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3ème Chambre Commerciale
ARRÊT N°473
N° RG 20/01116 – N° Portalis DBVL-V-B7E-QPQB
SA ARTEMIS
SAS TEMARIS
C/
Me [Y] [B]
S.A.S. CREDIFIN
S.C.P. CECILE JOUIN OUIN
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me CHAUDET
Me BERTHAULT
Me VIGNERON
Copie délivrée
le :
à : SELARL MJO
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 27 SEPTEMBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère, rapporteur
Assesseur : Monsieur Dominique GARET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Frédérique HABARE, lors des débats et Madame Julie ROUET lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 28 Juin 2022
ARRÊT :
Réputé contradictoire, prononcé publiquement le 27 Septembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
APPELANTES :
SA ARTEMIS, immatriculée au RCS de [Localité 7] sous le n° 378648992 agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 1]
[Localité 7]
SAS TEMARIS, immatriculée au RCS de [Localité 7] sous le n° 518973672 venant aux droits de la Société ROCKA SASU suite à une transmission universelle du patrimoine à l’associé unique, agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représentés par Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentés par Me Samir KHAWAJA, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS :
Maître SELARL MJO, représentée par Me Frédéric BLANC, venant aux droits de Me [Y] [B], ès qualités de mandataire ad’hoc de la société L.C.C LA CENTRALE DU CREDIT nommé à cette fonction par jugement du tribunal de commerce de Nantes du 6 mars 2013
[Adresse 8]
[Adresse 9]
[Localité 4]
N’ayant pas constitué bien que régulièrement assigné par acte d’huissier en date du 06 juillet 2020
S.A.S. CREDIFIN
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Pauline VANDEN DRIESSCHE de la SELARL PARTHEMA, Plaidant, avocat au barreau de NANTES
Représentée par Me Vincent BERTHAULT de la SELARL HORIZONS, Postulant, avocat au barreau de RENNES
S.C.P. [U] [C], prise en la personne de Maître [U] [C], es qualités de mandataire liquidateur de la Société LCC immatriculée au RCS de [Localité 4] sous le numéro 752 934 034
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représentée par Me Jean-Louis VIGNERON de la SELARL ASKE 3, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES
La société CREDIFIN, présidée par IBN Gestion elle-même présidée par Monsieur [P] [E], exerce une activité d’Intermédiaire en Operations de Banque (IOB) et plus précisément met en relation des personnes recherchant un financement avec des établissements bancaires.
Elle est spécialisée dans le courtage à destination des professionnels de l’immobilier recherchant un financement pour leurs clients.
Elle a embauché Monsieur [A] [G] en qualité de directeur le 09 février 2009, selon contrat contenant une clause de non concurrence applicable sur le territoire français pendant deux années.
Elle a embauché M. [A] [M] comme responsable du développement selon contrat du 02 juillet 2007 contenant une clause de non concurrence.
Elle a aussi embauché Mme [S] [W] comme conseiller senior, puis comme responsable service client le 12 juillet 2010, selon contrat contenant une clause de non concuurence.
Elle a enfin embauché Mme [J] [T] comme conseiller clientèle selon CDI du 02 avril 2012.
Tous les contrats de travail étaient assortis d’une clause d’exclusivité, d’une clause de non concurrence et d’une clause de discrétion absolue.
En avril 2012, les sociétés CAPI et OPTIMHOME, filiales de la société ROCKA elle-même filiale de la société ARTEMIS appartenant à la famille [F], ont conclu un partenariat stratégique avec la sociéte CREDIFIN, cette dernière devant mettre à disposition des conseillers immobiliers indépendants exerçant sous les enseignes CAPI et OPTIMHOME un service de plateforme de courtage à distance, leur permettant de rechercher des financements pour leurs acquéreurs.
En octobre 2012, la société CREDIFIN a constaté que son directeur, Monsieur [G], avait été nommé quelques mois plus tôt président de deux nouvelles sociétés :
– la société la Centrale de Crédit (société LCC), exerçant une activité d’intermédiaire en opérations de banque et spécialisée dans le courtage de prêts,
– la société IOB Académie, spécialisée dans la formation professionnelle dans le secteur du financement.
