Augmentation de capital : décision du 13 mars 2024 Cour d’appel de Paris RG n° 22/05265
Augmentation de capital : décision du 13 mars 2024 Cour d’appel de Paris RG n° 22/05265
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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 4

ARRET DU 13 MARS 2024

(n° , 1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 22/05265 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFOOQ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Janvier 2022 – Tribunal de Commerce de Paris, 13ème chambre – RG n°2019065268

APPELANTE

Société BAYLAS OTOMOTIV ANONIM SIRKETI, société de droit turc, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au registre commercial d’Istanbul sous le numéro 233585-0

[Adresse 4]

[Localité 3] TURQUIE

Représentée par Me Matthieu Boccon Gibod de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de Paris, toque : C2477

INTIMEE

S.A.S. AUTOMOBILES CITROEN prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de Versailles sous le numéro 642 050 199

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Audrey Schwab de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de Paris, toque : L0056

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 30 Janvier 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Sophie Depelley,chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Agnès Bodard-Hermant, présidente de la chambre 5.4,

Madame Sophie Depelley, conseillère,

Monsieur Julien Richaud, conseiller,

Qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Monsieur Damien Govindaretty

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Agnès Bodard-Hermant, présidente de la chambre 5.4, et par Monsieur Maxime Martinez, greffier, auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

A partir de 1995, la société Automobile Citroën (ci-après “la société Citroën”) a fait appel à la société de droit turc Baylas Otomotiv Anonim Sirketi (ci-après “la société Baylas”) pour l’importation et la distribution de véhicules et pièces détachées des marques Citroën et DS, ainsi que des services associés sur le marché turc.

Les parties ont conclu plusieurs contrats successifs d’importation/distribution, et en dernier lieu un contrat d’importation et de distribution “sélective” à durée indéterminée du 28 juin 2011, entrée en vigueur le 1er janvier 2012.

Dans le cadre de sa nouvelle politique commerciale consistant à séparer la distribution des produits et services de la marque Citroën de ceux de la marque DS par la mise en place de contrats distincts, la société Citroën a notifié à la société Baylas, par lettre du 2 mars 2017 :

– la résiliation du contrat de 2011, à l’issue d’un préavis de 2 ans, soit au 2 mars 2019,

– la proposition de signature d’un nouveau contrat d’importation et de distribution exclusivement pour la marque Citroën à compter du 3 mars 2019 et pour une durée de 5 ans,

– l’invitation à participer à un appel d’offre pour les produits de la marque DS.

Par lettre du 21 avril 2017, la société Baylas a accepté de conclure un nouveau contrat d’importation et de distribution exclusivement pour la marque Citroën avec effet au 3 mars 2019, pour une durée de cinq ans, selon le modèle de contrat d’importation Citroën communiqué par Automobiles Citroën.

Le 24 avril 2017, la société Baylas a déposé un dossier de candidature pour devenir distributeur, sur le territoire turc, des produits de la marque DS pour une durée de 5 ans.

Le 26 juillet 2017, la société Citroën a informé la société Baylas qu’elle n’avait pas été retenue et qu’à compter du 2 mars 2019, elle n’avait plus le droit d’importer et de commercialiser ladite marque.

Par lettre du 9 novembre 2018, la société Citroën a notifié à la société Baylas la résiliation immédiate du contrat de 2011 sur le fondement de l’article XVIII de ce contrat aux motifs de retards de paiement et de ses mauvais indicateurs financiers.

Le même jour, la société Citroën a également notifié à la société Baylas qu’aucun autre contrat à durée déterminée ni à durée indéterminée ne serait conclu avec elle.

C’est dans ce contexte que par acte du 15 novembre 2019, la société Baylas a assigné la société Citroën devant le tribunal de commerce de Paris pour obtenir l’indemnisation de divers préjudices sur le fondement à titre principal d’une résiliation contractuelle fautive et à titre subsidiaire sur le fondement d’une rupture brutale de la relation commerciales établies.

Par jugement du 21 janvier 2022, le tribunal de commerce de Paris a :

– Débouté la société de droit turc BAYLAS OTOMOTIV ANONIM SIRKETI, de sa demande d’indemnisation au titre d’une résiliation contractuelle fautive du CDD de 5 ans,

– Débouté la Société de droit turc BAYLAS OTOMOTIV ANONIM SIRKETI, de sa demande subsidiaire au titre d’une rupture brutale de relation commerciale établie,

– Condamné la Société de droit turc BAYLAS OTOMOTIV ANONIM SIRKETI, à payer à la SAS AUTOMOBILES CITROËN la somme de 15 000 € au titre de l’article 700 du CPC,

– Débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires,

– Condamné la Société de droit turc BAYLAS OTOMOTIV ANONIM SIRKETI aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 € dont 12,20 € de TVA.

Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 10 mars 2022, la société Baylas a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 6 décembre 2023, la société Baylas, demande à la Cour de :

Vu les articles 1113, 1114, 1118, 1212, 1231-1, 1231-2 du Code civil ;

Vu l’article L.442-6, I 5° du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du Code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées ;

Vu le Jugement du 21 janvier 2022 ;

Vu les pièces versées aux débats ;

– D’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

* débouté la Société de droit turc BAYLAS OTOMOTIV ANONIM SIRKETI, de sa demande d’indemnisation au titre d’une résiliation contractuelle fautive du CDD de 5 ans,

* débouté la Société de droit turc BAYLAS OTOMOTIV ANONIM SIRKETI, de sa demande subsidiaire au titre d’une rupture brutale de relation commerciale établie,

* condamné la Société de droit turc BAYLAS OTOMOTIV ANONIM SIRKETI, à payer à la SAS AUTOMOBILES CITROËN la somme de 15.000 € au titre de l’article 700 du CPC,

* débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires mais uniquement lorsqu’il déboute la Société de droit turc BAYLAS OTOMOTIV ANONIM SIRKETI de ses demandes,

* condamné la Société de droit turc BAYLAS OTOMOTIV ANONIM SIRKETI aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 € dont 12,20 € de TVA.

