Chauffeur de Car : 16 mai 2022 Cour d’appel de Chambéry RG n° 21/00385

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Chauffeur de Car : 16 mai 2022 Cour d’appel de Chambéry RG n° 21/00385
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COUR D’APPEL DE CHAMBÉRY

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 16 MAI 2022

N° RG 21/00385 – N° Portalis DBVY-V-B7F-GUFA

Société [R] SAVOIE

C/ [M] [Y]

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ALBERTVILLE en date du 28 Janvier 2021, RG F 19/00040

APPELANTE :

SAS [R] SAVOIE

dont le siège social est sis 166 rue Ambroise Croizat

73200 ALBERTVILLE

prise en la personne de son représentant légal

Représentée par la SARL GUILLAUME BAUFUME, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SELARL CEFIDES, avocat plaidant au barreau de LYON

INTIMEE et APPELANTE INCIDENT :

Madame [M] [Y]

1928 route Portes de Tarentaise

73790 TOURS-EN-SAVOIE

Représentée par Me Frédéric MATCHARADZE, avocat au barreau de CHAMBERY

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue en audience publique le 17 Mars 2022, devant Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller désigné par ordonnance de Madame la Première Présidente, qui s’est chargé du rapport, les parties ne s’y étant pas opposées, avec l’assistance de Madame Sophie MESSA, Greffier lors des débats, et lors du délibéré :

Monsieur Frédéric PARIS, Président,

Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller, qui a rendu compte des plaidoiries,

Madame Françoise SIMOND, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

********

Exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties

Mme [M] [Y] a été recrutée par la société des Transports Albertvillois, devenue la société [R] Savoie, par un contrat à durée déterminée à temps partiel le 14 février 2006. Deux contrats à durée déterminée à temps complet ont ensuite été conclus les 1er mars et 1er mai 2006. Le 1er juillet 2006, un contrat à durée indéterminée à temps partiel a été conclu et enfin un avenant au contrat a été signé le 1er mai 2007 pour mettre en place un contrat à durée indéterminée à temps complet.

Elle a été recrutée en tant que standardiste et employée administrative, groupe 6, coefficient 125.

La convention collective des transports routiers et des activités auxiliaires de transport est applicable.

La société compte plus de dix salariés.

Par un courrier en date du 27 juin 2018, Mme [M] [Y] a été convoquée à un entretien préalable à licenciement fixé au 6 juillet 2018.

Par un courrier du 17 juillet 2018, Mme [M] [Y] s’est vu notifier son licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Par requête reçue le 21 mars 2019, Mme [M] [Y] a saisi le conseil de prud’hommes d’Albertville afin de contester son licenciement.

Par jugement en date du 28 janvier 2021, le conseil de prud’hommes d’Albertville a :

– dit que la lettre de licenciement a bien été signée par une personne habilitée à engager les droits sociaux de l’employeur,

– fixé le salaire mensuel de Mme [M] [Y] à la somme de 1 867,08 euros brut,

– dit que le licenciement de Mme [M] [Y] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,

– condamné la SAS [R] Savoie au paiement d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de huit mois de salaire, soit 14 936,64 euros,

– dit que le licenciement n’a pas un caractère vexatoire,

– débouté Mme [M] [Y] de sa demande d’indemnité au titre des conditions vexatoires du licenciement,

– condamné en application de l’article 700 du code de procédure civile la SAS [R] Savoie à payer à Mme [M] [Y] la somme de 1 320 euros,

– débouté la SAS [R] Savoie de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et l’a condamnée aux dépens de l’instance,

– prononcé l’exécution provisoire de la décision dans l’intégralité de ses dispositions.

Par déclaration reçue au greffe le 22 février 2021 par RPVA, la Société [R] Savoie a interjeté appel de la décision. Mme [M] [Y] a formé appel incident le 20 juillet 2021.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 7 octobre 2021 par RPVA, auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, la société [R] Savoie sollicite :

A titre principal, la réformation du jugement déféré en ce qu’il a fixé le salaire moyen mensuel de Mme [M] [Y] à la somme de 1 867,08 euros brut, dit que son licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse, l’a condamnée à verser à Mme [M] [Y] une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’a condamnée à indemniser cette dernière sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, l’a déboutée de sa demande au titre de ces mêmes dispositions et l’a condamnée aux dépens de l’instance,

Et statuant à nouveau:

– que le salaire moyen de Mme [Y] soit fixé à 1 503,53 euros,

A titre principal :

