Marchand de Biens : décision du 16 janvier 2024 Cour d’appel de Chambéry RG n° 21/00485

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Marchand de Biens : décision du 16 janvier 2024 Cour d’appel de Chambéry RG n° 21/00485
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MR/SL

COUR D’APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile – Première section

Arrêt du Mardi 16 Janvier 2024

N° RG 21/00485 – N° Portalis DBVY-V-B7F-GUSF

Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CHAMBERY en date du 18 Janvier 2021

Appelantes

S.A.R.L. LES ATELIERS DE LA FUSTERIE, dont le siège social est situé [Adresse 2]

S.A.S. FRANCE ACTIFS SELECTION, es qualité de liquidateur amiable, venant aux droits de SNC HOTEL CHARRIERE, dont le siège social est situé [Adresse 5]

Représentées par la SCP SAILLET & BOZON, avocats postulants au barreau de CHAMBERY

Représentées par la SELARL GREGORY BELLOCQ, avocats plaidants au barreau de BORDEAUX

Intimée

SELARL ALLIANCE MJ, dont le siège social est situé [Adresse 3]

Représentée par la SELARL BOLLONJEON, avocats postulants au barreau de CHAMBERY

Représentée par l’ASSOCIATION FABRE GUEUGNOT, avocats plaidants au barreau de PARIS

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Date de l’ordonnance de clôture : 25 Septembre 2023

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 24 octobre 2023

Date de mise à disposition : 16 janvier 2024

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Composition de la cour :

Audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, par Mme Hélène PIRAT, Présidente de Chambre, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Mme Myriam REAIDY, Conseillère, avec l’assistance de Sylvie LAVAL, Greffier,

Et lors du délibéré, par :

– Mme Hélène PIRAT, Présidente,

– Mme Myriam REAIDY, Conseillère,

– Mme Inès REAL DEL SARTE, Magistrate honoraire,

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Faits et procédure

La société Sogimm exerçait une activité de marchand de biens et était propriétaire d’un ensemble immobilier classé aux monuments historiques dans la ville de [Localité 9], composé de deux bâtiments situés de part et d’autre d’un passage et d’un porche au niveau de la « [Adresse 7] ».

La société Sogimm a entrepris la rénovation du bâtiment et, par acte du 15 octobre 2012, a confié la réalisation de diverses études à la société Les ateliers de la Fusterie pour une somme de 175 000 euros.

La société Sogimm a procédé à la division en deux lots-volumes de la partie du monument située [Adresse 8], à savoir un lot-volume n°1 correspondant au passage et au porche devant être cédé à la commune de [Localité 9], et un lot-volume n°2 correspondant au bâti surplombant ce passage et ce porche.

Par acte sous-seing-privé du 4 octobre 2013, la société Sogimm et la société Finaport 114 ont signé un compromis de vente portant sur les deux bâtiments situés de part et d’autre de la [Adresse 7] et sur le lot-volume n°2 au prix de 70 000 euros.

Il a été convenu que l’acquéreur prenne en charge les travaux de rénovation de la [Adresse 7] appartenant à la mairie de [Localité 9], le lot-volume n°1, à hauteur de 20%, soit la somme de 50 000 euros.

Par jugement du 29 octobre 2013, le tribunal de commerce de Lyon a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de la société Sogimm et désigné la Selarl Alliance Mj en qualité de liquidateur judiciaire.

Par ordonnances des 20 novembre 2013 et 11 février 2015, le juge commissaire à la liquidation judiciaire de la société Sogimm a autorisé le liquidateur à vendre le bien, au profit de la société Finaport 114, puis au profit de la société Hôtel Charrière (Snc) en application de la faculté de substitution prévue dans l’acte, avec l’obligation pour cette dernière de consigner la somme de 50 000 euros au titre des engagements de l’acquéreur envers la commune de [Localité 9].

La société Hôtel Charrière a conclu un compromis de vente du 1er juillet 2015 avec M. [U] [F], sous condition suspensive de l’acquisition préalable du bien par la société Hôtel Charrière, moyennant un prix de 75 250 euros.

Le 30 août 2015, un incendie est survenu, détruisant la toiture de l’immeuble vendu. Le 9 septembre 2015, le maire de [Localité 9] a pris un arrêté de péril imminent en raison du délabrement de l’immeuble.

Par courrier du 29 septembre 2015, la société Hôtel Charrière a notifié au liquidateur judiciaire de la société Sogimm sa renonciation à la vente litigieuse et a demandé restitution du dépôt de garantie.