Et statuant à nouveau, il est demandé à la Cour d’appel de :

A titre principal,

– Juger que AUTOMOBILES CITROËN engage sa responsabilité contractuelle à l’égard de BAYLAS OTOMOTIV A.S pour la rupture abusive du contrat à durée déterminée du 3 mars 2019 au 3 mars 2024 ;

– Condamner AUTOMOBILES CITROËN à verser à BAYLAS OTOMOTIV ANONIM SIRKETI la somme de 28.649.000€ (vingt-huit millions six cent quarante-neuf mille euros) à titre de dommages et intérêts pour résiliation fautive du contrat à durée déterminée du 3 mars 2019 au 3 mars 2024 formé avec BAYLAS OTOMOTIV ANONIM SIRKETI.

A titre subsidiaire :

– Juger que AUTOMOBILES CITROËN engage sa responsabilité délictuelle à l’égard de BAYLAS OTOMOTIV ANONIM SIRKETI pour la rupture brutale de la relation commerciale établie entre elles depuis plus de vingt-trois ans ;

– Condamner AUTOMOBILES CITROËN à verser à BAYLAS OTOMOTIV ANONIM SIRKETI la somme de de 23.350.000€ (vingt-trois millions trois cent cinquante mille euros) à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies, correspondant à un gain mensuel manqué de 778.333 euros, ramené à 30 mois.

En tout état de cause et y ajoutant :

– Débouter AUTOMOBILES CITROËN de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

– Condamner AUTOMOBILES CITROËN à verser à BAYLAS OTOMOTIV ANONIM SIRKETI la somme de 100.000 euros au titre de la première instance et 50.000 euros en cause d’appel, sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

– Condamner AUTOMOBILES CITROËN au paiement de l’ensemble des frais et dépens de première instance et d’appel, les dépens en cause d’appel étant recouvrés par Me Matthieu Boccon-Gibod, S.E.L.A.R.L LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Avocat constitué, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 8 décembre 2023, la société Citroën, demande à la Cour de :

Vu les articles 1112, 1113, 1114, 1118 et 1231-1 du Code civil ;

Vu l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dans sa rédaction applicable en l’espèce ;

A titre principal :

– Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par la 13ème chambre du Tribunal de commerce de Paris le 21 janvier 2022 (RG n°2019065268).

A titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la Cour venait à infirmer partiellement ou totalement le jugement rendu par la 13ème chambre du Tribunal de commerce de Paris le 21 janvier 2022 (RG n°2019065268) :

Sur la demande formulée par Baylas Otomotiv Anonim Sirketi au titre de l’article 1231-1 du code civil :

– Juger, à titre principal, que le contrat à durée déterminée prétendument conclu entre les sociétés AUTOMOBILES CITROEN et BAYLAS OTOMOTIV ANONIM SIRKETI pour la période courant du 3 mars 2019 au 3 mars 2024 n’a jamais été conclu.

– Juger, à titre subsidiaire, que les sociétés AUTOMOBILES CITROEN et BAYLAS OTOMOTIV ANONIM SIRKETI seraient tout au plus convenues d’un accord de principe portant sur la conclusion ultérieure d’un contrat à durée déterminée pour la période du 3 mars 2019 au 3 mars 2024.

– Juger, à titre plus subsidiaire, qu’à supposer que le contrat à durée déterminée pour la période du 3 mars 2019 au 3 mars 2024 ait été conclu au 1er semestre 2017, la résiliation immédiate du contrat à durée indéterminée entre les sociétés AUTOMOBILES CITROEN et BAYLAS OTOMOTIV ANONIM SIRKETI du 28 juin 2011, le 9 novembre 2018, a entraîné la caducité concomitante du contrat à durée déterminée allégué pour la période du 3 mars 2019 au 3 mars 2024.

– Juger, en tout état de cause, que la demande de réparation de la société BAYLAS OTOMOTIV ANONIM SIRKETI tirée de la résiliation fautive alléguée du prétendu contrat à durée déterminée pour la période du 3 mars 2019 au 3 mars 2024 est dépourvue de tout fondement.

En conséquence :

– Débouter la société BAYLAS OTOMOTIV ANONIM SIRKETI de sa demande au titre de l’article 1231-1 du Code civil.

Sur la demande formulée par Baylas Otomotiv Anonim Sirketi au titre de l’article l. 442-6, I, 5° du code de commerce

– Juger, à titre principal, que la société AUTOMOBILES CITROEN n’a pas mis un terme à sa relation commerciale avec la société BAYLAS OTOMOTIV ANONIM SIRKETI de manière brutale au sens de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.

– Juger, à titre subsidiaire, que la société BAYLAS OTOMOTIV ANONIM SIRKETI n’a subi aucun préjudice réparable sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.

En conséquence :

– Débouter la société BAYLAS OTOMOTIV ANONIM SIRKETI de sa demande au titre de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.

En tout état de cause :

– Débouter la société BAYLAS OTOMOTIV ANONIM SIRKETI de toutes ses demandes.

– Condamner la société BAYLAS OTOMOTIV ANONIM SIRKETI à payer à la société AUTOMOBILES CITROEN la somme de 70.000 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile (en sus de la condamnation prononcée par le Tribunal de commerce de Paris), ainsi qu’aux entiers dépens dont le recouvrement, pour ceux-là concernant, sera poursuivi par la SELARL 2H AVOCATS en la personne de Maître Audrey SCHWAB, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de Procédure Civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 décembre 2023.