– qu’il soit dit que les fautes reprochées à Mme [M] [Y] ne sont pas atteintes par la prescription,

– qu’il soit dit que le licenciement de Mme [M] [Y] repose bien sur une cause réelle et sérieuse,

– que Mme [M] [Y] soit déboutée de l’intégralité de ses demandes,

A titre subsidiaire, si la cour confirmait le jugement déféré quant au caractère non fondé du licenciement :

– qu’il soit dit que Mme [M] [Y] ne rapporte pas la preuve de son préjudice,

– que les sommes qui lui seraient allouées soient réduites de façon substantielle, et à tout le moins que ces sommes ne dépassent le plancher légal d’indemnisation,

A titre principal sur l’appel incident de Mme [M] [Y]:

– la confirmation du jugement déféré en qu’il a dit et jugé que le licenciement n’a pas un caractère vexatoire et en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande d’indemnité à ce titre,

A titre subsidiaire, si la cour jugeait que le licenciement de Mme [M] [Y] était intervenu dans des conditions vexatoire:

– qu’il soit dit que celle-ci ne rapporte pas la preuve de l’existence d’un quelconque préjudice,

– qu’elle soit déboutée de l’intégralité de ses demandes,

– dans tous les cas réduire dans de substantielles proportions les sommes allouées tout en retenant comme salaire de référence la somme de 1 664,86 euros

En toutes hypothèses :

– que Mme [M] [Y] soit déboutée de toutes autres demandes,

– que Mme [M] [Y] soit condamnée au paiement de la somme de 4 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

La SAS [R] Savoie soutient que Mme [M] [Y] avait pour mission l’émission, la vente et le contrôle de la billetterie, la gestion de la caisse et le contrôle à réception de tous les documents conducteurs. Elle était le seul relais entre le conducteur et le responsable de caisse, elle devait récupérer les encaissements, les billets vendus et les cassettes Magbus, les vérifier et les remettre à son responsable de caisse.

La salariée n’a pas signalé de nombreux dysfonctionnements à sa hiérarchie. Elle n’a pas contrôlé la restitution des cassettes Magbus des conducteurs, ni la restitution des billets et des recettes par les conducteurs, elle n’a pas contrôlé la restitution des fonds de caisse des conducteurs, elle ne s’est pas assurée de la bonne utilisation des billets par les conducteurs, elle avait un écart de caisse dans sa propre caisse, elle n’a pas signalé les difficultés rencontrées avec les conducteurs à sa hiérarchie.

Le contrôle des caisses des conducteurs faisant partie des missions de la salariée, ce qu’elle a reconnu dans sa demande d’augmentation du 8 septembre 2016 et dans ses conclusions.

La salariée devait effectuer ses tâches avant et après ses absences, elle n’a pas contesté les faits qui lui sont reprochés.

La salariée a été rappelée à l’ordre à plusieurs reprises, en réitérant ses fautes elle a fait preuve d’insubordination.

La jurisprudence considère que le passé disciplinaire doit être pris en compte pour apprécier le degré de gravité de la faute. La Cour de cassation considère que l’existence d’un avertissement peut être reconnue même lorsqu’il n’est pas explicitement mentionné dans la lettre de licenciement. Le passé disciplinaire de la salariée constitue une circonstance aggravante dès lors qu’il constitue des manquements professionnels.

Mme [M] [Y] a tenu des propos calomnieux et inadmissibles en accusant son supérieur d’avoir dissimulé une importante somme d’argent afin de trouver un prétexte pour la licencier.

L’article L 1332-4 du code du travail prévoit que dans le cadre d’un licenciement disciplinaire, les faits fautifs doivent donner lieu à l’engagement de poursuites disciplinaires avant l’expiration d’un délai de deux mois qui court à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance. En l’espèce, les faits reprochés à la salariée ont été portés à la connaissance de l’employeur entre le 29 et 31 mai 2018, soit moins d’un mois avant l’entretien préalable.

Une modification temporaire de l’organigramme était envisagée par la direction suite à l’absence prolongée de Mme [M] [Y]. Les solutions de restructuration étaient hypothétiques et envisagées en cas de non retour de la salariée. Son poste a été pourvu après son licenciement. Ce dernier n’était donc pas un prétexte dans le cadre de la réorganisation de la société.

Le licenciement de Mme [M] [Y] repose donc sur une cause réelle et sérieuse.

