Augmentation de capital : décision du 15 novembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 22/10737
Augmentation de capital : décision du 15 novembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 22/10737
Ce point juridique est utile ?

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Chambre commerciale internationale

PÔLE 5 – CHAMBRE 16

ARRET DU 15 NOVEMBRE 2022

(n° 99 /2022 , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/10737 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CF5XS

Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Mars 2022 -Tribunal de Commerce de PARIS RG n° 2020040840

APPELANTE

Société [W] HOLDING SRL

société de droit italien,

ayant son siège social : [Adresse 3] (ITALIE)

prise en la personne de ses représentants légaux,

Représentée par Me François TEYTAUD de l’AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : J125

Assistée par Me Martin VALLUIS de l’AARPI MIGUERES MOULIN, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : R016

INTIMÉES

S.A.S.U. VISCONTI MANAGEMENT

Immatriculée au RCS de sous le numéro 817 937 790

ayant son siège social : [Adresse 1]

Représentée par Me Bruno REGNIER de la SCP REGNIER – BEQUET – MOISAN, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0050

Assistée par Me Edouard BILLEMAZ, avocat plaidant du barreau de LYON, toque : 1573

Société IMMOBILIARE SETA SRL

société de droit italien,

ayant son siège social : [Adresse 2] (ITALIE)

prise en la personne de ses représentants légaux,

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : C2477

Assistée par Me Adriano PINTO, avocat plaidant du barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 27 Septembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Daniel BARLOW, Président

Mme Fabienne SCHALLER, Conseillère

Mme Laure ALDEBERT, Conseillère

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l’audience par M. Daniel BARLOW dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* *

*

I/ FAITS ET PROCÉDURE

1. Société de droit italien, [W] Holding Srl contrôlait les sociétés opérationnelles du groupe [W], qui exerce ses activités dans le secteur du textile haut de gamme. Son capital était, jusqu’en 2018, intégralement détenu par Mme [P] [W] et ses deux enfants, [R] et [F] [J] [W]. Elle a fait l’objet d’une dissolution par acte notarié du 18 juillet 2022.

2. Précédemment dénommée [W] Immobiliare, Immobiliare Seta Srl est une société de droit italien créée en 2015 par la famille [W] pour la détention des actifs immobiliers du groupe éponyme.

3. Visconti Management est une société française ayant pour objet l’accompagnement des sociétés et de leurs dirigeants dans des opérations d’expansion, de restructuration et de fusions acquisitions.

4. Confronté à d’importantes difficultés financières, le groupe [W] a dû, au cours du premier semestre de l’année 2016, suspendre le remboursement des dettes qu’il avait contractées auprès d’établissements bancaires.

5. Dans ce contexte, un contrat de prestation de conseils financiers et d’assistance à la restructuration était signé par Mme [P] [W], en sa qualité de présidente du conseil d’administration de la société [W] Holding Srl, avec la société Visconti Management, sous la forme d’une « lettre de mission ».

6. Il prévoit une rémunération forfaitaire mensuelle de 15 000 euros pour la société Visconti Management, outre des « success fees [honoraires de résultat] » de 0,55 %, calculés sur la valeur économique du groupe et exigibles lors de la signature d’un accord de restructuration de la dette ou lors de la souscription d’une augmentation de capital.

7. Un avenant au contrat était ultérieurement signé, modifiant la mission de Visconti Management et portant à 27 500 euros sa rémunération forfaitaire mensuelle, à compter du 19 septembre 2017.

8. Le contrat et l’avenant comportent en annexe des « standard terms of business [conditions générales] » prévoyant une clause attributive de juridiction au profit du tribunal de commerce de Paris.

9. Estimant qu’elles n’avaient pas honoré leurs engagements, la société Visconti Management a, par acte du 25 novembre 2019, fait assigner les sociétés [W] Holding et Immobiliare Seta devant ce tribunal afin d’obtenir leur condamnation au paiement de la somme de 7 820,92 euros au titre des intérêts de retard sur les factures échues, ainsi qu’une somme de 524 907,61 euros au titre de la rémunération de « sucess fees » due en application du contrat.

