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COMM.
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COUR DE CASSATION
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Audience publique du 9 septembre 2020
Rejet
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 413 F-D
Pourvoi n° K 18-18.251
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 9 SEPTEMBRE 2020
La société Degest, société par actions simplifiée, dont le siège est […] , a formé le pourvoi n° K 18-18.251 contre l’arrêt rendu le 1er mars 2018 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 5), dans le litige l’opposant :
1°/ à M. S… T…, domicilié […] ,
2°/ à M. F… P…, domicilié […] ,
3°/ à la société Addhoc conseil, société par actions simplifiée, dont le siège est […] ,
défendeurs à la cassation.
MM. T… et P… et la société Addhoc conseil ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal et les demandeurs au pourvoi incident invoquent, chacun, à l’appui de leurs recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Fevre, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Degest, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de MM. T… et P… et de la société Addhoc conseil, et l’avis de M. Richard de la Tour, premier avocat général, après débats en l’audience publique du 3 juin 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Fevre, conseiller rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 1er mars 2018), la société Degest, spécialisée dans l’expertise auprès des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), employait M. T… et M. P… en qualité d’ergonomes chargés d’études.
2. À l’occasion de la rupture conventionnelle de leur contrat de travail intervenue le 9 décembre 2011, MM. T… et P… ont négocié puis signé, le 5 janvier 2012, avec la société Degest un contrat prévoyant un partenariat entre leur ancien employeur et une nouvelle société qu’ils devaient créer et immatriculer, au plus tard le 28 février 2012. MM. T… et P… ont déposé au registre du commerce et des sociétés, le 27 février 2012, les statuts de la société Addhoc conseil (la société Addhoc), laquelle a été immatriculée le 5 mars 2012.
3. Invoquant des actes de concurrence déloyale commis à son préjudice entre décembre 2011 et janvier 2012, la société Degest a obtenu la désignation d’un huissier de justice pour procéder à des constatations sur l’ordinateur de travail de M. T…. Un procès-verbal de constat a été établi le 22 février 2012.
4. Après avoir indiqué par lettre à ses partenaires qu’elle considérait le contrat non avenu en raison du défaut d’immatriculation de la société avant le 28 janvier 2012, la société Degest a assigné en concurrence déloyale M. T… et M. P… et la société Addhoc.
5. A titre reconventionnel, la société Addhoc a demandé réparation du préjudice résultant du maintien du nom de MM. P… et T… sur le site internet de la société Degest.
Examen des moyens
Sur le moyen unique du pourvoi principal
Enoncé du moyen
6. La société Degest fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes fondées sur des actes de concurrence déloyale commis à son encontre alors :
« 1°/ qu’en jugeant que du fait de la signature du contrat commercial conclu le 5 janvier 2012 entre, d’une part, la société Degest et, d’autre part, MM. F… P… et S… T…, “c’est en toute bonne foi que M. T… a pu se constituer une liste de clients et prospects, y compris avec des clients et des contacts de la société Degest, pour préparer la reprise d’activité avec la société Addhoc dont la création avait été expressément acceptée par la société Degest ; qu’à aucun moment il n’a été indiqué à M. T… qu’il ne pourrait pas se servir de ses connaissances et de sa longue expérience (douze ans) au sein de la société Degest, pour démarrer son activité dans la nouvelle société” et que M. T… pouvait “de bonne foi considérer qu’il était autorisé, à tout le moins jusqu’à cette date (le 28 février 2012, date de défaillance de la condition suspensive sous laquelle le contrat du 5 janvier 2012 avait été conclu), à utiliser la liste des contacts de la société Degest en exécution dudit contrat pour permettre le démarrage de son activité, ou à participer à des réunions préparatoires à l’activité de la nouvelle société dont elle avait accepté la création et la concurrence”, après avoir relevé que “le contrat prévoit expressément les modalités selon lesquelles les deux sociétés s’interdisent de démarcher ou de détourner leurs clients réciproques”, la cour d’appel, qui s’est contredite, a violé l’article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que le contrat commercial signé le 5 janvier 2012 entre, d’une part, la société Degest et, d’autre part, MM. F… P… et S… T…, stipule en son article 5, après avoir défini le terme “Client” comme “toute personne physique ou morale missionnant ou ayant missionné l’une des parties au contrat pour réaliser une mission d’étude ou d’expertise ainsi que toute personne morale ayant déjà contracté avec l’une des parties antérieurement à la date d’effet du présent contrat et tout prescripteur de l’une de ces personnes physiques ou morales”, que “MM. F… P… et S… T…, que ce soit directement ou indirectement par l’intermédiaire de la société qu’ils vont constituer, s’interdisent (