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1-Sur la demande de dommages-intérêts de la société Bayals fondée sur une résiliation fautive de la relation contractuelle

Exposé des moyens

La société Baylas fait valoir pour l’essentiel qu’un contrat de distribution d’une durée déterminée de cinq ans pour la période 2019 à 2024 a été conclu entre les parties et que celui-ci a été fautivement rompu de manière anticipée par lettre du 9 novembre 2018. Elle expose que le courrier de la société Citroën adressé le 2 mars 2017 accompagné d’un document contractuel et soumis à l’acceptation du distributeur Baylas constituait une offre précise, complète et ferme, qui faisait suite à plusieurs mois de négociation. Selon elle, l’intention de la société Citroën aux termes de ce courrier était clairement d’annoncer la résiliation du contrat de 2011 et de proposer concomitamment la conclusion d’un nouveau contrat de distribution sélective pour la période 2019/2024. En retournant le courrier d’acceptation signé le 21 avril 2017, sans aucune réserve et avant toute rétractation de l’offre, la société Baylas affirme avoir manifesté son intention d’accepter cette offre, et qu’ainsi un contrat parfait de distribution agrée s’est formé entre les parties en 2017 et devant prendre effet au 3 mars 2019. Elle précise que la conformité aux critères de sélectivité ne constituait qu’une condition suspensive à l’entrée en vigueur du contrat et non à sa formation.

La société Baylas fait ensuite valoir que la résiliation par la société Citroën du contrat de 2011 dont le terme arrivait à échéance en mars 2019 par un premier courrier du 9 novembre 2018, est manifestement fautive et abusive. Elle soutient que les motifs de la rupture, à savoir la défaillance de Baylas dans le règlement de ses factures et la valeur négative de ses capitaux, ne sont pas justifiés. Elle prétend que la société Citroën a man’uvré pour l’entretenir dans la croyance légitime de la conclusion d’un contrat de distribution pour la période 2019-2024 et de profiter de la crise économique de 2018 qui a durement touché la Turquie pour évincer son partenaire historique et le remplacer par sa propre société filiale. De même, la société Baylas soutient que la résiliation par la société Citroën suivant un second courrier du 9 novembre 2018, sans préavis et avant terme, du contrat à durée déterminée pour la période de 2019à 2024, sans aucune justification, afin de remplacer son partenaire par sa propre filiale sans bourse délier, constitue indéniablement une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle.

La société Citroën, après avoir exposé l’historique des relations entre les parties depuis le début des difficultés financières de la société Baylas en 2017, fait principalement valoir qu’aucun contrat de remplacement de celui de 2011 n’avait été conclu entre les parties et que le 9 novembre 2018, elle était en droit de mettre immédiatement un terme au préavis accordé le 2 mars 2017 en raison des graves inexécutions contractuelles de son partenaire conformément aux stipulations du contrat de 2011 et sans qu’il soit démontré d’abus de sa part dans leur mise en ‘uvre. Elle précise qu’au terme de son courrier du 2 mars 2017, après avoir informé la société Baylas de son intention d’établir deux réseaux de distribution distincts de marques, elle a uniquement invité son partenaire à conduire des négociations sur la base d’un modèle de contrat et non pas sur une version finale issues des négociations débutées en 2016 mais non achevées. Selon la société Citroën à supposer même qu’un contrat à durée déterminée ait été conclu au premier semestre 2017, celui-ci aurait été frappé de caducité dès le 9 novembre 2018, dès lors que le contrat de 2011 avait disparu le 9 novembre2018 en raison de sa résiliation immédiate par la société Citroën pour inexécution par la société Baylas de ses obligations contractuelles et du lien nécessaire entre les deux contrats.

Réponse de la Cour,

Aux termes de l’article 1114 du code civil, l’offre, faite à personne déterminée ou indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation. A défaut, il y a seulement invitation à entrer en négociation.

Selon l’article 1304 du code civil, la condition est suspensive lorsque son accomplissement rend l’obligation pure et simple.

Selon l’article 1103 du même code, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

***

Des explications de chacune des parties et des pièces versées aux débats, la Cour retient les éléments suivants ayant conduit à la rupture des relations contractuelles :

Au cours de l’année 2016, la société Citroën a informé la société Baylas de la nouvelle politique commerciale du groupe PSA consistant à mettre en place des contrats de distribution à durée déterminée distincts pour les produits et services de marque Citroën d’une part, et de marque DS, d’autre part. Dans ce cadre, la société Citroën a fait parvenir dès le mois de mars 2016 à la société Baylas, pour négociation, un projet de nouveau contrat d’importation/distribution sélective à durée déterminée des produits et services de marque Citroën (pièces Baylas n° 10 et 47).

Il s’en est suivi de multiples échanges entre les parties sur la rédaction de différentes clauses (notamment pièces Baylas n°10, 47, 66, 72 et suivantes). Courant novembre 2016, les négociations sur le projet de contrat étaient certes avancées (notamment pièces Baylas n°48, 74, 76 et 77), mais il n’est produit aux débats aucun document contractuel pouvant constituer une “version finale” sur laquelle les parties se seraient accordées.

Le 2 mars 2017, dans le cadre de la mise en ‘uvre de la nouvelle stratégie commerciale, la société Citroën a adressé à la société Baylas une lettre recommandée avec accusé de réception en ces termes (traduit de l’anglais- pièce Baylas n°12) :

“(‘) C’est ainsi que nous avons pris la décision d’établir un réseau de distribution DS distinct du réseau Citroën, et d’attribuer un contrat d’importation spécifique aux activités d’importation et de commercialisation des produits de la marque DS.

En application de cette décision, nous vous voyons obligés de résilier votre contrat d’importation Citroën actuel sous préavis de deux ans prenant fin le 2 mars 2019.