La salariée n’apporte pas la preuve d’un manquement qui démontrerait que le licenciement a été effectué dans des conditions vexatoires pour elle.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 1er novembre 2021 par RPVA, auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, Mme [M] [Y] sollicite :

– que la société [R] Savoie soit déboutée de l’ensemble de ses demandes,

– que soit fixé à 1 867,08 euros son salaire moyen de référence,

– que le jugement du conseil de prud’hommes soit confirmé en ce qu’il a dit que le licenciement notifié le 17 juillet 2018 est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– que ce jugement soit réformé dans ses autres dispositions,

Et statuant à nouveau:

– la condamnation de la société [R] Savoie à lui payer les sommes de :

* 20 500 euros à titre d’indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

* 3 750 euros à titre d’indemnité pour les conditions vexatoires dans lesquelles le licenciement est intervenu,

* 2 520 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, s’agissant des frais exposés en première instance ;

* 2 400 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, s’agissant des frais exposés en cause d’appel ;

– la condamnation de la société [R] Savoie aux entiers dépens de l’instance et d’exécution, dont les éventuels droits proportionnels de recouvrement.

Mme [M] [Y] soutient que la véritable raison de son licenciement réside dans une réorganisation de la société pas ponctuelle mais structurelle. Dans un rapport du 10 avril 2018 rédigé par le responsable des caisses à Lyon, des solutions étaient déjà envisagées en cas d’absence prolongée de sa part. Deux mois après, la modification mise en place était pérennisée. Il a été envisagé la suppression de deux postes sur Albertville et l’embauche d’étudiants pour les samedis et d’un contrat à durée déterminée pour aider au standard et à diverses tâches administratives durant l’hiver. Ces tâches relevaient de son poste, celui-ci a été supprimé, à sa place seul un contrat à durée déterminée saisonnier a été conclu pour quatre mois pendant l’hiver.

Il s’agit d’un licenciement dans des conditions vexatoires car le licenciement a eu lieu dans le seul but d’améliorer la rentabilité de l’entreprise et car elle n’a fait l’objet d’aucune sanction disciplinaire, le rappel à l’ordre n’en étant pas une.

Le licenciement est abusif car l’employeur avait mis en place un licenciement pour faute sans qu’aucune faute ne lui soit reprochée, c’est la qualité de son travail qui était critiquée. Le manque de rigueur n’est pas constitutif d’une faute. Les faits qui lui sont reprochés par l’employeur relèvent de l’erreur et non d’un comportement délibéré, il s’agit donc d’une insuffisance professionnelle.

Elle n’a jamais reconnu ne pas accomplir volontairement ses missions lors de l’entretien préalable.

Aucun contrôle n’était effectué sur les caisses, ce contrôle a été mis en place après son retour de son arrêt de travail.

Elle était impliquée dans son travail, elle travaillait même pendant ses arrêts maladie. Aucune carence ne peut lui être reprochée durant ce dernier.

Elle avait pour mission d’enregistrer les fonds remis par les conducteurs et les comparer aux recettes enregistrées. La responsabilité incombe au conducteur.

Pour effectuer son contrôle, encore aurait-il fallu que les conducteurs lui transmettent les éléments, ce qui n’était pas le cas.

La mise à jour des recettes était une obligation des conducteurs, elle-même ne manquait pas de leur demander les recettes.

Elle a informé M. [U], le 13 avril 2017, qu’elle ne parvenait pas à récupérer le rendu de caisse d’un conducteur.

Il était habituel que les conducteurs ne lui transmettent pas leur cassette, et c’était à eux de les mettre à jour.

M. [S] a indiqué que chaque mois il savait ce qu’il en était des caisses, donc les faits qui lui sont reprochés sur ce point sont prescrits. Dans la lettre de licenciement, des faits datant de plusieurs années sont évoqués.

Aucune sanction ne lui a jamais été donnée.

Elle conteste avoir proféré des propos calomnieux et inadmissibles.

Elle conteste l’application du barème d’indemnisation de l’article L.1235-3 du code du travail. La jurisprudence l’a déjà écarté, le juge doit apprécier in concreto le préjudice. Elle a subi un préjudice important, elle était en poste depuis treize ans et a aujourd’hui 49 ans, son employabilité est limitée. Elle a perçu des allocations chômage pendant deux ans avec un manque à gagner de 800 euros par mois. Le 1er septembre 2020, elle a retrouvé un emploi à temps partiel et le 13 juillet 2021 Pôle emploi l’a informée de la fin de ses droits à l’ARE.

