Chauffeur de Car : 7 mai 2020 Cour d’appel de Versailles RG n° 18/01722

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Chauffeur de Car : 7 mai 2020 Cour d’appel de Versailles RG n° 18/01722
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

21e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 07 MAI 2020

N° RG 18/01722 – N° Portalis DBV3-V-B7C-SJD7

AFFAIRE :

SARL KEOLIS YVELINES

C/

[F] [Y]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 22 Mars 2018 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de VERSAILLES

N° Chambre :

N° Section : C

N° RG : 16/00742

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

la SELARL MAYET & PERRAULT

la SARL AVOCATS SC2 SARL

Pôle emploi

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEPT MAI DEUX MILLE VINGT,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

SARL KEOLIS YVELINES

N° SIRET : 323 161 554

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représentant : Me Raphaël MAYET de la SELARL MAYET & PERRAULT, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 393 – N° du dossier 16RM2209

APPELANTE

****************

Monsieur [F] [Y]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 2]

Représentant : Me Nicolas SANFELLE de la SARL AVOCATS SC2 SARL, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 445 – N° du dossier 16038

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 03 Mars 2020 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Bérénice HUMBOURG, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe FLORES, Président,

Madame Bérénice HUMBOURG, Conseiller,

Madame Florence MICHON, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Stéphanie HEMERY,

FAITS ET PROCEDURE

M. [F] [Y] a été engagé par la société Trans Val Bièvre selon contrat de travail à durée déterminée du 10 avril 1981, puis selon contrat de travail à durée indéterminée à compter du 6 octobre 1981, en qualité de conducteur-receveur de car, coefficient 140. Le 1er janvier 1982, son contrat de travail a été transféré au sein de la société Les Cars Sylvestre, puis le 1er janvier 2009 à la société Keolis Yvelines. Un avenant a été établi le 22 décembre 2008 mentionnant la qualité de conducteur de tourisme au coefficient 150. En dernier lieu, il percevait une rémunération mensuelle brute de 2 655,90 euros.

L’entreprise, qui exerce une activité de transport collectif, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective nationale des transports routiers et des activités auxiliaires de transport.

Le 12 février 2016, la société Keolis Yvelines a convoqué le salarié à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement fixé au 22 février 2016.

Le 15 février 2016, M. [Y] a adressé à son employeur un courrier lui indiquant qu’il ne souhaitait pas travailler sur une ligne régulière de transport en commun.

Le 14 mars 2016, il a été sanctionné d’une mise à pied disciplinaire de cinq jours pour non respect des horaires et refus d’affectation.

Le 11 mai 2016, la société a convoqué M. [Y] à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement. L’entretien s’est tenu le 19 mai 2016. Aucune suite n’a été donnée.

Par requête du 26 mai 2016, M. [Y] a saisi le conseil de prud’hommes de Versailles afin de solliciter l’annulation de la mise à pied disciplinaire, la résiliation judiciaire du contrat de travail et le paiement de sommes diverses.

Par jugement rendu le 22 mars 2018 , le conseil (section commerce) a :

– fixé la moyenne des salaires de M. [Y] au montant de 2 655,90 euros conformément à l’article R. 1454-28 du code du travail,

– prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [Y] aux torts exclusifs de la société Keolis Yvelines à la date de prononcé de la décision,

– condamné en conséquence la société Keolis Yvelines à verser à M. [Y] les sommes suivantes :

16 000 euros nets au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

5 311,80 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et 531,18 euros bruts au titre des congés payés afférents,

27 736,45 euros nets au titre de l’indemnité légale de licenciement,

467,80 euros bruts au titre de rappel de salaire sur mise à pied disciplinaire de mars 2016 et 46,78 euros bruts au titre des congés payés afférents,

34,52 euros bruts au titre de rappel de salaires sur la prime de qualité d’avril 2016,

1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonné l’exécution provisoire en application des dispositions de l’article 515 du code de procédure civile,

– condamné la société Keolis Yvelines aux entiers dépens et aux frais d’exécution de la décision, notamment tous les frais de recouvrement résultant de l’application des articles 10 et 11 du décret du 12 décembre 1996 modifié portant fixation du tarif des huissiers de justice,

– débouté M. [Y] du surplus de ses demandes,

– débouté la société Keolis Yvelines de l’intégralité de ses demandes.

Le 30 mars 2018, la société Keolis Yvelines a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Par ordonnance rendue le 19 février 2020, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 3 mars 2020.