La société CREDIFIN a également constaté que le groupe ARTEMIS détenait 85% du capital de la société LCC dont les bureaux avaient été transférés de [Localité 10] à [Localité 4], et que Monsieur [M], Madame [W] et Madame [T] travaillaient également pour ces deux nouvelles sociétés tout en restant liés par leur contrat de travail à la société CREDIFIN.
La société CREDIFIN a initié une procédure précontentieuse et par ordonnance sur requête en date du 31 octobre 2012 a obtenu du Président du Tribunal de Commerce de Nantes l’autorisation de missionner un Huissier de Justice, aux fins de pratiquer dans les locaux de LCC et IOB Académie, une saisie probatoire.
Cette ordonnance précisait que le constat dressé par l’huissier ne pourra être présenté qu’à l’expert qui sera désigné par le juge des référés.
C’est dans ces conditions que le 19 novembre 2012, la société CREDIFIN a fait délivrer auxsociétés LCC et IOB Académie une assignation en référé expertise.
L’expert a remis son rapport définitif le 5 février 2014.
Les pièces saisie et annexées au rapport auraient permis de confirmer les constats de la société CREDIFIN et de mettre en lumière que les sociétés ROCKA et ARTEMIS avaient l’intention de créer une société concurrente dès le deuxiéme trimestre 2012, notamment dans le cadre d’un document dénommé TERM SHEET signé par la société ARTEMIS et Monsieur [G] le 2 juillet 2012.
Ce TERM SHEET visait encadrer la création d’une société de courtage en crédits immobiliers, puis les relations entre ses actionnaires fondateurs.
Le projet devait être opérationnel et lancé commercialement au plus tard le 31/l0/2012 afin d’assurer la transition des contrats actuels de CAPI et OPTIMHOME avec CREDIFIN.
Le rapport d’expertise aurait également souligné que les sociétés LCC, ROCKA et ARTEMIS détenaient un certain nombre de documents comptables, juridiques et commerciaux de la société CREDIFIN.
Postérieurement, selon jugement du Tribunal de Commerce de Nantes en date du 6 mars 2013, les sociétés LCC et IOB Académie ont été placées en liquidation judiciaire.
La créance déclarée par la société CREDIFIN au passif de la société LCC a été dans un premier temps, rejetée par le mandataire liquidateur, la SCP MAURAS JOUIN.
La Cour d’Appel de Rennes, saisie du recours, a déclaré l’appel de CREDIFIN recevable, a annulé l’ordonnance contestée et a prononcé un sursis à statuer dans l’attente du jugement du Tribunal de Commerce de Nantes à intervenir.
Enfin, le 22 février 2013, à la même période que la liquidation de la société LCC, il a été créé la société La Centrale de Financement, LCF, dont les sociétés ROCKA et ARTEMIS sont actionnaires et administrateurs et dont l’objet social est identique à celui de LCC.
C’est dans ce contexte que la société CREDIFIN a assigné la société LCC, la SCP [D] ès-qualités de mandataires liquidateur de la société LCC, la société ROCKA et la société ARTEMIS aux fins de voir constater que des actes de concurrence déloyale ont été commis à son préjudice et se voir indemniser.
Par jugement du 27 janvier 2020, le tribunal de commerce de Nantes a:
-reçu les demandes de la société CREDIFIN,
– constaté que des actes de concurrence déloyale ont été commis au préjudice de la société CREDIFIN,
– jugé que la société LCC a commis des actes de débauchage au préjudice de la société CREDIFIN,
– jugé que les sociétés ROCKA et ARTEMIS se sont rendues tiers-complices de la violation de leurs obligations contractuelles et post contractuelles par les quatre salariés de la société CREDIFIN ,
– jugé que les actes de débauchage et de tierce complicité ont causé a la société CREDIFIN des préjudices financiers,
– jugé que les sociétés ROCKA et ARTEMIS ont engagé leurs responsabilités personnelles et délictuelles à hauteur de la somme de 165.157,15 € envers la société CREDIFIN, et les a condamnées solidairement à payer ladite somme a la société CREDIFIN,
– fixé la créance de la société CREDIFIN au passif de la liquidation de la société LCC a hauteur de 165.157,l5 €.
