Augmentation de capital : décision du 22 juin 2022 Cour d’appel de Montpellier RG n° 19/02820
Augmentation de capital : décision du 22 juin 2022 Cour d’appel de Montpellier RG n° 19/02820
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COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

1re chambre sociale

ARRET DU 22 JUIN 2022

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 19/02820 – N° Portalis DBVK-V-B7D-OD5K

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 18 FEVRIER 2019

CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER – N° RG F17/00018

APPELANTE :

Madame [A] [L]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Maître Jérôme BRESO de la SELARL LEXIATEAM SOCIETE D’AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué par Maître PICARD Charlène, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMEE :

S.A.S [W] DE BERENAS

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Maître Fanny LAPORTE de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, avocat postulant au barreau de MONTPELLIER et Maître Marc BOISSEAU de la SELEURL MARC BOISSEAU, avocat plaidant au barreau de PARIS

Ordonnance de clôture du 30 Mars 2022

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 AVRIL 2022, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :

Monsieur Georges LEROUX, Président de chambre

Madame Florence FERRANET, Conseillère

Madame Véronique DUCHARNE, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffière, lors des débats : Madame Isabelle CONSTANT

ARRET :

– Contradictoire

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

– signé par Madame Florence FERRANET, Conseiller, le Président étant empêché, et par Madame Isabelle CONSTANT, Greffière.

*

**

EXPOSÉ DU LITIGE

La SAS Bérénas, ayant pour activité l’exploitation d’un domaine de 20 hectares de vignes en cave particulière à [Localité 4], était dirigée par M. [W] [N].

A la suite du décès brutal de ce dernier le 6 novembre 2013, la propriétaire et dirigeante de l’exploitation, Mme [R] [N], mère de M. [W] [N], a confié la direction de fait du domaine à Mme [A] [L] qui était la compagne de son fils décédé.

La SCI Beauséjour gérée par Mme [R] [N] est propriétaire d’une maison d’habitation située sur le domaine viticole.

Selon contrat de travail à durée indéterminée à effet au 2 janvier 2014, Mme [A] [L] a été engagée par la SAS Bérénas en qualité de « directeur général opérationnel », statut de cadre dirigeant, moyennant une rémunération annuelle fixe de base de 35.000 € brut versée en 12 mensualités égales, soit 2.916,66 € brut par mois.

Par jugement du 3 octobre 2014, le tribunal de commerce de Montpellier a, sur assignation de la MSA, ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la SAS Bérénas.

Par jugement du 20 novembre 2015, il a pour l’essentiel :

– Arrêté le plan de redressement par voie de cession totale du fonds de commerce de la SAS Bérénas au profit de trois cessionnaires, MM. [G] [X], [H] [K] et [D] [J] [E] et fixé sa durée à 1 an, M. [H] [K] étant désigné comme étant tenu d’exécuter le plan,

– Dit que les cessionnaires pourront être substitués par la SAS « [W] de Bérénas » qui sera constituée,

– Dit que les quatre contrats de travail de l’exploitation seront repris (un directeur général opérationnel, un ouvrier qualifié, un assistant commercial et un régisseur).

Le 15 décembre 2015, la SAS [W] de Bérénas a été créée, M. [H] [K] en étant le président.

Le 14 janvier 2016, celui-ci ès qualités a délégué ses pouvoirs au profit de la salariée en matière administrative et financière, commerciale, bancaire et d’hygiène et de sécurité, l’acte de délégation signé entre les parties précisant que le président de la SAS [W] de Bérénas se réservait la faculté de suspendre ou de retirer tout ou partie des pouvoirs délégués sans qu’en résulte une modification de la qualification de la salariée.

