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7 septembre 2023
Cour d’appel de Grenoble
RG n°
22/01460
N° RG 22/01460 – N° Portalis DBVM-V-B7G-LKCS
C8
Minute N°
Copie exécutoire
délivrée le :
la AARPI CAP CONSEIL
la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY
la SCP GUIDETTI BOZZARELLI LE MAT,
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU JEUDI 07 SEPTEMBRE 2023
Appel d’un jugement (N° RG 2020J29)
rendu par le Tribunal de Commerce de ROMANS SUR ISERE
en date du 23 février 2022
suivant déclaration d’appel du 12 avril 2022
APPELANTE :
LA CAVE DE TAIN L’HERMITAGE, Union des propriétaires, société coopérative agricole à capital variable, inscrite au RCS de ROMANS SUR ISERE sous le n° 301 193 520, représentée par son représentant légal en exercice,
[Adresse 2]
[Localité 3] / FRANCE
représentée et plaidant par Me Valérie LIOTARD de l’AARPI CAP CONSEIL, avocat au barreau de VALENCE
INTIMÉES :
S.A.R.L. INGEVIN au capital de 147 008,00 €, immatriculée au RCS de TOULOUSE sous le n° 430 025 932, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège,
[Adresse 1]
[Localité 5]
Société AXA FRANCE IARD immatriculée au RCS de NANTERRE sous le n° 722 057 460, agissant poursuites et diligences de ses représentants
légaux, domiciliés en cette qualité audit siège,
[Adresse 4]
[Localité 8]
représentées par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant et plaidant par Me LACALM, avocat au barreau de LYON
S.A. LINDE FRANCE immatriculée au RCS de LYON sous le n° 392 631 248, représentée par son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 6]
[Localité 7] / FRANCE
représentée par Me Gaëlle LE MAT de la SCP GUIDETTI BOZZARELLI LE MAT, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant et par Me Géraldine PUCHOL de la SCP BERNARD-HUGUES JEANNIN PETIT PUCHOL, avocat au barreau D’AIX EN PROVENCE
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Marie-Pierre FIGUET, Présidente,
Mme Marie-Pascale BLANCHARD, Conseillère,
M. Lionel BRUNO, Conseiller,
Assistés lors des débats de Alice RICHET, Greffière
DÉBATS :
A l’audience publique du 10 mai 2023, Mme FIGUET, Présidente, a été entendue en son rapport,
Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries,
Puis l’affaire a été mise en délibéré pour que l’arrêt soit rendu ce jour,
Exposé du litige
La société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ a souhaité centraliser sur un seul site la récolte du raisin des viticulteurs coopérateurs et sa vinification en créant un nouveau chai de vinification, élevage, stockage des vins en cuve inox et béton, incluant une réception de raisin haut de gamme et un atelier de pressurage ainsi que la restructuration des locaux techniques et la distribution des utilités.
Elle a fait appel à la société Ingevin, bureau d’ingénierie vinicole, pour la maîtrise d’oeuvre process et les travaux de restructuration du bâtiment suivant convention signée les 11 et 18 février 2013 en lui confiant une mission complète. Une annexe à la convention précisait que la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ n’a que de faibles compétences dans les points constituant la mission réalisée par la société Ingévin, celle-ci devant donc attirer son attention sur la nécessité de prendre en compte les préoccupations correspondantes à sa mission.
Dans l’appel d’offres process qu’elle a rédigé, la société Ingevin a prévu l’installation de CO2 liquide pour assurer le refroidissement de la vendange de 25 à 15° en sortie des quais de traitement vendange blanche, intitulé lot 16-2.
La société Linde a fait une proposition concernant le lot 16-2 qui a été validée par la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ sous réserve qu’elle réponde effectivement au DCE et au contrat de marché. Suivant contrat du 7 mai 2014, la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ a confié à la société Linde France le lot n° 16 Gaz oenologique pour un montant de 50.359 euros ht.
Elle a aussi conclu le 1er juillet 2014 avec la société Linde France un contrat de fourniture de gaz liquéfié et de location de matériel pour une durée de trois ans renouvelable par tacite reconduction par périodes successives de deux ans ainsi qu’un contrat de vérification périodique le 17 avril 2015.
La réception du lot confié à la société Linde France a été réalisée le 28 août 2014.
La société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ constatait des dysfonctionnements dans le fonctionnement de l’installation de refroidissement des vendanges se manifestant par des a-coups dans la tuyauterie et des vibrations importantes.
La société Linde France se déplaçait le 7 août 2017 pour effectuer des tests et constatait de forts a-coups dans la tuyauterie au niveau de l’arrivée dans les pressoirs et un refroidissement insuffisant. Elle concluait que les a-coups se produisent avec l’apport de CO2 quelque soit la quantité injectée et convenait avec le responsable de la coopérative de stopper la fonction refroidissement au CO2 pour éviter tout risque de casser un élément.
Le 25 novembre 2017, la société Linde France proposait des modifications de l’installation au prix de 1.600 euros ht pour l’option 1 et de 21.242,86 euros ht pour l’option 2.
Des pourparlers étaient engagés dans la mesure où la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ ne s’estimait pas responsable de la situation.
Dans un courrier du 5 juin 2018, la société Linde France proposait de positionner sur les lignes et pressoirs concernés des brides antivibratoires.
La modification était effectuée au prix de 1.920 euros ttc sans donner satisfaction.
Par lettre recommandée du 12 septembre 2018, la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ a fait état du dysfonctionnement de l’installation à la société Linde France.
Malgré des modifications apportées en 2019 et plusieurs échanges de courriers, les dysfonctionnements ont persisté.
Par acte d’huissier du 31 janvier 2020, la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ a assigné la Sarl Ingevin, la société Linde France et la société Axa France Iard en indemnisation de son préjudice.