Par dernières conclusions écrites du 6 janvier 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la société Keolis Yvelines demande à la cour :

– d’infirmer le jugement en ce qu’il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [Y], l’a condamnée à lui verser diverses sommes et l’a déboutée de ses demandes,

– de confirmer le jugement pour le surplus,

statuant à nouveau :

– de débouter M. [Y] de l’ensemble de ses demandes,

– de condamner M. [Y] à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– de condamner M. [Y] aux entiers dépens de première instance et d’appel.

La société Keolis Yvelines fait valoir, en substance, qu’elle était bien fondée à confier à M. [Y] des services réguliers de transport, sans que cela constitue une modification de son contrat de travail et que le salarié a commis une faute en refusant d’effectuer ces services au motif de son engagement en qualité de conducteur de tourisme, qu’en conséquence, la mise à pied du 14 mars 2016 est justifiée et la demande de résiliation judiciaire du contrat présentée par le salarié, principalement fondée sur ce moyen, ne peut prospérer.

Par dernières conclusions écrites du 2 octobre 2019, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile, M. [Y] demande à la cour de :

– confirmer le jugement déféré, en ce qu’il a fixé la moyenne de ses salaires au montant de 2 655,90 euros, prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la société Keolis Yvelines à la date de prononcé de la décision, condamné la société Keolis Yvelines à lui verser les sommes suivantes : 5 311,80 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, 531,18 euros bruts au titre des congés payés afférents, 27 736,45 euros nets au titre de l’indemnité légale de licenciement, 467,80 euros bruts au titre de rappel de salaires sur mise à pied disciplinaire de mars 2016, 46,78 euros bruts au titre des congés payés afférents, 34,52 euros bruts au titre de rappel de salaires sur la prime de qualité d’avril 2016, 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens et les frais d’exécution de la décision, et en ce qu’il a débouté la société Keolis Yvelines de l’intégralité de ses demandes,

– l’infirmer en ses autres dispositions, et statuant à nouveau,

– condamner la société Keolis Yvelines à lui verser les sommes suivantes :

60 000 euros nets à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

5 000 euros nets au titre des dommages et intérêts pour sanction abusive,

1 683,62 euros nets au titre de la médaille Grand Or du travail,

3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en cause d’appel.

M. [Y] rétorque qu’alors qu’il était engagé en qualité de conducteur de tourisme, son employeur lui a imposé peu à peu une modification de son contrat de travail, en ne lui confiant plus de lignes de tourisme mais des lignes régulières urbaines, ce qui engendrait une perte de responsabilités et des avantages attachés à son emploi et ce sans son accord, et qu’en conséquence son refus d’accomplir une tâche ne correspondant pas à sa qualification n’est pas fautif et ce manquement de l’employeur justifiant, par ailleurs, la résiliation de son contrat.

MOTIFS

Sur la modification du contrat de travail

Un employeur ne peut imposer au salarié une modification de sa qualification ou de la nature de ses fonctions et s’il peut, sans l’accord du salarié, l’affecter à une tâche différente de celle qu’il exerçait antérieurement, c’est à la condition qu’elle corresponde à sa qualification et ne s’accompagne pas de la perte d’avantages salariaux ou d’une baisse de responsabilités.

La nomenclature et la définition des emplois des ouvriers des transports routiers de voyageurs de la convention collective des transports routiers et activités auxiliaires du transport prévoient les emplois suivants :

– dans le groupe 7,

‘8- conducteur de car. – Ouvrier chargé de la conduite d’un car, aide le receveur dans la manipulation des colis et dépêches postales transportés ; doit être capable d’assurer le dépannage courant (carburateur, bougie, changement de roue, etc.) (…) ;

– dans le groupe 9,

‘9- conducteur-receveur de car. – Ouvrier chargé de la conduite d’un car et de la perception des recettes voyageurs, bagages et messageries ; manipule et surveille les colis et dépêches postales transportés ; veille à l’application des règlements (…) ;

– dans le groupe 9bis,

’10 bis- conducteur de tourisme. – Ouvrier ayant exercé pendant au moins deux ans la conduite d’un car et remplissant toutes les conditions définies aux emplois n° 8 et 9, exécute en outre des services de tourisme à grandes distances d’une durée d’au moins 3 jours ; a en toutes circonstances une présentation particulièrement soignée ; fait preuve à l’égard de la clientèle de courtoisie et de correction ; peut être amené à fournir des explications succinctes sur l’intérêt du parcours ; a une excellente pratique des documents douaniers et du change des monnaies étrangères si nécessaire ; assure, le cas échéant, la bonne exécution des prestations auprès des hôteliers et restaurateurs (…)’ ;