Par courriel du 8 juillet 2016, M. [G] [X] a indiqué à la salariée :

– Que les associés de la SAS [W] de Bérénas ne souhaitaient pas que la société participe directement ou indirectement à une activité de réceptions et de chambre d’hôtes ou locations meublées,

– Que la SAS [W] de Bérénas était contrainte d’acquérir la maison ‘ dans laquelle la salariée était hébergée – et les parcelles appartenant à la SCI Beauséjour, précisant que la salariée pourrait louer à son profit la maison pour un loyer annuel de 30.000 € soit 2.500 € par mois, ce qui lui permettrait d’exercer l’activité de réceptions et de chambres d’hôtes.

Le 18 août 2016, la salariée a été placée en arrêt de travail jusqu’au 2 septembre 2016 pour « burn-out », cet arrêt étant prolongé régulièrement pour « syndrome anxieux réactionnel/burn-out ».

Par lettre du 28 août 2016, la salariée a :

– Demandé à M. [H] [K] de lui préciser les mandats et fonctions attribués à M. [Z] [S], celui-ci intervenant au sein du domaine depuis février 2016 et l’excluant de tous les processus de décision,

– Attiré l’attention du président sur les risques liés à cette ingérence dans la gestion du domaine pendant la durée de son arrêt de travail et indiqué son refus d’endosser toute responsabilité du fait des décisions qui seraient prises par M. [Z] [S].

Par lettre du 13 septembre 2016, M. [H] [K] lui a rappelé que M. [Z] [S] était actionnaire de la SAS [W] de Bérénas après souscription partielle à une augmentation de capital et lui a notifié la suspension de sa délégation de pouvoirs pendant son arrêt de travail.

Par lettre du 4 octobre 2016, l’employeur a demandé à la salariée de restituer les clefs et la carte grise du véhicule Ford Mondeo appartenant à la société avant de lui indiquer par courriel du même jour qu’elle pouvait conserver la voiture pour ses déplacements privés pendant son arrêt de travail.

Par courrier du 25 octobre 2016, le conseil de la salariée a fait état de la souffrance au travail de sa cliente ayant conduit à son arrêt de travail et a proposé de mettre un terme à ce différend à l’amiable.

Le 9 novembre 2016, par acte d’huissier de justice, la SCI Beauséjour a fait sommation à la salariée et à deux membres de sa famille, de quitter les lieux lui appartenant.

Par requête enregistrée le 11 janvier 2017, faisant valoir qu’elle avait été victime de harcèlement moral à compter de mars 2016 et que des rappels de salaire lui étaient dus, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Montpellier en résiliation judiciaire de son contrat de travail et en condamnation de diverses indemnités de rupture.

Le 2 février 2017, la SAS [W] de Bérénas a fait signifier à la salariée une sommation interpellative aux fins de restitution de divers biens appartenant à l’entreprise.

Par jugement du 18 février 2019, le conseil de prud’hommes a :

– Dit et jugé que l’employeur avait modifié unilatéralement le contrat de travail de Mme [A] [L] ,

– Prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [A] [L] aux torts exclusifs de l’employeur,

– Condamné la SAS [W] de Berenas à payer à Mme [A] [L] les sommes suivantes :

* 12 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 3 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par l’exécution déloyale du contrat de travail,

* 1 637,83 € à titre d’indemnité légale de licenciement,

* 6 340 € brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 634 € de congés payé sur préavis,

* 6 438 € en compensation de la dotation en vin non perçue par la salariée,

– Dit n’y avoir lieu de condamner la SAS [W] de Berenas au paiement des intérêts légaux,

– Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire au-delà de l’exécution provisoire de droit,

– Dit et jugé que le véhicule Ford Mondeo n’était pas un véhicule de fonction attribué à Mme [A] [L] et ordonné à cette dernière de le restituer avec sa carte grise à la SAS [W] de Berenas,

– Condamné la SAS [W] de Berenas à verser à Mme [A] [L] la somme de 1.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,

– Débouté les parties de toute autre demande,

– Condamné la SAS [W] de Berenas aux entiers dépens.

Par déclaration enregistrée au RPVA le 24 avril 2019, la salariée a régulièrement interjeté appel de ce jugement.

