Marchand de Biens : décision du 21 juillet 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/05569

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Marchand de Biens : décision du 21 juillet 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/05569
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2ème Chambre

ARRÊT N° 383

N° RG 20/05569 – N° Portalis DBVL-V-B7E-RCPG

(3)

Mme [N] [I]

C/

S.A.R.L. AGCR EXPERTISE

Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l’égard de toutes les parties au recours

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

– Me Luc FURET

-Me Julie DRONVAL

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 21 JUILLET 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur David JOBARD, Président de Chambre,

Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,

Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Jean-Pierre CHAZAL, lors des débats, et Mme Aichat ASSOUMANI, lors du prononcé,

DÉBATS :

A l’audience publique du 09 Mai 2023

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 21 Juillet 2023, après prorogations, par mise à disposition au greffe, signé par Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller, ayant participé au délibéré collégial, pour le Président empêché,

****

APPELANTE :

Madame [N] [I]

née le 12 Novembre 1962 à [Localité 8]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Luc FURET, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de LORIENT

INTIMÉE :

S.A.R.L. AGCR EXPERTISE

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Julie DRONVAL de la SELAS LES JURISTES D’ARMORIQUE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de LORIENT

EXPOSÉ DU LITIGE :

Par acte authentique du 13 juillet 2012, Mme [N] [I], exerçant la profession de chirurgien dentiste, a acquis, pour la somme de 209 300 euros TTC, un terrain situé [Adresse 4] à [Localité 8] d’une surface de 41 ares en vue d’y faire construire un cabinet dentaire.

Le 31 décembre 2014, Mme [I] a revendu ce terrain pour la somme de 283 000 euros TTC.

Le 6 janvier 2017, Mme [I] a été avisée par l’administration fiscale que celle-ci allait procéder à une vérification de sa comptabilité et de ses déclarations sur la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015. Par lettre recommandée avec avis de réception du 25 mars 2017, il a été procédé à une proposition de rectification portant sur l’évaluation d’office d’un bénéfice industriel et commercial et la taxation d’office en matière de TVA au titre de l’année 2014 concernant son activité de marchand de biens .

Soutenant qu’elle avait confié au cabinet d’expertise comptable AGCR Expertise sa comptabilité personnelle, professionnelle ainsi que la comptabilité d’une SCI de 2008 jusqu’au mois de janvier 2015 et que celui-ci avait manqué à ses obligations en lui conseillant l’adoption du statut de marchands de biens, Mme [I] a fait assigner la société AGCR Expertise, par acte d’huissier en date du 27 juin 2019, devant le tribunal judiciaire de Lorient en réparation de son préjudice.

Par jugement en date du 7 octobre 2020, le tribunal a :

– débouté Mme [N] [I] de l’ensemble de ses demandes,

– condamné Mme [I] à verser à la société ACGR Expertise la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné Mme [I] aux dépens.

Par déclaration en date du 16 novembre 2020, Mme [I] a relevé appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 12 février 2021, elle demande à la cour de :

Vu les articles 1134 et 1147 du code civil,

– infirmer le jugement du tribunal judiciaire en date du 7 octobre 2020 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau :

– constater que la société AGCR Expertise a gravement manqué à ses obligations processionnelles en qualité d’expert comptable, engageant ainsi sa responsabilité,

– dire et juger que la société AGCR Expertise à manqué à son obligation de conseil en ne recommandant pas à sa cliente l’adhésion à un centre de gestion agréé pour l’année 2014 dans le cadre de son activité de marchand de biens,

En conséquence,

– condamner la société AGCR Expertise à verser à Mme [I] une somme de 10 103 euros en réparation de son préjudice financier,

– dire et juger que la société AGCR Expertise a commis une faute professionnelle en omettant de déclarer la TVA collectée par Mme [I] dans le cadre de son activité de marchand de biens pour l’exercice 2014,

– condamner la société AGCR Expertise à verser à Mme [I] les sommes suivantes :

1 746 euros au titre de la majoration e 10 % en application de l’article 1728-1 du code général des impôts,

1 467 euros au titre des intérêts de retard au taux de 8,4 %,

– dire et juger que la société AGCR Expertise a, une seconde fois, manqué à son obligation de conseil en ne recommandant pas à Mme [I] de reporter la vente de son terrain sur l’exercice 2015,

En conséquence,

– condamner la société AGCR Expertise à verser à Mme [I] la somme de 4 282 euros en réparation de son préjudice en résultant,

