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SOC.
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 juin 2019
Rejet
M. CHAUVET, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 942 F-D
Pourvoi n° D 17-19.299
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par M. I… C…, domicilié […] ,
contre l’arrêt rendu le 6 avril 2017 par la cour d’appel d’Orléans (chambre sociale), dans le litige l’opposant au Centre interservices de santé et de médecine du travail en entreprise (CISME), dont le siège est […] ,
défendeur à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l’audience publique du 14 mai 2019, où étaient présents : M. Chauvet, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Le Corre, conseiller référendaire rapporteur, M. Pietton, conseiller, Mme Pontonnier, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Le Corre, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. C…, de la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat du Centre interservices de santé et de médecine du travail en entreprise, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Orléans, 6 avril 2017) statuant sur renvoi après cassation (Soc. 23 septembre 2015, n° 14-14.021), que M. C…, engagé le 31 août 1987 par l’association Centre interservices de santé et de médecine du travail en entreprise (CISME), et exerçant en dernier lieu les fonctions de délégué général, a été licencié pour cause réelle et sérieuse par lettre du 10 septembre 2009 ;
Sur le premier moyen :
Attendu que le salarié fait grief à l’arrêt de constater l’abus de droit du salarié dans la liberté d’expression, de déclarer son licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et de le débouter de ses demandes tendant à voir condamner le CISME à lui verser certaines sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement infondé et au titre du préjudice moral et professionnel alors, selon le moyen :
1°/ que sauf abus résultant de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées ; que ne caractérise pas un abus dans l’exercice de la liberté d’expression constitutif d’une cause réelle et sérieuse de licenciement le fait pour un cadre de direction de formuler, dans des circonstances difficiles, des critiques mêmes vives concernant la direction et la gouvernance de l’entreprise; que les propos incriminés tenus par le salarié en sa qualité de délégué général et visant à alerter sur les dysfonctionnements d’un des services de santé, s’ils sont vifs, ne contiennent aucun terme injurieux, diffamatoire ou excessif et ne dépassent pas les limites de la critique et de la revendication admises ; qu’en jugeant le contraire, la cour d’appel a violé les articles L. 1121-1, L. 1232-1 et L. 1333-2 du code du travail ;
2°/ que l’usage abusif de la liberté d’expression s’apprécie en tenant compte du contexte dans lequel les propos ont été tenus ; qu’en particulier, l’abus n’est pas caractérisé lorsque les propos ont été tenus dans un contexte à même d’expliquer l’état d’énervement du salarié; qu’en retenant que les propos tenus par le salarié auraient caractérisé un abus dans l’exercice de sa liberté d’expression, sans même vérifier si les dysfonctionnements sur lesquels il alertait n’étaient pas réels et s’ils n’étaient pas de nature à expliquer l’amertume et la colère qu’il avait exprimés, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1121-1, L. 1232-1 et L. 1333-2 du code du travail ;
3°/ que si la publicité donnée aux propos peut contribuer à caractériser l’abus, il n’en va pas de même lorsque le salarié dénonce certains agissements et que cette dénonciation est portée à la connaissance de ceux qui ont compétence et pouvoir d’y donner suite ; qu’en affirmant que le salarié avait abusé de sa liberté d’expression par la considération que ses propos avaient été tenus « à des personnes de pouvoir extérieures à l’institution », quand précisément, ces personnes avaient compétence et pouvoir d’en vérifier ou d’en faire vérifier la réalité et le bien-fondé, la cour d’appel a violé les articles L. 1121-1, L. 1232-1 et L. 1333-2 du code du travail ;
4°/ que la publicité donnée aux propos ne peut contribuer à caractériser l’abus que pour autant qu’ils ne concernent pas une situation déjà connue et divulguée ; qu’en se basant sur le fait que les propos litigieux avaient été tenus « à des personnes de pouvoir extérieures à l’institution », sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si l’alerte donnée par le salarié auprès des pouvoirs publics ne prolongeait pas les positions déjà prises à ce sujet par des responsables syndicaux et politiques, elles-mêmes relayées par la presse, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 1121-1, L. 1232-1 et L. 1333-2 du code du travail ;
5°/ que l’abus ne peut résulter que de propos diffamatoires, injurieux ou excessifs ; qu’en se déterminant par la considération selon laquelle le salarié aurait agi par « vengeance », « au nom d’intérêts purement privés tenant à la contestation du licenciement de son épouse », circonstance relevant d’un simple mobile indifférent à la caractérisation de l’abus, la cour d’appel a violé les articles L. 1121-1, L. 1232-1 et L. 1333-2 du code du travail ;
6°/ que la bonne foi est présumée; qu’en déduisant de la seule circonstance que les propos du salarié « concernaient l’auteur du licenciement de son épouse », qu’ils étaient « dénués de sincérité » et que le salarié avait agi par « vengeance », sans relever aucune autre circonstance dont aurait pu se déduire le sentiment de vengeance de l’intéressé, et en particulier sans vérifier si les dysfonctionnements sur lesquels il alertait n’étaient pas réels, la cour d’appel a violé l’article 1315 du code civil ;
7°/ que la faute reprochée au salarié doit être appréciée en tenant compte de son ancienneté et de l’existence ou non de sanctions antérieures; qu’en se bornant à affirmer que le salarié avait « abusé du droit à la critique dont il pouvait disposer » et que « ces faits rendent impossible la poursuite des relations contractuelles », sans rechercher, comme elle y était invitée, si son ancienneté de vingt-deux ans et l’absence de sanction antérieure n’étaient pas de nature à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 1232-1 et L. 1333-2 du code du travail ;
Mais attendu qu’ayant relevé, par une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, que le salarié avait, dans deux lettres diffusées à des personnes extérieures à l’association, tenu, à l’égard de l’auteur du licenciement de son épouse, des propos, dénués de pondération, faisant état d’une politique qui bafouait la vérité dirigée par un homme qui ne disposait d’aucune légitimité réelle et qu’il convenait de mettre fin à la folie destructrice s’étant emparée de ce service et aux actions délétères de certains de leurs représentants au niveau local, et qu’une poignée d’individus disposait d’un pouvoir quasi dictatorial, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, a pu en déduire que le salarié avait, compte tenu de ses fonctions, abusé de sa liberté d’expression, et a décidé, dans l’exercice des pouvoirs qu’elle tient de l’article L. 1235-1 du code du travail, que le licenciement du salarié procédait d’une cause réelle et sérieuse ; que le moyen n’est pas fondé ;
Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le second moyen, annexé, qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. C… aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze juin deux mille dix-neuf.