Par jugement du 23 février 2022, le tribunal de commerce de Romans sur Isère a :
– dit que les travaux réalisés par la société Linde sous la responsabilité de la société Ingevin ne constituent pas un ouvrage,
– dit la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ irrecevable à agir du fait de la prescription de son action dans le cadre des articles 1792-3 et 1792-6 du code civil,
– débouté la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ de ses demandes dirigées contre la société Linde, la société Ingevin et son assureur, la société Axa France Iard,
– débouté la société Linde de ses demandes dirigées contre la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ et la société Ingevin et son assureur la société Axa France Iard,
– débouté la société Ingevin de ses demandes dirigées contre la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’,
– débouté la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ et les sociétés Ingevin et Linde de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeté toutes autres demandes,
– liquidé les dépens pour les mettre à la charge de la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’.
Par déclaration du 12 avril 2022, la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions qu’elle a reprises dans son acte d’appel.
Prétentions et moyens de la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’
Dans ses conclusions remises le 5 janvier 2023, elle demande à la cour de :
– infirmer le jugement rendu en ce que le tribunal de commerce a débouté la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ de l’intégralité de ses demandes au motif que l’installation ne constituait pas un ouvrage au sens de l’article 1792 du code civil et qu’elle était irrecevable à agir dans le cadre des articles 1792-3 et 1792-6 du code civil,
– juger que le tribunal de commerce a jugé infra petita en omettant d’examiner tous les chefs de prétentions et notamment en omettant de statuer sur l’action en responsabilité contractuelle fondée sur le manquement de l’obligation de conseil et de suivi de chantier invoqué à l’encontre de la société Ingevin,
– juger que le tribunal de commerce a statué ultra petita en méconnaissant les dispositions des articles 4 et 5 du code de procédure civile qui l’obligent à statuer uniquement sur l’objet de la demande,
– jugé que le fondement de la demande de la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ repose sur les dispositions de l’article 1792 du code civil et non des articles 1792-3 et 1792-6 du code civil,
– infirmer le jugement dans toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Sur l’action engagée à l’encontre de la société Linde.
A titre principal,
– dire et juger que l’installation constitue un ouvrage au sens de l’article 1792 du code civil,
– dire et juger que les travaux réalisés par la société Linde France, conçus et supervisés par la société Ingevin rendent l’installation impropre à sa destination,
Subsidiairement, si l’installation ne constitue pas un ouvrage, vu les dispositions de l’article 1792-7 du code civil,
– juger que l’installation constitue un élément d’équipement à usage industriel relevant des dispositions de l’article 1792-7 du code civil,
– juger à ce titre que l’installation joue un rôle exclusivement industriel, l’objectif étant de permettre un refroidissement de la vendange,
– juger que le dysfonctionnement de l’installation engage la responsabilité contractuelle de la société Linde,
– débouter la société Linde de son moyen en défense consistant à conclure que le process qu’elle a vendu et installé constitue un élément d’équipement dissociable au sens de l’article 1792-3 du code civil, rendant la demande de la coopérative Cave de Tain irrecevable,
– juger l’action fondée sur la responsabilité contractuelle non prescrite, en ce que le point de départ du délai de prescription court à compter de septembre 2018, et que l’assignation a été délivrée le 31 janvier 2020,
– juger l’action en responsabilité contractuelle bien fondée,
– juger que la société Linde France s’est engagée à livrer une installation conforme aux objectifs fixés dans le DCE et est tenue à une obligation de résultat,
– juger que ces objectifs ne sont pas atteints,
– juger que la non-atteinte des objectifs (refroidissement de la totalité de la vendange) démontre que la société Linde France a manqué à ses obligations contractuelles,
– débouter la société Linde France de son moyen d’exonération qui ne constitue pas un cas de force majeure,
– débouter la société Linde France de l’ensemble de ses moyens, fins et conclusions,
Sur l’action engagée à l’encontre de la société Ingevin ,
– juger l’action en responsabilité contractuelle bien fondée,
– juger que la société Ingevin a manqué à son obligation de résultat de conseil et de suivi du chantier,
– débouter la société Ingevin de son moyen d’exonération qui ne constitue pas un cas de force majeure,
En conséquence,
– condamner in solidum la société Linde France, la société Ingevin et la société Axa France IARD à réparer le préjudice subi,
– débouter la société Ingevin et sa compagnie d’assurance Axa France IARD de l’ensemble de ses moyens, fins et conclusions,
– condamner in solidum la société Ingevin, la compagnie d’assurance Axa France et la société Linde France à payer à la Cave de Tain l’Hermitage, Union des propriétaires, une somme de 50.359 euros HT, à titre de dommages et intérêts lié à la livraison d’une installation non-conforme,
– condamner in solidum la société Ingevin, la compagnie d’assurance Axa France et la société Linde France à payer à la Cave de Tain l’Hermitage, Union des propriétaires, une somme de 4.023,70 euros HT, qui correspond à un investissement qui n’a jamais eu d’utilité,
– condamner la société Linde France à payer à la Cave de Tain l’Hermitage, Union des propriétaires, une somme de 1.600 euros HT correspondant à la modification du système selon l’option 1 qui avait été proposée par la société Linde France,
– condamner in solidum la société Ingevin, la compagnie d’assurance Axa France et la société Linde France à payer à la Cave de Tain l’Hermitage, Union des propriétaires une somme de 46.800 euros correspondant au préjudice lié à la perte de la qualité des raisins du fait de l’impossibilité de procéder à leur refroidissement,
– dire ces sommes assorties des intérêts au taux légal à compter du jour de la demande,
Sur les contrats annexes conclus entre la société Linde France et la cave coopérative Cave de Tain l’Hermitage,
– prononcer la résolution judiciaire du contrat de fourniture de gaz liquéfié comprenant le matériel de stockage et de mise en oeuvre du gaz du 1er juillet 2014, comme accessoire au contrat de marché, aux torts de la société Linde France,
– prononcer la résolution judiciaire du contrat de vérification du 17 avril 2015, comme accessoire au contrat de marché, aux torts de la Société Linde France,
– condamner in solidum la société Ingevin, la compagnie d’assurance Axa France et la société Linde France à payer à la Cave de Tain l’Hermitage, Union des propriétaires, le montant des coûts de sécurité, d’entretien et de location du matériel, de fourniture de gaz pourtant non utilisé, soit la somme de 49.935,60 euros TTC au 31 mars 2021,
– assortir l’ensemble de ces sommes des intérêts au taux légal à compter de l’assignation,
– condamner in solidum la société Ingevin, la compagnie d’assurance Axa France et la société Linde France à payer à la Cave de Tain l’Hermitage, Union des propriétaires, la somme de 6.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Elle fait remarquer qu’elle n’a pas fondé sa demande sur les articles 1792-3 et 1792-6 du code civil et qu’en conséquence, le tribunal a statué ultra petita en jugeant que la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ était irrecevable à agir dans le cadre des articles 1792-3 et 1792-6 du code civil.