Le 1er octobre 2019, la salariée a été déclarée inapte à son poste de travail, le médecin du travail ayant coché les cases correspondant aux indications suivantes :

– « Tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé »

– « L’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».

Par lettre du 16 octobre 2019, l’employeur l’a convoquée à un entretien préalable fixé le 29 octobre suivant.

Par lettre du 8 novembre 2019, il lui a notifié son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Aux termes de ses dernières conclusions enregistrées au RPVA le 6 septembre 2021, Mme [A] [L] demande à la Cour de :

– Dire et juger recevable et bien fondé son appel ;

– Confirmer le jugement déféré en ce qu’il a prononcé la résiliation judiciaire de son contrat de travail et condamné la SAS [W] de Berenas à lui payer les sommes au titre de la rupture, de la compensation de la dotation en vin non perçue et au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

– L’infirmer pour le surplus ;

A titre principal, sur la résiliation judiciaire, de dire et juger qu’elle a été victime de harcèlement moral et que l’employeur a modifié unilatéralement son cadre de travail ;

A titre subsidiaire, sur son licenciement pour inaptitude, de dire et juger que son licenciement pour inaptitude est la conséquence du harcèlement moral subi et qu’il est nul ou sans cause réelle et sérieuse ;

En tout état de cause, de :

– Dire et juger que la procédure de licenciement est irrégulière ;

– Condamner la SAS [W] de Berenas à lui payer les sommes suivantes :

* 38 040 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par le harcèlement moral,

* 76 080 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse,

* 19 020 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par l’exécution déloyale du contrat de travail,

* 1 666,20 € au titre des frais d’entretien du véhicule de fonction payés par elle,

* 3 170 € au titre de dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement en l’absence de notification de l’impossibilité de reclassement ;

– Dire et juger que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes ;

– Ordonner à l’employeur de lui restituer la ligne téléphonique qui lui a été transférée ;

– Condamner l’employeur à lui verser la somme de 4 000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

– Débouter l’employeur de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions reconventionnelles ;

– Le condamner aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions enregistrées au RPVA le 26 octobre 2021, la SAS [W] de Berenas demande à la Cour de :

– Réformer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne le véhicule Ford Mondeo qui a été restitué ;

A titre principal, de :

– Constater que Mme [L] ne rapporte pas la preuve ni de l’existence d’un harcèlement moral exercé par l’employeur ni de modification du contrat de travail à l’initiative de celui-ci telle, que la rupture du contrat de travail devrait être prononcée aux torts de l’employeur ;

– La débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

Très subsidiairement, de limiter les dommages et intérêts à 3 mois en sus des indemnités légales de licenciement, le salaire de Mme [L] étant de 2 934,17 € brut par mois ;

– Condamner Mme [L] à lui payer la somme de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’en tous les dépens.

Pour l’exposé des prétentions des parties et leurs moyens, il est renvoyé, conformément à l’article 455 du Code de procédure civile, à leurs conclusions ci-dessus mentionnées et datées.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 30 mars 2022.

MOTIFS

Lorsqu’un salarié demande la résiliation de son contrat de travail et que l’employeur le licencie ultérieurement, le juge doit d’abord rechercher si la demande de résiliation du contrat de travail est justifiée et, dans le cas contraire, doit se prononcer sur le licenciement notifié par l’employeur.

En l’espèce, la salariée a introduit l’instance prud’homale le 11 janvier 2017 et son licenciement est intervenu le 8 novembre 2019. Il y a lieu en conséquence d’analyser en premier lieu la demande au titre de la résiliation judiciaire.

Sur la résiliation judiciaire en raison du harcèlement moral.

Pour obtenir la résiliation judiciaire d’un contrat de travail, le salarié doit faire état de manquements de l’employeur, d’une gravité suffisante, et de l’impossibilité de poursuivre la relation de travail.