La Société Alliance MJ a assigné la société Hôtel Charrière en vente forcée devant le tribunal de grande instance de Nancy. La société Les ateliers de la Fusterie est intervenue volontairement à l’instance.

Par jugement du 6 mars 2017, le tribunal de grande instance de Nancy a notamment :

– Constaté que le compromis de vente du 4 octobre 2013 s’est trouvé résolu par suite du renoncement à la vente par la société Hôtel Charrière, acquéreur substitué à la société Finaport 114, en application des dispositions des articles 1182 et 1601 du code civil ;

– Ordonné la restitution à la société Hôtel Charrière de la somme de 50 000 euros séquestrée entre les mains du notaire instrumentaire ;

– Débouté la société Ateliers de la Fusterie de ses demandes de dommages et intérêts formés contre la Alliance MJ, ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Sogimm.

Par un arrêt du 10 avril 2018, la cour d’appel de Nancy a notamment déclaré irrecevables les demandes de dommages-intérêts formées par la société Hôtel Charrière et la société Les Ateliers de la Fusterie à l’encontre de la société Alliance Mj à titre personnel, débouté la société Hôtel Charrière de sa demande formée en première instance sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et confirmé pour le surplus.

Par acte d’huissier du 15 mai 2018, la société Hôtel Charrière et la société Les Ateliers de la Fusterie ont assigné la Société Alliance MJ devant le tribunal de grande instance de Chambéry notamment aux fins de faire condamner la Société Alliance MJ à leur payer des dommages-intérêts.

Par jugement du tribunal de grande instance, devenu le tribunal judiciaire de Chambéry du 18 janvier 2021, cette juridiction a :

– Constaté la compétence territoriale du tribunal judiciaire de Chambéry ;

– Déclaré recevable l’action intentée par la société Hôtel Charrière et la société Les Ateliers de la Fusterie à l’encontre de la Société Alliance Mj ;

– Débouté la société Hôtel Charrière de sa demande de condamnation de la Société Alliance Mj à lui payer la somme de 5 249 euros ;

– Débouté la société Les Ateliers de la Fusterie de sa demande de condamnation de la Société Alliance Mj à lui payer la somme de 175 000 euros ;

– Débouté la société Les Ateliers de la Fusterie de sa demande de condamnation de la Société Alliance Mj à lui payer la somme de 24 999 euros ;

– Condamné la société Hôtel Charrière et la société Les Ateliers de la Fusterie à payer à la Société Alliance Mj la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamné la société Hôtel Charrière et la société Les Ateliers de la Fusterie aux dépens de l’instance.

Au visa principalement des motifs suivants :

Sur l’intérêt à agir de la société Hôtel Charrière et la société Les Ateliers de la Fusterie tiré de l’article 122 du code de procédure civile, la présente instance a pour objet une action en responsabilité contre le liquidateur judiciaire à titre personnel et non en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Sogimm ;

Sur l’intérêt à agir de la société Hôtel Charrière et la société Les Ateliers de la Fusterie tiré de l’article L622-20 du code de commerce, leur action ne vise pas à la préservation du gage commun des créanciers mais à l’indemnisation de préjudices personnels ;

Sur la responsabilité de la société Alliance MJ : aucune faute, négligence ou imprudence ne peut être caractérisée à son encontre et elle a pris toutes les précautions nécessaires pour assurer dans les meilleures conditions le bien litigieux.

Par déclaration au greffe du 8 mars 2021, la société Hôtel Charrière et la société Les Ateliers de la Fusterie ont interjeté appel de la décision en toutes ses dispositions hormis en ce qu’elle a constaté la compétence territoriale du tribunal judiciaire de Chambéry et déclaré recevable l’action intentée par la société Hôtel Charrière et la société Les Ateliers de la Fusterie à l’encontre de la société Alliance Mj.