Nous vous proposons de signer au même moment un nouveau contrat d’importation et de distribution exclusivement pour la Marque Citroën avec effet au 03/03/2019, pour une durée de cinq ans, selon les termes qui ont déjà fait l’objet d’une négociation, cf. le modèle de contrat d’importation Citroën ci-joint sous l’Annexe 3, sous réserve de la conformité de votre entreprise avec les critères de sélection au 03/03/2019.

En cas d’accord avec la proposition qui précède, nous vous invitons à nous retourner le document ci-joint sous l’Annexe 1, dûment rempli, daté et signé par votre société au plus tard le 30/04/2017. A défaut de réception de votre accord à la date indiquée, nous devrons conclure que votre société ne souhaite pas poursuivre ses activités d’importateur de la marque Citroën en Turquie à compter du 03/03/2019 (‘)”.

La version originale en anglais de ce courrier est rédigée de la manière suivante :

“(‘°) In application of this décision, we need to terminate your current Citroën import agreement with a two years notice ending on 02/03/2019.

At the same time, we propose you to sign a new import and distribution contract soley for Citroën Brand as form 03/03/2019, for a periode of five years (‘)”

Il résulte des termes de ce courrier, que la société Citroën a mis un terme au 2 mars 2019 au contrat à durée indéterminée du 28 juin 2011, soit avec un préavis de 24 mois, et a proposé la poursuite des relations de distribution suivant un contrat à durée déterminée de cinq ans à l’issue de ce préavis. La locution “at the same time” figurant au début de la phrase dans la version anglaise originale, traduite par “au même moment” par la société Baylas (pièce n°2) ou “dans le même temps” par la société Citroën (pièces n°2 et 2bis), laisse clairement entendre que la signature du nouveau contrat devait intervenir le 2 mars 2019 sous réserve de la conformité de la société Baylas avec les critères de sélection au 3 mars 2019.

Si le courrier faisait état des négociations antérieures et que le modèle de contrat figurant en annexe 3 était pour partie le fruit de ces négociations, force est de constater que ce modèle de contrat figurant en annexe 3 était sur chaque page barré avec la mention “SPECIMEN” rendant en l’état sa signature impossible.

Par la suite et suivant les indications de ce courrier, le 27 avril 2017 la société Baylas a retourné signé, non pas un contrat de distribution mais le formulaire en annexe n°1 portant la mention “nous acceptons de conclure un nouveau contrat d’importation et de distribution exclusivement pour la marque Citroën avec effet au 03/03/2019, pour une durée de cinq ans, selon le modèle de contrat d’importation Citroën communiqué par Automobiles Citroën”.

Par lettre du 26 juillet 2017 la société Citroën confirmait “avoir reçu la lettre d’acceptation par le biais de laquelle vous acceptez notre proposition de conclure un nouveau contrat d’importation et de distribution exclusivement pour la marque Citroën avec effet au 03/03/2019, pour une durée de 5 ans, selon le modèle de Contrat d’importation Citroën joint à notre courrier précédent.”

La Cour constate que le modèle de contrat transmis par courrier du 2 mars 2017 comporte expressément dans son préambule les stipulations suivantes :

“2. L’importateur a été sélectionné dans le cadre du système de la distribution sélective qualitative et quantitative selon les critères établis à cet effet qui figurent en Annexe 1 ci-jointe et qui sont liés en particulier à la compétence professionnelle, aux moyens financiers, d’organisation, immobiliers, matériels et humains dont doit disposer un importateur pour exercer son activité d’importateur Citroën (‘).”

Et que l’annexe 1 du modèle de contrat ne comportait aucun critère établi.

Aussi, en concordance avec les termes du courrier du 2 mars 2017, le respect des critères de sélection par la société Baylas était un préalable nécessaire à la conclusion du contrat de distribution à durée déterminée à l’issue du préavis le 2 mars 2019, et non une condition suspensive à l’entrée en vigueur d’un contrat déjà formé en 2017 comme le soutient la société Baylas. D’ailleurs, le spécimen de contrat transmis avec le courrier du 2 mars 2017 mentionne l’année 2019 comme prise d’effet du contrat dans son article XIX intitulé “Durée du contrat”, et non le 1er janvier 2017 comme dans le projet de clause communiqué dans les derniers échanges courant novembre 2016 (pièce Baylas n°77).

Dès lors, comme l’a justement retenu le tribunal, le courrier du 2 mars 2017 auquel était joint un document contractuel, ne constituait pas une offre ferme d’engagement de la part de la société Citroën à cette date, mais une invitation à entrer en négociation pour la conclusion future d’un contrat de distribution à durée déterminée, sur la base du modèle de contrat produit et sous réserve de remplir les critères de sélection à l’issue du préavis en mars 2019. Le tribunal en a justement déduit que la rupture de la relation en novembre 2018 n’a pu affecter un contrat qui n’était pas formé à cette date.

Dans le même temps, la société Citroën justifie que dès le mois de mars 2017, elle a été confrontée à des difficultés financières de la part de la société Baylas, et ce bien avant la crise économique survenue en Turquie en 2018 telle qu’évoquée par cette dernière, avec les premiers signes d’une crise monétaire à compter de mai 2018 et une entrée en récession de la Turquie au dernier trimestre 2018 (pièces Baylas n°17 à 20).

La société Citroën produit aux débats différents échanges de courriels entre mars et juillet 2017 (pièces n° 11 à 14), faisant état des retards de paiement de la société Baylas, passant de 4,5 millions d’euros en mars 2017 à 7,5 millions d’euros en juillet 2017, dépassant l’encours de factures garanties. Il n’est pas sérieusement contesté que courant octobre 2017 (pièce Baylas n°69), une session de travail a été organisée par la société Citroën conduisant à la mise en place d’un plan intitulé “Restore Baylas Profitability” (RBP) visant à restaurer la rentabilité de la société Baylas, mais dont l’exécution a été perturbée par des pratiques de fausses déclaration de livraisons de la part de cette dernière (pièce Citroën n° 15).