L’instruction de l’affaire a été clôturée le 5 novembre 2021.

L’affaire a été évoquée à l’audience du 17 mars 2022, et la décision a été mise en délibéré au 12 mai 2022, délibéré prorogé au 16 mai 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le licenciement

Selon les articles L.1232-1 et L.1232-6 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, énoncée dans une lettre notifiée au salarié. Cette lettre, qui fixe les limites du litige doit exposer des motifs précis et matériellement vérifiables, permettant au juge d’en apprécier la réalité et le sérieux.

Aux termes de l’article L 1235-1, le juge, pour apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments forunis par les parties, et si un doute persiste, il profite au salarié.

La lettre de licenciement du 17 juillet 2018 fixant les limites du litige exposait que:

– suite à un contrôle de l’ensemble des empoches conducteurs les 29, 30 mai et 5 juin 2018, un nombre très important d’anomalies concernant la gestion des ciasses incombant à la salariée avait été constaté,

– il était également constaté que des recettes correspondant à la vente de billets et datant de 2014 à 2017 n’avaient pas été restituées, que les avances de fond de caisse de salariés partis de la société, certains depuis 2014, n’avaient pas été rendus, que des conduteurs établissaient un billet pour plusieurs personnes , ce qui était interdit,

– la salariée n’avait donc pas effectué son travail correctement, qu’à aucun moment elle n’avait signalé cette situation à ses responsables, qui lui avaient pourtant rappelé à plusieurs reprises et en particulier en janvier et février 2018 de faire ce point,

– la salariée n’a pas respecté les consignes qui lui avaient été données,

– il existait au moment de ce contrôle un déficit de 23,96 euros entre le rapprochement de sa caisse physique et ce qui était entré dans le logiciel. Or, la salariée avait repris le travail le 9 mai 2018, ce qui permettait de déduire qu’elle n’avait pas efefctué de rapprochement précis de sa caisse physique le jour même de sa reprise,

– la salariée avait tenu des propos calomnieux et diffamatoires envers un supérieur hiérarchique le 27 juin 2018, accusant celui-ci d’avoir pris de l’argent dans la caisse pour la faire accuser et licencier, argent qu’elle avait finalement retrouvé suite au conseil de son supérieur de vérifier les rendus de caisse de gare routière

– la salariée, qui avait pourtant expliqué lors de l’entretien préalable avoir eu un bon nombre de problèmes et d’altecrations avec les conducteurs et le personnel de bureau, n’a pas fait remonter ces difficultés à sa hiérarchie,

– la salariée avait déjà fait l’objet d’un rappel à l’ordre le 25 avril 2017.

Au soutien de ses griefs, l’employeur produit les éléments suivants :

– un courriel de M. [J] [S] à Mme [M] [Y] du 26 novembre 2014 libellé comme suit: ‘[K] [M]. Demain [W] vient à Albertville pour la réparation de girouettes. Il fera également le formatage des cassettes Magbus restantes : occupe toi de les récupérer toutes, car on ne reviendra pas une 3ème fois pour ça! Tu trouveras ci-joint la liste des cassettes à faire. Cordialement.’ ;

– un courriel de M. [J] [S] à Mme [M] [Y] du 17 mars 2016 : ‘[K], il faut mettre à l’heure le pupitre Magbus du car 9714: URGENT. Il faut donner une cassette Magbus à chaque conducteur faisant la ligne 963: les conducteurs ne doivent pas se passer le même K7 pour différents services. S’il te faut d’autres K7, il faut me le dire! Cordialement.’ ;

– un rappel à l’ordre écrit du 25 avril 2017, suite à un accident matériel de la circulation qu’elle a eu avec un bus de la société ;

– un courriel de M. [D] [U] adressé à M. [O] [R] le 27 juin 2018, par lequel le premier indique au second qu’il vient d’avoir une altercation verbale avec Mme [M] [Y] et que celle-ci a tenu des propos calomnieux à son encontre en l’accusant de vouloir monter un complot contre elle en ayant fait disparaître de l’argent de la caisse pour ensuite lui faire porter le chapeau ;

– une attestation de M. [D] [U] du 4 juin 2019 dont il ressort notamment qu’il a été très déçu du manque d’implication et de rigueur de la salariée dans son travail, et ce en dépit de plusieurs rencontres avec elle pour la relancer dans son travail; que celle-ci n’a pas toujours fait remonter les anomalies qu’il était de son rôle de constater ;