Prétentions et moyens des parties

Par dernières écritures en date du 18 octobre 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société France Actifs Sélections, agissant en qualité de liquidateur amiable de la société Hôtel Charrière et la société Les Ateliers de la Fusterie, sollicitent l’infirmation de la décision et demandent à la cour de :

– Rabattre l’ordonnance de clôture au jour des plaidoiries ;

– Confirmer le jugement en ce qu’il a constaté sa compétence territoriale et déclaré recevable l’action intentée par la société Hôtel Charrière, aux droits de laquelle se trouve la société France Actifs Sélection, liquidateur amiable, et la société Les Ateliers de la Fusterie ;

– Réformer pour le surplus à savoir, en qu’il a débouté la société Hôtel Charrière de sa demande de condamnation de la société Allianz Mj à lui payer la somme de 5.249 euros ; en ce qu’il a débouté la société Les Ateliers de la Fusterie de sa demande de condamnation de la société Allianz Mj à lui payer la somme de 175 000 euros et la somme de 24 999 euros ; en ce qu’il a condamné la société Hôtel Charrière et la société Les Ateliers de la Fusterie à payer à la société Allianz Mj la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l’instance ;

Statuant à nouveau,

– Condamner la société Alliance Mj à payer à la société Hôtel Charrière la somme de 5 249 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance qu’elle a subie de percevoir une marge sur la revente du bien ;

– Condamner la société Alliance Mj à payer à la société Les Ateliers de la Fusterie la somme de 175 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi résultant de la perte d’utilité des études ;

– Condamner la société Alliance Mj à payer à la société Les Ateliers de la Fusterie la somme de 24 999 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance qu’elle a subie de percevoir une marge sur la revente des études ;

– Débouter la société Alliance Mj de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

– Condamner la société Alliance Mj à payer à la société Hôtel Charrière une indemnité de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner la société Alliance Mj à payer à la la société Les Ateliers de la Fusterie une indemnité de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner la société Alliance Mj aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Saillet Bozon en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de leurs prétentions, la société Hôtel Charrière et la société Les Ateliers de la Fusterie font valoir notamment que :

Sur la faute de la Société Alliance MJ, le contrat d’assurance de Sogimm a été résilié le 1er novembre 2013, soit 2 jours après sa liquidation judiciaire et la prise de fonction de la Société Alliance MJ en qualité de mandataire liquidateur ;

Par la résiliation de l’assurance initiale, en reconstruction complète et à l’identique, au profit d’une assurance basique et plafonnée, le mandataire judiciaire a manqué à son obligation de conservation du monument historique appartenant à la société Sogimm constitutif d’une faute au sens des anciens articles 1382 et 1383 du code civil ;

Sur le lien de causalité, du fait de la résolution de la vente du bien entre la société Alliance Mj, ès qualités de liquidateur de la société Sogimm, et la société Hôtel Charrière, la vente subséquente entre la société Hôtel Charrière et M. [F] n’a pas pu être réalisée ;

Le préjudice pour la société Hôtel Charrière est la perte de chance de réaliser une marge sur la revente de l’immeuble et pour la société Les Ateliers de la Fusterie l’inutilité des études achetées.

Par dernières écritures en date du 5 janvier 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Alliance MJ sollicite de la cour de :

– Confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

Subsidiairement,

– Infirmer le jugement en ce qu’il a déclaré recevable l’action intentée par la société Hôtel Charrière et la société Les Ateliers de la Fusterie à l’encontre de la société Alliance Mj ;

Par conséquent,

– Rejeter comme irrecevables l’ensemble des demandes, fins et conclusions de la société Hôtel Charrière et la société Les Ateliers de la Fusterie ;

Très Subsidiairement,

– Confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société Hôtel Charrière et la société Les Ateliers de la Fusterie de leurs demandes de condamnation à l’encontre de la société Alliance Mj, à défaut de rapporter la preuve d’une faute lui étant imputable, en lien causal direct avec un préjudice certain ;

En toute hypothèse,

– Condamner la société Hôtel Charrière et la société Les Ateliers de la Fusterie à verser à la société Alliance Mj la somme complémentaire au stade d’appel de 8 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Les condamner aux entiers dépens qui seront recouvrés pour ceux d’appel par la Selurl Bollonjeon, Avocat associée, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, la société Alliance Mj fait valoir notamment que :

La société Hôtel Charrière et la société Les Ateliers de la Fusterie ne justifient d’aucune créance ni d’aucun titre opposable à la liquidation judiciaire de la société Sogimm ;

La société Hôtel Charrière et la société Les Ateliers de la Fusterie reprochent au liquidateur judiciaire une insuffisance d’assurance du bâtiment, donc du gage des créanciers, et il importe peu que les appelantes ne réclament que la fraction personnelle d’un préjudice ;

Il n’existe pas de faute de la Société Alliance Mj, les appelants ne démontrant pas qu’il serait à l’origine de la résiliation de la police d’assurance ;

La société Hôtel Charrière et la société Les Ateliers de la Fusterie ne justifient d’aucun préjudice certain en lien causal direct avec les fautes imputées à la Société Alliance Mj.