Selon l’article L.1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En cas de litige, l’article L.1154-1 du même Code prévoit que le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l’espèce, la salariée fait valoir à titre principal qu’elle a été victime d’un harcèlement moral de la part de l’employeur, celui-ci lui ayant retiré son logement de fonction, son véhicule de fonction ainsi que ses fonctions et lui ayant donné ordres et contre-ordres ; ce qui a entraîné son arrêt de travail pour « burn-out » puis son inaptitude définitive à la reprise du poste.

Elle en conclut qu’en raison des agissements de harcèlement moral à son égard, la résiliation de son contrat de travail doit être prononcée, laquelle produit les effets d’un licenciement nul.

Elle verse aux débats les éléments suivants :

– Un courrier et la candidature à la reprise des biens de la SAS Bérénas, datés du 23 octobre 2015, émanant des trois futurs cessionnaires et adressé à l’administrateur judiciaire, relatif à l’offre à produire devant le tribunal de commerce et notamment à la reprise de la totalité du personnel ; la candidature précise que par une offre séparée, ils traitent la jouissance des bâtiments appartenant à la SCI Beauséjour, les détenteurs des parts de celle-ci souhaitant maintenir Mme [A] [L] en habitation dans les lieux du défunt,

– Le rapport de l’administrateur déposé au tribunal de commerce exposant que

M. [W] [N] avait été affecté dans la gestion du domaine par de nombreux décès de proches et qu’à son propre décés, les banques ont cessé d’accorder leurs concours,

– Un courriel du 25 mai 2016 de M. [G] [X] demandant à la salariée de lui adresser un budget locatif relatif à la grange servant aux manifestations « qui seront organisées »,

– Le courriel du 8 juillet 2016 adressé par M. [G] [X] à la salariée relatif à l’interdiction des activités réceptions et chambres d’hôtes et à la location de la maison occupée par la salariée, celle-ci pouvant alors créer une activité de réceptions et chambres d’hôtes,

– La sommation d’avoir à quitter les lieux signifiée le 9 novembre 2016 à tous les occupants de ces biens immobiliers (la salariée d’une part et la fille de celle-ci ainsi que son compagnon d’autre part) ; l’appelante ayant déclaré à l’huissier de justice : « Je suis à la recherche active d’un logement et dès que j’aurai trouvé, je rendrai les lieux »,

– Le courrier de l’employeur du 4 octobre 2016 lui interdisant la conduite du véhicule Ford Mondeo appartenant à la société et lui demandant de lui remettre immédiatement les clés et la carte grise ainsi que le courriel du même jour l’autorisant finalement à conserver le véhicule pour ses déplacements privés pendant son arrêt de travail,

– La sommation interpellative signifiée le 2 février 2017 à la salariée lui demandant de remettre les biens appartenant à l’entreprise, notamment le véhicule Ford Mondeo,

– Des courriels du mois de juillet 2016 dont il ressort que M.[Z] [S] passait des commandes et donnait des instructions directement à la secrétaire commerciale,

– Un courriel adressé le 20 juillet 2016 à la salariée par M. [G] [X], aux termes duquel il lui indique ; «Aucun investissement de quelque nature qu’elle soit ne peut être fait sans l’accord des associés principaux de la SAS [W] de Bérénas ([D], [H] et moi-même). En conséquence, le fait que tu commandes les rayonnages sans passer par nous, déroge à la règle. Nous te demandons de t’y conformer »,

– Le courrier de l’appelante à M. [H] [K] relatif à l’ingérence de M. [Z] [S] et au fait notamment que celui-ci, sans la prévenir, s’est présenté sur le site internet de l’entreprise comme le propriétaire du domaine « racheté en 2013 après le décès de son ami [W] », qu’il l’a présentée aux journalistes comme la « responsable des petites animations sur le domaine » ou « l’ex-propriétaire » et qu’il a dit à la secrétaire que toute décision devait être désormais validée par lui-même,

