Augmentation de capital : décision du 15 novembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 21/01008
Augmentation de capital : décision du 15 novembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 21/01008
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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 8

ARRÊT DU 15 NOVEMBRE 2022

(n° / 2022 , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/01008 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CC52Z

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Décembre 2020 -Tribunal de Commerce de BOBIGNY – RG n° 2016F00663

APPELANTS

SA de droit luxembourgeois AW EQUITY S.A., venant aux droits de la SAS ‘A’ WORLD FINANCE (AWF), prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

Ayant son siège social [Adresse 1]

L-1840 LUXEMBOURG

Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS – AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055,

Assistée de Me Olivier PARDO de la SELAS OPLUS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0170,

Monsieur [G] [L]

Né le [Date naissance 5] 1947 à la [Localité 13]

De nationalité française

Demeurant [Adresse 8]

[Localité 10]

En qualité d’appelant à titre incident

S.A.S. 21 INVEST FRANCE, anciennement dénommée 21 CENTRALE PARTNERS, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 421 257 270,

Ayant son siège social [Adresse 12]

[Localité 9]

En qualité d’appelante à titre incident

Représentés par Me Audrey HINOUX de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocate au barreau de PARIS, toque : C2477,

Assistés de Me Georges JOURDE de l’ASSOCIATION VEIL JOURDE, avocat au barreau de PARIS, toque : T06,

Monsieur [M] [Z]

Né le [Date naissance 3] 1975 à [Localité 14]

De nationalité franco-suisse

Demeurant [Adresse 4]

[Localité 2]

SUISSE

En qualité d’appelant à titre incident

Représenté par Me Luca DE MARIA de la SELARL SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018,

Assisté de Me Christophe INGRAIN de l’AARPI DARROIS VILLEY MAILLOT BROCHIER, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me Xavier PHILIPPS, avocat au barreau de PARIS, toque : R170,

INTIMÉS

Monsieur [C] [N]

Né le [Date naissance 6] 1964 à [Localité 7] (ITALIE)

De nationalité italienne

Demeurant [Adresse 15]

[Localité 7]

ITALIE

Représenté par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034,

Assisté de Me Nicolas FAGUER de la SELEURL Nicolas Faguer Selarl, avocat au barreau de PARIS, toque : P0062,

Monsieur [G] [L]

Né le [Date naissance 5] 1947 à la [Localité 13]

Demeurant [Adresse 8]

[Localité 10]

S.A.S. 21 INVEST FRANCE, anciennement dénommée 21 CENTRALE PARTNERS, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 421 257 270,

Ayant son siège social [Adresse 12]

[Localité 9]

Représentés par Me Audrey HINOUX de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocate au barreau de PARIS, toque : C2477,

Assistés de Me Georges JOURDE de l’ASSOCIATION VEIL JOURDE, avocat au barreau de PARIS, toque : T06,

Monsieur [M] [Z]

Né le [Date naissance 3] 1975 à [Localité 14]

De nationalité franco-suisse

Demeurant [Adresse 4]

[Localité 2]

SUISSE

Représenté par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018,

Assisté de Me Christophe INGRAIN de l’AARPI DARROIS VILLEY MAILLOT BROCHIER, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me Xavier PHILIPPS de l’AARPI DARROIS VILLEY MAILLOT BROCHIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R170,

SAS ‘A’ WORLD FINANCE (AWF), prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 494 756 661,

Ayant son siège social [Adresse 11]

[Localité 9],

Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS – AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055,

Assistée de Me Olivier PARDO de la SELAS OPLUS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0170,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 Septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant la cour composée en double rapporteur de :

Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre,

Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère.

Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre,

Madame Anne-Sophie TEXIER, conseillère,

Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère.

Un rapport a été présenté à l’audience par Mme Florence DUBOIS-STEVANT dans le respect des conditions prévues à l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL

ARRÊT :

– Contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCÉDURE:

La société Ethical coffee company (‘la société ECC’) est une société de droit suisse ayant pour activité la fabrication et la commercialisation de capsules de café biodégradables et compatibles avec les machines de la marque Nespresso. Créée le 16 avril 2008 par MM. [K] [J], [M] [Z] et [D] [P], son capital était détenu initialement par M. [J] (45 %), également dirigeant, MM. [Z] et [P] (5 % chacun) et divers investisseurs.