– condamner la société AGCR Expertise à verser à Mme [I] la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la même aux entiers dépens de l’instance.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 10 mai 2021, la société AGCR Expertise demande à la cour de :

A titre principal,

– confirmer purement et simplement le jugement de première instance en toutes ses dispositions,

– dire et juger que la responsabilité de la société AGCR Expertise n’est pas engagée à l’égard de Mme [I],

– débouter Mme [I] de l’intégralité de ses demandes,

A titre subsidiaire,

– réduire le montant des dommages-intérêts réclamés en de grandes proportions,

En tout état de cause,

– condamner Mme [I] au paiement d’une somme de 5 000 euros à la société AGCR expertise au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– la condamner aux entiers dépens de l’instance.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu’aux dernières conclusions déposées par les parties, l’ordonnance de clôture ayant été rendue le 9 mars 2023.

EXPOSÉ DES MOTIFS :

Sur le manquement à l’obligation d’information et de conseil :

Il résulte de l’acte notarié en date du 13 juillet 2012 qu’à l’occasion de l’achat d’une parcelle de terrain située à [Localité 8] [Adresse 7], Mme [I], exerçant la profession de chirurgien-dentiste, a déclaré être assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée dans le cadre de son activité de marchand de biens. Il est constant que Mme [I] a procédé à la vente de ce terrain le 31 décembre 2014 avec une plus-value.

A la suite d’une vérification de comptabilité, le centre des finances publiques de [Localité 8] a effectué le 2 mai 2017, auprès de Mme [I], un rappel de la taxe sur la valeur ajoutée au titre du quatrième trimestre 2014 et une évaluation d’office de son bénéfice industriel et commercial dans le cadre de son activité de marchands de biens. Le 17 juillet 2017, l’administration fiscale a procédé au recouvrement des majorations et pénalités de retard.

Comme en première instance, Mme [I] soutient qu’elle n’a adopté le statut de marchand de biens que sur le conseil du cabinet d’expertise comptable AGCR Expertise , lequel ne l’a pas informée des incidences fiscales de ce statut. Ainsi, le cabinet AGCR Expertise aurait dû, selon elle, lui conseiller d’adhérer à un centre de gestion agréé pour son activité de marchands de biens. Elle lui reproche également d’avoir omis de réaliser les déclarations de TVA collectée pour cette activité et pour l’exercice 2014 et de ne pas l’avoir avertie de l’avantage de reporter la vente du terrain d’un jour, soit au 1er janvier 2015.

Déboutée en première instance de ses demandes par le premier juge qui a considéré qu’elle ne rapportait pas la preuve d’une faute du cabinet ACGR Expertise, Mme [I] soutient en appel que le cabinet AGCR qui s’occupait de sa comptabilité personnelle et professionnelle, avait été en outre missionné pour l’assister et la conseiller dans le cadre de la cession immobilière relative à un terrain situé à [Localité 8] comme le démontrent, selon elle, les courriers rédigés par ce cabinet le 3 octobre 2013 et le 15 décembre 2014, adressés au notaire en charge de l’achat et de la vente.

De son côté, la société AGCR Expertise conteste avoir eu une quelconque mission relative à l’acquisition et à la cession de ce bien immobilier et avoir conseillé l’adoption du statut de marchand de biens à Mme [I]. Elle maintient qu’elle n’a eu qu’une mission comptable de juillet 2008 au 31 décembre 2014 dans le cadre de son activité professionnelle de chirurgien-dentiste et qu’elle a assuré également une mission sociale sur l’exercice du 1er janvier au 31 décembre 2014. Elle prétend n’avoir jamais été informée du statut de marchand de biens adopté par Mme [I] à l’occasion de ces transactions immobilières et que celle-ci ne l’a pas davantage informée ni consultée sur son projet de vente immobilière.

Cependant, la société AGCR Expertise ne peut pas utilement prétendre que sa mission était restreinte à la seule comptabilité professionnelle de Mme [I] dans la mesure où elle a procédé par deux fois, à la demande du notaire, au calcul de la taxe sur la valeur ajoutée sur marge, pour le projet de cession du terrain sis [Adresse 6] à [Localité 8] dont était propriétaire Mme [I].