– une attestation de M. [J] [S] du 5 juin 2019 dont il résulte notamment que Mme [M] [Y] était chargée pour le site d’Albertville de suivre les encaissements des chauffeurs, leur concordance avec la vente de billets et de relancer les chauffeurs qui tardaient à rendre ces éléments; qu’il a relancé la salariée à plusieurs reprises sur ce point, souvent au sujet de retards importants dans ses relances qu’elle devait effectuer auprès des conducteurs; que celle-ci ne répondait pas à ses attentes dans des délais convenables ;

– un rapport de visite à l’agence d’Albertville le 10 avril 2018 rédigé par M. [J] [S] qui pointe, sous l’intitulé ‘Problème de Mme [Y]’, un ‘manque avéré du suivi des caisses’, le fait que la salariée n’a pas rencontré tous les conducteurs pour faire le point de l’ensemble de leur billeterie et de faire un rappel des procédures de caisse en dépit de ce qui lui avait été demandé en décembre 2017, le fait qu’elle n’a pas vérifié que les conducteurs restituaient bien leur caisse au minimum une fois par semaine en dépit de ce qui lui avait été demandé et janvier et février 2018.

Les deux courriels de rappels à l’ordre remontent à plus de deux ans et plus de trois ans et demis avant le licenciement. Leur contenu ne revêt en aucun cas un caractère disciplinaire, mais constitue un rappel de certaines règles de fonctionnement.

Le rappel à l’ordre écrit ne constitue pas une sanction disciplinaire et concerne une situation, accident matériel de circulation, sans aucun rapport avec les arguments retenus pour la licencier.

Le courriel de M. [U] ne précise pas les mots employés, ne décrit pas le contexte, n’est corroboré par aucun autre élément. M. [U] ne reprend pas ses accusations dans son attestation du 4 juin 2019.

Les attestations de M. [U] et de M. [S] évoquent des relances et des rencontres régulières avec la salariée. Il n’est cependant produit aucun élément (courriels, courriers…) qui viendraient conforter leurs dires.

Le rapport de visite du 10 avril 2018 pointe des anomalies dont il n’est pas justifié qu’elles sont établies au jour du licenciement (mention ‘en attente de confirmation’ sur plusieurs points) ou qui ne peuvent être imputables ou seulement imputables à la salarié : il en est ainsi des anomalies qui sont intervenues lors de ses périodes d’absence pour congés ou arrêt maladie (en juillet 2017, l’intégralité du mois de mars 2018 et plus de 20 jours entre avril et mai 2018: [E], [Z], [N] notamment). Certaines anomalies ne sont pas datées, de sorte qu’il n’est pas possible de vérifier si la salariée était à son poste de travail quand elles sont intervenues, tout comme l’employeur ne produit aucun élément pour vérifier si elle était à son poste de travail pour les anomalies détectées entre 2014 et 2017.

Par ailleurs, il est étonnant que des difficultés remontant aux années 2014 à 2017 ne soient relevées qu’en 2018 alors que M. [J] [S] indique dans son attestation ‘les contrôles caisse étaient effectués très régulièrement chaque mois , où je me déplaçais dans la société et où je demandais à Mme [Y] d’effectuer les relances pour les retards en cours’.

Mme [M] [Y] produit pour sa part les éléments suivants:

– une attestation de Mme [C] [T], conductrice-receveuse de voyageurs, dont il ressort que la salariée a toujours été précise sur la gestion de rendu de ses caisses et des billets ;

– une attestation de Mme [A] [B], conductrice de car, dont il ressort que la salariée remettait aux conducteurs à chaque début de saison une note d’information leur stipulant quand ils devaient rendre leur caisse, et que compte-tenu du nombre d’informations dont ceux-ci disposaient (notes de service, rappels verbaux…), elle n’était pas responsable sur le retard de rendu des caisses des conducteurs ;

– une attestation de M. [L] [G], conducteur de car, dont il ressort que la salariée installait les machines Magbus dans tous les cars avant le début de la saison, et qu’elle n’était pas responsable du fait que des conducteurs ne rendaient pas leurs caisses régulièrement; que tous les conducteurs recevaient deux à trois fois dans l’année les consignes de rendu de caisse ;

– trois courriels en date des 13 avril et 7 novembre 2017 et du 21 février 2018 par lesquels la salariée informe M. [D] [U] de difficultés pour obetnir des éléments (retour de frais, rendu de caisse) de la part de M. [H].