La société 21 Centrale partners est une société de gestion détenue par la société italienne 21 Partners, fondée par MM. [C] [N] et [G] [L], qui intervient pour le compte d’investisseurs institutionnels. Elle a pour président du conseil de surveillance M. [N] et pour président du directoire M. [L]. M. [Z] est devenu, le 30 mars 2011, membre du directoire.

La société Advanced coffee investment (‘société ACI’) est une société de droit suisse constituée pour investir dans la société ECC.

Le 29 juin 2009, à l’occasion d’une première augmentation de capital de la société ECC, la société ‘A’ world finance (‘société AWF’), société d’investissement contrôlée par M. [I], y a investi un million d’euros (150.000 euros en capital et 850.000 euros en compte courant), le titre ECC étant alors valorisé 35 francs suisses.

En vue de participer à une deuxième augmentation de capital de la société ECC, la société AWF a, le 26 juillet 2010, investi une somme de 7.381.488 euros dans la société ACI laquelle, le 29 juillet suivant, a souscrit à l’augmentation de capital à hauteur de 24,5 millions d’euros et apporté 24,5 millions d’euros en compte courant, le titre ECC étant alors valorisé 437 francs suisses. M. [I] est devenu administrateur de la société ECC le 17 décembre 2010.

En avril 2012, la société luxembourgeoise Aw equity (‘société AWE’) a été constituée par la société AWF, son actionnaire unique. Le 4 mai 2012, la société AWF a cédé à la société AWE les actions, obligations et comptes courants qu’elle détenait dans les sociétés ECC et ACI.

La société AWE, se disant venir aux droits de la société AWF, a considéré que la société AWF avait été trompée par la société 21 Centrale partners et ses dirigeants, MM. [L], [N] et [Z], pour investir en juillet 2010 une somme supérieure à 7 millions d’euros dans la société ACI sur la base d’une valorisation du titre ECC de 437 francs suisses. Selon le jugement, elle soutenait que la valorisation de la société ECC s’était faite à partir d’un plan d’affaires établi par la société 21 Centrale partners sans l’aval des dirigeants de la société ECC et sur la base de fausses hypothèses et que M. [Z] avait fait part aux investisseurs d’un carnet de commandes substantiel et du souhait de la société Nestlé de racheter cette société 900 millions d’euros. La société AWE a considéré que les dirigeants de la société 21 Centrale partners avaient également trompé les investisseurs après l’augmentation de capital en masquant la situation réelle de la société ECC, ce qui ne n’avait pas permis à la société AWF de sortir du capital alors qu’elle en avait l’opportunité.

La société AWE a ainsi assigné, le 12 décembre 2013, la société 21 Centrale partners et MM. [L], [N] et [Z] devant le tribunal de commerce de Paris en réparation des préjudices subis constitués de la perte de valeur des titres ECC acquis lors de l’augmentation de capital de juillet 2010, de la perte du rendement attendu d’un autre investissement qu’elle n’a pu réaliser, de la perte du prix de vente des titres ECC acquis le 29 juin 2009, et de son compte courant.

Le tribunal de commerce de Paris a, le 20 janvier 2016, ordonné son dessaisissement au profit du tribunal de commerce de Bobigny.

La société AWF est intervenue volontairement le 20 janvier 2017 et MM. [Z] et [N] et la société 21 Centrale partners ont soulevé diverses fins de non-recevoir.

Par jugement du 2 mai 2017, le tribunal de commerce de Bobigny a débouté les défendeurs de ‘leur fin de non-recevoir’ et réservé toutes les autres demandes, l’affaire étant renvoyée à une audience pour fixer la date de plaidoirie.

La société ECC a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 19 novembre 2018 du tribunal de canton de Fribourg.