Sur la responsabilité décennale, elle considère que la société Linde France a réalisé une installation qui prend attache avec le sol et qui s’intègre à l’existant, qu’ainsi le stockage du CO2 se trouve dans une cuve fixée sur une dalle bétonnée d’où partent deux canalisations souterraines qui ressortent en aérien à l’intérieur de la cave, que l’installation ne peut être enlevée par un simple démontage, des éléments étant rattachées au sol et d’autres à des galeries souterraines construites à cet effet, qu’il s’agit donc d’un ouvrage. Elle ajoute que le fait que le système de refroidissement soit déficient rend le chai non conforme à sa destination dès lors qu’il devait permettre d’assurer un traitement quantitatif mais également qualitatif de la production de sa réception jusqu’à sa mise en bouteille. Elle en conclut que la responsabilité décennale de la société Linde France est engagée.
Subsidiairement, elle fait valoir que l’installation réalisée par la société Linde France constitue un bien d’équipement à usage industriel relevant des dispositions de l’article 1792-7 du code civil, qu’en effet l’équipement vise à obtenir le refroidissement de la vendange en sortie de quai, qu’il constitue donc un élément d’équipement dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage, qu’elle est donc fondée à invoquer la responsabilité contractuelle de la société Linde France. Elle relève que la société Linde France ne peut dire sans se contredire que l’équipement ne relève pas de l’article 1792-7 pour être intégré au bâti et soutenir en même temps que l’installation n’est pas un ouvrage au sens de l’article 1792 du code civil car non rattaché au bâti.
En réponse à la prescription soulevée par la société Linde France, la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ fait remarquer qu’il résulte de l’article 1792-4-3 du code civil qu’en dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 se prescrivent par 10 ans à compter de la réception des travaux, que tant la société Linde France que la société Ingevin sont des constructeurs au sens de l’article 1792-1 du code civil, que la réception est intervenue le 28 août 2014 et l’assignation a été délivrée le 31 janvier 2020, que dès lors, l’action n’est pas prescrite. En tout état de cause, même à se fonder sur une prescription quinquennale, le délai ne court qu’à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, qu’en l’espèce c’est lors de la vendange 2016 que les dysfonctionnements ont été constatés par la société Linde France qui a mis en oeuvre des mesures correctives néanmoins inefficaces ce qui a entraîné l’arrêt du système de refroidissement en septembre 2018, que ce n’est qu’à cette date que la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ a pris acte de la réalité des dommages, qu’en conséquence la prescription n’est pas acquise.
Sur le fond, elle souligne que la société Linde France était tenue d’une obligation de résultat de délivrer une installation conforme à sa destination, qu’elle avait déclaré avoir une pleine connaissance des plans et documents utiles à la réalisation des travaux, des sites et des éléments et locaux en relation avec les travaux, qu’ayant pris connaissance des désordres elle a proposé de réaliser de nouveaux travaux afin de pouvoir arriver à l’objectif recherché c’est à dire le refroidissement de la vendange, qu’elle reconnaissait ainsi les dysfonctionnements de l’installation, que les courriers échangés démontrent l’impossibilité d’atteindre les résultats contractuellement prévus en raison d’un diamètre trop faible des canalisations selon les propres conclusions de la société Linde France, que le manquement à l’obligation de résultat est caractérisé lorsque le constructeur n’a pas atteint l’objectif qu’il s’était engagé contractuellement à atteindre. Elle relève que selon la société Linde France, les prérequis exigés n’ont pas été respectés ce qui est à l’origine des non conformités, que la société Linde France a réalisé l’installation sans faire de réserve en cours de travaux, notamment quant au sous-dimensionnement des canalisations, et a accepté le support sur lequel elle a installé le système de refroidissement, que seule la force majeure est susceptible de l’exonérer, que les recommandations de la société Linde France dans sa réponse à l’appel d’offres ne sont pas suffisantes à l’exonérer de sa responsabilité puisqu’en tant que professionnel elle doit s’assurer que l’ouvrage va répondre aux objectifs du client, qu’en outre la société Linde France a proposé des solutions correctives qui étaient vaines puique finalement elle a indiqué que le diamètre des canalisations était trop étroit et qu’aucune mesure corrective ne pouvait résoudre les désordres.