Une ordonnance en date du 25 septembre 2023 a clôturé l’instruction de la procédure. La clôture a été rabattue le 24 octobre 2023, pour être fixée à cette même date, afin de permettre l’intervention de la société France actifs sélection en qualité de liquidateur amiable de la société SNC Hôtel Charrière. L’affaire a été plaidée à l’audience du 24 octobre 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l’audience ainsi qu’à la décision entreprise.

MOTIFS ET DECISION

A titre liminaire, il convient de constater que la société Alliance MJ soulève au sein de sa motivation l’irrecevabilité des demandes des appelants au motifs que le dispositif des conclusions ne respecterait pas les articles 562 et 954 du code de procédure civile, mais que la prétention correspondante, tendant à faire déclarer irrecevable pour ce motif au sein du dispositif, n’est pas reprise et donc cette question n’est pas soumise à la cour.

I- Sur la recevabilité de la société France actifs sélection, ès qualités de liquidateur amiable de la société Hôtel Charrière

L’article 122 du code de procédure civile prévoit ‘constitue une fin de non-recevoir tout moyer qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, poour défaut de droit d’agir, tel que le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.’ L’article 125 du même code permet en outre au juge de soulever d’office les fins de non-recevoir d’ordre public, telles que le défaut d’intérêt, de qualité, ou de la chose jugée.

L’article 1844-8 alinéa 3 du code civil dispose ‘La personnalité morale de la société subsiste pour les besoins de la liquidation jusqu’à la publication de la clôture de celle-ci.’

La société SNC Hôtel Charrière a fait l’objet :

– le 2 novembre 2022, d’une décision de dissolution anticipée et de liquidation amiable sous le régime conventionnel, par l’assemblée générale extraordinaire du même jour, la société France actifs sélection étant désignée en qualité de liquidateur amiable,

– le 1er décembre 2022, d’une décision de clôture de liquidation, par assemblée générale du même jour, cette décision ayant été transmise au tribunal de commerce de Bordeaux le 29 décembre 2022.

Il résulte de ces éléments que la société Hôtel Charrière ne dispose plus d’un représentant légal, dans la mesure où la liquidation amiable a été clôturée, et que la société France Actifs sélection n’a plus qualité pour exercer l’action aux fins de mise en cause de la responsabilité personnelle du liquidateur de la société Sogimm (3e Civ. 4 octobre 2018, pourvoi n°17-17.855).

En conséquence, la société France Actifs Sélection est dépourvue du droit d’agir au nom de la société Hôtel Charrière devant la cour. Dès lors, les demandes de la société Hôtel Charrière ès qualités de liquidateur amiable de la société Hôtel Charrière seront déclarées irrecevables.

II- Sur la recevabilité de la société Les Ateliers de la Fusterie

L’article L622-20 alinéa 1 du code de commerce dispose que ‘Le mandataire judiciaire désigné par le tribunal a seul qualité pour agir au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers. Toutefois, en cas de carence du mandataire judiciaire, tout créancier nommé contrôleur peut agir dans cet intérêt dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat.’

C’est à l’issue d’une analyse pertinente, esxhaustive et exempte d’insuffisance que le premier juge a retenu que :

– le préjudice subi du fait de la perte d’utilité des études et de la perte de chance de réaliser un bénéfice sur la vente de ses études n’est pas inhérent à la procédure collective de liquidation judiciaire de la société Sogimm, mais en est distinct et né postérieurement à cette dernière,

– l’action ne visait pas à la préservation du gage commun des créanciers mais à l’indemnisation de préjudices personnels résultant d’une faute du liquidateur judiciaire dans l’exercice de sa mission.

Il convient de rajouter que l’arrêt de la Cour d’appel de Nancy, du 10 avril 2018 a dans son dispositif ‘déclaré irrecevables les demandes de dommages et intérêts formées par la société Hôtel Charrière et la société Les Ateliers de la Fusterie à l’encontre de la société Alliance MJ à titre personnel’ dans la mesure où la société Alliance MJ n’était dans la cause qu’ès qualités de liquidateur de judicaire de la société Sogimm. La motivation de l’arrêt énonce ‘la faute quasi-délictuelle qu’il est reproché à la société MDP d’avoir commise étant une faute personnelle, la société Alliance MJ, venant aux droits de cette société, aurait dû être appelée à la cause à titre personnel’.