– Les attestations régulières de son frère, M. [B] [L], et de sa fille Mme [M] [C], lesquels indiquent en substance que les cessionnaires, sous couvert de venir en aide à leur soeur/mère en souvenir de son compagnon décédé, l’ont finalement évincée du domaine alors qu’elle s’y était consacrée entièrement avec M.[W] [N] depuis son acquisition en 2005, au moyen d’un prêt consenti par ses propres parents ; la fille de l’appelante annexe à son attestation notamment la preuve de ce que les événements organisés étaient assurés,

– Divers articles de presse de 2006 à 2013, des attestations régulières en la forme de clients ainsi que des avis Tripadvisor (annexés à l’attestation de sa fille) dont il résulte que le couple avait créé des activités destinées à attirer la clientèle, telles qu’un festival musical désigné sous le nom « les jardins de Bérénas » et que l’appelante avait organisé notamment un restaurant éphémère ou un « rassemblement de foodivores » pour fêter les vendanges, ces événements attirant la clientèle,

– Des courriels antérieurs au décès de son compagnon montrant qu’elle était impliquée avec lui dans l’exploitation du domaine ainsi que des courriels envoyés début février 2016 établissant qu’elle avait de multiples missions (relations avec les douanes, organisation des opérations de mise en bouteilles…),

– Le contrat de travail qui stipule notamment que les fonctions et attributions de la salariée, « directeur général opérationnel » et cadre dirigeant, consistent à assurer « la gestion quotidienne de la Société et la bonne mise en oeuvre de l’objet social, dans le respect des lois et règlement en vigueur » et que ses missions seront principalement les suivantes :

« L’organisation de la vente et de la distribution des produits vendus par l’entreprise, la promotion des produits de l’entreprise par tous moyens utiles, l’organisation et le suivi de la bonne organisation de la Société, en particulier la coordination et la supervision des collaborateurs placés sous son autorité, l’élaboration de la politique financière de la société, l’établissement des comptes sociaux, la gestion des comptes bancaires, l’accomplissement de toute déclaration administrative et du paiement de toute somme due en temps utile, tant en matière fiscale que sociale, le respect des dispositions légales et réglementaires applicables en matière de sécurité (…) »,

– Deux courriers recommandés avec accusé de réception du 26 septembre 2016 de l’employeur demandant à la salariée d’une part, des précisions sur la présence lors des manifestations organisées dans le cadre des Jardins de Bérénas, de sa fille [M] et de la fille de la secrétaire ainsi que les coordonnées des employeurs de celles-ci et d’autre part, un état des bouteilles consommées lors de ces événements et « prélevées » par sa fille, son gendre et elle-même ainsi que le nom des dirigeants de la structure « les Jardins de Bérénas »,

– Des échanges de courriels témoignant des bonnes relations que la salariée entretenait avec les autres salariés du domaine de 2015 à août 2016,

– Les avis d’arrêt de travail et de prolongation ainsi que le certificat médical du 23 novembre 2016 du docteur [O] [I] attestant du suivi psychothérapique de l’intéressée « pour un syndrome anxio dépressif réactionnel majeur avec idées particulièrement négatives » « dans un contexte professionnel particulièrement difficile s’associant à un harcèlement d’autant plus sensible » que la patiente avait « perdu son mari fin 2013 » et précisant notamment que cette dernière « est encore très fragile, quoique mieux » et n’a pas repris les 15 kilogrammes perdus.

Il est démontré notamment par la production de la candidature à la cession du domaine présentée dans le cadre de la procédure collective que l’employeur était informé de ce que la salariée dont il reprenait le contrat de travail était logée sur place à titre gratuit.

Mais le contrat de travail ne prévoit pas de logement de fonction et les bulletins de salaire ne mentionne aucun avantage en nature, en sorte qu’en l’absence de tout autre élément contraire, la maison occupée par la salariée ne saurait être considérée comme un logement de fonction.

Il est constant que la salariée utilisait une voiture Ford Mondeo appartenant à l’entreprise.

Le contrat de travail stipule que la salariée « sera amenée à effectuer tout déplacement qui se révèlerait nécessaire pour l’exécution de ses missions et la réalisation de l’objet social de la société » mais ne prévoit pas la mise à disposition d’un véhicule de fonction et les bulletins de salaire ne mentionnent aucun avantage en nature à ce titre, en sorte que le véhicule confié était un véhicule de service et non un véhicule de fonction.