– débouté les sociétés LCC, ROCKA et ARTEMIS de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
– condamné solidairement les sociétés LCC, ROCKA et ARTEMIS à verser a la société CREDIFIN la somme de 20.000 € en application de l’article 700 du Code de procedure civile; – fixé la créance de la société CREDIFIN au passif de la liquidation de la société LCC a hauteur de 20.000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
– ordonné l’exécution provisoire du jugement,
– condamné solidairement les sociétés ROCKA et ARTEMIS aux dépens.
Appelantes de ce jugement, par conclusions du 03 novembre 2020, la société TEMARIS venant aux droits de la société ROCKA et la société ARTEMIS ont demandé que la Cour:
– reçoive la société TEMARIS (venant aux droits de ROCKA) et la société ARTEMIS en leur appel,
– infirme lejugement dont appel en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a débouté la société CREDIFIN de ses demandes indemnitaires au titre de la rémunération de ses salariés débauchés par la société L.C.C., de ses frais de communication et de son prétendu prejudice moral et de sa demande de publication du jugement.
– dise et juge que la société TEMARIS (venant aux droits de ROCKA) et la société ARTEMIS n’ont commis aucune faute ;
– déboute la société CREDIFIN de toutes ses demandes
– à titre subsidiaire, dise que la société CREDIFIN ne justifie d’aucun préjudice indemnisable, ni d’aucun lien de causalité ;
– déboute la société CREDIFIN de toutes ses demandes,
– condamne la société CREDIFIN à payer à chacune d’elles la somme de 20.000 euros de frais irrépétibles,
– condamne la société CREDIFIN aux dépens.
Par conclusions du 06 août 2020, la SCP [U] [C] en qualité de liquidateur judiciaire de la société LCC, a demandé que la Cour:
– dise que les circonstances de l’espèce ne caractérisent pas l’existence d’une concurrence déloyale qui aurait été commise au préjudice de la société CREDIFIN,
– dise et juger que la société CREDIFIN ne rapporte pas la preuve de l’existence d’un préjudice,
– déboute en conséquence purement et simplement la société CREDIFIN de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
– déboute la société CREDIFIN de la demande tendant à voir fixer sa créance au passif de la société LCC,
– en tant que de besoin, rejeter purement et simplement la créance déclarée par CREDIFIN au passif de LCC,
– condamne la société CREDIFIN à payer à Maître [C] membre de la SCP [R] [C] es qualité de liquidateur de la société LCC la somme de 15 000 au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’en tous les dépens .
Par conclusions du 09 mars 2021, la société CREDIFIN a demandé que la Cour:
– confirme le jugement du tribunal de commerce de Nantes du 27.01.2020 ence
qu’il a :
– reçu les demandes de la société CREDIFIN,
– constaté que des actes de concurrence déloyale ont été commis au préjudice de la société CREDIFIN ,
– jugé que la société LCC a commis des actes de débauchage au préjudice de la société CREDIFIN
– jugé que les sociétés ROCKA et ARTEMIS se sont rendues tierce-complices de la violation de leurs obligations contractuelles et post-contractuelles par les quatre salariés de la société CREDIFIN
– jugé que les actes de débauchage et de tierce complicité ont causé à la société CREDIFIN des préjudices financiers
– infirme le Jugement du Tribunal de commerce de Nantes du 27 janvier 2020 pour le solde,
– déboute les défenderesses de l’ensemble de leurs moyens, fins et conclusions,
– dise que les sociétés LCC, ROCKA et ARTEMIS ont engagé leurs responsabilités personnelles et délictuelles à hauteur de la somme de 349.803,37€ envers la société CREDIFIN ;
– condamne solidairement les sociétés ROCKA et ARTEMIS à payer à la société CREDIFIN une somme totale de 349.803,37€ se décomposant de la façon suivante :
– perte de marge sur coût variable :172.800,00€
– augmentation des charges dues au manager de transition : 43.144,97 € ;
– rémunération des 4 salariés en pure perte: 36.960,00 €
– frais de communication : 46.898,40 € ;
– préjudice moral : 50.000,00 € :
– fixe la créance de la société CREDIFIN au passif de la liquidation de la société LCC à hauteur de 349.803,75€ se décomposant de la même façon,
– ordonne, aux frais des défenderesses, la publication du jugement à
intervenir dans la presse généraliste et spécialisée ;
– ordonne aux frais des défenderesses, l’affichage du jugement à intervenir
sur les portes extérieures de ses siège et de ses établissements ;
– condamne en outre solidairement les défenderesses à payer à la société CREDIFIN la somme de 55.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile ainsi que les dépens.
