Diffamation : décision du 15 octobre 2019 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 17/22792

·

·

Diffamation : décision du 15 octobre 2019 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 17/22792
Ce point juridique est utile ?

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-1

ARRÊT AU FOND

DU 15 OCTOBRE 2019

N° 2019/558

RG 17/22792 –

N° Portalis DBVB-V-B7B-BBVYG

[A] [Q]

C/

Ferdinand [H]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Huguette RUGGIRELLO

Me Olivier ROSATO

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de [Localité 1] en date du 28 Septembre 2017 enregistré au répertoire général sous le n° 15/02122.

APPELANT

Monsieur [A] [Q]

né le [Date naissance 1] 1952 à [Localité 1] ([Localité 2]), demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Huguette RUGGIRELLO, avocat au barreau de [Localité 1]

INTIME

Monsieur Ferdinand [H],

né le [Date naissance 2] 1952 à [Localité 2] ([Localité 2]), demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Olivier ROSATO, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 09 Septembre 2019 en audience publique devant la cour composée de :

Madame Anne VIDAL, Présidente

Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller, rapporteur,

Mme Danielle DEMONT, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Marcy FEDJAKH.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 15 Octobre 2019.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 15 Octobre 2019,

Signé par Madame Anne VIDAL, Présidente et Mme Agnès SOULIER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Exposé :

Le Tribunal de Grande Instance de [Localité 1], statuant le 28 septembre 2017 par jugement contradictoire, a dit que la page mise en ligne le 12 janvier 2015 sur le compte public de l’ADS constitue une atteinte diffamatoire à l’encontre d’un citoyen chargé d’un mandat public, a considéré que M. [A] [Q] était responsable de cette atteinte en qualité de directeur de publication, l’a condamné à payer la somme de 3000 € à M. [H] à titre de dommages et intérêts, a déclaré nulle l’assignation du 7 mai 2015 et a condamné M. [Q] à payer la somme de 2000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.

M. [Q] a relevé appel de cette décision le 21 décembre 2017.

Il a conclu le 16 juillet 2019 en demandant de :

– révoquer l’ordonnance de clôture,

sur le slogan,

– à titre principal, dire qu’il n’a pas été publié sur le site Internet de l’ADS et réformer le jugement,

– à titre subsidiaire, dire que la diffamation n’est pas caractérisée faute de l’existence d’un fait précis et déterminé et en l’absence de toute atteinte à l’honneur et à la considération de M. [H],

– si l’existence de la diffamation était retenue, dire qu’il doit bénéficier de l’exception de vérité de bonne foi et en particulier au regard de la qualité de maire de M. [H],

sur le texte,

– à titre principal, dire que la diffamation n’est pas caractérisée et à titre subsidiaire, qu’il n’y a pas de fait précis et déterminé, ni d’atteinte à l’honneur et à la considération,

– si l’existence de la diffamation était jugée, retenir l’exception de vérité et de bonne foi au regard de la qualité de maire de M. [H],

– à titre infiniment subsidiaire, dire que l’ingérence dans la liberté d’expression de M. [Q] n’est pas proportionnée à l’objectif poursuivi de protection de la réputation de M. [H] et réformer le jugement,

– rejeter toutes les demandes de M. [H],

– condamner M. [H] à lui payer la somme de 7 500 € au titre de son préjudice moral et celle de 4 000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

M. [H] a conclu le 24 juin 2019 en demandant de :

– à titre liminaire, ordonner la suppression des écrits diffamatoires, pages 2 et 10 des conclusions de l’appelant, et le condamner à lui payer 5 000€ à titre de dommages et intérêts,

– confirmer le jugement,

– constater les atteintes diffamatoires portées à son encontre en sa qualité de maire et rejeter toutes les demandes de M [Q],

– condamner M [Q] à lui payer à titre de dommages et intérêts la somme de 25 000€ et celle de 1 500 euros par application de l’article 700 du Code de Procédure Civile outre les dépens.

L’ordonnance de clôture, initialement prise le 25 juin 2019, a été révoquée à l’audience avant la clôture des débats et une nouvelle clôture a été prise.