– dans le groupe 10,

’11- conducteur grand tourisme. – Ouvrier chargé habituellement de la conduite d’un car de grand luxe comportant au moins 32 fauteuils ; exécute des circuits de grand tourisme, c’est-à-dire d’une durée d’au moins 5 jours ; a une excellente pratique des documents douaniers, de change et de monnaies étrangères ; a en toutes circonstances une présentation impeccable ; fait preuve à l’égard de la clientèle de courtoisie et de correction ; assure la bonne exécution des prestations, notamment auprès des hôteliers et des restaurateurs (…)’.

Il ressort de ce document que sont précisément définis les emplois de conducteur de tourisme et grand tourisme, lesquels n’assurent pas de services de ligne de bus urbaine régulière, n’ont pas à manier des espèces, à la différence d’un conducteur-receveur, et disposent d’une certaine autonomie dans l’exécution des transports organisés sur plusieurs jours, les coefficients affectés à ces emplois étant également différents, à savoir 145 et 150 pour les premiers et 140 pour le dernier, confirmant ainsi le niveau supérieur de responsabilités des chauffeurs de tourisme et grand tourisme.

Si, comme le soutient l’employeur, un conducteur de tourisme doit, pour exercer ses fonctions, remplir les conditions définies aux emplois n°8 et n°9, c’est-à-dire les emplois de conducteur de car et conducteur-receveur de car, il n’en demeure pas moins que M. [Y], engagé à l’origine en qualité de conducteur-receveur a ensuite évolué pour occuper l’emploi spécifique de ‘conducteur de tourisme’ au coefficient supérieur 150, ce que rappelait l’avenant en date du 22 décembre 2008 conclu avec la société Keolis Yvelines, cette dernière précisant en outre dans ses écritures que le salarié ‘bénéficie désormais de la qualification de conducteur grand tourisme’, laquelle est mentionnée sur ses bulletins de paie. La société ne peut donc être suivie lorsqu’elle indique que les conducteurs sont polyvalents par rapport aux activités proposées et que l’emploi est déconnecté de l’activité confiée.

La société expose, par ailleurs, qu’elle développe en Île de France de nombreuses lignes de transport régulières, effectue des services scolaires et des prestations occasionnelles de tourisme ces dernières représentant moins de 10% du chiffre d’affaire global et qu’elle ne compte qu’un seul car ‘grand tourisme’ en raison du caractère résiduel de cette activité. Elle considère qu’au regard de l’évolution de l’activité transport et des transferts de personnel lors des gains de marché, la convention collective, laquelle prévoit une garantie d’emploi, a nécessairement prévu la ‘flexibilité’ de l’emploi au regard de l’activité de l’entreprise et que sa structure ne permet pas, en l’occurrence, que certains salariés exercent uniquement des missions portant sur des lignes ou des marchés qui disparaissent.

Le fait que l’activité de la société évolue vers des services de lignes urbaines plutôt que de tourisme, ce qui résulte des choix de gestion de l’employeur, est inopérant à justifier la modification imposée au salarié de ses fonctions et donc de son contrat de travail, et comme soutenu par ce dernier, il appartenait alors à l’employeur de proposer une modification du contrat de travail pour motif économique, avec la mise en oeuvre éventuelle d’une procédure de licenciement économique en cas de refus. Contrairement à ce que soutient la société, la convention collective ne prévoit pas de fongibilité entre les diverses classifications qu’elle opère, et, en toute hypothèse, sauf exception légale qui n’est pas prévue en l’espèce, l’accord collectif ne permet pas de procéder à une modification du contrat de travail.

Enfin, la circonstance que M. [Y] ait les capacités pour effectuer des trajets de lignes régulières et qu’il ait effectivement assuré des services scolaires et, dans un premier temps, des lignes régulières, ne sauraient caractériser son accord exprès et non équivoque à une modification de ses fonctions. D’ailleurs, le 15 février 2016, il écrivait à la société dans ces termes : ‘Comme je l’ai signalé verbalement à maintes reprises à M. [K], ainsi qu’aux responsables du planning, je me permets de vous dire aujourd’hui que je ne souhaite pas travailler sur une ligne régulière de transport en commun. J’ai commencé ma carrière en tant que conducteur receveur et me suis accompli dans mon travail de conducteur grand tourisme depuis 35 ans. Je ne souhaite pas reprendre une mission que je ne voulais plus exercer il y a 35 ans’.