A l’encontre de la société Ingevin, la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ relève que les prérequis exigées par la société Linde France n’ont pas été respectés engageant ainsi la responsabilité contractuelle de la société Ingevin qui était non seulement chargée de concevoir l’installation mais aussi de procéder au suivi du chantier, que la société Ingevin n’a jamais attiré l’attention de la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ sur le faible dimensionnement des canalisations par rapport aux recommandations faites par la société Linde France, que l’obligation de conseil du maître d’oeuvre est étendue à l’évaluation de la faisabilité du projet. Elle ajoute qu’il appartient à la société Ingevin de rapporter la preuve que les recommandations techniques prescrites dans l’offre de la société Linde étaient remplies, qu’elle a manqué à son obligation de conseil quant aux conséquences liées à l’absence de prise en compte des recommandations de la société Linde, qu’elle n’a émis aucune réserve durant l’exécution de l’ouvrage alors même que les canalisations n’étaient pas conformes aux recommandations de la société Linde France.
Elle conclut à une condamnation in solidum, les sociétés Ingevin et Linde France ayant participé à la réalisation d’un même dommage.
Elle indique qu’elle est bien fondée à demander la résolution du contrat portant sur l’installation du système de refroidissement, la société Linde France n’ayant pas rempli son obligation déterminante, et à solliciter la somme de 50.359 euros en réparation de son préjudice, outre le montant des honoraires du maître d’oeuvre appréciés à 10% du marché, soit la somme de 5.036 euros HT, le coût de la réalisation de la dalle devant supporter le matériel permettant de stocker le gaz liquéfié, à savoir 4.023,70 euros, le coût des travaux de modification de l’installation effectués inutilement à hauteur de 1.600 euros ht, le préjudice lié à la perte de qualité des raisins évalué à 46.800 euros.
Elle relève qu’elle est bien fondée dans sa demande de résolution du contrat de maintenance et du contrat d’alimentation de l’installation en gaz dès lors que l’installation initiale ne remplissait pas l’objectif attendu et qu’elle a réglé la somme de 49.935,60 euros pour du gaz et du matériel inutilisés.
Prétentions et moyens de la société Linde France
Dans ses conclusions remises le 6 octobre 2022, elle demande à la cour de :
– confirmer au besoin par substitution de motifs le jugement du tribunal de commerce de Romans sur Isère du 23 février 2022 en ce qu’il a :
*dit que les travaux réalisés par la société Linde sous la responsabilité de la société Ingevin ne constituent pas un ouvrage,
* dit la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ irrecevable à agir du fait de la prescription de son action dans le cadre des articles 1792-3 et 1792-6 du code civil,
* débouté la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ de ses demandes dirigées contre la société Linde France,
– juger la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ irrecevable à agir à raison de la forclusion de son action sur la garantie des constructeurs et de la prescription de son action en responsabilité contractuelle de droit commun,
– débouter la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ de ses demandes dirigées contre la société Linde France quel que soit le fondement retenu,
Subsidiairement,
– infirmer le jugement du tribunal de commerce de Romans sur Isère du 23 février 2022 en qu’il a débouté la société Linde de ses demandes dirigées contre la société Ingevin et son assureur la société Axa France Iard,
– condamner la société Ingevin in solidum avec la société Axa France Iard à la relever et garantir de toutes condamnations qui seraient prononcées à son encontre en principal, frais, intérêts et indemnités au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
En tout état de cause,
– infirmer le jugement du tribunal de commerce de Romans sur Isère du 23 février 2022 en qu’il a débouté la société Linde de ses demandes dirigées contre la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ ,
– condamner la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ à payer à la société Linde France la somme de 7.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel,
– condamner la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ aux dépens avec distraction au profit de la SCP Guidetti – Bozzarelli – Le Mat.
Sur l’action engagée sur le fondement de la responsabilité décennale, elle relève que le simple fait que l’équipement soit rattaché au sol ne caractérise pas l’immobilisation, qu’en l’espèce, il n’y a pas d’incorporation au bâti et le système de canalisation et de cuve peut être démonté sans destruction, que l’installation de la société Linde France ne peut donc recevoir la qualification d’ouvrage. Par ailleurs, elle indique que les non conformités alléguées ne concernent que le système de refroidissement pour les anciens quais de déchargement, qu’elles n’empêchent pas le chai de fonctionner et de procéder à la vinification de ses vendanges, qu’il n’existe donc aucune impropriété à la destination. Elle en déduit que la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ ne peut fonder son action que sur la garantie biennale, les garanties légales étant exclusives de toute autre responsabilité, et que celle-ci est forclose. Enfin, elle considère que la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ ne démontre pas que le système réglé comme préconisé par la société Linde France ne serait pas opérationnel.
Sur l’action engagée subsidiairement sur le fondement de la responsabilité contractuelle et sur la qualification d’un bien d’équipement à usage industriel, elle soutient que les installations mises en oeuvre par la société Linde France sont intégrées au chai et ne répondent pas à la définition de l’article 1792-7 du code civil et que la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ ne peut pas agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle dès lors que les désordres relèvent de la garantie biennale. Sur la prescription, elle fait valoir qu’en soutenant que les travaux sont des éléments d’équipements soumis à l’article 1792-7 échappant à la responsabilité des constructeurs d’ouvrage des article 1792 et suivants, la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ ne peut appliquer la prescription spéciale des constructeurs prévues par l’article 1792-4-3 du code civil, que c’est le délai quiquennal de droit commun qui doit s’appliquer, que la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’, assistée d’un maître d’oeuvre spécialisé, aurait dû connaître dès la réception les non-conformités et incompatibilités alléguées de l’installation, soit le 28 août 2014, que la date du 10 septembre 2018, date à laquelle la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ a décidé d’arrêter le système de façon unilatérale ne peut être retenue. Sur le fond, la société Linde France fait valoir que les échanges de courriers sont insuffisants à démontrer l’existence actuelle de l’absence de performance alléguée, qu’en outre les dysfonctionnements sont liées à l’insuffisance du diamètre des canalisations de raccordement des anciens quais, à l’absence de fixation des canalisations, à la conception des canalisations contraire aux recommandations et au débit trop important des pompes, qu’en passant outre aux recommandations, la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ a accepté le risque de voir l’installation fonctionner de manière insuffisante, que cela constitue une cause exonératoire de sa responsabilité.