En conséquence, la mise en cause de la responsabilité du liquidateur à titre personnel n’imposait pas la déclaration de la créance à la procédure collective.

C’est à l’issue d’une analyse pertinente, exhaustive, exempte d’insuffisance que le premier juge a déclaré l’action de la société Les Ateliers de la Fusterie recevable.

III- Sur le fond

L’article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable au litige dispose ‘tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.’ L’engagement de la responsabilité du liquidateur judiciaire suppose la démonstation de l’existence d’une faute et d’un préjudice en lien avec celle-ci.

– la faute reprochée à la société Alliance MJ

L’article L641-11-1 du code de commerce dispose ‘I-Nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d’un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l’ouverture ou du prononcé d’une liquidation judiciaire.

Le contractant doit remplir ses obligations malgré le défaut d’exécution par le débiteur d’engagements antérieurs au jugement d’ouverture. Le défaut d’exécution n’ouvre droit au profit des créanciers qu’à déclaration au passif.’

La société MDP, devenue Alliance MJ, a été désignée par jugement du 29 octobre 2013. Il n’est versé aux débats aucun courrier de mise en demeure de la société Allianz, assureur du bien litigieux [Adresse 4] à [Localité 9], pour des cotisations impayées, ce qui est corroboré par M. [X] [T], dirigeant de la société Sogimm avant sa mise en liquidation, qui atteste n’avoir jamais procédé à la résiliation de la police d’assurance souscrite auprès de la compagnie Allianz jusqu’à sa liquidation judiciaire. Il résulte ensuite d’un mail du 11 mars 2021 que ‘ce contrat a été résilié le 01.11.2013″, étant précisé qu’il ne pouvait l’être que par le liquidateur judiciaire.

Le contrat souscrit auprès d’Allianz garantissait, en cas d’incendie, la valeur à neuf (hors le gel des chaudières, ‘coût de remise en état à l’identique, à neuf, des bâtiments et aménagements endommagés, dans la limite de leur valeur de reconstruction, vétusté déduite, majorée de 33% de leur valeur de reconstruction à neuf, sans pouvoir excéder cette dernière valeur.’ Le contrat soucrit par la société MDP (devenue Alliance MJ) auprès de MVRA assurances accordait pour les garanties multirisques de l’immeuble, et notamment l’incendie, une ‘limitation contractuelle d’indemnité à hauteur de 250 000 euros sans option’. Enfin, les cotisations annuelles des deux assurances étaient d’un montant sensiblement équivalent : 562 € TTC pour Allianz et 552 euros TTC pour MVRA, de sorte que même l’ampleur du passif de la société Sogimm, de plus de 6 000 000 euros, ne justifiait pas la résiliation de l’assurance en cours, qui portait sur un bien inscrit à l’inventaire des monuments historiques, aux termes d’un arrêté ministériel du 24 octobre 1929 sous l’intitulé ‘[Adresse 7] à [Localité 9]’ pour une assurance très légèrement moins onéreuse, mais ne tenant pas compte des spécificités du bien.

L’article L621-29-1 du code du patrimoine prévoit que ‘le propriétaire ou l’affectataire domanial a la responsabilité de la conservation du monument historique classé ou inscrit qui lui appartient ou qui lui est affecté.’

Ainsi qu’il a été rappelé, cet immeuble classé a subi un incendie détruisant sa toiture le 30 août 2015, et l’indemnité d’assurance offerte par le contrat MVRA, de 70 000 euros, correspondant à sa valeur vénale, a conduit la société Hôtel Charrière, substituée à la société Finaport 114 qui avait signé un compromis de vente le 4 octobre 2013 avec la société Sogimm, vente autorisée par le juge commissaire de la liquidation judiciaire par ordonnance du 11 février 2015, à renoncer à cet achat au vu de l’estimation des travaux de reconstruction (remplacement intégral de la charpente et de la toiture) à hauteur de 463 596,13 euros TTC. La vente a, in fine, été réalisée au prix d’un euro symbolique, au profit de la commune de [Localité 9], suivant ordonnance du juge commissaire du tribunal de commerce de Lyon du 31 janvier 2019.

Il existe bien une faute de la société Alliance MJ, qui a résilié l’assurance spécifique du bien immobilier classé comme monument historique appartenant à la société Sogimm, dont il était responsable en qualité de liquidateur judiciaire, pour une assurance basique qui n’a pas permis la reconstruction après sinistre.