Certes, alors qu’elle se trouvait en arrêt de travail pour maladie, l’employeur lui a demandé de restituer ce véhicule avant de revenir dans la même journée sur sa décision, lui confirmant qu’elle pouvait utiliser la voiture pour ses besoins personnels pendant son arrêt de travail. Mais cette tolérance finalement accordée ne saurait seule conférer le caractère de véhicule de fonction à la voiture confiée. D’ailleurs, début 2017, l’employeur a sommé la salariée de restituer ce véhicule.

Enfin, la suspension de la délégation de pouvoirs pendant l’arrêt de travail de la salariée, était une possibilité prévue par l’acte de délégation produit afin de préserver les intérêts de la société.

Dès lors, les faits liés au retrait du logement de fonction, du véhicule de fonction et à la suspension de la délégation de pouvoirs ne sont pas établis.

En revanche, pris dans leur ensemble, les faits établis en ce compris les éléments médicaux ‘ ordres et contre-ordres relatifs à la mise à disposition du véhicule et à l’organisation d’événements commerciaux au sein du domaine et retrait d’une partie des fonctions et de son autonomie alors que la salariée jouissait du statut de cadre dirigeant – sont autant d’agissements répétés qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral.

L’employeur, qui conteste tout harcèlement moral à l’égard de la salariée, rétorque qu’il a changé d’avis le jour-même de sa demande de restitution du véhicule de la société, par compassion pour la salariée, que celle-ci n’a pas rempli ses obligations en termes de chiffre d’affaires au cours des six premiers mois de l’année 2016, que le nouvel actionnaire M. [Z] [S], restaurateur à [Localité 5], s’est rendu à plusieurs reprises sur place pour apporter une aide ponctuelle à la salariée sans pour autant se présenter comme le nouveau propriétaire, que la salariée entretenait des relations catastrophiques avec les autres membres du personnel, qu’un employeur est en droit de donner des instructions à un cadre salarié, que les événements (festival de musique et restaurants éphémères) lui ont été interdits pour des raisons de sécurité et pour que le temps de travail soit exclusivement consacré à la vente des stocks et au fonctionnement de l’entreprise au vu de la trésorerie de celle-ci mais qu’elle a bravé l’interdit et organisé un mariage ainsi que des événements à l’issue desquels il n’a pas été possible de savoir « qui avait facturé quoi ».

L’employeur verse aux débats les éléments suivants :

– Des échanges de courriels en 2014 entre «  [Z] » et la salariée montrant leurs relations amicales,

– L’attestation régulière en la forme de M. [Z] [S], lequel indique être intervenu en juin et juillet 2016 pour aider la salariée à vendre le stock des vins du domaine, les ventes étant au plus bas, mais ne pas avoir pu faire plus en raison de son activité de restaurateur à [Localité 5],

– Le bilan au 31 décembre 2016 ainsi qu’un tableau récapitulatif et comparatif du chiffre d’affaires mensuel en 2016 et 2017, dont il résulte notamment que le chiffre d’affaires a été supérieur en 2017 en mars, avril, juin (4 265,74 € contre 25 945,69 €), mais qu’en revanche en juillet il était inférieur à l’année 2016 (4 397,84 € contre 17 658,84 €),

– Un courriel adressé le 27 juillet 2016 par la salariée à M. [G] [X] aux termes duquel elle indique que conformément aux instructions, les événements ne seront plus organisés par la société, propose que la SAS Truckit s’en charge dans le cadre d’une convention de partenariat, précisant qu’elle n’est pas en mesure de créer sa propre structure dans un délai si court,

– La réponse du 11 août 2016 lui confirmant que, selon la position de tous les associés, aucun contrat avec un tiers ne sera signé, aucune activité extra-viticole ne sera poursuivie par la société mais qu’elle a la possibilité de créer un statut auto-entrepreneur pour une telle activité familale,

– Un courriel du 17 août 2016 de la salariée expliquant que ce type d’événements était confié à un prestataire qui avait fait ses preuves les dernières années, que l’oenotourisme avait permis jusqu’à cette date de développer l’image et la notoriété du domaine ainsi que les ventes (600 bouteilles) et qu’il était difficile d’annuler le mariage prévu début novembre 2015 pour le 3 septembre 2016.