Sur les préjudices, elle relève que la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ n’est fondée ni sur le fondement de l’article 1792, ni sur le fondement de la responsabilité contractuelle à solliciter le remboursement des travaux réalisés par la société Linde France, que la résolution du contrat est totalement injustifiée, que concernant les travaux complémentaires, dès lors qu’elle avait indiqué les pré requis de la conception des canalisations, elle ne saurait être recherchée à raison de la défaillance de la conception, que la dalle devant supporter le matériel permettant de stocker le gaz liquéfié est utile dès lors que le système ‘Prodisneige’ permettant la fabrication de neige carbonique pour les opérations tout au long de l’année d’inertage et refroidissement hors vendange est fonctionnel et son coût ne saurait être remboursé, que le préjudice lié à la perte de qualité du raisin n’est démontré ni dans son quatum, ni dans son principe.
Sur la résolution des contrats annexes, elle fait observer que s’agissant du contrat de fourniture, les quantités livrées correspondent à celles consommées et que s’agissant du contrat de vérification, les vérifications annuelles ont été réalisées.
Subsidiairement, elle considère que son appel en garantie est fondée dès lors que la société Ingevin devait soit modifier sa conception pour permettre un fonctionnement optimal du process, soit déconseiller celui-ci en l’état de cette conception.
Prétentions et moyens de la société Ingevin et la société Axa France Iard
Dans leurs conclusions remises le 22 décembre 2022, elles demandent à la cour de :
-confirmer le jugement rendu le 23 février 2022 par le tribunal de commerce de Romans sur Isère en ce qu’il a :
* dit que les travaux réalisés par la société Linde France sous la responsabilité de la société Ingevin, assistant maître d’ouvrage, ne constituent pas un ouvrage au sens de l’article 1792 du code civil,
* dit la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ irrecevable à agir du fait de la prescription de son action dans le cadre des articles 1792-3 et 1792-6 du code civil,
* débouté la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ de ses demandes contre les sociétés Linde France et Ingevin et son assureur, la compagnie Axa France Iard,
* débouté la société Linde France de ses demandes dirigées contre la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ et la société Ingevin et son assureur,la compagnie Axa France Iard,
– débouter la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ de l’intégralité de ses demandes formulées à l’encontre de la société Ingevin et son assureur,la compagnie Axa France Iard,
– débouter la société Linde de sa demande de condamnation de la société Ingevin in solidum avec la compagnie Axa France Iard à la relever et garantir de toutes condamnations qui seraient prononcées à son encontre,
– infirmer le jugement rendu le 23 février 2022 par le tribunal de commerce de Romans sur Isère en ce qu’il a débouté la société Ingevin de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Et jugeant à nouveau :
– condamner la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ au paiement d’une somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de la procédure de première instance devant le tribunal de commerce de Romans sur Isère,
A titre infiniment subsidiaire,
– limiter la part de responsabilité de la société Ingevin à 10% au titre de la contribution à la dette avec la société Linde France,
En tout état de cause,
– condamner la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ au paiement d’une somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de la procédure d’appel,
– condamner la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ aux entiers dépens d’instance.
Elles font valoir que le système de refroidissement des vendanges installé par la société Linde France ne constitue pas un ouvrage au sens de l’article 1792 du code civil mais un élément d’équipement dissociable de l’ouvrage, qu’en effet l’installation a été prévue pour une pose sur des ouvrages préexistants afin d’adjoindre aux cuves déjà en fonctionnement un système de refroidissement et ne peut être assimilable à des travaux de construction d’un ouvrage, que le simple fait que la cuve prend attache sur le sol et que des canalisations ont été construites ne saurait suffire à lui conférer la qualification d’ouvrage.
Elles considèrent que la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ ne bénéficiait que de la garantie biennale de l’article 1792-3 du code civil, que le tribunal de commerce n’a pas statué ultra petita en statuant sur cette garantie puisqu’il était tenu de retenir la qualification juridique adéquate, qu’il a jugé à bon droit que l’installation relevait de la garantie biennale et que l’action se trouvait prescrite.
Elles ajoutent que la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ est irrecevable à agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle dès lors que les désordres relevaient d’une garantie légale.
Sur le fond, elles soulignent que la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ doit rapporter la preuve des désordres qu’elle allègue et la faute du maître d’oeuvre en relation avec ces désordres, qu’elle a rempli sa mission tenant à l’établissement du DCE, que c’est la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ qui a retenu la société Linde France, qu’elle n’a pas participé à la conception et à l’installation du système, que les défauts de conformité de l’installation relèvent de la responsabilité de la société Linde France, que celle-ci devait vérifier préalablement à la passation du marché l’ensemble des données techniques relatives au lieu des travaux et aux constructions existantes et s’assurer de la faisabilité de son projet, qu’elle avait parfaitement connaissance des données techniques relatives aux éléments existants et notamment du dimensionnement des canalisations, qu’elle a accepté de réaliser les travaux d’installation sur le support existant sans émettre la moindre réserve, que par ailleurs la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ ne justifie pas que les désordres ont pour origine le dimensionnement des canalisations, ni qu’une augmentation du diamètre permettrait un parfait fonctionnement de l’installation, qu’il s’agit d’une supposition de la société Linde France pour tenter d’échapper à sa responsabilité, que celle-ci a émis d’autres hypothèses sur l’origine des désordres sans aucune certitude.
Subsidiairement, elles font remarquer que la société Linde France a commis de graves manquements à l’origine des dysfonctionnements et que la société Ingevin ne saurait être tenue au-delà de 10%.
Pour le surplus des demandes et des moyens développés, il convient de se reporter aux dernières écritures des parties en application de l’article 455 du code de procédure civile.
L’instruction de la procédure a été clôturée le 6 avril 2023.