10. Les sociétés [W] Holding et Immobiliare Seta ont soulevé in limine litis une exception d’incompétence territoriale au profit des juridictions italiennes.

11. Par jugement du 31 mars 2022, le tribunal de commerce de Paris :

– s’est déclaré compétent, en vertu de la clause attributive de juridiction prévue aux contrats, pour juger le litige entre Visconti Management et [W] Holding ;

– a accueilli l’exception d’incompétence soulevée par la société Immobiliare Seta considérant qu’elle n’était pas signataire des contrats ;

– a réservé sa décision sur les demandes de condamnation formées par les sociétés [W] Holding et Visconti Management au titre de l’article 700 ;

– a condamné la société Visconti Management à payer à la société Immobiliare Seta la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

– a condamné les sociétés [W] Holding et Visconti Management à partager la moitié des dépens de première instance pour qu’ils soient liquidés avec le jugement définitif.

12. [W] Holding a interjeté appel de cette décision le 21 juin 2022.

13. Par ordonnance du 27 juin 2022, elle a été autorisée à assigner les intimés à jour fixe devant la chambre commerciale internationale, pour l’audience du 27 septembre 2022.

14. Après sa mise en liquidation, elle a formalisé des conclusions opérant reprise d’instance au nom de [W] Holding Srl in Liquidazione.

II/ PRÉTENTIONS DES PARTIES

15. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 23 septembre 2022, la société [W] Holding Srl, devenue [W] Holding Srl in Liquidazione, demande à la cour, au visa des articles 48, 74, 75, 78 et 700 du code de procédure civile et du Règlement européen du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale et son article 25 notamment, de bien vouloir :

– infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau :

À titre principal,

– déclarer le tribunal de commerce de Paris et les juridictions françaises incompétents, au profit des juridictions italiennes, pour connaître des demandes dirigées à l’encontre de la société [W] Holding in Liquidazione ainsi qu’à l’encontre de la société Immobiliare Seta par la société Visconti Management ;

À titre subsidiaire,

Dans l’hypothèse où l’exception d’incompétence de la société [W] Holding in Liquidazione serait rejetée à son égard,

– se déclarer également compétent à l’égard de la société [W] Immobiliare Seta;

À titre infiniment subsidiaire,

– octroyer à la société [W] Holding in Liquidazione un nouveau délai pour lui permettre de conclure au fond et, le cas échéant, d’appeler en garantie les sociétés faisant partie du groupe [W] à l’époque des faits, en ce compris notamment la société [W] Immobiliare – Immobiliare Seta, leurs actionnaires et dirigeants et tous autres tiers qui seraient impliqués dans cette affaire, à l’occasion d’une audience à venir ;

En tout état de cause,

– condamner la société Visconti Management aux entiers dépens de première instance et d’appel dont distraction pour ceux le concernant au profit de Maître François Teytaud, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

– condamner la société Visconti Management à payer à la société [W] Holding in Liquidazione la somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

16. Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 9 septembre 2022, la société Visconti Management demande à la cour, au visa des articles 48, 74, 75, 78 et 700 du code de procédure civile et du Règlement européen du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale et son article 25 notamment, de :

– débouter la société [W] Holding de son appel ;

– confirmer en toutes ses dispositions la décision rendue par le tribunal de commerce de Paris le 30 mars 2022 ;

Et donc,

– déclarer valable la clause attributive de juridiction incluse dans le contrat conclu le 19 décembre 2016 ;

– constater que l’exception de compétence soulevée par [W] Holding est manifestement abusive ;

Par conséquent,

– condamner la société [W] Holding à verser 5 000 euros à Visconti Management au titre des frais de première instance et à l’intégralité des dépens;

En toute hypothèse,

– condamner la société [W] Holding au paiement d’une indemnité de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel ;

– condamner l’appelante aux entiers dépens de première instance et d’appel en admettant la SCP Regnier Bequet Moisan, Avocats, au bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile.

17. Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 12 septembre 2022, la société Immobiliare Seta demande à la cour, au visa des articles 48, 75, 699 et 700 du code de procédure civile, des articles 1128, 1156 et 1178 du code civil et du Règlement européen du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, de bien vouloir :

– juger la société Immobiliare Seta recevable et fondée en ses moyens et prétentions;

Par conséquent,

– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

En tout état de cause,

– condamner la partie succombante à payer à la société Immobiliare Seta la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

III/ MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la compétence du tribunal de commerce de Paris

18. La société [W] Holding soutient que la lettre de mission du 19 décembre 2016 et son avenant du 19 juin 2017 sont nuls et ne peuvent lui être opposés dès lors que Mme [P] [W], qui a signé ces documents en sa qualité de présidente du conseil d’administration de [W] Holding, ne disposait pas du pouvoir d’engager seule la société au-delà de 10 000 euros et n’avait pas reçu pouvoir du conseil d’administration pour passer de tels engagements.

19. Elle ajoute que cette clause ne respecte pas le formalisme imposé à l’article 25, paragraphe 1, du Règlement Bruxelles I bis, pas plus que les règles de fond du droit français, auxquelles renvoie ce même article, tant sous l’angle du droit des contrats, le consentement de [W] Holding faisant défaut, qu’au regard des dispositions de l’article 48 du code de procédure civile qui requiert le caractère apparent de la clause et la qualité de commerçant de l’ensemble des parties.

20. Elle fait valoir que la clause est en toute hypothèse inapplicable et caduque, en vertu du principe d’indivisibilité, pour avoir été déclarée inopposable à la société Immobiliare Seta par le tribunal de commerce.

21. Elle conclut à la compétence des juridictions italiennes au regard des dispositions de l’article 4, paragraphe 1, du Règlement Bruxelles I bis et fait valoir le caractère italien du litige.

22. Dans l’hypothèse où la cour estimerait les juridictions françaises compétentes pour en connaître, elle sollicite que ces juridictions soient également déclarées compétentes pour connaître des demandes formées contre Immobiliare Seta en vertu du principe d’indivisibilité.

23. La société Visconti Management réplique que les clauses attributives de compétence litigieuses bénéficient d’une présomption de licéité et de validité.

24. Elle soutient que Mme [P] [W] disposait du pouvoir et de la capacité de représenter la société [W] Holding, la société appelante ne démontrant aucune limitation à ses pouvoirs, pas plus qu’elle n’établit un dommage intentionnel, et retient que Mme [W] s’est, en toute hypothèse, comportée comme un mandataire apparent, dont le conseil d’administration a ultérieurement ratifié le contrat.

25. Elle considère que les exigences de forme énoncées à l’article 25, paragraphe 1, du Règlement Bruxelles I bis ont bien été respectées, la clause ayant été conclue par écrit et ayant fait l’objet d’une confirmation lors de la signature de l’avenant.

26. Elle ajoute que les conditions de fond ont également été respectées, le consentement ayant été valablement fourni.

27. Elle invoque le caractère irrecevable du moyen tiré du non-respect de l’article 48 du code de procédure civile, faisant valoir que ce texte n’est pas applicable à l’ordre international et que la clause est, en toute hypothèse, apparente et conclue entre commerçants.

28. Elle soutient que la société appelante ne démontre pas le caractère indivisible des obligations, qui présentent une nature divisible.

29. Elle fait enfin valoir que le juge italien éventuellement saisi devrait se déclarer incompétent au regard de la primauté et du caractère exclusif de la clause attributive de compétence, de sorte que la confirmation de la compétence des juridictions françaises permettrait d’éviter un déni de justice.

