force est de constater que la fiche conseil en assurance qui ne prévoit que les garanties décès, perte totale et irréversible d’autonomie et incapacité totale de travail, ne mentionne aucunement qu’il est aussi possible de se garantir contre la perte d’emploi. Si la fiche conseil n’est pas ambiguë et si M. et Mme [M] n’ont pu se méprendre sur le fait que le licenciement n’était pas garanti, il reste que la banque, qui est tenue d’éclairer l’emprunteur sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle, se devait effectivement dans la mesure où les contrats qu’elle proposait ne garantissaient pas le licenciement, d’indiquer aux emprunteurs l’intérêt d’une telle couverture au regard de leur situation et qu’ils devaient s’ils souhaitaient la souscrire, se diriger vers une autre assurance que l’assurance groupe qu’elle proposait et les risques encourus s’ils ne la souscrivaient pas.

Pour autant, la perte de chance qui en résulte doit être appréciée au regard du surcoût très important qu’aurait représenté une telle assurance et elle sera justement réparée par l’allocation d’une somme de 500 euros.

Il convient d’ordonner la compensation des créances réciproques.

Sur les délais de paiement

Il doit être fait droit à la demande de délais de paiement de M. et Mme [M] qui justifient d’une situation financière obérée et dont l’arrêt des paiements était justifié au regard de la teneur de la première décision qui avait déclaré la Caisse d’épargne forclose en son action.

Il y a donc lieu de leur permettre de s’acquitter des sommes dues en 23 mensualités de 300 euros s’imputant sur le capital, le solde lors de la 24ème mensualité et de prévoir une clause de déchéance du terme en cas de non-respect de ces modalités.

Sur les autres demandes

M. et Mme [M] qui succombent doivent être condamnés aux dépens de première instance. En revanche rien ne justifie qu’ils soient condamnés aux dépens d’appel, alors que n’ayant été ni présents ni représentés en première instance, ils n’avaient fait valoir aucun moyen ayant pu conduire le premier juge à statuer comme il l’a fait. La Caisse d’épargne aura donc la charge des dépens d’appel.

Il apparaît en outre équitable de laisser supporter à la Caisse d’épargne la charge de ses frais irrépétibles et ne pas faire application des dispositions de l’article sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare la société Caisse d’épargne et de prévoyance d’Île-de-France recevable en son action non forclose ;

Dit n’y avoir lieu à déchéance du droit aux intérêts contractuels ;

Condamne M. [N] [M] et à Mme [F] [X] épouse [M] solidairement à payer à la société Caisse d’épargne et de prévoyance d’Île-de-France les sommes de 20 853,86 euros majorée des intérêts au taux de 4 % à compter du 19 décembre 2019 au titre du solde du prêt et de 1 euro majorée des intérêts au taux légal à compter du 19 décembre 2019 au titre de l’indemnité légale de résiliation ;

Condamne la société Caisse d’épargne et de prévoyance d’Île-de-France à payer à M. [N] [M] et à Mme [F] [X] épouse [M] la somme de 6 000 euros avec intérêts au taux légal à compter de ce jour au titre du non-respect de son devoir de mise en garde ;

Condamne la société Caisse d’épargne et de prévoyance d’Île-de-France à payer à M. [N] [M] et à Mme [F] [X] épouse [M] la somme de 500 euros avec intérêts au taux légal à compter de ce jour au titre du non-respect de son devoir de conseil en assurance ;

Ordonne la compensation des créances réciproques ;

Autorise M. [N] [M] et à Mme [F] [X] épouse [M] à s’acquitter des sommes restant dues en 23 mensualités de 300 euros s’imputant prioritairement sur le capital, la première dans les 10 premiers jours du mois suivants celui de la signification de la décision et les suivantes au plus tard le 10 de chacun des mois suivants, le solde lors de la 24ème mensualité ;

Dit qu’à défaut de paiement à bonne date d’une seule mensualité, la totalité de la somme deviendra exigible ;

Condamne M. [N] [M] et à Mme [F] [X] épouse [M] in solidum aux dépens de première instance ;

Condamne la société Caisse d’épargne et de prévoyance d’Île-de-France aux dépens d’appel ;

Dit que les dépens seront recouvrés comme en matière d’aide juridictionnelle ;

Rejette les demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La greffière La présidente

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x