Par jugement du 15 décembre 2020, le tribunal de commerce de Bobigny a :

– dit la demande de la société AWE venant aux droits de la société AWF recevable ;

– débouté la société AWE venant aux droits de la société AWF de l’ensemble de ses demandes ;

– débouté MM. [L] et [Z] de leur demande de dommages et intérêts ;

– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

– condamné la société AWE venant aux droits de la société AWF à verser au titre de l’article 700 du code de procédure civile à la société 21 Centrale partners la somme de 20.000 euros, à M. [N] la somme de 5.000 euros, à M. [L] la somme de 5.000 euros et à M. [Z] la somme de 20.000 euros, et débouté MM. [N], [L] et [Z] du surplus de leur demande à ce titre ;

– ordonné l’exécution provisoire du jugement ;

– condamné la société AWE venant aux droits de la société AWF aux dépens.

Par déclaration du 12 janvier 2021, la société AWE, venant aux droits de la société AWF, a fait appel du jugement du 15 décembre 2020.

Par déclaration du 2 février 2021, la société 21 Centrale partners et M. [L] ont fait appel des jugements du 2 mai 2017 et du 15 décembre 2020.

Les deux instances ont été jointes par ordonnance du 4 mai 2021.

Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 1er juin 2022, la société AWE, venant aux droits de la société AWF, et la société AWF demandent à la cour :

– de confirmer le jugement du 2 mai 2017 ;

– d’infirmer le jugement du 15 décembre 2020 en ce qu’il a débouté la société AWE venant aux droits de la société AWF de l’ensemble de ses demandes et l’a condamnée aux dépens et à verser au titre de l’article 700 du code de procédure civile à la société 21 Centrale partners la somme de 20.000 euros, à M. [N] la somme de 5.000 euros, à M. [L] la somme de 5.000 euros et à M. [Z] la somme de 20.000 euros, de le confirmer pour le surplus ;

– statuant à nouveau, de condamner in solidum la société 21 Centrale partners et MM. [Z], [L] et [N] à payer à la société AWE la somme de 14.011.868 euros en réparation du préjudice subi du fait de la présentation fautive d’un mémorandum d’investissement, d’ordonner que ‘ces sommes’ portent intérêts à compter de l’introduction de l’instance, d’ordonner la capitalisation des intérêts, de débouter la société 21 Centrale partners et MM. [Z], [L] et [N] de leurs demandes, de condamner in solidum la société 21 Centrale partners et MM. [Z], [L] et [N] à payer à la société AWE la somme de 50.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 17 juin 2022, la société 21 Invest France, anciennement dénommée 21 Centrale partners, et M. [L] demandent à la cour :

– de les recevoir en leur appel du jugement du 2 mai 2017, de l’infirmer en ce qu’il a débouté les défendeurs de leur fin de non-recevoir tendant à voir déclarer la demande de la société AWE irrecevable, statuant à nouveau de déclarer la société AWE irrecevable en ce qu’elle tend à obtenir réparation du préjudice subi par la société AWF et de la débouter de ses demandes, subsidiairement de juger que la société AWF n’a subi aucun préjudice ;

– de confirmer le jugement du 15 décembre 2020 en ce qu’il a débouté la société AWE de ses demandes, de les recevoir en leur appel et d’infirmer ce jugement en ce qu’il a débouté M. [L] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et ce qu’il a fixé à 20.000 euros le montant de l’article 700 du code de procédure civile en ce qui concerne la société 21 Centrale partners, statuant à nouveau de débouter la société AWE de ses demandes, de la condamner à payer à M. [L] la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le caractère abusif de la procédure et celle de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à payer à la société 21 Centrale partners la somme de 60.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel avec droit de recouvrement direct.

Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 31 mai 2022, M. [N] demande à la cour :

– de confirmer le jugement du 15 décembre 2020 en ce qu’il a jugé qu’aucune faute ne peut lui être reprochée et a rejeté les demandes de la société AWE ;

– à titre subsidiaire, d’une part de juger que la société AWE ne saurait venir aux droits de la société AWF qu’à concurrence des droits qu’elle a acquis auprès d’elle et, en conséquence, de rejeter toutes les demandes de la société AWE qui seraient fondées sur les créances obligataires et en compte courant de la société AWF dont la société AWE n’est pas le cessionnaire, et d’autre part de juger que la société AWE ne dispose d’aucun intérêt personnel à demander l’indemnisation de l’hypothétique préjudice résultant de la prétendue perte par la société AWF d’une opportunité d’investissement et de la perte par la société AWF d’une opportunité de céder à bon compte les actions qu’elle détenait au capital de la société ECC et, en conséquence, de rejeter les demandes de la société AWE à ce titre ;

– en tout état de cause, d’infirmer le jugement du 15 décembre 2020 en ce qu’il a fixé à 5.000 euros le montant de l’article 700 du code de procédure civile en ce qui le concerne et, statuant à nouveau, de condamner la société AWE à lui payer la somme de 45.000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, de débouter la société AWE de toutes ses demandes, de la condamner à lui payer la somme de 20.000 euros au titre de ses frais irrépétibles d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens d’appel avec droit de recouvrement direct.

Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 4 mai 2022, M. [Z] demande à la cour :

– d’infirmer les jugements des 2 mai 2017 et 15 décembre 2020 en toutes leurs dispositions concernant la société AWE et, statuant à nouveau, de déclarer irrecevables les demandes de la société AWE ;

– subsidiairement, de confirmer le jugement du 15 décembre 2020 en toutes ses autres dispositions ;

– en tout état de cause, d’infirmer le jugement du 15 décembre 2020 en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, statuant à nouveau de condamner la société AWE à lui payer la somme de 60.000 euros à titre de dommages et intérêts pour action abusive, de débouter la société AWE de toutes ses demandes, de débouter la société AWF de toutes ses demandes, de condamner la société AWE à lui payer la somme de 50.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux dernières conclusions signifiées conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

SUR CE,

Sur la qualité à agir de la société AWE :

La société 21 Centrale partners et M. [L] soutiennent que l’action de la société AWE est irrecevable en ce qu’elle tend à demander condamnation à son profit du préjudice prétendument subi par la société AWF. Ils font valoir que les actions personnelles ne sont pas transmissibles dans les cessions de valeurs mobilières, le cessionnaire étant un ayant-cause à titre particulier et non à titre universel et l’action en responsabilité délictuelle n’étant pas un accessoire des actions cédées, qu’en outre en l’espèce la société AWF n’a pas subi de préjudice puisqu’elle a revendu ses titres à leur valeur d’acquisition et ses comptes courants à leur valeur nominale, qu’enfin les articles 3 et 5 du contrat de cession conclu entre les sociétés AWF et AWE visent les droits attachés à la propriété des actions, qui ne comprennent pas l’action personnelle que la société AWF détiendrait pour obtenir la réparation de préjudices.

M. [Z] soutient que l’action de la société AWE est irrecevable faute de qualité et d’intérêt à agir. Il fait valoir qu’une action fondée sur de prétendues manoeuvres dolosives est strictement personnelle au cédant dont le consentement aurait été vicié, que le cessionnaire de parts sociales ou de créances ne succède pas de plein droit aux obligations personnelles de son auteur, qu’il s’agisse des actions en nullité ou des actions en responsabilité pour dol, qu’en outre la société AWE ne justifie ni même ne demande la réparation d’un préjudice qui lui serait personnel.

La société AWE réplique qu’elle a qualité à agir dès lors que la cession des actions de la société ECC a emporté de plein droit transfert des actions en justice attachées à ces titres. Elle fait valoir que le principe de transmission des droits et actions attachés à la chose est applicable quel que soit le régime de responsabilité du vendeur et qu’il n’est pas nécessaire de rechercher si le cessionnaire d’une créance justifie d’un acte stipulant expressément la cession de l’action en responsabilité. Elle ajoute que son action porte non seulement sur des agissements antérieurs à l’investissement dans la société ECC mais aussi sur des manoeuvres frauduleuses postérieures à l’investissement, dont la découverte en juillet 2012 d’un plan d’affaires ne correspondant pas à la réalité, de sorte qu’elle a elle-même été victime de ces agissements. Elle précise que son action n’est pas une action en nullité d’une cession pour dol mais une action en responsabilité délictuelle contre les auteurs de fautes commises avant et après l’augmentation de capital du 29 juillet 2010 qui ont eu pour conséquence une diminution nette de la valeur de la créance que lui a cédée la société AWF.