Il ressort de ces observations que l’affectation du salarié à des lignes régulières, comme à du transport scolaire, caractérise bien une modification de son contrat de travail qui devait recueillir son accord exprès.

Sur la mise à pied disciplinaire du 14 mars 2016

Aux termes de la lettre recommandée du 14 mars 2016 notifiant à M. [Y] une mise à pied disciplinaire, il lui est reproché le mardi 5 janvier 2016, alors qu’il était de réserve, d’avoir refusé d’effectuer le service 108 (service régulier sur [Localité 3] de 16h42 à 21h06) jusqu’à son terme et d’avoir quitté son poste à l’heure de son planning initial, soit 19 heures, sans l’accord de son responsable hiérarchique et en tenant en outre des propos agressifs et d’avoir le 16 février 2016, refusé d’effectuer les services sur [Localité 3] qui lui ont été confiés en prétextant que dans son contrat de travail, il n’était pas habilité à rouler sur des services de type régulier.

En application de l’article L.1333-1 du code du travail, en cas de litige, le juge apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L’employeur fournit les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Comme précédemment développé, l’affectation du salarié sur des lignes régulières caractérisait une modification de son contrat de travail et le salarié pouvait donc légitimement refuser d’exécuter des tâches qui ne correspondaient pas à sa qualification contractuelle et ressortaient d’une classification conventionnelle inférieure, peu important l’absence de modification de sa rémunération et de son coefficient.

S’agissant de son départ prématuré le 5 janvier 2016, si la modification des horaires de travail du salarié constitue un simple changement des conditions de travail qui relève du pouvoir de direction de l’employeur, sauf atteinte excessive au respect de la vie personnelle et familiale, force est de constater que ce jour là également M. [Y] était affecté à un service de ligne régulière qu’il était en droit de refuser.

Il en ressort qu’aucune faute n’est établie et le jugement sera confirmé en ce qu’il a annulé la mise à pied disciplinaire et alloué au salarié un rappel de salaire et de congés payés, outre un reliquat de prime de qualité dont les montants, non critiqués, sont justifiés. Le jugement sera également confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de dommages et intérêts pour sanction abusive, le salarié ne justifiant pas d’un préjudice distinct de la perte de salaire, d’ores et déjà réparée par le rappel sus visé.

Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail

En application de l’article 1184, devenu 1224, du code civil, le salarié peut demander la résiliation de son contrat de travail en cas de manquements de son employeur à ses obligations. Il appartient au salarié de rapporter la preuve des manquements invoqués. Le juge apprécie si la gravité des manquements justifie la résiliation du contrat. Le manquement suffisamment grave est celui qui empêche la poursuite du contrat.

M. [Y] fait valoir que depuis plus d’un an, la société tentait de modifier son contrat de travail, en lui imposant d’effectuer des services de lignes urbaines, ce qu’il a, à maintes reprises, refusé de faire et qu’elle n’a rien mis en oeuvre pour l’affecter à des lignes de tourisme, qu’il a été sanctionné abusivement pour ce motif le 14 mars 2016, que la société a également multiplié les manifestations de défiance et de remise en cause, que notamment elle a ordonné une mesure de contrôle d’un arrêt de travail et depuis la fin de l’année 2016, elle lui a imposé de prendre des congés payés durant les vacances scolaires, sans recueillir son accord.

La société, qui soutient l’absence de modification du contrat, considère que le salarié, par son comportement, a créé lui même la situation dans laquelle il se trouve.

Il a été précédemment jugé que l’affectation du salarié à des lignes de transport régulières caractérisait une modification du contrat de travail de M. [Y] qu’il était en droit de refuser et que la mise à pied disciplinaire en date du 14 mars 2016 motivée sur ce refus était injustifiée.