) de démarcher et de détourner les clients de la société Degest” et qu’ “en cas de sollicitation de MM. F… P… et S… T…, ou de leur société, par un ancien client, un client actuel ou un client potentiel de la société Degest ayant eu connaissance de leur existence par un ancien client, un client actuel ou un prescripteur de la société Degest, MM. F… P… et S… T… s’engagent à en informer immédiatement la société Degest et à tout faire pour éviter que ne s’opère envers le client ou le client potentiel de la société Degest une quelconque confusion entre la société Degest et eux-mêmes ou toute société dont ils seront soit associés, soit salariés” ; qu’en jugeant que M. T… pouvait “de bonne foi considérer qu’il était autorisé, à tout le moins jusqu’à cette date (le 28 février 2012), à utiliser la liste des contacts de la société Degest en exécution dudit contrat pour permettre le démarrage de son activité, ou à participer à des réunions préparatoires à l’activité de la nouvelle société dont elle avait accepté la création et la concurrence”, la cour d’appel a méconnu l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer les documents de la cause, et a violé l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
3°/ que la société Degest soulignait concernant la liste de ses clients et contacts constituée de façon déloyale par M. T… lorsqu’il était encore son salarié, n’avoir “jamais prétendu que les défendeurs auraient volé une base de données qui n’aurait pas existé au sein de l’entreprise. Il leur est reproché de s’être appropriés les noms et coordonnées des contacts et clients de Degest” ; qu’en jugeant qu’”il n’est pas établi que cette liste aurait été copiée d’un fichier existant et qu’elle appartenait à la société Degest, ni qu’elle en ait été à l’origine, les pièces extraites de l’ordinateur ne permettant pas de l’établir” et en méconnaissant ainsi qu’il n’avait jamais été prétendu que cette liste établie par M. T… aurait été directement tirée d’un fichier préexistant, la cour d’appel a méconnu l’objet du litige, violant ainsi l’article 4 du code de procédure civile ;
4°/ que la société Degest rappelait, page 10 de ses conclusions d’appel, que la preuve de l’extraction par M. T… des dossiers se trouvant sur d’autres ordinateurs que le sien au sein de la société Degest ne résultait pas uniquement du constat d’huissier du 22 février 2012, mais également d’autres pièces, parmi lesquelles le compte-rendu de l’entretien disciplinaire de M. T… du 23 janvier 2012, aux termes duquel “M. T… confirme la copie des fichiers sur les ordinateurs des membres du Codir et de M. E… et le transfert sur son ordinateur. Il pense que la date de copie doit être le 29 décembre 2011”, pendant une période de congé, cette copie ayant été “orientée vers la création de [sa] future société”, pour “avoir des documents utiles” dans le cadre de “la gestion de la future société” ; qu’en jugeant que les extractions illicites de fichiers de la société Degest réalisées par M. T… sur d’autres ordinateurs que le sien n’étaient pas établies, sans procéder à la moindre analyse, même sommaire, du compte-rendu de l’entretien disciplinaire de M. T… qui confirmait les extractions de fichiers réalisées par ce dernier en vue de la constitution d’une entreprise concurrente, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;