Les retards de paiement de la société Baylas se sont aggravés courant 2018 avec la mauvaise conjoncture économique en Turquie. Si dans un premier temps la société Citroën a accepté des délais de paiement, elle a par la suite refusé une extension des délais de paiement à 180 jours courant mai 2018 (pièces Citroën n°16 à 19). Le 20 juin 2018, la société Baylas a sollicité l’ajustement, à titre exceptionnel, du volume de livraison des produits Citroën en arguant de l’impact de la situation financière en Turquie sur le volume des ventes.

Si la société Baylas reproche à la société Citroën de lui avoir imposé des conditions financières l’ayant particulièrement exposée à la variabilité du taux de change, notamment le paiement de ses factures en euros, la société Citroën considère au contraire que sa situation s’est aggravée du fait de l’impact de ses frais financiers sur sa situation globale. La société Citroën explique, sans être utilement contredite par la société Baylas, que celle-ci réglait les produits Citroën selon des délais de paiement de 75 jours à compter de l’établissement des documents de transport pour les véhicules neufs et 90 jours fin de mois pour les pièces détachées, occasionnant un fort risque de change qui justifiait un règlement en euros. Aussi, la société Citroën expose ne pas avoir voulu assumer le risque de change de son importateur local indépendant qui opérait sur un marché dont la devise était très volatile et qui avait une gestion financière des risques de change trop couteuse. A l’inverse, elle explique que sa filiale réglait les produits Citroën comptant, ce qui réduisait le risque de change et justifiait un paiement en livres turques, et cette filiale bénéficiait par ailleurs d’une gestion centralisée de son risque de change au niveau de la tête de groupe.

C’est ainsi qu’à la suite d’une réunion de travail s’étant tenue le 21 juin 2018, la société Citroën a exprimé ses inquiétudes et émis plusieurs recommandations pour la pérennité de l’activité, telles que (pièce Citroën n°22) :

– La réduction de son besoin en fonds de roulement,

– La réduction de sa dette à l’égard de Citroën,

– La révision de sa politique d’emprunts bancaires en termes de durée et de devises,

– La couverture de son risque de change par la mise en place de contrats financiers spécifiques et un soutien au niveau de son groupe,

– La révision de sa structure financière, notamment en envisageant une augmentation de capital en raison de ses capitaux propres négatifs

– La présentation d’un plan d’action à la COFACE,

– La cessation de son activité de concessionnaires et l’éventuelle cession de ses succursales à des investisseurs tiers.

Par courriel du 28 juin 2018, la société Baylas faisait part de ses engagements suivants :

– La réduction de son besoin en fonds de roulement

– Le retour à une politique d’emprunts long terme après avoir contracté des emprunts court terme couteux,

– La mise en place à compter du mois d’août 2018 de contrats visant à couvrir les risques de change,

– L’augmentation de son capital social,

– La cession partielle d’une filiale à une entité du groupe.

Le 17 juillet 2018, la COFACE a notifié à la société Citroën une réduction de l’agrément sur la société Bayals de 60 millions à 30 millions d’euros (pièce Citroën n° 24 et 25).

Par courriel du 10 août 2018, la société Baylas faisait état de la crise économique en Turquie en ces termes : “En dehors de l’effet dévastatrice de l’Euro/TRL sur les prix des véhicules ainsi que le pouvoir d’achat des turcs, le risque systémique qui pèce sur l’ensemble des acteurs économiques devient de plus en plus difficile à assumer. La dépréciation de la livre turque de l’ordre de 13% rien que cette semaine démontre la gravité de la situation” et de son impact en termes de stocks importants de véhicules non vendus. Dans ces conditions qualifiées “d’extrêmes” la société Baylas faisait les demandes suivantes :

“- Nous ne souhaitons recevoir aucun véhicule en septembre (pas de facturation de PSA envers Baylas), car chaque véhicule que nous allons mettre sur le marché ne va que générer des pertes insupportables financièrement,

– Dans le but de nous aider à surmonter cette période de crise économique merci de bien vouloir considérer notre demande d’annuler la production de septembre et celle des mois ultérieurs selon leur faisabilité,

– Dans le cas où toute ou une partie des annulations de production ne serait possible, merci de les stocker en usine jusqu’à ce que le marché turc soit de nouveau capable d’absorber ces véhicules”

Par la suite les impayés de la société Baylas se sont aggravés pour atteindre près de 20 millions d’euros courant novembre 2018. La société Citroën a envoyé plusieurs lettres de mise en demeure (pièces Citroën n° 31 à 38) sans accéder aux demandes de délais de paiement ou solutions alternatives de la société Baylas (notamment pièces n°24 et 26) faisant face à une forte détérioration du marché monétaire.

Par lettre du 9 novembre 2018, la société Citroën a notifié à la société Baylas la résiliation immédiate du contrat de 2011 conformément aux dispositions de l’article XVIII en raison des retards de paiement et des mauvais indicateurs financiers.

L’article XVIII stipule en effet que :

“1°- En cas de difficultés financières rencontrées par l’importateur, de problèmes de trésorerie, de fonds de roulement négatif, de défaut de fournir dans les délais convenus les documents visés à l’Article XI 2°, de défaut ou de retard dans le paiement à Citroën, ou à toute société à laquelle Citroën a cédé ses créances, quelles qu’en soient la cause, la nature ou l’importance, ou dans le cas d’une procédure de suspension temporaire des créances, de sauvegarde judiciaire, d’accord avec les créanciers, de liquidation ou de redressement judiciaire, Citroën aura le droit de prendre toutes les mesures qu’elle jugerait nécessaires afin de garantir le paiement de ses créances et/ou de limiter ses risques et/ou ceux de la société à laquelle Citroën aura cédé ses créances. Lesdites mesures peuvent se décliner comme suit (‘).