Motifs

Aux termes des dernières conclusions déposées le 24 juin 2019 par M. Ferdinand [H], il est fait reproche à M [Q] des publications intervenues les 11 et 12 janvier 2015 sur la page publique de l’association dite ADS sur le réseau social Facebook, sur la plate-forme Twitter de l’association et sur le site du parti politique ADS, les publications ainsi visées concernant, d’une part, la reprise de la représentation graphique du logotype ‘je suis Charlie’ pour affirmer ‘ je ne suis pas Ferdinand’, d’autre part, la mise en ligne d’un texte intitulé ‘la liberté d’expression à Sanary’.

‘A titre liminaire’, il est par ailleurs demandé de voir ordonner la suppression de certains passages des conclusions prises le 15 juin 2018 par M [Q].

Sur la demande liminaire :

Les passages reprochés de ce chef sont les suivants :

– page 2 :

« M. [H], maire de Sanary sur mer, exerce ses mandats en portant atteinte régulièrement à la liberté d’expression ».

« C’est dans ce contexte d’atteinte continue à la liberté d’expression par M. [H]… »

– Page 10 :

« M. [H], maire de Sanary sur mer, exerce ses mandats en portant régulièrement atteinte à la liberté d’expression. »

Dans la mesure où le litige porte sur le caractère prétendument diffamatoire d’écrits publiés en lien avec l’exercice du mandat électif de maire de M. [H] et relatifs au comportement allégué à son encontre consistant à restreindre la liberté d’expression de ses opposants, ces écrits, qui certes sont porteurs d’une critique du même chef, ne dépassent cependant pas les limites de la seule expression de la défense de M. [Q] dès lors en effet que l’objet du présent litige est précisément le caractère diffamatoire d’écrits relatant ce même comportement et que le défendeur entend opposer l’excuse de vérité ; il ne sera, par suite, pas fait droit à la demande de suppression desdits passages comme ayant un caractère injurieux, outrageant ou diffamatoire.

Cette demande ainsi que la demande consécutive de dommages et intérêts seront donc rejetées.

Sur la diffamation reprochée à raison de la publication du logotype ‘ je ne suis pas Ferdinand’:

Il résulte des pièces versées au dossier que les 11 et 12 janvier 2015 les propos sont apparus sur la page officielle publique de l’association des sanaryens au sein du réseau social Facebook et sur le compte de l’association sur la plate-forme de micro-blogage Twitter .

La loi du 21 juin 2004 prévoit que les dispositions de la loi du 29 juillet 1881, notamment sur la diffamation, sont applicables aux services de communication au public en ligne sur un support numérique, l’article 30 de la loi de 1881 prévoyant, au titre des moyens de communication susceptibles d’être sanctionnés, tout moyen de communication au public par voie électronique.

En l’espèce, les procès-verbaux de constat démontrent que les pages facebook et twitter du parti Association Des Sanaryens (ADS) sont ouvertes au public ; ces sites sont donc visibles et accessibles à tous ; l’élément de publicité requis est donc ainsi constitué.

Par ailleurs, M [Q] est cité comme étant, au jour des publications en litige, sur la page du site internet du parti ADS, le directeur de publication (pour internet et la revue papier), ainsi que cela résulte du constat d’huissier du 15 janvier 2015, cette mention le rendant responsable des plate-formes Facebook et Twitter ouvertes au nom dudit parti, ce qu’il a au demeurant lui même reconnu dans son assignation devant la cour où il se présente comme agissant ‘en qualité de directeur de la publication du site Internet, des plates-formes numériques Facebook et Twitter et de la revue papier de l’association des sanaryens’.

En ce qui concerne le caratère diffamatoire de la phrase litigieuse « Je ne suis pas Ferdinand », il résulte des éléments figurant aux constats d’huissier des 15 et 20 janvier 2015 que le message et le logotype utilisés sont semblables à ceux émis en suite de l’attentat perpétré contre le journal Charlie Hebdo : « je suis Charlie » ou « je ne suis pas Charlie ».