MOTIFS DE LA DECISION:
A l’examen des pièces et des écritures, les faits constants du dossier se sont déroulés selon le calendrier suivant:
– avril 2012: signature d’une convention de partenariat (non versée aux débats mais évoquée par toutes les parties) entre les sociétés CAPI et OPTIMHOME, filiales de la société ROCKA, et la société CREDIFIN, afin que cette dernière mette à la disposition des premières une plate-forme de courtage de crédits immobiliers,
– 02 juillet 2012, signature d’un ‘term sheet La Centrale du Crédit’ entre Messieurs [L] [G], [N] [V] et [A] [M], dénommés ‘fondateurs dirigeants’ d’une part, et la société ARTEMIS d’autre part,
– 05 juillet 2012: M. [G], dans un courriel du 05 juillet 2012, informe la société ARTEMIS que ‘[A] a une clause de non-concurrence mais qui sera levée’, en évoquant [A] [M],
– 24 juillet 2012, immatriculation de la société La Centrale du Crédit (LCC), M. [G] étant son président, et Messieurs [H], [V], [G], ainsi que les sociétés ROCKA et ARTEMIS étant ses administrateurs,
– 17 août 2012, immatriculation par M. [G] d’une société de formation professionnelle IOB ACADEMIE,
– 21 septembre 2012, augmentation de capital de la société LCC de 152.040 actions nouvelles de 1 euro de valeur nominale chacune outre prime d’émission, décidée par l’assemblée générale du même jour:
– la société ROCKA souscrit 137.775 actions nouvelles pour 1.349.999 euros,
– M. [G] souscrit 8.666 actions nouvelles pour 86.886,80 euros,
– M. [V] souscrit 3.799 actions nouvelles pouru 37.230,20 euros,
– M. [Z] souscrit 1.620 actions nouvelles pour 15.880 euros.
– 21 septembre 2012, signature d’un pacte d’associés entre la société ROCKA et Messieurs [G], [V], [Z],
– 31 octobre 2012, ordonnance sur requête autorisant une mesure de constat probatoire dans les locaux de la société CREDIFIN,
– 04 novembre 2012, M. [G] démissionne de la société CREDIFIN en lui donnant la forme d’une prise d’acte de la rupture de son contrat de travail,
– 05 novembre 2012, courriel de la société ARTEMIS demandant à M. [G] de régulariser sa situation vis à vis de la société CREDIFIN,
– 08 novembre 2012: exécution de l’ordonnance sur requête du 31 octobre 2012 et procès-verbal de constat subséquent,
– 22 février 2013: immatriculation de la société LA CENTRALE DE FINANCEMENT, ayant notamment comme administrateurs les sociétés ARTEMIS et ROCKA, et comme associé M. [V],
– 03 mars 2013, placement en liquidation judiciaire de la société LCC.
Le ‘term sheet’ du 02 juillet 2012 a donc été signé par la société ARTEMIS trois mois après qu’elle ait conclu un accord de partenariat avec la société CREDIFIN.
Les autres signataires en sont M. [G], directeur de CREDIFIN, M. [M], directeur de la plate-forme CREDIFIN et M. [V], responsable CAFPI FRANCE.
A la date à laquelle ce document a été signé, la société LCC n’a pas encore été créée et elle ne fait donc pas écran à l’éventuelle mise en cause de la responsabilité délictuelle des sociétés ARTEMIS et ROCKA.