2°- Dans l’un quelconque des cas énumérés au premier paragraphe en 1° ci-dessus, Citroën aura également le droit de résilier le présent Contrat immédiatement et sans préavis, sans avoir à verser d’indemnité et sans préjudice de tous ses autres droits et activités.”

Par une autre lettre du 9 novembre 2018, la société Citroën a notifié à la société Baylas, qu’aucun autre contrat à durée déterminée ni à durée indéterminée ne serait conclu.

Ainsi, la société Citroën a décidé de mettre fin aux relations contractuelles découlant du contrat de 2011 pendant la période de préavis et suivant les stipulations contractuelles prévues à l’article XVIII en cas de difficultés financières du distributeur.

Un accord de désengagement a été conclu entre les parties pour organiser les modalités pratiques de la fin des relations commerciales et la reprise de l’activité de distribution par une société filiale de Citroën

Si les difficultés financières de la société Baylas se sont sérieusement aggravées du fait de la crise économique ayant frappé la Turquie à compter de mai 2018 et ont conduit au blocage de l’exécution du contrat de distribution (défaut de paiement et suspension des importations de véhicules), il ressort néanmoins de la chronologie des évènements que la société Baylas souffrait d’une perte de rentabilité avant le début de la crise de 2018, et que la société Citroën n’a pas fait le choix de soutenir davantage son partenaire historique dont elle doutait de ses capacités de redressement.

Ainsi, le rapport Accuracy du 15 décembre 2020, produit par la société Citroën, fait l’analyse suivante de la situation financière de la société Baylas sur la période 2017-2018 (pièce n°74 § 21 et suivants) :

“À fin 2017, date du dernier bilan de Baylas qui nous a été transmis, la dette financière de Baylas s’élève à 239 mTL, soit plus de 13 fois la marge opérationnelle qui a été générée l’année suivante, en 2018. Un tel niveau de dettes, avec les taux d’intérêt pratiqués en Turquie à cette époque, s’est très vite avéré insoutenable pour la société.

C’est dans ce contexte qu’ont eu lieu les premières demandes de Baylas de décaler les règlements de ses commandes auprès de Citroën.

Compte tenu de la poursuite de la dévaluation de la monnaie turque en 2018, du niveau des taux d’intérêts et de la dette portée par Baylas, et malgré les demandes restées vaines faites par Citroën de voir recapitaliser la société, la situation financière de Baylas s’est aggravée sur 2018. Les charges financières de Baylas se sont élevées à 138 mTL sur l’année 2018, représentant près de 20% de son chiffre d’affaires, pour un résultat d’exploitation proche de 0.

Les demandes de délais de règlement se sont donc poursuivies. Cette situation était tellement insoutenable que Baylas elle-même a fini par demander à Citroën en septembre 2018 de ne pas honorer les commandes qu’elle avait pourtant passées.

C’est dans ce contexte que Citroën a notifié à Baylas, la résiliation anticipée du CDI et la cessation de toute relation commerciale pour le futur”.

Cette analyse n’est pas utilement contredite par la société Baylas.

La société Baylas reproche à la société Citroën de lui avoir imposé des conditions financières l’ayant particulièrement exposée à la variabilité du taux de change, notamment le paiement de ses factures en euros, ainsi que des choix stratégiques de changement de ses gammes de véhicule ayant impacté ses ventes en pleine crise, et plus généralement d’avoir favorisé sa filiale à son détriment. Cependant, la société Baylas n’apporte pas d’élément tangible permettant d’accréditer ses allégations, ni d’analyse concrète et globale de sa situation économique et financière entre mars 2017 et novembre 2018, autre que des échanges de courriels ou des éléments parcellaires d’évaluation de son préjudice (notamment pièces n°43,68 et 69), pour apprécier la réalité de ces reproches et mesurer leur impact sur la dégradation de la situation de la société Baylas ayant conduit à la résiliation immédiate de la relation contractuelle.

Dès lors, la société Baylas échoue à démontrer que la société Citroën a mis en ‘uvre de manière abusive ou de mauvaise foi la clause contractuelle lui permettant de mettre fin immédiatement au contrat de 2011 en cas de difficultés financières sérieuses du distributeur et de refuser tout nouvel engagement dans une relation de distribution sélective.

En conséquence le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la société Baylas de sa demande de dommages-intérêts au titre d’une résiliation contractuelle fautive.

2- Sur la demande de dommages-intérêts de la société Baylas fondée sur une rupture brutale de la relation commerciale établie