– sur le préjudice subi et le lien de causalité

La société Les Ateliers de la Fusterie démontre avoir acquis le 12 octobre 2012 des ‘études et pièces nécessaires à la division de l’immeuble et à l’agrément fiscal de travaux, études et pièces nécessaires à l’obtention de l’autorisation de travaux précitée, constats d’affichage des autorisations, ensembles des études techniques, historiques et autres réalisées par Monsieur [D] [M], architecte du patrimoine à [Localité 6], [Adresse 1]’, pour un prix de 175 000 euros HT, attaché en conséquence à l’immeuble [Adresse 4] à [Localité 9].

Suivant compromis de vente en date du 1er juillet 2015, la société Hôtel Charrière, qui s’était portée acquéreur à la place de la société Finaport, avait offert de revendre le bien à M. [F]. Cet acte rédigé par l’étude notariale Narbey-Bernard-Jousseaume précise dans un paragraphe intitulé ‘frais d’études et de prestations’ :

– que la société Ozdema, représentée par M. [F] intervient dans l’acte,

– que la société Hôtel Charrière déclare que la société Les Ateliers de la Fusterie a réalisé un dossier complet d’études, plan et autorisations de valorisation de son projet et a sollicité les autorisations administratives nécessaires (autorisation de travaux du 23 septembre 2008, sa prorogation le 5 janvier 2012, déclaration d’ouverture des travaux du 16 septembre 2013),

– que la condition déterminante sans laquelle le vendeur n’aurait pas contracté consistait à ce que ce dossier d’études soit acheté pour la somme de 200 000 euros HT par la société Ozdema à la société Les Ateliers de la Fusterie.

Il doit toutefois être relevé que cet acte est signé par le vendeur, le représentant légal de la société Hôtel Charrière, l’acquéreur, M. [F] intervenant à titre personnel, et le séquestre, que l’on peut supposer être le notaire, à défaut de précision dans le corps du contrat, mais que ni la société Ozdema, ni la société Les Ateliers de la Fusterie, n’y sont parties, alors que leur engagement dans un contrat de vente mobilière conditionnait la potentielle vente immobilière de la ‘[Adresse 7]’.

Ainsi que le fait observer la société Alliance MJ, aucun contrat conclu entre la société Ozdema et la société Les Ateliers de la Fusterie n’est versé aux débats, de sorte que le seul compromis du 1er juillet 2015, par un vendeur hypothétique, la société Hôtel Charrière qui n’avait pas encore acquis la propriété, et M. [F] n’a pas fait naître d’obligations entre des personnes tierces à ce contrat et que ni la vente du dossier d’études, ni la perte de chance liée à la perte du bénéfice escompté, n’étaient certains.

Enfin, le lien de causalité entre la faute du liquidateur judiciaire, l’insuffisance d’assurance d’un bien immobilier, et le préjudice constitué par la perte de valeur des études portant sur ce bien immobilier, n’est pas direct, puisque c’est la survenue d’un sinistre qui est à l’origine du dommage.

En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a rejeté la demande d’indemnisation de la société appelante Les Ateliers de la Fusterie.

IV- Sur les demandes accessoires

La société Les Ateliers de la Fusterie succombant au fond supportera les dépens de l’instance d’appel. Enfin, il ne paraît pas inéquitable de la condamner à verser la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile à la société Alliance MJ.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par décision publique, contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme la décision entreprise, dans les limites de l’appel, uniquement en ce qu’elle a déclaré recevable l’action intentée par la société Hôtel Charrière à l’encontre de la société Alliance MJ, et en qu’elle a rejeté la demande au fond,

Statuant à nouveau,

Déclare irrecevable l’action de la société France Actifs Sélection, en qualité de liquidateur amiable de la société Hôtel Charrière, pour défaut de qualité à agir,

Y ajoutant,

Condamne la société Les Ateliers de la Fusterie aux dépens de l’instance, avec application de l’article 699 au bénéfice de la selurl Bollonjeon,

Condamne la société Les Ateliers de la Fusterie à payer à la société Alliance MJ la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, La Présidente,

Copie délivrée le 16 janvier 2024

à

la SCP SAILLET & BOZON

la SELARL BOLLONJEON

Copie exécutoire délivrée le 16 janvier 2024

à

la SELARL BOLLONJEON

 


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