En vertu de l’article L3111-2 alinéa 2 du Code du travail, sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement.

Seuls relèvent du statut de cadre dirigeant les cadres participant à la direction de l’entreprise.

Or en l’espèce, l’employeur ne produit aucun élément objectif permettant d’expliquer les raisons pour lesquelles la salariée, cadre dirigeant, ne prenait plus part à la direction de l’entreprise et n’avait plus la possibilité de passer de commandes de petit matériel sans en référer à la direction, alors que les courriels et articles de presse antérieurs à la cession de l’entreprise montrent que la salariée était effectivement en charge de multiples tâches destinées à faire fonctionner l’entreprise, jouissait d’une réelle autonomie dans la gestion et prenait part aux décisions de la direction.

De même, aucune justification objective n’est produite en ce qui concerne l’ordre et le contre-ordre au sujet du véhicule professionnel donné le même jour à la salariée alors en arrêt de travail pour « burn-out », ni en ce qui concerne l’organisation des événements alors que l’existence de ceux-ci étaient connus de la nouvelle direction.

Le chiffre d’affaires réalisé à compter de la cession de la structure ne saurait être dissocié des difficultés économiques existant, au vu du rapport de l’administrateur judiciaire, avant même l’embauche de la salariée.

Ainsi, l’employeur ne prouve pas que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, en sorte que le harcèlement moral est caractérisé.

Le préjudice moral résultant du harcèlement moral sera réparé par la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts.

Le manquement grave de l’employeur constitué par le harcèlement moral à l’égard de la salariée, justifie la résiliation judiciaire à la date du jugement l’ayant prononcée et produit les effets d’un licenciement nul.

Sur l’exécution déloyale du contrat de travail.

L’article L 1222-1 du Code du travail dispose que le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

En l’espèce, la salariée expose que l’employeur a manqué à son obligation d’exécution loyale du contrat de travail en rendant impossible la poursuite de celui-ci du fait de sa mise à l’écart de la direction de la société.

Au vu de ce qui précède, ce manquement est caractérisé et sera réparé par la somme de 3 000 € à titre de dommages et intérêts. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur le transfert de la box.

La salariée expose qu’en raison de la signature du contrat de travail, sa ligne téléphonique (téléphone portable), dont elle avait l’usage depuis 1995, a été transférée à l’employeur. Elle indique que cette ligne lui a été restituée mais qu’il y a lieu de condamner l’employeur à mettre la box au nom de la société.

L’employeur en convient et précise que les démarches étant en cours, la Cour devra lui donner acte de ce qu’elle s’en occupe.

Il y aura lieu de constater que les parties s’accordent sur ce point.

L’usage de dotation en vin.

Il appartient à la salariée de rapporter la preuve de l’existence de l’usage de dotation annuelle de 12 bouteilles de vin en démontrant que la pratique qu’elle invoque est constante, générale et fixe. En effet, la réunion de ces trois critères permet d’établir la volonté non équivoque de l’employeur de s’engager envers ses salariés et de leur octroyer un avantage.

Or, en l’espèce, alors que l’employeur conteste l’existence d’un tel usage, la salariée ne démontre pas que cet usage aurait bénéficié à l’ensemble des salariés ou, à tout le moins, à une catégorie déterminée d’entre eux, en sorte que sa demande doit être rejetée.

Le jugement sera infirmé en ce qu’il a condamné l’employeur à payer à la salariée la somme de 6.438 € à ce titre.

Sur les frais d’entretien du véhicule Ford Mondeo appartenant à l’entreprise.