Si l’acquisition de ce terrain à bâtira été faite dans le but d’y faire construire un cabinet dentaire et est donc en rapport avec l’activité professionnelle de Mme [I], il n’en demeure pas moins que la société AGCR Expertise ne pouvait ignorer que celle-ci, en tant que chirurgien dentiste n’était pas assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée. Tenue d’une obligation de conseil et d’information envers sa cliente, et alors qu’elle avait procédé au calcul de la TVA découlant du prix de cession, la société AGCR Expertise se devait de s’enquérir auprès de sa cliente du statut au titre duquel elle procédait à cette vente et la renseigner sur les incidences fiscales de la perception d’une plus-value. Il lui appartenait notamment de l’informer de la nécessité de procéder à une déclaration auprès des services fiscaux de la TVA réalisée sur cette vente .

En revanche, il n’est pas démontré que la société AGCR Expertise ait été informée de l’achat de la parcelle de terrain ni de l’adoption du statut de marchands de biens par Mme [I] dans le cadre de cette acquisition le 13 juillet 2012, aucune des pièces produites aux débats ne démontrant l’intervention du cabinet d’expertise à l’occasion de cet achat. L’allégation de Mme [I] selon laquelle l’adoption d’un tel statut lui a été recommandé par l’intimée ne repose sur aucun élément tangible. Il s’en déduit que la société AGCR Expertise n’était tenue d’aucun devoir d’information sur les conséquences d’un tel statut en 2012 à l’égard de Mme [I] qui ne peut lui faire reproche de ne pas lui avoir conseillé l’adhésion à un centre de gestion agréé.

Mme [I] n’établit pas davantage que la société AGCR Expertise, qui a été interrogée par deux fois par le notaire pour le calcul de la taxe sur la valeur ajoutée sur marge, en octobre 2013 et décembre 2014, sur deux prix de cession possibles et alors que le dernier courrier de l’intimée indique que son calcul se fait sur la base ‘d’un prix de cession prévu’était au courant de la date de l’acte de vente de façon à lui conseiller le report d’un jour. En tout état de cause, la plus value de cette opération aurait nécessairement eu une incidence sur le montant de l’imposition de Mme [I] , quel que soit le moment de sa déclaration et il ne pouvait être auguré du montant de ses revenus pour l’année 2015 au 31 décembre 2014 pour apprécier les avantages d’un report éventuel.

En conséquence, le seul manquement de la société AGCR Expertise, à ses obligations de conseil et d’information, dont peut se prévaloir Mme [I] est celui résultant de l’absence de déclaration de taxe sur la valeur ajoutée collectée dans le cadre de la vente du terrain.

Sur le préjudice de Mme [I] :

Mme [I] sollicite en réparation de ce préjudice la somme de 1 746 euros au titre de la majoration de 10 % en application de l’article 1728-1 du code général des impôts et la somme de 1 467 euros au titre des intérêts de retard au taux de 8,4 %.

Toutefois, c’est à juste titre que la société AGCR Expertise fait valoir que le préjudice découlant du manquement à l’obligation d’information et de conseil consiste en la perte d’une chance d’éviter le risque qui s’est réalisé. En l’espèce, il ne peut être contesté que dûment informée, Mme [I] aurait procédé à la déclaration de la taxe sur la valeur ajoutée réalisée sur la marge issue de la vente du bien au 31 décembre 2014 dans les délais légaux et aurait ainsi évité la majoration et les intérêts de retard qu’elle a dû acquitter. Sa perte de chance est donc conséquente. Il lui sera alloué en réparation la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Le jugement sera donc infirmé en toutes ses dispositions et la société AGCR Expertise condamnée à payer à Mme [I] la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de sa perte de chance de procéder à la déclaration de la taxe sur la valeur ajoutée du 4ème trimestre 2014. Mme [I] sera déboutée de ses autres demandes en dommages-intérêts.

Sur les demandes accessoires :

la société AGCR Expertise supportera la charge des dépens de première instance et d’appel.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [I] l’intégralité des frais exposés à l’occasion de l’instance d’appel et non compris dans les dépens, en sorte que la société AGCR Expertise sera condamnée à lui payer une indemnité de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 7 octobre 2020 par le tribunal judiciaire de Lorient,

Statuant à nouveau :

Condamne la société AGCR Expertise à payer à Mme [N] [I] la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de la perte de chance de procéder à la déclaration de la taxe sur la valeur ajoutée du 4ème trimestre 2014,

Condamne la société AGCR Expertise à payer à Mme [N] [I] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute Mme [N] [I] du surplus de ses demandes,

Condamne la société AGCR Expertise au entiers dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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