Exposé des moyens

La société Baylas fait d’abord valoir qu’au moment de la notification de la rupture de la relation commerciale par courrier du 9 novembre 2018, cette relation était toujours établie. Elle conteste l’appréciation du tribunal retenant que cette relation n’était plus établie depuis le 2 mars 2017 du fait du préavis donné par la société Citroën pour mettre fin au contrat de 2011. Elle soutient que lors de la résiliation annoncée en 2017, la société Citroën proposait la signature d’un nouveau contrat déjà négocié pour une durée de cinq ans, que les parties s’étaient par ailleurs lancées dans un plan “Restore Baylas profitability” pour tenir compte de la crise économique et l’affaiblissement du secteur automobile en Turquie et que les parties ont échangé sur un plan d’affaire pour 2019 courant novembre 2018. Dans ces circonstances, selon la société Baylas, elle pouvait légitiment croire à la poursuite de la relation commerciale au-delà du 2 mars 2019 et qu’en réalité, la notification de la résiliation de la relation contractuelle en 2017 n’avait pour objectif que de changer la nature des relations en contrat à durée déterminée sur les produits de la marque Citroën, mais ne marquait pas de volonté non équivoque de la part de cette dernière de mettre fin à la relation commerciale existant entre les parties. Dès lors, selon la société Baylas la cessation immédiate des relations, après les courriers du 9 novembre 2018, caractérise une rupture brutale de la relation commerciale établie au sens des dispositions de l’article L.442-6 du code de commerce, dans sa version applicable au litige. Elle souligne que seul le second courrier du 9 novembre 2018 notifiant le refus de tout nouvel accord de distribution entre les parties constitue la rupture de la relation commerciale et que ce courrier ne comporte aucun grief ou manquement de nature à justifier une rupture brutale de la relation commerciale. En toute hypothèse, la société Baylas soutient qu’elle n’a pas été mise en demeure par Citroën préalablement à ces courriers de rupture, et que les manquements invoqués par cette dernière ne revêtent pas la gravité justifiant une rupture sans préavis. Elle précise que sa défaillance en novembre 2018 n’est pas établie et que les montants indiqués dans les courriers de notification de la société Citroën sont erronés, notamment après les opérations de compensation. Elle prétend que la prétendue situation d’impayés n’a duré que 2 mois (de septembre 2018 à novembre 2018) pour un montant à peine supérieur à 10% du chiffre d’affaires annuel réalisé par Baylas avec Citroën, cet état étant lié à la crise économique en Turquie et des règlements ont été régulièrement faits. Elle relève que le 11 décembre 2018, elle avait entièrement régularisé la situation. Enfin, elle soutient qu’elle a toujours disposé d’une bonne solidité financière notamment du fait de son appartenance à un groupe, et que la diminution de la valeur de ses capitaux propres en 2018 avait seulement pour origine la dévaluation accélérée de la livre turque face à l’euro, entrainant une diminution des ventes de véhicules et des pertes de marges brutes dans le secteur automobile. Elle ajoute qu’en ne mettant pas en ‘uvre les garanties contractuelles dont elle disposait autre que la résiliation immédiate, ni fait droit aux demandes de rééchelonnement temporaire de sa dette ou de suspension de livraison de véhicules, la société Citroën n’a pas cru dans la gravité des manquements mais cherchait avant tout à évincer son partenaire historique pour favoriser sa filiale.

Au regard de l’ancienneté de la relation (23 ans), de sa dépendance liée à la relation commerciale exclusive et de la difficulté à trouver un nouveau partenaire équivalent dans la distribution automobile, la société Baylas soutient qu’elle était en droit de bénéficier d’un préavis de trente mois et calcule son préjudice sur cette base.

La société Citroën fait d’abord valoir qu’elle était tout à fait en droit de mettre immédiatement un terme à sa relation avec la société Baylas le 9 novembre 2018 en raison des graves manquements de cette dernière. Elle rappelle qu’à cette date, la relation entre les parties se résumait au contrat de 2011 et sa résiliation immédiate pour faute avait pour corollaire la cessation de la relation entre ls parties, et que la lettre de résiliation était parfaitement explicite sur les motifs de cette résiliation. Selon elle, le second courrier du 9 novembre 2018 visait uniquement à informer la société Baylas des conséquences de cette décision en lui indiquant qu’aucun contrat ne serait conclu avec elle pour l’avenir. Elle en déduit avoir mis un terme à sa relation avec la société Baylas en se prévalant des manquements graves de cette dernière. Elle soutient que les impayés substantiels et répétés de la société Baylas atteignant près de 17,4% du chiffre d’affaires entre les parties, outre une situation financière désastreuse de son partenaire constituaient des manquements graves de nature à faire peser un risque sur la continuité de la distribution de ses produits en Turquie et justifiaient une rupture immédiate de la relation commerciale.

Ensuite, elle fait valoir que le 9 novembre 2018, date à laquelle elle a mis fin à la relation commerciale, la société Baylas avait déjà bénéficié d’un préavis de plus de 20 mois ayant commencé à courir le 2 mars 2017, largement suffisant pour les besoins de l’article L.442-6, I, 5° du code de commerce. Au-delà des manquements graves de la société Baylas, elle soutient que ce moyen justifie également à lui seul le rejet de ses demandes.

Réponse de la Cour,

L’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu’engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Cette règle ne souffre d’exception qu’en cas de force majeure ou d’inexécution par l’autre partie de ses obligations, suffisamment grave pour justifier la rupture unilatérale immédiate de la relation. (en ce sens Com., 14 octobre 2020, pourvoi n° 18-22.119).

Dans le cadre de son changement de stratégie commerciale, la société Citroën a notifié le 2 mai 2017 à la société Baylas sa volonté de mettre un terme au 2 mars 2019 à leur relation commerciale s’inscrivant dans un contrat de distribution sélective à durée indéterminée, et de prévoir une distribution des produits de marque Citroën dans le cadre d’une relation contractuelle à durée déterminée et une distribution des produits de marque DS suivant une procédure d’appel d’offres.

A la suite de ce courrier, la société Baylas a été invitée à négocier un contrat de distribution à durée déterminée de 5 ans pour la distribution des produits Citroën devant prendre effet le 2 mars 2019 et à condition de répondre à des critères de sélectivité à cette date. Pour les produits de marque DS, la société Baylas a répondu à l’appel d’offre mais n’a pas été retenue.

Dès lors, contrairement à ce qu’avance la société Baylas, par ce courrier du 2 mai 2017, la société Citroën a clairement notifié son intention d’apporter de substantielles modifications à la relation commerciale telle qu’établie à cette date entre les parties depuis 1995. La société Citroën a ainsi notifié son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale aux conditions antérieures, et a notifié cette intention de rupture avec un préavis de 24 mois.