La salariée a une ancienneté de plus de douze ans, n’a jamais fait l’objet d’une sanction disciplinaire, et a fait l’objet d’un seul rappel à l’ordre en 2017 pour un accident matériel de la circulation. Il n’est aucunement démontré que celle-ci ait fait l’objet de rappels réguliers quant à ses carences dans son travail.

Par ailleurs, il résulte d’un courriel de M. [D] [U] du 18 juin 2018 à l’attention de M. [O] [R] que le premier soumet une ‘hypothèse d’effectif et de réaffectation’ pour la prochaine rentrée scolaire ‘suite aux services perdus en Maurienne’ qui mentionne que deux postes pourraient être supprimés. Or, et alors même que son licenciement n’a pu être légalement décidé à cette date (sa lettre de convocation à entretien préalable est en date du 27 juin 2018), Mme [M] [Y] n’apparaît pas dans les effectifs mentionnés. Cet élément pose question quant à une éventuelle motivation économique de son licenciement au moment où celui-ci est décidé.

Il ne résulte pas de l’analyse de ces éléments la caractérisation d’une cause réelle et sérieuse justifiant le licenciement de Mme [M] [Y].

Le jugement du conseil de prud’hommes sur ce point sera confirmé.

Sur le salaire brut de référence

Il sera fixé à 1 820,73 euros, soit la moyenne des trois derniers mois de salaire (salaire brut+ prime de treizième mois/12 + prime de non accident + prime ancien employée de transport).

Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

La société [R] Savoie emploie habituellement plus de dix salariés. En application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, la salariée est fondée à obtenir une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre trois et onze mois de salaire brut.

Mme [M] [Y] sollicite que l’application des dispositions de l’article L1235-3 du code du travail soit écartée.

Elle comptait douze ans d’ancienneté à la date du licenciement et avait 47 ans. Elle justifie avoir perçu suite à son licenciement, des allocations Pôle Emploi d’environ 1 100 euros par mois, soit une perte de revenu mensuel d’environ 350-400 euros (compte-tenu du salaire net perçu auparavant), avec une durée d’indemnisation prévisible de deux ans. Ces revenus ont légèrement augmenté à compter de septembre 2020, date à laquelle elle a retrouvé un emploi à temps partiel dont le salaire était complété par L’ARE. Cette dernière a cessé de lui être versée en juillet 2021.

Ces éléments ne justifient pas d’écarter l’application du barême prévu par l’article L1235-3 du code du travail, étant rappelé que la Cour de cassation a considéré, dans un avis du 17 juillet 2019 (n° 19-70.010), ce barême compatible avec l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT.

Compte-tenu des éléments rappelés ci-dessus, le jugement du conseil de prud’hommes sera confirmé en ce qu’il a alloué à Mme [M] [Y] une somme de 14 936,64 euros à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur la demande au titre des conditions vexatoires du licenciement

La salariée licenciée peut prétendre à des dommages-intérêts en réparation d’un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi à la condition de justifier d’une faute de l’employeur dans les circonstances entourant le licenciement de nature brutale ou vexatoire et de justifier de l’existence de ce préjudice.

Mme [M] [Y] ne justifie pas d’une faute de l’employeur dans les circonstances entourant le licenciement de nature brutale ou vexatoire, comme elle ne justifie pas d’un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi.

La décision du conseil de prud’hommes sur ce point sera confirmée.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

La société [R] Savoie sera condamnée à verser à Mme [M] [Y] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile s’agissant des frais de première instance, et de 2 000 euros au même titre s’agissant des frais engagés en appel.

Elle sera également condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Déclare Mme [M] [Y] et la société [R] Savoie recevables en leurs appels,

Infirme le jugement du conseil de prud’hommes d’Albertville du 28 janvier 2021 en ce qu’il a :

– fixé le salaire de référence de Mme [M] [Y] à 1 867,08 euros brut,

– condamné la société [R] Savoie à verser à Mme [M] [Y] la somme de 1 320 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau,

Fixe le salaire de référence de Mme [M] [Y] à 1 820,73 euros brut,

Condamne la société [R] Savoie à verser à Mme [M] [Y] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile s’agissant des frais exposés en premier instance,

Confirme pour le surplus,

Y ajoutant,

Condamne la société [R] Savoie à verser à Mme [M] [Y] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile s’agissant des frais exposés en cause d’appel,

Condamne la société [R] Savoie aux dépens.

Ainsi prononcé publiquement le 16 Mai 2022 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Frédéric PARIS, Président, et Madame Delphine AVERLANT, faisant fonction de Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 


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