5°/ que la société Degest rappelait que MM. T… et P… lui avaient dissimulé, alors qu’ils travaillaient encore pour elle, des invitations qui lui étaient destinées, afin de détourner sa clientèle, et que c’est ainsi que le 7 octobre 2011, MM. T… et P… s’étaient rendus à une réunion en vue de la constitution d’un réseau d’experts de CHSCT à laquelle était conviée la société Degest, “à l’insu de cette dernière, sans l’avoir informée de l’existence de cette invitation et de cette réunion”, en posant à cette fin une journée de RTT s’agissant de M. P… et en affirmant pour la même raison être malade s’agissant de M. T…, l’absence de transmission de l’invitation à la société Degest ayant été confirmée par l’auteur de l’invitation dans les locaux duquel la réunion a eu lieu par un courriel de reproche adressé à MM. T… et P… le 20 mars 2012, M. T… lui-même ayant écrit à l’auteur de l’invitation en question, le 15 mars 2012, que c’est “lorsque tu nous as sollicités pour mettre Degest “dans la boucle”, (que l’)on a répondu par l’affirmative, en l’intégrant sur la liste des participants à cette deuxième réunion”, et par le fait qu’une fois ainsi avertie, la société Degest a participé aux réunions ayant suivi celle à laquelle elle avait été privée de la possibilité d’assister du fait des manoeuvres de MM. T… et P… ; qu’en jugeant que cette réunion avait eu lieu “à une date où MM. T… et P… n’avaient pas encore élaboré un projet de création d’entreprise, et que la société Degest avait indiqué qu’elle ne souhaitait pas s’y rendre”, sans analyser ni même mentionner les pièces sur lesquelles elle se fondait pour considérer que la société Degest aurait été informée de cette réunion et qu’elle aurait indiqué ne pas vouloir s’y rendre, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;
6°/ que la société Degest rappelait que lors de la réunion du 7 octobre 2011, “MM. T… et P… ont indiqué aux experts présents qu’ils n’étaient pas sûrs de rester très longtemps chez Degest”, que “très surpris par cette annonce, les intervenants ont demandé à MM. T… et P…, censés représenter la société Degest, si cette dernière était bien informée de la tenue de cette réunion, demande à laquelle les défendeurs ont répondu mensongèrement par l’affirmative (cf. courriel de M. K… du 20 mars 2012)” et que “les intervenants ayant décidé de la tenue d’une seconde réunion, il a été expressément demandé à MM. T… et P… d’avertir les dirigeants de Degest de sa tenue. C’est alors que les dirigeants de la société Degest ont appris l’existence de cette première réunion dont ils n’avaient pas connaissance auparavant”, l’auteur de l’invitation dans les locaux duquel la réunion a eu lieu ayant confirmé dans un courriel du 20 mars 2012 adressé à MM. T… et P… que “lorsque nous vous avons explicitement demandé si le cabinet Degest avait bien été averti de l’invitation lancée par N…, vous nous avez très clairement répondu par l’affirmative, précisant même que A… W… en avait été informé et qu’il avait connaissance de votre venue
Ceci était un mensonge (
) c’est bien avec le cabinet Degest que nous souhaitons monter ce réseau” et M. T… lui-même ayant écrit à l’auteur de l’invitation en question, le 15 mars 2012, que c’est “lorsque tu nous as sollicités pour mettre Degest “dans la boucle”, (que l’)on a répondu par l’affirmative, en l’intégrant sur la liste des participants à cette deuxième réunion” ; qu’en jugeant que “M. T… a en outre agi en toute transparence en confirmant par mail à la société Degest sa présence à cette réunion ainsi qu’en l’informant de la prochaine date prévue”, sans vérifier, comme il lui était demandé, si cette confirmation et cette information n’avaient pas eu lieu sous la contrainte, après la découverte du mensonge initial de MM. T… et P…, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382, devenu 1240, du code civil. »
Réponse de la Cour
7. En premier lieu, après avoir énoncé que le principe de la liberté du commerce implique que le démarchage et la prospection de clientèle sont libres dès lors qu’ils ne s’accompagnent pas d’un acte déloyal et retenu qu’il existait un doute quant à la validité de l’extraction de fichiers trouvés sur l’ordinateur de M. T… rendant relative la valeur des pièces extraites, l’arrêt relève que le contrat du 5 janvier 2012 prévoyait les modalités selon lesquelles les sociétés Degest et Addhoc s’interdisaient de démarcher ou détourner leurs clients réciproques. Il constate que, fin décembre 2011, M. T… avait constitué une liste de contacts et de prospects, dont une partie émanait des contacts de la société Degest, et retient qu’il n’est pas établi que cette liste aurait été copiée d’un fichier existant, ni qu’elle appartiendrait à la société Degest, ni que celle-ci en aurait été à l’origine, les pièces extraites de l’ordinateur ne permettant pas de l’établir. Il ajoute que l’établissement de ce document s’inscrivait dans l’optique du partenariat alors convenu entre les parties dans le secteur de l’expertise CHSCT, la société Degest ayant accepté la création de la société Addhoc et la concurrence sur un marché « captif ».