Motifs de la décision
I/ Sur les demandes de la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’
1 – Sur le fondement de la responsabilité décennale
Aux termes de l’article 1792 du code civil, tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit envers le maître de l’ouvrage des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui l’affectant dans un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement le rendent impropre à sa destination.
Au vu du descriptif des travaux figurant dans la réponse de la société Linde à l’appel d’offre rédigé par la société Ingevin, l’installation mise en oeuvre par la société Linde a consisté en la fourniture et la pose de deux panoplies complète d’injection de CO2 liquide de refroidissement comprenant un injecteur, un flexible de liaison, des vannes, des soupapes, des sondes de températures et un détecteur de présence des vendanges, d’une armoire de pilotage, d’un coffret de sécurité installé sur dalle et d’un système de gestion de température basse, d’une panoplie de pousse de vendange, de deux tromblons manuels pour faire de la neige carbonique et d’un Prodisneige avec bac de transport monté sur dalle.
L’installation est aussi décrite de la façon suivante: ‘A partir d’un stockage de CO2 liquides, deux canalisations, une pour le CO2 liquide, l’autre pour le CO2 gazeux cheminent en parallèle vers les points d’application.’
Le fait que la cuve soit posée sur une dalle extérieure et que les canalisations passent par des galeries souterraines extérieures au bâtiment existant ne permet pas de considérer que cette installation s’incorpore au bâtiment préexistant et fasse corps avec l’immeuble, étant relevé que la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ qui affirme que l’installation ne peut pas être enlevée par un simple démontage n’en justifie pas.
L’installation mise en oeuvre par la société Linde ne peut donc être considérée comme la construction d’un ouvrage.
Par ailleurs, en application de l’article 1792-7 du code civil, ne sont pas considérés comme des éléments d’équipement d’un ouvrage au sens de l’article 1792, 1792-2, 1792-3 et 1792-4 les éléments d’équipement, y compris leurs accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle.
Il a été considéré précédemment que l’installation effectuée par la société Linde n’était pas un élément constitutif de l’ouvrage. Il résulte par ailleurs de l’appel d’offre et du marché de travaux que la fonction exclusive de l’installation est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle consistant dans le refroidissement de la vendange. Elle ne peut dès lors être considérée comme un élément d’équipement d’un ouvrage au sens de l’article 1792.
Dès lors, l’article 1792 du code civil est inapplicable. La discussion sur l’impropriété à la destination est inopérante puisque les travaux effectués par la société Linde, n’étant pas considérés comme des éléments d’équipement au sens de l’article 1792, il n’y a pas lieu d’apprécier si les dommages les affectant rendent l’ouvrage impropre à sa destination.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a jugé que les travaux réalisés par la société Linde sous la responsabilité de la société Ingevin ne relèvent pas de la garantie décennale.
2 – Sur le fondement de la garantie biennale
La société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ n’a pas fondé sa demande en première instance, ni au demeurant en appel, sur la garantie biennale.
En outre, contrairement à ce qu’indique le tribunal, les travaux effectués par la société Linde dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle ne relèvent pas de la garantie biennale aux termes de l’article 1792-7 du code civil.
En conséquence, le tribunal n’avait pas à déclarer prescrite une demande que la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ n’avait pas formulée. Le jugement sera infirmé sur ce point.
3 – Sur le fondement de la garantie de parfait achèvement
La société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ n’a pas fondé sa demande sur la garantie de parfait achèvement.
Comme le souligne l’appelante, les désordres invoqués dans la présente procédure ne relèvent pas de la garantie annale puisque ne figurant pas au titre des réserves dans le procès-verbal de réception.
Comme rappelé aussi par l’appelante, l’expiration du délai annal n’emporte pas décharge de la responsabilité de droit commun.
En conséquence, le tribunal n’avait pas à déclarer prescrite une demande que la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ n’avait pas formulée. Le jugement sera infirmé sur ce point.
4 – Sur la responsabilité contractuelle
Dès lors que les dommages ne relèvent pas des garanties légales, en l’absence d’un ouvrage et en présence d’élément d’équipement n’étant pas considérés comme des éléments d’équipement d’un ouvrage, il convient d’apprécier la demande subsidiaire de la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ fondée sur la responsabilité contractuelle.
A) Sur la prescription
La société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ invoque l’article 1792-4-3 du code civil qui dispose: ‘ En dehors des actions réglées par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigés contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se prescrivent par 10 ans à compter de la réception des travaux.
Toutefois, dès lors que la société Linde n’a pas été considéré comme un constructeur d’ouvrage, l’action de la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ ne peut relever de la prescription spéciale de l’article 1792-4-3.
En application de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Contrairement à ce que prétend la société Linde, les désordres ne pouvaient être décelés à la réception de l’installation le 28 août 2014, l’alimentation électronique n’étant pas encore opérationnelle à cette date.
La société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ indique dans ses conclusions que c’est lors de la vendange 2016 que les dysfonctionnements ont été constatés.
S’agissant des pièces versées aux débats, il résulte de la fiche d’intervention établie par la société Linde le 7 août 2017 que lors du passage des vendanges avec injection de C02 pour le refroidissement de la vendange, de forts a-coups ont été constatés dans la tuyauterie à l’entrée des pressoirs. Il est également noté un refroidissement insuffisant. Il a été convenu que seul le fonctionnement en inertage serait maintenu afin de pas prendre le risque de casser un élément en début de période des vendanges.
Il n’est pas produit d’élément établissant la connaissance antérieure par la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ de désordres lui permettant d’exercer une action.
Dès lors, c’est au plus tôt fin août 2016 que la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ a eu connaissance des faits lui permettant d’exercer une action. L’assignation a été délivrée le 31 janvier 2020. Dès lors, la demande fondée sur la responsabilité contractuelle n’est pas prescrite.