Le paragraphe ‘Projet’ est ainsi rédigé:
‘le projet est la création et le financement d’une société dont l’objet est la conception et l’exploitation commerciale de ‘la Centrale du Crédit’ et ‘l’OIB Académie’.
La Centrale de Crédit sera une plate-forme de financement spécalisée dans le courtage en crédits immobiliers et exlusivement dédiés aux professionnels de l’immobilier pour le financement de crédit immobilier aux particuliers (…)
Ce projet doit être opérationnel et lancé commercialement au plus tard le 31/10/2012 afin d’assurer la transition des contrats actuels de CAPI et OPTIMHOME avec CREDIFIN qui prennent fin au 30/11/2012″.
La société ARTEMIS plaide qu’elle a été démarchée par M. [G] qui lui aurait assuré que la société CREDIFIN voulait mettre fin au partenariat au mois de novembre 2012.
Aucune pièce n’apporte le moindre commencement de preuve de cette thèse, qui par ailleurs aurait été contraire aux intérêts de CREDIFIN, les agents commerciaux CAPI et OPTIMHOME représentant un marché important, qui venait d’être emporté et dont nul ne voit pourquoi la société CREDIFIN aurait souhaiter se défaire.
Le paragraphe 3 du Term Sheet rappelle que le besoin de financement du projet est de 1,5 MF, que les fondateurs dirigeants ont une capacité d’investissement de 150.000 euros et que la société ARTEMIS convient de valoriser ‘l’apport d’idée’, en ayant comme objectif final ‘à moyen terme de détenir 95% de la société’.
Moyennant l’engagement de se consacrer exclusivement au projet, la rémunération fixe des dirigeants sera de 130.000 euros brut pour M. [G] et de 74.000 euros brut pour M. [A].
Ces rémunérations étaient très supérieures à celles alors perçues chez CREDIFIN (75.000 euros brut pour M. [G] et 35.000 brut pour M. [A]).
Il était prévu que la société serait une SAS, dont M. [G] serait président, M. [V] directeur réseau et banque et M. [M] directeur de plate-forme, outre un conseil d’administration composé des trois mêmes, de trois membres désignés par ARTEMIS, d’un membre CAPI et d’un membre OPTIMHOME, ce qui donnait à la société ARTEMIS le pouvoir décisionnel dans la société.
Sur ce point, un ‘comité de pilotage’, composé de M. [G], de M. [H] (directeur adjoint des investissements chez ARTEMIS) et de M. [Z] (administrateur CAPI FRANCE) se réunirait toutes les six semaines, témoignant de la précision avec laquelle la société ARTEMIS comptait suivre l’activité de sa nouvelle filiale.
Il était ensuite envisagé parmi les conditions de réalisation du projet la ‘vérification des contrats actuels des dirigeants: clause de non concurrence et de non débauchage, contrats de travail, pacte d’actionnaire CREDIFIN’.
Sur ce dernier point, la société ARTEMIS fait valoir qu’elle aurait été trompée par M. [G], qui lui aurait assuré (cf mail du 05 novembre 2012 rappelé par la Cour) que lui-même et M. [A] seraient dégagés de toutes obligations.
Cette thèse ne résiste pas à l’analyse des faits rappelés dans le Term Sheet.
Celui-ci en effet, consiste pour la société ARTEMIS, à conclure un accord avec les deux principaux responsables de terrain de la société CREDIFIN, soit Messieurs [G] et [M], afin de récupérer pour son propre profit l’idée de plate-forme de financements de crédits immobiliers à destination des professionnels recherchant des financements pour les particuliers, plate-forme pour laquelle elle vient justement de conclure un accord de partenariat avec ladite société CREDIFIN.
Sur ce point, le Term Sheet révèle que la société LCC envisagée était un simple moyen pour la société ARTEMIS de disposer pour son propre compte, ou plutôt celui de ses filiales CAPI et OPTIMHOME, d’une plate forme similaire à celle de la société CREDIFIN, en utilisant le savoir faire des principaux responsables de la société CREDIFIN.