8. De ces constatations et appréciations souveraines, exemptes de contradiction, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de s’expliquer sur les éléments de preuve qu’elle décidait d’écarter, a pu déduire, sans dénaturer le contrat de partenariat ni méconnaître l’objet du litige, que la société Degest ne démontrait pas la reprise de fichiers clients, susceptibles de constituer un acte de concurrence déloyale.
9. En second lieu, sous le couvert des griefs non fondés de violation de l’article 455 du code de procédure civile et de défaut de base légale, le moyen ne tend, en ses cinquième et sixième branches, qu’à remettre en cause l’appréciation souveraine, par la cour d’appel, des éléments qui lui étaient soumis et dont elle a déduit qu’il n’était pas établi que la participation de MM. P… et T… à une réunion d’experts pendant des RTT ou un congé de maladie en octobre 2011 constituât un acte de concurrence déloyale.
10. Le moyen n’est donc pas fondé.
Et sur le moyen unique du pourvoi incident
Enoncé du moyen
11. M. T…, M. P… et la société Addhoc font grief à l’arrêt de rejeter leurs demandes alors :
« 1°/ que, d’une part, le juge est lié par les prétentions des parties et ne peut modifier l’objet du litige ; que pour débouter la société Addhoc de sa demande indemnitaire, l’arrêt attaqué retient que “le maintien du nom de salariés sur le site internet de la société Degest, s’il a pu être constaté peu de temps après la rupture du contrat de travail, ne s’est ensuite pas poursuivi, les constats versés aux débats ne permettant pas d’établir à partir de quelle connexion les recherches ont été faites et surtout si des pages obsolètes n’étaient pas maintenues sur le web indépendamment de la volonté de la société Degest, qui a bien actualisé ses pages en retirant les noms des deux salariés”, et “qu’il n’y a lieu dès lors pas lieu d’ordonner ledit retrait sous astreinte” ; qu’en statuant par ces motifs quand, dans ses conclusions du 25 mai 2016, la société Addhoc, qui ne contestait pas qu’au jour de sa demande les noms de ses deux associés ne figuraient plus sur le site internet de la société Degest, ne sollicitait pas “ledit retrait sous astreinte”, mais la réparation du préjudice que lui avait causé l’utilisation frauduleuse par la société Degest des noms de ses deux anciens salariés avant qu’elle ne les retire de son site internet, la cour d’appel a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
2°/ que, d’autre part et en tout état de cause, en se bornant à relever, pour débouter la société Addhoc de sa demande indemnitaire fondée sur l’utilisation frauduleuse du nom de ses deux associés, que “le maintien du nom de salariés sur le site internet de la société Degest, s’il a pu être constaté peu de temps après la rupture du contrat de travail, ne s’est ensuite pas poursuivi, les constats versés aux débats ne permettant pas d’établir à partir de quelle connexion les recherches ont été faites et surtout si des pages obsolètes n’étaient pas maintenues sur le web indépendamment de la volonté de la société Degest, qui a bien actualisé ses pages en retirant les noms des deux salariés”, quand l’utilisation par la société Degest des noms des deux associés de la société Addhoc en dépit de la rupture de leur contrat de travail constituait une faute qui, en raison de la confusion induite dans l’esprit des potentiels clients de la société Addhoc, lui avait nécessairement causé un préjudice, la cour d’appel s’est fondée sur des motifs inopérants et n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article 1240 du code civil. »