B) Sur le fond
a) à l’égard de la société Linde
L’entrepreneur est tenu d’une obligation de résultat.
L’appel d’offres, constitutive du marché de travaux, stipulait que le CO2 sera installé pour assurer le refroidissement de la vendange de 25° à 15° C en sortie des quais de traitement de vendange blanche avec un raccordement sur deux anciens quais au débit de 40 tonnes par heure et un raccordement sur deux nouveaux quais haut de gamme au débit maximum de 25 tonnes par heure. Il était considéré pour l’étude un foisonnement de 50% soit au maximum 65 tonnes par heure de 25° à 15° C.
Comme relevé ci-dessus, lors de l’intervention du 7 août 2017, la société Linde a constaté elle-même lors du passage des vendanges avec injection de C02 pour le refroidissement de la vendange, l’existence de forts a-coups dans la tuyauterie à l’entrée des pressoirs et un refroidissement insuffisant. Les parties sont alors convenues du seul maintien de la fonction d’inertage afin d’éviter toute casse de matériel.
Par courrier du 5 juin 2018, la société Linde rappelait que suite au comportement et au constat des vibrations sur la connexion ligne de vendange sur les pressoirs à entrée axiale, les parties ont été d’accord pour stopper la fonction refroidissement sur les pressoirs concernés. Elle indiquait que selon elle, les difficultés étaient causées par la conjonction du déplacement, transfert de la vendange, à une vitesse accélérée due à la pousse du gaz carbonique lors du refroidissement et au profil de la ligne de transfert qui comporte des coudes successifs en fin de ligne avant d’être connecté sur les pressoirs. Elle proposait alors des solutions.
La société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ a alors commandé le 18 juin 2018 une modification du système selon l’option 1 pour un montant de 1.600 euros Ht ou 1.920 eurosTtc.
Les tests effectués avec la société Linde le 11 septembre 2018 après la réalisation des travaux ont montré que la température de refroidissement n’est pas atteinte, que les canalisations vibrent, que la vendange ressort par les portes du pressoir en éclaboussant toute la zone et que le quai doit être remis en inertage seul.
Dans son courrier du 14 mai 2019, la société Linde a indiqué à la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ qu’étant donné les diamètres de canalisation réduits de ses installations, la cible de refroidissement de – 10 ° ne pourra être atteinte qu’avec des débits inférieurs à 25 tonnes par heure.
Finalement, le 4 juillet 2019, la société Linde proposait de nouvelles actions correctives.
Malgré les travaux effectués, les tests de température effectués ont montré l’insuffisance de la baisse de température.
Par courrier du 8 novembre 2019, la société Linde a indiqué à la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ qu’au regard de son expérience dans le refroidissement des vendanges, elle estimait que le diamètre des canalisations des installations de la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ était trop faible au regard des débits des pompes des transfert de vendange sur les petits pressoirs pour atteindre le niveau de refroidissement attendu de 25° C à 15° C.
Il résulte de ces différents courriers que la société Linde a admis que le résultat attendu ne pouvait être atteint, même si elle en impute la responsabilité au faible dimensionnement des canalisations.
Si dans sa réponse à l’offre, la société Linde précisait que les canalisations de l’installation du client devront avoir un diamètre au moins égal à 153 mm et être fixées de manière adaptée, que les changements de direction devront être de grand rayon et les piquages de dérivation du type pied de biche ou en Y et que le débit de la pompe de refoulement des vendanges ne devra pas dépasser 40 tonnes par heures, il ressort de l’article 19 du marché de travaux que la société Linde a une pleine connaissance de tous les plans et documents utiles à la réalisation des travaux, des sites, des lieux et des terrains d’implantation des ouvrages et de tous les éléments et locaux en relation avec l’exécution des travaux, a apprécié exactement toutes les conditions d’exécution et s’être parfaitement rendue compte de leur nature, de leur importance et de leurs particularités et a procédé à une visite détaillée du site et pris connaissance de toutes les conditions physiques et de toutes les suggestions relatives aux lieux de travaux.
Dès lors, il appartenait à la société Linde, si elle estimait que le support n’était pas conforme à ses préconisations, de ne pas exécuter les travaux ou de faire des réserves explicites lors de son arrivée sur les lieux ce qu’elle n’a pas fait.
De ce fait, elle ne peut se dédouaner de sa responsabilité au motif que les canalisations n’ont pas le diamètre requis, à supposer au demeurant que l’origine des désordres proviennent de ce faible dimensionnement ce qui ne résulte que des affirmations de la société Linde.
En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu’il a débouté la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ de sa demande contre la société Linde et la responsabilité contractuelle de la société Linde sera retenue.
b) à l’égard de la société Ingevin
La société Ingevin, maître d’oeuvre, est tenue d’une obligation de moyen et il appartient alors à la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ de caractériser la faute du maître d’oeuvre en relation avec les dysfonctionnements constatés.
La société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ reproche à la société Ingevin de ne pas avoir attiré son attention sur le faible dimensionnement des canalisations par rapport aux recommandations faites par la société Linde.
Toutefois, si le dysfonctionnement de l’installation est avéré, les causes de ce dysfonctionnement n’ont pas été établies avec certitude. La société Linde a proposé plusieurs solutions pour remédier aux désordres avant de conclure que le sous dimensionnement des canalisations ne permettra pas d’atteindre le résultat convenu.
Les seules affirmations de la société Linde sont insuffisantes à elles-seules pour caractériser l’origine des désordres.
Dès lors, dans la mesure où il n’est pas établi que le faible dimensionnement des canalisations est à l’origine du dysfonctionnement, le fait que le maître d’oeuvre n’a pas alerté le maître de l’ouvrage sur ce point ne peut engager sa responsabilité en l’absence de lien de causalité démontré.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ de ses demandes contre la société Ingevin et son assureur AXA France Iard.
c) sur le préjudice
Aux termes de l’article 1147 du code civil dans sa version applicable au litige, le débiteur est condamné au paiement de dommages et intérêts à raison de l’inexécution de l’obligation.