A cet égard, seul le financement très majoritaire de la société ARTEMIS permettait d’assurer aux dirigeants de ce qui ne serait qu’une nouvelle filiale une rémunération hors de proportion avec celle à laquelle ils auraient pu prétendre s’ils avaient créé seuls cette société grâce à un financement bancaire, cette rémunération apparaîssant alors comme le prix du débauchage.
Ensuite, la société ARTEMIS, qui bénéficiait d’un partenariat avec la société CREDIFIN et était donc en contact avec ses salariés, ne pouvait ignorer que plusieurs mois après la signature du Term Sheet et l’immatriculation de la société LCC, Messieurs [G] et [A] travaillaient encore pour CREDIFIN et il n’était pas besoin de la vérification des clauses de leurs contrats de travail pour vérifier la déloyauté découlant d’un tel comportement.
Enfin, ayant embauché M. [A] dans la société ‘La Centrale de Financement’ créée après la société LCC aux fins de la remplacer, elle n’a visiblement pas tenu rigueur à M. [A] d’avoir violé les dispositions du Term Sheet relatives à son contrat de travail chez CREDIFIN.
S’agissant de Mesdames [W] et [T], il est certain qu’elles bénéficiaient toutes deux d’adresses de courriels LCC ou IOB alors qu’elles étaient toujours salariées CREDIFIN, pour l’une en congé de maternité, pour l’autre en congé maladie.
Le contrat de travail CREDIFIN de Mme [W] se trouvait dans les fichiers saisis de la société LCC.
Compte tenu de la présence du comité de pilotage, la société ARTEMIS ne peut utilement plaider avoir totalement ignoré que ces deux salariées n’étaient pas libérées de leurs obligations envers la société CREDIFIN alors qu’elles commençaient à effectuer des prospects pour la société LCC.
Sur ce point, la société LCC plaide que Mesdames [W] et [T] n’ont pas bénéficié d’un contrat de travail LCC et que leurs adresses mail LCC et IOB n’auraient jamais été utilisées. Elle ne justifie pas de cette allégation alors que l’existence des adresses mail constitue une preuve de l’effectivité de leur activité dans les sociétés LCC et IOB.
S’agissant de la société ROCKA, elle n’est pas signataire du Term Sheet mais est le moyen par lequel la société ARTEMIS est venue financer la société LCC, comme en témoigne l’importance de sa souscription de parts sociales le 21 septembre 2012, pour un montant équivalent aux engagements de la société ARTEMIS dans le term sheet.
Les sociétés OPTIMHOME et CAPI, pour l’activité desquelles avait été conclu l’accord de partenariat avec la société CREDIFIN, sont des filiales de la société ROCKA.
Il est exact qu’il ne peut en théorie être reproché à la société ROCKA d’avoir voulu prendre une participation dans une société ayant vocation à travailler avec ses filiales.
Il peut toutefois lui être reproché d’avoir pris une participation dans une société ayant pour objet de détourner le savoir faire spécifique d’un co-contractant avec lequel elle venait de signer un accord de partenariat, en débauchant ses deux principaux responsables, ainsi que deux salariées proches de la clientèle.
S’agissant enfin de la société LCC elle-même, ont été retrouvés dans ses fichiers des documents appartenant à la société CREDIFIN, comme:
– les contrats de travail de Madame [W] et de M. [A],
– des documents comptables (compte de résultat prévisionnel, grand livre général provisoire pour les huit premiers mois de l’année 2012),
– des documents témoignant de ses relations contractuelles avec ses partenaires habituels: Crédit Agricole, Crédit Mutuel, Caisse d’Epargne,
– ses tableaux de suivi de chiffre d’affaires,
– les contacts pris par Messieurs [G] et [A] lorsqu’ils étaient ses salariés.
Ensuite, la société LCC a demandé au graphiste travaillant pour la société CREDIFIN d’établir les mêmes documents commerciaux à son enseigne, en ‘s’inspirant’ des réalisations effectuées pour CREDIFIN.
La demande de similarité était telle que le graphiste a attesté avoir cru que la société LCC était une filiale de la société CREDIFIN.