La salariée sollicite le remboursement de la somme de 1 660,20 € correspondant à des frais exposés pour entretenir le véhicule qui lui était confié.

Elle verse aux débats deux factures d’entretien dudit véhicule d’un montant respectif de 766,49 € et 834,71 € ainsi que ses relevés de compte bancaire HSBC établissant qu’elle a bien acquitté ces sommes.

La troisième facture ne permet pas de s’assurer qu’elle concerne le véhicule litigieux.

L’employeur sera condamné à lui rembourser la somme totale de 1 601,20 €.

Le jugement sera infirmé en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande.

Sur les autres demandes.

La résiliation judiciaire du contrat de travail étant prononcée, les demandes au titre de l’irrégularité de la procédure de licenciement et de l’absence de notification de l’impossibilité de reclassement pourtant présentées « en tout état de cause » sont sans objet.

Sur les conséquences pécuniaires de la rupture.

Il est démontré par les coupures de presse produites par l’appelante qu’elle s’est investie personnellement aux côtés de M. [W] [N] au sein du domaine, dès son acquisition, en participant à la création et à l’organisation de festivités destinées à attirer et à fidéliser la clientèle. Toutefois, il ne ressort d’aucun élément du dossier qu’elle aurait exercé cette activité dans le cadre d’un lien de subordination juridique avant la signature du contrat de travail intervenue après le décès de son compagnon, en sorte que l’ancienneté à prendre en compte débute au 2 janvier 2014.

Compte tenu de l’âge de la salariée (née le 4 octobre 1960), de son ancienneté à la date de la rupture (2 ans et près de 8 mois), de sa rémunération mensuelle brute (2 934,17 €), de la cause de la résiliation judiciaire (harcèlement moral), du fait que le licenciement est nul et que l’indemnisation doit correspondre à au moins six mois de salaire et de l’absence de justificatifs relatifs à sa situation actuelle, il convient de fixer les sommes suivantes à son profit :

– 17 605,02 € au titre du licenciement nul,

– 5 868,34 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

– 586,83 € au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés afférents,

– 1 637,83 € au titre de l’indemnité légale de licenciement.

Sur les demandes accessoires.

Les indemnités à caractère indemnitaires produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

L’employeur sera tenu aux entiers dépens.

Il est équitable de le condamner à verser à la salariée la somme de 1 500 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré, par arrêt mis à disposition au greffe ;

CONFIRME le jugement du 18 février 2019 du conseil de prud’hommes de Montpellier en ce qu’il a condamné la SAS [W] de Bérénas à payer à Mme [A] [L] la somme de 3 000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;

L’INFIRME pour le surplus ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que Mme [A] [L] a été victime de harcèlement moral de la part de la SAS [W] de Bérénas ;

PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [A] [L] aux torts de la SAS [W] de Bérénas à la date du 18 février 2019  et DIT qu’elle produit les effets d’un licenciement nul ;

CONSTATE que les parties s’accordent sur le fait que la SAS [W] de Bérénas doit mettre la box au nom de la société et nom à celui de la salariée ;

DIT que les demandes au titre de l’irrégularité de la procédure de licenciement et de l’absence de notification de l’impossibilité de reclassement sont sans objet ;

DEBOUTE Mme [A] [L] de sa demande au titre de l’usage de dotation en vin ;

CONDAMNE la SAS [W] de Bérénas à payer à Mme [A] [L] les sommes suivantes :

– 5 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral,

– 1 601,20 € au titre du remboursement des frais d’entretien du véhicule Ford Mondeo appartenant à la société,

– 17 605,02 € au titre du licenciement nul,

– 5 868,34 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

– 586,83 € au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés afférents,

– 1 637,83 € au titre de l’indemnité légale de licenciement ;

– 1 500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

DIT que les indemnités à caractère indemnitaires produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

CONDAMNE la SAS [W] de Bérénas aux entiers dépens de l’instance ;

la greffière, le conseiller,

 


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