30. La société Immobiliare Seta soutient que la clause invoquée ne respecte pas les règles de validité formelle et substantielle qui s’imposent en la matière, tant au regard des exigences du Règlement Bruxelles I bis, pour ce qui concerne le caractère écrit de la prorogation de compétence, que des règles du droit français des contrats, faute de consentement de sa part, et du code de procédure civile, s’agissant du caractère apparent de la clause.

31. Elle considère que celle-ci ne lui est pas opposable en sa qualité de tiers au contrat, sans que puisse lui être opposée une quelconque confusion, la théorie du mandat apparent ou celle de la stipulation pour autrui n’étant pas applicables au cas d’espèce.

32. Elle soutient que l’affaire doit être portée devant les juridictions italiennes dès lors que le litige s’élève entre des sociétés de droit italien, concerne une opération de restructuration italienne et que plusieurs documents contractuels renvoient à la compétence de juridictions italiennes.

33. Elle écarte toute compétence des juridictions françaises à son endroit sur le fondement de l’indivisibilité des demandes, faisant valoir que les liens évoqués entre les sociétés [W] Holding et Immobiliare Seta sont sans incidence sur l’opposabilité de la clause attributive de juridiction.

SUR CE :

34. L’action à l’origine du présent appel a été initiée en 2019 par une société de droit français contre deux sociétés de droit italien aux fins de voir engager leur responsabilité civile devant les juridictions françaises à raison de manquements allégués aux obligations découlant d’un contrat de prestations de conseils financiers et d’assistance à la restructuration.

35. Le litige présente donc un caractère international et relève, dans le temps comme dans l’espace, du champ d’application du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, dit Bruxelles I bis, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

36. Conformément à l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État.

37. Elles ne peuvent, selon l’article 5, paragraphe 1, être attraites devant les juridictions d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du chapitre relatif à la compétence, soit aux articles 7 à 26 de ce règlement.

38. Aux termes de l’article 25, paragraphe 1, si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d’une juridiction ou de juridictions d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. La convention attributive de juridiction est conclue :

a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite ;

b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles ; ou

c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties ont connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée.

39. Le paragraphe 5 du même article précise qu’une convention attributive de juridiction faisant partie d’un contrat est considérée comme un accord distinct des autres clauses du contrat.

40. En l’espèce, le tribunal de commerce de Paris a été saisi en considération d’une clause attributive de juridiction qui, insérée dans les conditions générales annexées à la lettre de mission du 19 décembre 2016 et à son avenant du 19 juin 2017, est formulée en ces termes:

« This Agreement shall be construed and governed by the French Law. All disputes arising out of or in connection with the present contract shall be settled by the Paris Tribunal de commerce. [Le présent contrat sera interprété et régi par le droit français. Tous les litiges résultant du présent contrat ou en relation avec celui-ci seront réglés par le Tribunal de commerce de Paris.] »

41. Les parties débattent de la validité et de l’opposabilité de cette stipulation, tant au regard des conditions de fond que du respect des exigences formelles attachées à un tel engagement, et s’opposent sur la portée de la clause en considération du principe d’indivisibilité et de la pluralité de défendeurs.

(i) Sur le respect des conditions de fond

42. La clause litigieuse désignant une juridiction française, la nullité invoquée doit, conformément aux exigences de l’article 25, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis précité, être appréciée au regard des dispositions du droit français, la forme sociale de [W] Holding Srl apparentant celle-ci à une société à responsabilité limitée.

43. L’appelante se prévaut ici d’un défaut de pouvoir de Mme [W], signataire de la lettre de mission, de son avenant et de leurs annexes, faisant valoir la limitation statutaire de sa capacité à engager seule la société au-delà de 10 000 euros, ainsi que le non-respect par l’intéressée des conditions fixées par le conseil d’administration lors de ses réunions.

44. Mais, outre que cette limitation statutaire de pouvoir n’est établie par aucune pièce, les statuts et l’extrait K-bis cités à ce titre n’étant pas produits, elle ne saurait, pas plus que le non-respect des conditions arrêtées par le conseil d’administration, être opposée à la société Visconti Management.