Il ressort également des courriers du salarié du 22 janvier 2017 et de la société du 2 février 2017 que cette dernière a imposé à M. [Y] de prendre des congés payés, durant les vacances scolaires, au motif de son refus, sur ces périodes, d’assurer des services de lignes régulières. La société indique, elle même, dans ses conclusions que le comportement de M. [Y] était ‘incompatible’ avec son activité et que si en période scolaire elle pouvait l’affecter à des services scolaires qu’il acceptait de faire, elle ne pouvait l’affecter qu’à des services réguliers lors des vacances, et que du fait de son refus et dans l’attente de la décision à intervenir du conseil de prud’hommes, elle n’a eu d’autre choix que de le placer en congés payés. Cette décision de l’employeur, fondée sur un motif illégitime, puisque le salarié pouvait refuser d’exécuter une tâche ne relevant pas de sa qualification, caractérise le manquement reproché.

Enfin, il ressort du tableau établi par la société sur les activités confiées au salarié entre 2015 et 2017, que si sur l’année 2017, il n’a plus été affecté sur des lignes régulières, il a été principalement chargé de transport scolaire et de transport dit ‘occasionnel’ et que l’activité ‘tourisme’ correspondant pourtant à sa qualification n’a représenté que 0,46% de ses affectations.

Ainsi, il est établi que la société Keolis Yvelines a affecté M. [Y] à des lignes de transport ne relevant pas de sa qualification, sans recueillir son accord exprès et alors qu’il lui appartenait de donner à son salarié des tâches conformes à son contrat de travail, et l’a placé en position de congés payés, pour un motif illégitime et sans tenir compte des droits que tient le salarié des dispositions des articles L. 3141-12 et suivants du code du travail, ce qui rendait effectivement impossible la poursuite de la relation contractuelle.

Le jugement qui a prononcé la résiliation du contrat sera donc confirmé.

Sur les demandes pécuniaires

La résiliation judiciaire du contrat produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le jugement sera confirmé en ce qu’il a alloué à M. [Y] des sommes au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents et de l’indemnité de licenciement, dont les montants non critiqués sont justifiés, sauf à préciser que cette dernière est également fixée en brut.

En outre, le salarié, dont l’ancienneté est supérieure à deux années dans une entreprise employant plus de dix salariés, est en droit d’obtenir, conformément à l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, une indemnité comprise entre 3 et 20 mois de salaire brut au titre de la rupture de son contrat aux torts de l’employeur. Au soutien de sa demande, le salarié fait valoir que son état de santé s’est dégradé au fil des mois, du fait de cette situation qu’il vivait comme une injustice, alors qu’il avait près de 37 ans d’ancienneté. Au regard du montant de sa rémunération, de son ancienneté dans l’entreprise, de son âge et des pièces produites sur sa situation, l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sera fixée à la somme de 20 000 euros bruts.

Le jugement sera infirmé en ce sens.

En application de l’article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d’ordonner le remboursement par la société aux organismes concernés, parties au litige par l’effet de la loi, des indemnités de chômage qu’ils ont versées le cas échéant à M. [Y] à compter du jour de la rupture du contrat, jusqu’au jour du présent arrêt et ce à concurrence de six mois.

Sur la demande au titre de la médaille du travail

M. [Y] fait valoir qu’il a perçu en février 2016, 150 euros au titre de la médaille d’honneur du travail qui récompense les salariés ayant 40 ans d’activité alors que l’article 9 de l’accord du 3 novembre 2010 relatif à la prévention et à la réduction de la pénibilité prévoit que la gratification minimale est de un mois de salaire pour la grande médaille d’or.

La société rétorque, à juste titre, que l’accord du 3 novembre 2010 auquel le salarié se réfère concerne uniquement, en application de son article 1, les entreprises de transport de déménagement.

La demande sera donc rejetée.

Sur les autres demandes

La société, partie condamnée, devra supporter les entiers dépens, sera déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à ce titre à M. [Y] la somme de 1 500 euros, en sus de celle allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qui concerne le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Statuant à nouveau sur ce point et y ajoutant,

DIT que la somme allouée par le conseil de prud’hommes au titre de l’indemnité légale de licenciement s’entend en brut,

CONDAMNE la société Keolis Yvelines à verser à M. [Y] les sommes suivantes :

20 000 euros bruts au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

ORDONNE le remboursement par la société aux organismes concernés des indemnités de chômage qu’ils ont versées le cas échéant à M. [Y] à compter du jour de la rupture du contrat, jusqu’au jour du présent arrêt et ce à concurrence de six mois,

CONDAMNE la société Keolis Yvelines aux dépens.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Philippe FLORES, Président et par Monsieur TAMPREAU, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier,Le président,

 


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