La cour relève que M. [N] ne demande pas l’infirmation du jugement du 2 mai 2017 qui a débouté les défendeurs de leur fin de non-recevoir ni, à titre principal, l’infirmation du jugement du 15 décembre 2020 qui a déclaré recevable la demande de la société AWE venant aux droits de la société AWF. Il soulève une fin de non-recevoir tiré du défaut d’intérêt à agir à titre subsidiaire. Toutefois, en application de l’article 125 du code de procédure civile, la cour entend soulever d’office l’irrecevabilité de l’action et des demandes de la société AWE en ce qu’elles sont également dirigées contre M. [N] tirée du défaut de qualité à agir de la société AWE venant aux droits de la société AWF, les appelantes ayant pu discuter de cette fin de non-recevoir qui n’est pas distincte de celle soulevée par la société 21 Centrale partners et MM. [L] et [Z].

Seule la société AWE formule une demande en paiement et elle le fait en arguant de sa qualité d’ayant droit à titre particulier, laquelle n’est pas discutée par les autres parties. Elle affirme expressément agir en venant aux droits de la société AWF.

La société AWE agit ainsi en responsabilité délictuelle à raison de fautes commises par la société 21 Centrale partners et MM. [N], [L] et [Z] dans l’établissement d’un mémorandum d’investissement qui a été déterminant du consentement de la société AWF d’investir dans la société ACI et elle demande réparation des préjudices personnels de la société AWF.

C’est au regard de ces seuls préjudices, et non de préjudices subis personnellement par la société AWE après l’acquisition, en mai 2012, des actions, et obligations et comptes courants détenus par la société AWF, dont elle ne demande pas réparation dans le dispositif de ses conclusions, que la qualité à agir de la société AWE doit être appréciée.

Les préjudices allégués en pages 39 et 40 des conclusions sont les suivants :

– l’investissement perdu par la société AWF, à savoir la perte de l’entier investissement de l’augmentation de capital, soit 1.441.499 euros investis en capital, 2.054.315 euros apportés en compte courant, et 3.885.674 euros souscrits en obligations, soit une somme totale de 7.381.488 euros ;

– un gain manqué, à savoir, compte tenu des sommes investies dans la société ECC, la renonciation à conclure une autre opération qui aurait procuré à la société AWF un rendement de 3.500.000 euros ;

– la perte subie par la société AWF de la possibilité, d’une part, de céder, au prix de 437 francs suisses, les 6.429 titres acquis préalablement à l’augmentation de capital (perte de 2.280.380 euros), et, d’autre part, de la possibilité que lui soit remboursé son compte courant (850.000 euros).

Ce sont donc des préjudices nés des décisions de la société AWF d’investir, en juillet 2010, dans la société ACI, et non dans une autre opération, de ne pas céder sa participation au capital de la société ECC, précédemment acquise, et de ne pas se faire rembourser les comptes courants, avant les cessions de ses actions, obligations et comptes courants à la société AWE le 4 mai 2012, dont la société AWE demande réparation, ces décisions ayant été prises, selon elle, au vu d’un mémorandum d’investissement, document précontractuel, fondé sur des prévisions irréalistes et dépourvu d’informations claires sur les risques et aléas.

Contrairement à ce que soutient la société AWE en page 22 de ses conclusions, ces préjudices ne sont pas constitués de la ‘diminution nette de la valeur de la créance que lui a cédée la société AWF’ et, comme il a été dit, la société AWE ne demande pas la réparation d’un préjudice personnellement subi, pas même d’un préjudice constitué de la perte ou de la diminution de créances que la société AWF lui aurait cédées et résultant de fautes commises antérieures à cette cession par la société 21 Centrale partners et

MM. [L], [N] et [Z].