45. Il résulte en effet de l’examen des pièces versées aux débats, et notamment du procès-verbal du conseil d’administration du 23 mars 2015, qu’indépendamment de son titre de présidente du conseil d’administration, Mme [W] se trouvait investie d’un pouvoir de gestion de la société.

46. Or, les limitations apportées aux pouvoirs du gérant d’une société à responsabilité limitée, qui valent dans les rapports entre associés, sont inopposables aux tiers, cette inopposabilité, évoquée par Visconti Management au titre de la législation italienne, qui l’écarte en cas d’agissement intentionnel, valant également en droit français en vertu de l’article L. 223-18 du code de commerce selon lequel le gérant est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société, celle-ci étant engagée même par ceux de ses actes qui ne relèvent pas de l’objet social, à moins qu’elle ne prouve que le tiers savait que l’acte dépassait cet objet ou qu’il ne pouvait l’ignorer compte tenu des circonstances, preuve qui, en l’espèce, n’est nullement rapportée.

47. Le moyen tiré du défaut de pouvoir de la signataire ne saurait dès lors prospérer.

48. L’appelante invoque par ailleurs le non-respect des dispositions de l’article 1128 du code civil, selon lequel le consentement des parties, leur capacité à contracter ainsi qu’un contenu licite et certain sont nécessaires à la validité d’un contrat, faisant valoir qu’elle n’a consentie ni à la lettre de mission, ni à la clause litigieuse.

49. Ce défaut de consentement ne peut toutefois être regardé comme caractérisé en l’espèce, la rédaction de la clause en langue anglaise, mise en avant par [W] Holding, étant à cet égard insuffisante, en présence d’un contrat international passé entre deux sociétés ayant leurs sièges sur le territoire de deux États membres de l’Union européenne et ce, alors même que la signature apposée par Mme [W] sur chacune des pages de la lettre de mission et de son annexe ‘ signature qui figure, pour cette dernière, sous la clause litigieuse ‘ établit au contraire le consentement donné par la société éponyme, l’incapacité alléguée de l’intéressée à l’engager étant, pour les motifs qui précèdent, inopérante.

50. Le moyen tiré d’un défaut de validité de la clause attributive de juridiction pour cause de nullité de l’engagement doit, dans ces conditions, être écarté.

(ii) Sur le formalisme de la clause

51. La cour relève, à titre liminaire, que si la société [W] Holding se prévaut du non-respect des exigences énoncées à l’article 48 du code de procédure civile français, ce texte est inapplicable en l’espèce.

52. La clause attributive de compétence litigieuse désignant la juridiction d’un État membre de l’Union européenne lié par le Règlement Bruxelles I bis, la question de la compétence, et partant celle de la validité formelle de la clause, doit en effet être réglée, non par application des dispositions internes étendues à l’ordre international, mais par celles dudit règlement, sans que le juge y puisse ajouter.

53. Dans le cadre ainsi fixé, l’examen de la lettre de mission du 19 décembre 2016, de l’avenant du 19 juin 2017 et de leurs annexes, fait apparaître que la clause litigieuse a bien été formulée par écrit, pour figurer en toutes lettres au dernier paragraphe des annexes signées par les parties.

54. Est à cet égard indifférent le fait, invoqué par [W] Holding, que ces annexes portent l’en-tête d’une société tierce, Visconti Capital Partners, et qu’elle soit rédigée en anglais plutôt qu’en italien, les parties ayant fait porter leur engagement sur ce document au même titre que la lettre de mission et l’avenant qu’il complète, ainsi qu’il résulte de l’apposition des signatures de leurs représentants sur chacune de ses pages.

55. Les arguments développés par la société appelante au titre du non-respect du formalisme se rapportant à son absence de consentement et au défaut de pouvoir de la signataire sont de même inopérants, qui procèdent d’une confusion entre l’exigence de validité substantielle de la clause et sa formalisation.