Il sera par ailleurs rappelé que la liberté d’expression est un principe constitutionnellement garanti et qu’il implique le droit à l’expression libre de son opinion, notamment dans le domaine politique ; que certes, cette liberté trouve sa limite dans les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, au terme de laquelle toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation, la publication directe ou la reproduction de cette allégation de cette imputation étant punissable même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle est dirigée contre une personne non expressément nommée mais dont l’identification est rendue possible par les termes notamment du discours, et la diffamation commise par les mêmes moyens et à raison de leur fonction de leurs qualités envers un dépositaire ou agent de l’autorité publique ou un citoyen chargé d’un mandat public étant sanctionnée de la même façon.

Il sera également considéré que le principe de la liberté d’expression, indissociable du respect des valeurs démocratiques, exige une garantie particulière et renforcée notamment pour un libre débat d’idées en ce qui concerne les partis politiques et les sujets d’intérêts généraux, un juste équilibre devant alors être aménagé entre la nécessité de protéger le droit à la liberté d’expression et celle de protéger les droits et la réputation du plaignant .

En l’espèce, la diffusion litigieuse, reprenant le logotype « je suis Charlie » est certes maladroitement intervenue quelques semaines après l’ attentat terroriste du 7 janvier 2015 qui avait donné lieu à l’émission dudit slogan et également à celui divulgué sous la forme ‘je ne suis pas Charlie’, le premier étant destinée à manifester un élan de solidarité à l’égard des victimes de cet attentat ainsi que l’attachement aux valeurs défendues par le journal, tandis que le second symbolisait l’expression d’un avis différent qui pouvait notamment consister dans une absence de sympathie pour les idées et valeurs du journal, sans pour autant pouvoir être assimilé à l’attitude de seuls mouvements extrémistes ou terroristes à l’origine de l’attentat.

Dans ces conditions, il ne peut être considéré que l’utilisation de l’expression ‘ je ne suis pas Ferdinand’, qui procède en réalité de la volonté d’utiliser, par le recours à un jeu de mots avec le prénom de M [H], un slogan revêtant, dans le contexte de l’époque, une popularité certaine, serait caractéristique d’une volonté de diffamer la personne ainsi visée et que même si l’expression litigieuse revêt une forme d’impertinence et également un manque évident de délicatesse dans le contexte du mois de janvier 2015, la volonté prétendument diffamatoire telle qu’alléguée ne peut donc être considérée comme résultant de ce seul écrit, celui-ci procèdant, en effet, bien plutôt des sous-entendus que M [H] en tire selon une interprétation qui lui est propre et qui dépasse le sens réel du propos qu’il est censé pasticher.

L’assimilation, telle que faite par M. [H], de la formule négative ‘je ne suis pas Charlie’ aux valeurs de mouvements extrémistes d’oppression ne résulte d’ailleurs nullement des propos eux-mêmes, ni de leur acception générale, mais des seuls sous entendus issus de son interprétation .

En outre, aucun élément ne permet, non plus, d’assimiler la phrase ‘je ne suis pas Ferdinand’ aux valeurs prétendument attachées à ‘Je ne suis pas Charlie’;

Enfin, il sera encore relevé que les propos critiqués ont été tenus par un parti d’opposition au maire en suite notamment de la tenue difficile d’un conseil municipal et qu’une ingérence dans la liberté d’expression dans ce contexte politique ne se justifierait que pour des motifs impérieux dont la preuve n’est pas suffisamment faite au vu des observations ci-dessus.

Il résulte des considérations ainsi développées, tant en ce qui concerne le sens et la portée exacts des propos litigieux, dont le caractère prétendument diffamatoire ne résulte pas des propos eux-mêmes mais de la seule interprétation qu’en fait M [H], qu’en ce qui concerne la garantie de la liberté d’expression dans le champ politique et la nécessité de maintenir un juste équilibre entre le droit à la liberté d’expression et le droit et la réputation du plaignant, que le jugement doit être réformé de ce chef et M. [H] débouté de toutes ses demandes.

Sur le caractère diffamatoire des propos résultant du texte ‘ la liberté d’expression à Sanary’ publié sur le site du parti ADS :

Le texte invoqué de ce chef et publié sur le site du parti dont M [Q] est directeur de publication est le suivant :

‘ La liberté d’expression à Sanary.

Monsieur le maire de Sanary se présente depuis quelques jours devant notre population comme un défenseur de la liberté d’expression et du respect d’autrui.