Ce préavis de 24 mois, était nécessaire et suffisant, au regard de l’ancienneté des relations commerciales, de l’exclusivité du chiffre d’affaires réalisé par Baylas avec la société Citroën, de la spécificité des réseaux de distribution automobile et de la notoriété de la marque Citroën.

Aussi, en notifiant la cessation de toute relation commerciale à effet immédiat par lettres du 9 novembre 2018, la société Citroën a rompu de manière anticipée le délai de préavis ainsi octroyé : par lettre du 9 novembre 2018, la société Citroën a notifié à la société Baylas la résiliation immédiate du contrat de 2011 sur le fondement de l’article XVIII de ce contrat aux motifs de retards de paiement et de ses mauvais indicateurs financiers et, le même jour, la société Citroën a également notifié à la société Baylas qu’aucun autre contrat à durée déterminée ni à durée indéterminée ne serait conclu avec elle.

La société Citroën a ainsi clairement notifié à la société Baylas la cessation immédiate des relations aux motifs de retards de paiement et de ses mauvais indicateurs financiers.

S’agissant des retards de paiement, la société Citroën justifie avoir envoyé des lettres de mises en demeure (pièces Citroën 31 à 39), portant la mention de mise en ‘uvre de la clause XVIII du contrat à défaut de paiement dans les délais pour les montants d’impayés suivants :

– 15 millions d’euros par lettre du 7 septembre 2018

– 7 millions d’euros par lettre du 17 septembre 2018,

– 13 millions d’euros par lettre du 19 septembre 2018,

– 17 millions d’euros par lettre du 27 septembre 2018

– Plus de 20 millions d’euros par lettres des 8 et 10 octobre 2018.

Ces lettres de mise en demeure faisaient suite à la demande de la société Baylas le 31 août 2018 d’annulation de toute expédition de véhicules pour le mois de septembre 2018 (pièce Citroën n°29).

Si la société Baylas conteste le montant des impayés ainsi réclamés sur cette période, elle reconnaît néanmoins un montant d’impayés après compensation variant de 7 à 20 millions d’euros entre le 19 septembre et le 1er novembre 2018, avec un point bas à 496 544 euros entre le 17 et le 19 septembre 2018 (conclusions Baylas § 356), soit près de l’équivalent de 17 % du chiffre d’affaires entre les parties sur les 12 derniers mois précédant la résiliation immédiate.

S’agissant de la valeur négative des capitaux propres, si la société Baylas prétend que la diminution en valeur de ses capitaux propres en 2018, par rapport aux années 2016 et 2017, n’est liée qu’à la dévaluation accélérée de la livre turque, elle ne produit aucun élément tangible pour conforter cette analyse, et notamment un état précis de sa situation financière sur l’exercice 2018 comparé aux exercices précédents (conclusions pages 75 et 76).

Au contraire, la société Citroën produit une analyse dans son rapport Accuracy, qui note :

“Si Baylas reconnait en 2018 une baisse en valeur de ses capitaux propres, elle se garde bien de la chiffrer (toute comme FTI qui a produit le compte de résultat de Baylas pour l’année 2018 mais pas de bilan, contrairement aux années 2015, 2016 et 2017).

Nous avons donc reconstitué les capitaux propres au 31/12/2018 sur la base du bilan au 31/12/2017 et du résultat de l’exercice observé dans le compte de résultat pour l’exercice 2018(‘).

Nous constatons que les capitaux propres sont passés en négatif au cours de l’exercice 2018, pour aboutir à des capitaux propres négatifs à hauteur de (132,6) mTL au 31/12/2018, ce qui s’explique par des résultats négatifs cumulés sur les trois dernières années (des pertes respectives de 20,8 mTL, 30,1 mTL et 143,8 mTL en 2016, 2017 et 2018)

La baisse de la valeur des capitaux propres en 2018 n’est donc pas uniquement liée à la dévaluation de la livre turque en 2018 mais le résultat de plusieurs années de pertes entamées début 2016 (cf. analyse de la performance historique de Baylas en section 3).

L’inquiétude de Citroën au sujet des capitaux propres de Baylas ne date d’ailleurs pas du jour de la notification de résiliation immédiate du contrat. Une augmentation de capital de Baylas semblait inévitable de longue date et avait déjà été évoquée entre les parties fin juin 2018 (‘).

La valeur négative des capitaux propres de Baylas en 2018 témoigne des difficultés financières majeures rencontrées par celle-ci, comme le montrent également les problèmes de trésorerie et de délais de paiement de règlement des créances de Citroën.”

Cette analyse n’est pas utilement contredite par la société Baylas dans son rapport FTI produit aux débats aux termes des développements sur “le contexte économique et la situation de Baylas au moment de la rupture du contrat d’importation” (pièces n° 68 § 3.6 à 3.15 et pièce n°65 § 2.1 à 2.20). Il est essentiellement fait état des capacités de la société Baylas de bénéficier de soutien financier du groupe auquel elle appartenait mais force est de constater qu’il n’a pas été mise en ‘uvre en temps utile.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la société Citroën justifie de manquement graves de la société Baylas à ses obligations de nature à justifier une cessation immédiate de la relation commerciale.

Dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la société Baylas de sa demande de dommages-intérêts au titre d’une rupture brutale de la relation commerciale établie.

3- Sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné la société Baylas aux dépens et à payer à la société Citroën la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société Baylas, succombant en son appel, sera condamnée aux dépens.

En application de l’article 700 du code de procédure civile, la société Baylas sera déboutée de sa demande et condamnée à payer à la société Citroën la somme de 30 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions soumises à la Cour,

Y ajoutant,

Condamne la société Baylas Otomotiv Anonim Sirketi aux dépens qui seront recouvrés selon les dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

Condamne la société Baylas Otomotiv Anonim Sirketi à payer à la société Automobiles Citroën la somme de 30 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

 


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