Enfin, la mesure de constat non contradictoire a permis de démontrer que lorsque un réseau important de conseillers immobiliers indépendants (SAFTI) avait contacté M. [G] sur son adresse professionnelle CREDIFIN au mois de Septembre 2012, M. [G] avait renvoyé le contact à M. [V] pour que le dossier soit géré par LCC.
Un tel acte constitue une manoeuvre déloyale caractérisée de la société LCC, dont, compte tenu de l’importance du client, le comité de pilotage a eu connaissance.
Le jugement déféré est par conséquent confirmé en ce qu’il a dit que les sociétés LCC, ROCKA et ARTEMIS ont commis des actes de concurrence déloyale au détriment de la société CREDIFIN, en permettant la violation par quatre salariés de leurs obligations vis à vis de CREDIFIN pour détourner son savoir faire à leur propre bénéfice.
Elles ont contribué au même préjudice et doivent être tenues in solidum de le réparer.
Sur le préjudice subi par la société CREDIFIN:
La société LCC a eu une durée de vie très courte, dans la mesure où elle a été placée en liquidation judiciaire début mars 2013, soit neuf mois après sa création, en raison de la virulence de la réaction de la société CREDIFIN et de l’impossibilité pour M. [G] de tenir ses objectifs pour l’activité de la seconde société créée avec la société ARTEMIS, soit la société IOB ACADEMIE.
La société CREDIFIN est une petite structure (quinze personnes); le débauchage de ses deux principaux responsables (directeur et responsable plate-forme) et la perte de confiance en sa responsable clientèle (Mme [W]) ont désorganisé l’entreprise.
La démonstration ayant été faite de la transmission déloyale à LCC de potentiels clients ayant contacté la société CREDIFIN, les pertes de marché invoquées peuvent difficilement être contestées.
Les sociétés ARTEMIS et TEMARIS font valoir, statistiques à l’appui, que les pertes de marché invoquées auraient été causées par les difficultés générales du marché de l’immobilier en 2012.
La société CREDIFIN fait valoir, par d’autre statistiques, que les achats immobiliers trouvant leur source dans des dispositifs d’allègements fiscaux, qui seraient sa spécialité, n’auraient pas connu de baisse sur la période, et que d’autre part, la part prise par les courtiers en prêts immobiliers, ce qui est le coeur de son activité, n’aurait cessé d’augmenter.
Elle en conclut qu’elle intervenait en 2012 -2013 sur un secteur d’activité non atteint par la décroissance.
Elle a versé aux débats un rapport d’expertise unilatéral rédigé par M. [O], expert judiciaire.
Le rapport d’expertise rédigé par ce dernier souligne toutefois que la perte de chiffre d’affaires de la société CREDIFIN n’a pas commencé courant 2012 suite aux agissements incriminés puisque en 2010, elle faisait un chiffre d’affaires de 1.816.316 euros pour 708 dossiers de financement traités et en 2011 un chiffre d’affaires de 1.551.207 euros pour 570 dossiers de financement traités.
La baisse constatée en 2012 est certes brutale soit 946.747 euros de chiffre d’affaires pour 420 dossiers traités, mais s’inscrit dans la tendance antérieure.
L’année 2013 est une année de stabilisation de la tendance: chiffre d’affaires de 992.888 euros pour 348 dossiers traités, avec des chiffres similaires pour 2014.
Au demeurant, compte tenu de la très courte durée de vie de la société LCC, aucune perte de chiffre d’affaire ne peut lui être imputée pour 2014: d’une part, la société LCC n’a pu elle-même traiter les clients potentiels de la société CREDIFIN sur cette période, d’autre part, la société CREDIFIN avait eu le temps de se réorganiser.
D’autre part, les très nombreuses statistiques évoquées par les sociétés ARTEMIS et TEMARIS font état de baisses significatives des achats immobiliers avec allègements fiscaux et des financements consentis à ce titre.
M. [O] conclut lui-même page 7 que la baisse ne peut être intégralement imputée aux actes de concurrence déloyale et doit aussi être prise en compte l’arrivée sur le marché de nouveaux acteurs concurrents.
Il en résulte que la baisse de chiffre d’affaires connue par la société CREDIFIN en 2012 et 2013 (ou la chute du nombre de dossiers traités) ne peut être imputable que pour moitié à la désorganisation qui a suivi les débauchages incriminés.