L’action en responsabilité délictuelle fondée sur des fautes ayant conduit la société AWF à investir dans la société ACI et non dans une autre opération et à ne pas désinvestir de la société ECC est une action qui lui est strictement personnelle et qui n’est pas attachées aux actions de la société ECC, aux actions et obligations émises par la société ACI et aux comptes courants détenus dans les sociétés ACI et ECC qu’elle a ultérieurement cédés à la société AWE. La clause de subrogation invoquée par la société AWE (‘le cessionnaire étant subrogé dans l’intégralité des droits et obligations du cédant’) n’a pas eu pour effet de transmettre au cessionnaire les actions strictement personnelles à la société AWF, cédante.

Une telle action n’a pas été transmise à la société AWE de sorte qu’elle est dépourvue de qualité à demander réparation des préjudices prétendument subis par la société AWF.

Il s’ensuit que les deux jugements déférés doivent être infirmés et la société AWE déclarée irrecevable en toutes ses demandes.

Sur les demandes de dommages et intérêts :

MM. [L] et [Z] demandent l’infirmation du jugement du 15 décembre 2020 en ce qu’il les a déboutés de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et la condamnation de la société AWE à leur payer à ce titre respectivement la somme de 20.000 euros et celle de 60.000 euros.

M. [L] soutient que la société AWE n’articule à son égard aucun fait sérieux susceptible d’engager sa responsabilité personnelle alors que la responsabilité de dirigeant ne peut être engagée par un tiers que s’il est démontré un acte délictueux distinct et étranger à ses fonctions.

M. [Z] fait valoir que l’action engagée contre lui par la société AWE est manifestement infondée et a été engagée avec une grande légèreté alors qu’assigné depuis 2014 à titre personnel il subit un préjudice moral important.

MM. [L] et [Z] invoquent ainsi le mal fondé manifeste des prétentions de la société AWE alors que la cour les ayant dites irrecevables n’a pas apprécié leur caractère sérieux. En tout cas ils ne justifient pas d’un préjudice et la méprise de la société AWE, en ce qu’elle a entendu agir en venant aux droits de la société AWF, sur l’étendue de ses droits n’a pas fait dégénérer en abus l’exercice de son droit d’agir en justice.

Le jugement du 15 décembre 2020 sera donc confirmé en ce qu’il a débouté MM. [L] et [Z] de leur demande de dommages et intérêts.

Sur les demandes accessoires :

La société AWE, succombant en son appel, sera condamnée aux dépens et ne peut prétendre à une indemnité procédurale.

La société 21 Centrale partners et M. [N] demandent l’infirmation du jugement du 15 décembre 2020 en ce qu’il a fixé le montant de l’article 700 du code de procédure civile les concernant à, respectivement, 20.000 euros et 5.000 euros. Ces montants seront toutefois confirmés.

De même, les condamnations prononcées par le tribunal au profit MM. [L] et [Z] seront confirmées.

La cour ajoute au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel par la société 21 Centrale partners et M. [L], ensemble, la somme de 10.000 euros, par M. [N] la somme de 10.000 euros et par M. [Z] la somme de 5.000 euros et ce, compte tenu des différentes sommes déjà allouées par le tribunal.

PAR CES MOTIFS,

La Cour statuant contradictoirement,

Infirme le jugement du 2 mai 2017 en toutes ses dispositions ;

Infirme le jugement du 15 décembre 2020 en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a débouté MM. [L] et [Z] de leur demande de dommages et intérêts, a condamné la société AWE venant aux droits de la société AWF à verser au titre de l’article 700 du code de procédure civile à la société 21 Centrale partners la somme de 20.000 euros, à M. [C] [N] la somme de 5.000 euros, à M. [G] [L] la somme de 5.000 euros et à M. [M] [Z] la somme de 20.000 euros et condamné la société AWE venant aux droits de la société AWF aux dépens ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Déclare irrecevable la société AWE en son action et en toutes ses demandes ;

Y ajoutant,

Condamne la société AWE à payer, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel, à la société 21 Invest France, anciennement dénommée 21 Centrale partners et à M. [G] [L], ensemble, la somme de 10.000 euros, la somme de 10.000 euros à M. [C] [N] et la somme de 5.000 euros à M. [M] [Z] ;

Condamne la société AWE aux dépens d’appel et accorde aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre le droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

La greffière,

Liselotte FENOUIL

La Présidente,

Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT

 


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