Ce ne sont que des mots, ne perdez pas votre libre arbitre.

Liberté, égalité, fraternité à Sanary ‘

Il ne faut pas oublier :

Que cette personne profère des insultes depuis plusieurs années envers certains de ses concitoyens en séance publique : gros connard, salopards, tordu, nazi, stalinien, pervers, paranoïaque, potiche, coucourdes , simple d’esprit, jobastre, autiste..

Que comme le préfet ne l’a pas autorisé le 17 décembre 2014 à expulser pour les faire taire nos élus d’opposition…, Il les a alors privés de deux libertés fondamentales et inaliénables : leur droit d’expression et leur droit de vote.

Qu’il utilise la revue municipale pour agresser certains élus de l’opposition.

Bien sûr, vous vous demandez si cela est bien vrai. Un maire prive-t-il certains élus de leur droit de vote et d’expression ‘ Ces faits se déroulent-ils en France ‘ ‘.

M [H] invoque donc ce texte comme diffamatoire ; il ne caractérise toutefois pas le grief ainsi fait, se contentant en effet :

– de le citer en son entier en pages 3 et 4 de ses conclusions au titre des publications critiquées comme étant diffamatoires, sans cependant précisément identifier ou déterminer, dans ce texte, quels propos sont argués de diffamation, ni expliciter celle-ci,

– de s’y référer encore en page 15 de ses conclusions, mais seulement au soutien de la demande d’application de l’article 31 de la loi de 1881 pour démontrer que ‘l’image sus-visée illustre un propos diffamatoire dirigé expressément à l’encontre de la qualité et des fonctions publiques de M Ferdinand [H]’ et que cette diffamation découle directement du conseil municipal du 17 décembre 2014, écrivant à ce sujet que pour s’en convaincre, il suffit de lire le texte.

Ainsi le texte se trouve t-il donc à nouveau cité, sans que ne soient non plus précisés quels sont les propos de ce chef critiqués ni en quoi consiste la diffamation, de sorte qu’il sera considéré que M [H] ne démontre ce qui dans ces propos était selon lui diffamatoire et qu’il ne saurait, non plus, reprocher à M [Q] de ne pas avoir satisfait, dans le délai de 10 jours, à la production des éléments invoqués sur la vérité du fait diffamatoire.

Il en résulte, le demandeur à l’action devant préciser rigoureusement le fait reproché et notamment la partie du propos constitutive de la diffamation et M [Q] se prévalant exactement

– dans les développements de ses conclusions :

*de ce que le jugement ne se réfère pas à ce texte pour justifier la condamnation prononcée,

*de ce que les conclusions de M. [H] le reproduisent, mais ‘n’expliquent aucunement en quoi ce texte représente une diffamation’, alors que ‘la loi impose aux requérants d’articuler de façon précise son accusation et (que) de ce fait le jugement devra être également réformé’

– et dans le dispositif de ses conclusions, que la diffamation n’est pas caractérisée faute de l’existence d’un fait précis et déterminé,

qu’il il doit être fait droit à la demande de l’appelant de ce chef, M [H] ne lui opposant aucun moyen en réponse sur cette critique.

Le jugement sera donc infirmé et M [H] sera, en conséquence, débouté de ses demandes.

Vu les articles 696 suivants de code de procédure civile et la succombance de M. [H].

L’équité ne commande pas, dans ce contexte particulier de tensions politiques, l’application de l’article 700 du code de procédure civile.

L’exercice d’une action en justice étant un droit qui ne dégénère en abus que s’il est démontré l’existence d’une intention malicieuse ou d’une erreur grossière équipollente au dol, preuve qui en l’espèce n’est pas rapportée, l’appelant sera débouté de sa demande de dommages et intérêts.

Par ces motifs

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :

Rejette la demande de suppression des écrits figurant en pages 2 et 10 des conclusions de l’appelant du 15 juin 2018,

Dit que la diffamation n’est pas caractérisée en ce qui concerne les écrits invoqués par M. [H] et en conséquence rejette ses demandes,

Rejette également les demandes plus amples des parties à titre de dommages et intérêts et en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [H] à supporter les entiers dépens de la procédure de première instance et d’appel et en ordonne la distraction conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIERLE PRESIDENT

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x