M. [O] estime possible de considérer que le niveau d’activité de 2015 (448 dossiers traités) correspondrait à l’activité ‘normale’ de la société CREDIFIN, compte tenu de la reprise du marché immobilier mais aussi de l’arrivée de nouveaux concurrents, ces deux éléments se faisant contrepoids.
Il aurait donc ‘manqué’ 128 dossiers de financements à la société CREDIFIN (28 en 2012 et 100 en 2013) puisque le nombre réalisé est connu.
Selon M. [O], la société CREDIFIN réalise une marge sur coût variable de 800 euros par dossier, et ainsi son préjudice serait égal à nombre de dossier manqué x 800.
Il a toutefois été dit plus haut que compte tenu de la démonstration réalisée par les sociétés ARTEMIS et TEMARIS sur le violent retournement du marché immobilier à l’époque, il devait être considéré que seulement la moitié des dossiers ‘perdus’ était imputable aux actes de concurrence déloyale, la Cour ayant aussi dit que le lien de causalité n’était pas démontré pour 2014.
Le préjudice de perte de marge est donc de (28 + 100)/2 x 800 = 51.200 euros.
Sont en revanche justifiés dans leur intégralité les frais de recrutement d’un manager de transition en remplacement de M. [G] et ceci, sans qu’il soit tenu compte d’une possible incidence fiscale de ces coûts, cette incidence n’ayant qu’un caractère incertain compte tenu des diverses conditions d’éligibilité d’une société à l’impôt sur les sociétés.
Le préjudice est retenu à hauteur de la somme de 43.144,97 euros.
Les salaires versés en pure perte ([G], [A], [W] et [T]) sont déjà décomptés dans la perte de marge sur coût variable.
La demande est rejetée.
Les frais de communication ne sont pas justifiés compte tenu de la très faible durée de vie de la société LCC et aucun exemple concret n’est donné des mesures qui ont été prises pour contrer auprès des clients les manoeuvres déloyales alléguées.
Le préjudice moral est avéré, résultant des atteintes portées à la confiance octroyée au principal responsable de la société, M. [G] et de la brutale violation d’un partenariat à peine engagé.
Il est alloué de ce chef une somme de 20.000 euros.
En conséquence de ce qui précède:
– la Cour dit que les sociétés LCC, ARTEMIS et TEMARIS venant aux droits de la société ROCKA ont contribué à la réalisation du même préjudice et sont tenues in solidum de le réparer,
– la Cour fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société LCC une somme de (51.200 + 43.144,97 + 20.000) = 114.344,97 euros,
– la Cour condamne in solidum la société ARTEMIS et la société TEMARIS venant aux droits de la société ROCKA, à payer à la société CREDIFIN une somme de 114.344,97 euros de dommages et intérêts.
Sur les frais irrépétibles et les dépens:
Les sociétés TEMARIS et ARTEMIS, appelantes à titre principal et qui succombent majoritairement dans leur recours, sont condamnées aux dépens d’appel et paieront à la société CREDIFIN la somme de 15.000 euros au titre de ses frais irrépétibles d’appel.
PAR CES MOTIFS:
La Cour,
Infirme le jugement déféré quant au quantum des dommages et intérêts alloués à la société CREDIFIN.
Statuant à nouveau:
Fixe la créance indemnitaire de la société CREDIFIN au passif de la société LA CENTRALE DU CREDIT à la somme de 114.344,97 euros.
Condamne in solidum les sociétés ARTEMIS et TEMARIS venant aux droits de la société ROCKA à payer à la société CREDIFIN la somme de 114.344,97 euros.
Confirme pour le solde le jugement déféré.
Déboute les parties du surplus de leurs demandes.
Condamne in solidum les sociétés ARTEMIS et TEMARIS aux dépens d’appel.
Condamne in solidum les sociétés ARTEMIS et TEMARIS à payer à la société CREDIFIN la somme de 15.000 euros au titre de ses frais irrépétibles d’appel.
LE GREFFIERLE PRESIDENT