56. L’existence d’un écrit étant une forme suffisante au sens du règlement, sans qu’il soit nécessaire de se référer surabondamment aux habitudes des parties ou à l’existence d’un usage dont elles auraient connaissance, le formalisme requis par l’article 25, paragraphe 1, précité est dès lors satisfait.

57. Il s’ensuit que la clause attributive de juridiction insérée à l’annexe de la lettre de mission du 19 décembre 2016 et son avenant du 19 juin 2017 doit être regardée comme valide et opposable à la société [W] Holding.

(iii) Sur l’opposabilité de la clause à la société Immobiliare Seta

58. L’examen de la lettre de mission du 19 décembre 2016, de son avenant du 19 juin 2017 et de leurs annexes respectives fait apparaître que ces documents ont été signés par Mme [W] au seul nom de la société [W] Holding.

59. La clause attributive de juridiction énoncée par ces conventions ne saurait dès lors fonder la compétence des juridictions françaises à l’égard de la société Immobiliare Seta qui, faute d’y avoir consenti, doit être regardée comme tierce à ces engagements.

(iv) Sur la pluralité de défendeurs et l’indivisibilité du litige

60. Si la société [W] Holding se prévaut de l’indivisibilité des demandes formées par Visconti Management, celle-ci n’est nullement caractérisée en l’espèce, faute pour l’appelante de démontrer en quoi les engagements respectifs des sociétés actionnées ne pourraient être appréciés par deux juridictions différentes sans risque de contrariété de décisions, s’agissant de demandes de condamnations qui, pour avoir été présentées comme solidaires dans l’assignation délivrée par Visconti Management, n’en concernent pas moins deux sociétés distinctes dont les obligations respectives au paiement de sommes d’argent résultant d’un contrat de prestations de service peuvent être appréciées de façon indépendante.

61. L’indivisibilité alléguée des demandes ne saurait, dans ces conditions, faire échec à la clause attributive de juridiction litigieuse.

62. Elle ne saurait, pour les mêmes raisons, justifier la compétence du tribunal de commerce de Paris à l’égard de la société Immobiliare Seta.

63. Il y a lieu, en considération de l’ensemble de ces éléments, de confirmer la décision entreprise et de rejeter la demande subsidiaire de la société [W] Holding tendant à voir la société Immobiliare Seta attraite devant les juridictions françaises, de même que la demande relative à l’octroi d’un délai pour conclure au fond et procéder à d’éventuels appels en garanties, laquelle est sans objet devant la cour, le litige se poursuivant sur le fond devant le tribunal de commerce de Paris.

Sur les frais et dépens

64. Le sort des dépens et de l’indemnité de procédure a été exactement réglé par le tribunal de commerce, dont la décision est confirmée.

65. À hauteur de cour, il y lieu de condamner la société [W] Holding à payer à chacune des intimées la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’appel avec distraction au profit de la SCP Regnier Bequet Moisan et de Maître Matthieu Boccon-Gibod, conformément aux articles 695 et 699 du code de procédure civile.

IV/ DISPOSITIF

Par ces motifs, la Cour :

1) Confirme le jugement du tribunal de commerce de Paris du 31 mars 2022 en toutes ses dispositions soumises à la cour ;

Y ajoutant,

2) Déboute la société [W] Holding Srl in liquidazione de l’ensemble de ses demandes ;

3) Condamne la société [W] Holding Srl in liquidazione à payer à la société Visconti Management la somme de cinq mille euros (5 000,00 €), sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel ;

4) Condamne la société [W] Holding Srl in liquidazione à payer à la société Immobiliare Seta la somme de cinq mille euros (5 000,00 €), sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel ;

5) Condamne la société [W] Holding Srl in liquidazione aux dépens, la SCP Regnier Bequet Moisan, avocats, et Maître Matthieu Boccon-Gibod, avocat, pouvant recouvrer directe-ment contre elle ceux dont ils auraient fait l’avance sans en avoir reçu provision, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x