En l’espèce, ainsi qu’exposé précédemment, le système de refroidissement des vendanges n’a pu être mis en oeuvre en raison des dyfonctionnements constatés malgré la mise en oeuvre de travaux modificatifs. La société Linde n’a proposé aucune solution permettant d’atteindre les résultats fixés dans l’appel d’offre.
Dès lors, il est établi que la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ a engagé une dépense inutile en faisant procéder à cette installation.
Néanmoins, il n’est pas contesté que le système Prodisneige d’un coût de 9.200 euros fonctionne. En conséquence, il sera alloué à la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ la somme de 41.159 euros outre 10% engagé inutilement au titre de la maîtrise d’oeuvre, soit 4.115,90 euros.
En outre, sur la proposition de la société Linde, la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ a engagé des frais de 1.600 euros Ht qui n’ont pas permis de pallier les dysfonctionnements. Il lui sera aussi alloué cette somme.
S’agissant de la réalisation de la dalle, il ressort de la réponse à l’offre que le système Prodisneige est monté sur une dalle extérieure et il n’est pas contesté que ce système est fonctionnel. Dès lors, la dalle présente une utilité. La société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ sera déboutée de sa demande à ce titre.
Par ailleurs, la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ sollicite une indemnisation à hauteur de 46.800 euros au titre d’une perte de la qualité des raisins. Toutefois, elle ne produit aucun élément permettant de caractériser ce préjudice et son ampleur. Elle en sera donc déboutée.
5) Sur la résolution des contrats de fourniture de gaz et de vérification
La société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ considère que les contrats de fourniture de gaz et de vérification sont des contrats accessoires à l’installation du système de refroidissement.
La cour relève que la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ n’a pas sollicité dans le dispositif de ses conclusions la résolution du contrat portant sur l’installation du système de refroidissement et qu’elle n’a donc pas été prononcée.
Par ailleurs, comme l’indique elle-même la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’, aux termes du contrat de fourniture de gaz, la société Linde fournit et facture tous les gaz qui sont utilisés en cave (soufre, O2, CO2 et N2). La société Linde a rempli ses obligations dans le cadre de ce contrat. La société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ a effectivement utilisé des gaz dans le procédé de vinification et notamment dans le cadre de l’inertage des vendanges. Comme le relève la société Linde, les quantités livrées ont nécessairement été consommées puisque d’autres quantités ont ensuite été commandées.
Au demeurant, la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ a laissé se poursuivre ce contrat au terme initialement convenu de 3 ans démontrant ainsi qu’elle en avait une utilité.
Enfin, la somme qu’elle réclame au titre d’une restitution résulte d’un tableau qu’elle a elle’même élaboré et qui ne peut être probant.
S’agissant du contrat de vérification, il n’est pas contesté que les vérifications annuelles en exécution du contrat ont été exécutées. La société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ a laissé se poursuivre ce contrat au terme initialement convenu de 3 ans démontrant ainsi qu’elle en avait une utilité.
Dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ de sa demande de résolution judiciaire des contrats de fourniture de gaz et de vérification et en restitution de la somme de 49.935,60 euros.
II – Sur l’appel en garantie de la société Linde à l’encontre de la société Ingevin et de son assureur
Il appartient à la société Linde d’établir la faute de la société Ingevin en lien avec les condamnations mises à sa charge pour voir prospérer son appel en garantie.
Comme relevé précédemment, si le dysfonctionnement de l’installation est avéré, les causes de ce dysfonctionnement n’ont pas été établies avec certitude.
Dès lors, il n’est pas démontré qu’une faute de la société Ingevin soit en relation avec le dysfonctionnement constaté. La société Linde considère qu’il s’agit d’un problème de conception mais ses seules affirmations ne peuvent venir établir la faute de la société Ingevin.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la société Linde de ses demandes à l’encontre de la société Ingevin et de son assureur, la société Axa France Iard.
III – Sur les mesures accessoires
La société Linde qui succombe sera condamnée aux entiers dépens de 1ère instance et d’appel et à payer la somme de 4.500 euros à la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
En équité, il n’y a pas lieu d’allouer une somme à la société Ingevin et à son assureur au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement du 23 février 2022 en ce qu’il a :
– dit que les travaux réalisés par la société Linde sous la responsabilité de la société Ingevin ne constituent pas un ouvrage,
– débouté la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ de ses demandes dirigées contre la société Ingevin et son assureur, la société Axa France Iard,
– débouté la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ de sa demande de résolution judiciaire des contrats de fourniture de gaz et de vérification et en restitution de la somme de 49.935,60 euros,
– débouté la société Linde de ses demandes dirigées contre la société Ingevin et son assureur la société Axa France Iard,
– débouté la société Ingevin de ses demandes dirigées contre la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’,
– débouté les sociétés Ingevin et Linde de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’infirme en ses autres dispositions.
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare recevable la demande formée par la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ sur le fondement de la responsabilité contractuelle à l’encontre de la société Linde.
Déclare la société Linde responsable sur le fondement contractuel des désordres affectant l’installation de refroidissement.
Condamne la société Linde à payer à la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ la somme de 46.874,90 euros (41.159 + 4.115,9 + 1600) outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt à titre de dommages et intérêts.
Déboute la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ du surplus de ses demande de dommages et intérêts.
Condamne la société Linde aux entiers dépens de 1ère instance et d’appel.
Condamne la société Linde à payer la somme de 4.500 euros à la société coopérative agricole ‘Cave de Tain l’Hermitage’ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Déboute la société Ingevin et la société Linde de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour l’instance d’appel.
SIGNÉ par Mme FIGUET, Présidente et par Mme RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente