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Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 7
ARRÊT DU 06 JUILLET 2023
(n° 18, 17 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 21/18276 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEQQR
Décision déférée à la Cour : décision de l’Autorité de la concurrence n° 21-D-22 en date du 15 septembre 2021
REQUÉRANTE :
MILEE S.A.S. anciennement ADREXO S.A.S.
Ayant pour nom commercial ADREXO
Prise en la personne de son Président
Immatriculée au RCS d’Aix-en-Provence sous le n° 315 549 352
Dont le siège social est [Adresse 11]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Élisant domicile au cabinet Lexavoué [Localité 9]-[Localité 10]
[Adresse 7]
[Localité 5]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assistée de Maîtres Elizabeth GAUTIER et Maximilien RODRIGUES du Cabinet GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocats au barreau de PARIS, toque : T03
EN PRÉSENCE DE :
L’AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Prise en la personne de son président
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par M. [T] [N], dûment mandaté
LE MINISTRE CHARGÉ DE L’ÉCONOMIE
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Localité 6]
non comparant
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 25 mai 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
‘ M. Gildas BARBIER, président de chambre, président,
‘ Mme Frédérique SCHMIDT, présidente de chambre,
‘ Mme Sylvie TREARD, conseillère,
qui en ont délibéré.
GREFFIER, lors des débats : Mme Véronique COUVET
MINISTÈRE PUBLIC : auquel l’affaire a été communiquée
ARRÊT PUBLIC :
‘ réputé contradictoire
‘ prononcé par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
‘ signé par Monsieur Gildas BARBIER, président de chambre et par Madame Véronique COUVET, greffière à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
Vu la déclaration de recours contre la décision de l’Autorité de la concurrence n° 21-D-22 du 15 septembre 2021, déposée au greffe par la société Adrexo le 21 octobre 2021 ;
Vu l’exposé des moyens déposé au greffe par la société Adrexo le 23 novembre 2021 ;
Vu l’arrêt de la Cour du 30 juin 2022 ayant déclaré irrecevable l’intervention volontaire de la société La Poste ;
Vu les observations déposées au greffe par l’Autorité de la concurrence le 20 septembre 2022 ;
Vu les observations en réplique déposées au greffe par la société Adrexo le 1er mars 2023 ;
Vu le courriel du Ministre chargé de l’économie en date du 18 avril 2023 informant la Cour qu’il ne produirait pas d’observations dans le cadre de la procédure au fond ;
L’affaire ayant été transmise au ministère public ;
Après avoir entendu à l’audience du 25 mai 2023 le conseil de la société Adrexo, devenue Milee, et le représentant de l’Autorité de la concurrence.
FAITS ET PROCÉDURE
§ 1
Le secteur concerné
§ 2
Le service universel postal
§ 9
Exonération de la taxe sur la valeur ajoutée des prestations relevant du service universel postal
§ 19
L’avis de l’ARCEP
§ 28
La décision attaquée
§ 32
Le recours entrepris
§ 35
MOTIVATION
§ 38
I. SUR LA COMPÉTENCE
§ 38
II. SUR LA MÉCONNAISSANCE PAR L’AUTORITÉ DE LA PORTÉE DE L’ARRÊT TNT POST
§ 62
III. SUR LE CARACTÈRE SUFFISAMMENT PROBANT DES ÉLÉMENTS INVOQUÉS AU SOUTIEN D’UNE PRATIQUE D’ABUS DE POSITION DOMINANTE
§ 82
PAR CES MOTIFS
§ 89
FAITS ET PROCÉDURE
1.La Cour est saisie du recours formé par la société Adrexo, devenue Milee en cours d’instance, (ci-après « Adrexo ») contre la décision de l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité ») qui, se prononçant sur sa saisine relative à des pratiques mises en ‘uvre par la société La Poste (ci-après « La Poste ») dans le secteur des courriers adressés, s’est déclarée pour partie incompétente, et pour le surplus, l’a rejetée pour défaut d’éléments suffisamment probants.
Le secteur concerné
2.Le secteur concerné est celui des courriers adressés, courriers dont les destinataires sont identifiés sur l’enveloppe par opposition aux imprimés sans adresse, distribués dans les boîtes aux lettres sans utilisation de l’adresse complète comme critère de ciblage.
3.Le marché du courrier adressé est totalement ouvert à la concurrence en France depuis le 1er janvier 2011, à la suite d’un processus de libéralisation qui a débuté par une première directive de 1997 : la directive 97/67/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 1997 concernant les règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l’amélioration de la qualité du service, modifiée et complétée par les directives 2002/39/CE, et 2008/6/CE (ci-après « directive des services postaux »).
4.Le courrier adressé recouvre deux types de distribution :
‘ Les envois égrenés : courriers envoyés par différents expéditeurs et dont les caractéristiques physiques (poids, taille, dimensions) nécessitent un traitement individuel. Les offres portant sur les envois égrenés sont notamment utilisées par les particuliers.
‘ Les envois en nombre : grands volumes de courriers ayant des caractéristiques similaires, envoyés par un expéditeur unique vers des destinataires différents. Les offres portant sur des envois en nombre sont essentiellement destinées aux entreprises pour la distribution de leur courrier de gestion comme des factures, des relevés de compte, ou de leur courrier de marketing (également appelé « publicité adressée » ou « publipostage ») destiné à des opérations de conquête ou de fidélisation de clients ou de prospects.
5.Selon l’observatoire des activités postales de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ci-après « ARCEP »), les publicités adressées ont représenté en 2018 un volume de 2,616 milliards de correspondances pour un montant de 967 millions d’euros, soit 28,5 % des courriers adressés en volume et 15,9 % en valeur. Les courriers de gestion représentent quant à eux un marché en volume de 3,658 milliards de correspondances pour un montant de 1,802 milliard d’euros, soit près de 40 % en volume et 30 % en valeur du marché global du courrier adressé.
6.La présente affaire concerne l’envoi en nombre des courriers adressés et, en particulier, les courriers de gestion et de marketing.
7.Pour ces courriers, La Poste propose de manière automatique à l’ensemble de ses clients réalisant avec elle un chiffre d’affaires annuel supérieur à 800 000 euros la conclusion d’un contrat commercial leur permettant de bénéficier d’une remise quantitative adossée au chiffre d’affaires facturé au cours d’une année civile sur un ensemble de produits définis.
8.La Poste propose ainsi à ses clients deux types de contrats commerciaux, la convention « relation d’affaires » pour les courriers de gestion, la convention « communication commerciale » pour les courriers de marketing.
Le service universel postal
9.Sur le marché des courriers adressés, certaines des activités de La Poste relèvent du service universel postal. L’article 3 de la directive des services postaux définit ce service comme : « une offre de services postaux de qualité déterminée fournis de manière permanente en tout point du territoire à des prix abordables pour tous les utilisateurs ».
10.Conformément à l’article L. 2 du code des postes et des communications électroniques (ci-après « CPCE »), La Poste est le seul prestataire en France du service universel postal. Elle exerce cette mission de service public sous le contrôle de l’ARCEP (art. L. 2 et L. 5-2 du CPCE).
11.Aux termes de l’article L. 1 du CPCE, le service universel postal comprend des offres de services nationaux et transfrontières d’envois postaux d’un poids inférieur ou égal à 2 kg, de colis postaux jusqu’à 20 kg, des envois recommandés et à valeur déclarée ; une levée et une distribution tous les jours ouvrables sur l’ensemble du territoire national ainsi que la mise en ‘uvre d’un tarif unique sur l’ensemble du territoire pour les services d’envois postaux à l’unité.
12.Ce texte précise, en son alinéa 4, que le service universel postal « est assuré dans le respect des principes d’égalité, de continuité et d’adaptabilité en recherchant la meilleure efficacité économique et sociale. Il garantit à tous les usagers, de manière permanente et sur l’ensemble du territoire national, des services postaux répondant à des normes de qualité déterminées. Ces services sont offerts à des prix abordables pour tous les utilisateurs. Les prix sont orientés sur les coûts et incitent à une prestation efficace, tout en tenant compte des caractéristiques des marchés sur lesquels ils s’appliquent. »
13.Outre ces obligations en matière de services et de tarifs, La Poste est également soumise à des obligations particulières, prévues à l’article 2 du CPCE en matière de qualité et d’accessibilité du service, de traitement des réclamations des utilisateurs et, pour des prestations déterminées, de dédommagement en cas de non-respect des engagements de qualité de service. Elle doit établir une comptabilité spécifique sur ses activités entrant dans le champ du service universel et transmettre à l’ARCEP, sur demande de cette dernière, toute information et tout document comptable permettant d’assurer le contrôle du respect de ses obligations.
14.La Poste établit et tient à jour le catalogue des prestations relevant du service universel et des tarifs en vigueur. Elle informe le ministre chargé des postes et l’ARCEP des modifications du catalogue portant sur les services d’envoi en nombre (article R. 1-1-10 du CPCE).
15.En droit de l’Union, l’article 12 de la directive postale autorise le prestataire du service universel postal à proposer des tarifs spéciaux aux entreprises et, plus généralement, aux clients émetteurs d’envois en nombre, sous réserve de respecter les principes de transparence et de non-discrimination s’agissant de la fixation des tarifs et des conditions de ces prestations.
16.En droit interne, l’article L.2-1 du CPCE permet ainsi au prestataire du service universel de conclure avec les expéditeurs d’envois en nombre « des contrats dérogeant aux conditions générales de l’offre du service universel et incluant des tarifs spéciaux pour des services aux entreprises dans le respect des règles énoncées à l’article L. 1, alinéa 4. Les tarifs et les conditions de ces prestations doivent être déterminés par le prestataire du service universel selon des règles objectives et non discriminatoires. Ces contrats sont communiqués à l’ARCEP à sa demande. »
17.L’ARCEP veille au respect par La Poste des obligations résultant des dispositions législatives et réglementaires afférentes à l’exercice du service universel postal et contrôle les tarifs que cette dernière pratique pour les prestations relevant de ce service ainsi que les conventions proposées par La Poste.
18.Dans un avis n° 2010-1352 du 14 décembre 2010, l’ARCEP a ainsi émis un avis favorable aux conventions par lesquelles la Poste consent à ses plus grands clients des remises commerciales à raison du chiffre d’affaires annuel réalisé avec elle. Dans cet avis, l’ARCEP a souligné que « si l’application d’une grille de remise conduit certes à une différence de tarif unitaire pour les émetteurs », « cette différence ne paraît pas incompatible avec les principes du service universel dans la mesure où elle reflète une différence objective de situation, à savoir le chiffre d’affaires de courrier réalisé par l’émetteur, susceptible de se traduire par des différences de coûts ou de fonction de demande ».
Exonération de la taxe sur la valeur ajoutée des prestations relevant du service universel postal
19.Les prestations qui relèvent du service universel postal bénéficient d’une exonération de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), prévue en droit interne au 11° du 4 de l’article 261 du code général des impôts (ci-après « CGI »), qui transpose l’article 132, a) de la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (ci-après « directive TVA »).
20.Cette disposition de droit de l’Union prévoit une exonération de TVA au profit d’activités d’intérêt général au rang desquelles figurent « les prestations de services et les livraisons de biens accessoires à ces prestations, à l’exception des transports de personnes et des télécommunications, effectuées par les services publics postaux ».
21.Par un arrêt préjudiciel du 23 avril 2009, TNT Post UK (C-357/ 07, ci-après « arrêt TNT Post »), la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « CJUE »), répondant à une première question portant sur la notion de « services publics postaux » figurant à l’article 132, a) de la directive TVA a dit pour droit que cette notion devait être interprétée en ce sens qu’elle vise des opérateurs qui s’engagent à assurer dans un État membre la totalité ou une partie du service postal universel, tel qu’il est défini à l’article 3 de la directive services postaux .
22.Répondant aux deux autres questions posées, portant sur le champ d’application de l’exonération de la TVA à l’ensemble ou à une partie des services postaux assurés par les services publics postaux ou seulement à une partie de ceux-ci et sur les critères permettant de les déterminer, elle a dit pour droit que l’exonération de TVA prévue à l’article 132, a) de la directive TVA s’applique aux prestations que « les services publics postaux effectuent en tant que tels, à savoir au titre de leur qualité même de services publics postaux » et qu’elle ne s’applique pas à des prestations dont les conditions ont été négociées individuellement.
23.Dans cet arrêt, la CJUE a précisé que l’exonération prévue à l’article 132, a) précité se justifie par la nécessité de favoriser certaines activités d’intérêt général et que dans le domaine postal, cet objectif général se traduit « par l’objectif plus spécifique d’offrir, à un coût réduit, des services postaux qui répondent aux besoins essentiels de la population » (point 33) et coïncide, en substance, avec celui poursuivi par la directive services postaux d’offrir un service postal universel (point 34).
La saisine
24.Le 21 novembre 2018, Adrexo a saisi l’Autorité de pratiques commises par La Poste constitutives, selon elle, d’abus de position dominante sur le marché des courriers adressés, en particulier les courriers de gestion et de marketing, consistant à offrir plusieurs services postaux de courriers adressés à des conditions tarifaires exonérées de TVA, alors même que ces services font l’objet de négociations et de contractualisations commerciales individualisées pour répondre à des besoins particuliers d’entreprises.
25.Au soutien de sa saisine, Adrexo exposait que la Poste propose à ses clients des contrats faisant l’objet de négociations individualisées, conventions dénommées « Relations d’affaires » et « Communication commerciale », et portant sur des prestations exonérées de TVA, telles que « Ecopli Grands Comptes », « Destineo Utilité publique », « Simply » et « Pluriel ». Elle soutenait qu’en exonérant de TVA des prestations de service universel dont la fourniture fait l’objet de négociations individuelles, La Poste ne respectait pas le droit de l’Union européenne tel qu’interprété par la CJUE dans l’arrêt TNT Post, et s’octroyait « un avantage tarifaire illégal constitutif d’un abus d’exclusion ».
26.Au cours de l’instruction elle a précisé, en se fondant sur l’arrêt précité, que « le critère essentiel permettant d’apprécier le champ d’application de l’exonération de TVA est donc bien la question de savoir si le service postal offert (ses conditions contractuelles et tarifaires) répond à l’expression d’un besoin général ou d’un intérêt particulier » et que « l’établissement de barèmes ou de grilles tarifaires avec un degré de finesse tellement adapté à des besoins particuliers d’opérateurs économiques permet déjà de conclure que l’on n’est pas en face de l’offre d’un service postal répondant à un ‘intérêt général’ ou ‘aux besoins essentiels de la population’ » (Annexe 46, réponse d’Adrexo du 21 mai 2019 à une demande d’information, paragraphe 17 ; annexe 47, réponse d’Adrexo du 13 mars 2020 à une demande d’information, paragraphe 7).
27.Pour Adrexo, ce comportement de La Poste, contraire à la règlementation européenne, est de nature à exclure ou, en tout état de cause, limiter l’accès des concurrents au marché français des courriers adressés et leur capacité d’y exercer une concurrence effective.
L’avis de l’ARCEP
28.En application de l’article R. 463-9 du code de commerce, l’Autorité a transmis, le 2 mars 2021, la saisine à l’ARCEP.
29.Dans un avis n° 2021-0721, cette autorité a indiqué, au regard des éléments présentés par Adrexo et de ceux à sa disposition, « ne pas avoir eu, à ce jour, connaissance d’exonérations de TVA qui s’appliqueraient à des prestations du service universel négociées individuellement. Aucun de ces éléments ne semble indiquer que La Poste puisse pratiquer une exonération de TVA contraire au droit (national et européen) en vigueur. »
30.Elle a notamment relevé que les conventions des prestations visées par Adrexo (« Ecopli Grands Comptes », « Destineo Utilité Publique », « Simply » et « Pluriel ») présentent des remises qui sont déterminées selon des grilles préétablies, en fonction du chiffre d’affaires réalisé par La Poste auprès de l’entreprise, et applicables à tous les clients. Elle a rappelé que ces grilles ont fait l’objet d’un avis favorable de sa part en 2010.
31.Elle a néanmoins relevé, comme elle l’avait déjà souligné dans son avis n° 2011-0847 du 26 juillet 2011, s’agissant des prestations d’envois en nombre, que « la faculté dont dispose La Poste, conformément aux textes réglementaires en vigueur, de créer deux gammes de produits comparables, l’une relevant du service universel et l’autre non, et de choisir quelle gamme elle applique selon les clients, nuit à la lisibilité du catalogue du service universel, et plus généralement des offres de La Poste, et est susceptible de générer des distorsions de concurrence. »
La décision attaquée
32.Par la décision n° 21-D-22 du 15 septembre 2021 relative à des pratiques mises en ‘uvre dans le secteur des courriers adressés (ci-après « la décision attaquée »), l’Autorité s’est déclarée incompétente pour apprécier les faits dénoncés par Adrexo en ce qu’ils concernent le catalogue des offres de La Poste relevant du service universel postal et l’a rejetée, pour le surplus, pour défauts d’éléments suffisamment probants.
33.L’Autorité a considéré, d’une part, qu’il revenait au régulateur de s’assurer que les offres de La Poste étaient conformes aux exigences du service universel postal, et au législateur de définir le champ de ce dernier de sorte qu’elle n’était pas compétente pour connaître du catalogue des offres de La Poste relevant du service universel postal, indépendamment de l’usage fait, par la Poste, de l’exonération de TVA. Elle a retenu que la saisine, en ce qu’elle tend à contester en soi ce catalogue, devait donc être déclarée irrecevable en application du premier alinéa de l’article L. 462-8 du code de commerce.
34.Elle a admis, d’autre part, qu’il lui appartenait de veiller à ce que l’inclusion, dans le périmètre des activités bénéficiant d’exonération de TVA, d’activités ne relevant manifestement pas des missions du service universel, ne permette pas à La Poste d’user de cet avantage pour fausser la concurrence au détriment de ses concurrents. Précisément, sur ce point, elle a considéré que les éléments apportés n’étaient pas suffisamment probants d’une pratique d’application par la Poste de l’exonération de TVA à des services ne rentrant pas dans le champ du service universel, de nature à fausser la concurrence.
Le recours entrepris
35.Adrexo a formé un recours en annulation et /ou réformation de cette décision.
36.Aux termes de son mémoire récapitulatif, elle demande à la Cour :
‘ de réformer la décision attaquée en ce qu’elle retient l’incompétence de l’Autorité pour se prononcer sur les pratiques reprochées à La Poste dans la saisine,
‘ de réformer la décision attaquée en ce qu’elle a considéré que la pratique de La Poste ne révèlerait aucune application indue de l’exonération de TVA à des services ne rentrant pas dans le champ du service universel, de nature à fausser la concurrence,
‘ à titre subsidiaire, de renvoyer à la CJUE la question préjudicielle suivante et surseoir à statuer dans l’attente de la réponse de cette dernière :
« L’exonération de TVA instituée au bénéfice des ‘services publics postaux’ par l’article 132, paragraphe 1, sous a) de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée inclut-elle dans son champ d’application les services postaux dont les conditions et tarifs n’ont pas été négociés individuellement avec les clients mais qui sont définis dans des contrats d’adhésion ou des conditions générales afin de répondre aux besoins particuliers d’opérateurs économiques ‘ »,
‘ d’annuler la décision attaquée en ce qu’elle a rejeté la saisine pour défaut d’éléments probants et de renvoyer la saisine à l’Autorité pour instruction complémentaire,
‘ de condamner l’Autorité au paiement de la somme de 50 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
37.L’Autorité considère que le recours doit être rejeté.
MOTIVATION
I. SUR LA COMPÉTENCE
38.Adrexo soutient, en premier lieu, que l’Autorité s’est méprise sur ses demandes. Elle ne lui a pas demandé de se substituer au régulateur pour s’assurer que les offres de La Poste étaient conformes aux exigences du service universel postal mais de rechercher si en exonérant de TVA des prestations qui auraient dû y être soumises, La Poste n’a pas commis un abus de position dominante.
39.Elle soutient, en deuxième lieu, que la compétence de l’Autorité ne saurait se limiter à vérifier que La Poste n’inclut pas, dans le périmètre des activités bénéficiant de l’exonération de TVA, des activités qui ne relèvent « manifestement pas de ses missions de service universel » dès lors que la mission confiée à l’Autorité porte sur tout type d’infraction, sans que ne soit exigé que les infractions en cause présentent un caractère manifeste. Il lui appartenait de vérifier si La Poste ne bénéficiait pas d’une exonération de TVA non conforme au droit de l’Union, au détriment d’une ouverture effective à la concurrence du marché postal français.
40.Elle soutient en troisième lieu, que la mission confiée à l’Autorité de la concurrence a été définie dans les termes les plus larges par le législateur et concerne tous les secteurs économiques, y compris ceux qui font l’objet d’une régulation sectorielle particulière exercée par une autorité administrative indépendante. Elle souligne que le CPCE lui-même reconnaît et préserve la compétence générale de l’Autorité en prévoyant, en son article 5-8, la faculté du président de l’ARCEP de saisir l’Autorité pour dénoncer des pratiques d’abus de position dominante.
41.Sur le premier point, l’Autorité répond que l’argument est inopérant dès lors qu’elle est saisie in rem et qu’il est infondé puisque Adrexo, dans une réponse du 13 mars 2020, a mis en cause le catalogue de La Poste comme comprenant des offres tellement détaillées qu’elles devaient être considérées comme des offres négociées individuellement et que, sortant ainsi du périmètre du service d’intérêt général, elles ne pouvaient pas bénéficier de l’exonération de TVA. Elle souligne que ce faisant, Adrexo a modifié les termes de sa saisine initiale laquelle dénonçait des exonérations de TVA sur des prestations ayant fait l’objet de négociations individuelles. Elle considère que c’est donc à juste titre qu’elle a considéré que la saisine, en ce qu’elle tend à contester en soi le catalogue, devait être déclarée irrecevable.
42.Sur le deuxième point, l’Autorité expose qu’Adrexo fait une lecture erronée de la décision attaquée, laquelle a, en effet, bien distingué la question de l’inclusion des offres de La Poste dans le catalogue des offres relevant du service universel postal, avec l’exonération qui s’y rattache, et celle de l’exonération de TVA par La Poste pour des prestations qui, soit ne sont pas énumérées dans le catalogue, soit sont des prestations qui manifestement ne devraient pas y être, comme notamment les prestations ayant fait l’objet de négociation individuelle avec des clients. Elle ajoute que cette distinction résulte du fait que l’Autorité n’est pas compétente pour définir le service universel postal dans son ensemble, dont la définition et les contours relèvent de la compétence du législateur, et son contrôle, du régulateur. Elle souligne encore que contrairement à ce que soutient Adrexo, le critère de la satisfaction d’un intérêt général n’est pas suffisant pour déterminer les prestations devant bénéficier de l’exonération, une offre pouvant répondre à certains intérêts particuliers, tout en servant l’intérêt général, comme par exemple le publipostage.
43.Sur le troisième point, l’Autorité souligne qu’il ne lui appartient pas, en principe, de se prononcer sur l’inclusion ou non de certaines prestations dans le catalogue des offres du service universel postal dès lors que certains arbitrages relèvent directement des États membres. Elle considère ainsi que quand bien même sa compétence s’étend à tous les secteurs économiques marchands, même régulés, cette compétence est, en l’espèce, nécessairement bornée par celle du législateur pour définir le périmètre du service universel postal.
Sur ce, la Cour,
44.Il convient, en premier lieu, de rappeler, qu’aux termes de l’article 3 de la directive services postaux, le service universel inclut la prestation d’envoi de correspondance sans faire de distinction entre les envois égrenés et les envois en nombre.
45.S’agissant de cette dernière catégorie, l’article 12 de la même directive autorise le prestataire de service universel, pour les services faisant partie du service universel offerts aux entreprises, à appliquer des tarifs spéciaux aux expéditeurs d’envois en nombre, sous réserve de respecter les principes de transparence et non-discrimination.
46.Il s’en déduit que le service universel postal peut inclure des services aux entreprises et, en particulier, des prestations d’envois en nombre à des tarifs spéciaux.
47.Cette faculté est mise en ‘uvre en droit interne à l’article R. 1 du CPCE qui dispose que :
« Le service universel postal comprend l’offre des services d’envois postaux nationaux et transfrontaliers suivants :
a) Les services d’envois de correspondance pesant au plus 2 kg comprenant :
1° Les services d’envois ordinaires égrenés ou en nombre, les services d’envois nationaux égrenés incluant des services d’envois prioritaires et non prioritaires (‘) » (souligné par la Cour)
48.S’agissant des tarifs spéciaux, l’article L. 2-1 du CPCE permet au prestataire du service universel de conclure avec les expéditeurs d’envois en nombre « des contrats dérogeant aux conditions générales de l’offre du service universel et incluant des tarifs spéciaux pour des services aux entreprises dans le respect des règles énoncées à l’article L.1, alinéa 4. Les tarifs et les conditions de ces prestations doivent être déterminés par le prestataire du service universel selon des règles objectives et non discriminatoires. »
49.Ainsi, à l’instar des règles applicables au service universel postal offert aux particuliers, celui offert aux entreprises doit respecter, conformément à l’article L. 1 alinéa 4 du CPCE, les « principes d’égalité, de continuité et d’adaptabilité en recherchant la meilleure efficacité économique et sociale », garantir « de manière permanente et sur l’ensemble du territoire national, des services postaux répondant à des normes de qualité déterminées » et être offerts à des prix abordables, orientés sur les coûts et incitant à une prestation efficace « tout en tenant compte des caractéristiques des marchés sur lesquels ils s’appliquent ».
50.En second lieu, il résulte de l’arrêt TNT Post que l’ensemble des prestations de services postaux réalisées par le prestataire de service universel, en tant que tel, s’inscrivant dans le champ du service universel confié, bénéficie de l’exonération de TVA édictée à l’article 132, a) de la directive TVA.
51.En effet, contrairement à ce que soutient Adrexo, la CJUE n’a pas jugé dans cet arrêt que les prestations réalisées par un prestataire de service universel, en tant que tel, sont exonérées de TVA lorsqu’elles visent à satisfaire un besoin d’intérêt général mais a dit pour droit que les prestations qui bénéficient de l’exonération de TVA doivent être comprises comme « étant celles que les services publics postaux effectuent en tant que tels, à savoir au titre de leur qualité même de services publics postaux », c’est-à-dire les prestations relevant du service universel postal. Elle a ensuite précisé que ne sont pas exonérées les prestations dont les conditions ont été négociées individuellement, ces dernières étant par nature, dissociables de l’intérêt général. Elle a donc posé la distinction entre les services postaux dont les conditions n’ont pas été négociées individuellement et ceux dont les conditions l’ont été, ces derniers étant ceux qui, en principe, sont dissociables de l’intérêt général.
52.Pour parvenir à cette solution, la CJUE a retenu, d’une part, que l’exonération de TVA prévue par la directive TVA doit être interprétée strictement mais de manière conforme à l’objectif d’intérêt général poursuivi par cette exonération, et que, dans le domaine postal, cet objectif se traduit par celui plus spécifique d’offrir, à un coût réduit, des services postaux qui répondent aux besoins essentiels de la population. Elle a précisé que, dans l’état actuel du droit de l’Union, « un tel objectif coïncide, en substance, avec celui poursuivi par la directive 97/67 d’offrir un service postal universel ». D’autre part, elle a considéré qu’au regard de l’objectif poursuivi par l’exonération de TVA, qui est celui de favoriser une activité d’intérêt général, cette exonération « ne saurait s’appliquer à des services spécifiques qui sont dissociables du service d’intérêt général, parmi lesquels figurent des services qui répondent à des besoins particuliers d’opérateurs économiques », c’est-à-dire des prestations dont les conditions ont été négociées individuellement.
53.Il ne saurait être déduit de cette grille d’analyse que la CJUE a opposé au sein du service universel postal les prestations qui répondent à un besoin d’intérêt général et celles qui répondent à des besoins particuliers. En effet, comme le souligne le paragraphe 63 de la décision attaquée, se référant aux conclusions de l’avocat général dans cette affaire, il est des prestations qui peuvent tout à la fois répondre à certains intérêts particuliers tout en servant l’intérêt général, comme les envois en nombre de courriers de marketing, les destinataires de ces courriers ayant un intérêt à ce qu’ils leur soient adressés à des tarifs raisonnables et exonérés de TVA. Il s’en déduit qu’il appartient aux États membres de déterminer comment ils pondèrent les intérêts particuliers et l’intérêt général et ainsi, de définir, dans le cadre fixé par la directive services postaux et en tenant compte de leurs particularités géographiques, sociales et économiques, les prestations relevant de l’intérêt général, et donc du service universel postal.
54.Comme précédemment indiqué, l’article 12 de la directive services postaux admet que des prestations répondant aux obligations du service universel postal puissent être proposées à des entreprises commerciales à des tarifs spéciaux, dès lors que ces tarifs respectent le principe de transparence et de non-discrimination.
55.Usant de cette faculté, le droit interne autorise le prestataire de service universel à conclure avec des entreprises des conventions prévoyant des tarifs spéciaux, à la condition que ces tarifs soient déterminés selon des règles objectives et non discriminatoires et respectent les exigences attachées au service universel.
56.En l’espèce, dans sa saisine, Adrexo dénonçait un abus de position dominante de la part de La Poste consistant pour cette dernière à exonérer de TVA des prestations de service universel faisant l’objet de conventions négociées individuellement avec certains de ses clients. En cours d’instruction, elle a souligné que « le critère essentiel permettant d’apprécier le champ d’application de l’exonération de TVA est donc bien la question de savoir si le service postal offert (ses conditions contractuelles et tarifaires) répond à l’expression d’un besoin général ou d’un intérêt particulier » et que « l’établissement de barèmes ou de grilles tarifaires avec un degré de finesse tellement adapté à des besoins particuliers d’opérateurs économiques permet déjà de conclure que l’on n’est pas en face de l’offre d’un service postal répondant à un ‘intérêt général’ ou ‘aux besoins essentiels de la population’ ».
57.Ainsi, Adrexo ne se bornait pas à invoquer l’existence de conventions négociées individuellement par La Poste avec certains de ses clients mais mettait en cause le catalogue des services postaux proposés par La Poste au titre du service universel, en reprochant à cette dernière d’offrir une gamme de prestations d’envois en nombre définies de telle manière que ces prestations ne relevaient plus, selon elle, d’un service visant à satisfaire un besoin d’intérêt général mais des besoins particuliers d’opérateurs économiques et que, partant, les prestations ainsi proposées dans le catalogue ne pouvaient pas bénéficier de l’exonération de TVA.
58.Toutefois, il n’appartient pas à l’Autorité de déterminer ou de vérifier si les prestations offertes par la Poste au titre du service universel postal relèvent bien de ce service d’intérêt général. En effet, les contours de ce service ont été définis par le législateur, lequel a considéré, comme la directive services postaux l’y autorisait, qu’il y avait lieu d’y inclure des offres aux entreprises pour leurs envois en nombre à des tarifs spéciaux.
59.En outre, ces offres doivent être appréciées de manière globale, au regard non seulement de la nature des prestations fournies mais également du respect par La Poste des obligations légales et réglementaires mises à sa charge en sa qualité de prestataire de service universel, dont celles posées à l’article L.1, alinéa 4 du CPCE précédemment rappelées. Or, un tel contrôle relève de la mission de l’ARCEP, autorité de régulation, conformément à l’article L. 5-2, 1° du CPCE. Cette autorité contrôle en outre les tarifs des offres du service universel, dans les conditions fixées au 3° de l’article précité, en tenant compte de la situation concurrentielle des marchés, en particulier pour l’examen des tarifs des envois en nombre, et veille dans ce cadre à assurer la pérennité du service universel tout en veillant à l’exercice d’une concurrence loyale.
60.C’est donc à juste titre que l’Autorité, ayant retenu qu’il appartenait au législateur de définir le champ du service universel postal et au régulateur de s’assurer que les offres de La Poste sont conformes aux exigences du service universel postal, en a déduit qu’elle n’était pas compétente pour remettre en cause le contenu du catalogue des offres de La Poste relevant du service universel postal.
61.En revanche, il relevait de sa compétence de veiller à ce que La Poste n’applique pas l’exonération de TVA à des prestations ne relevant pas du service universel postal tel que défini par le législateur, comme celles négociées individuellement avec certains de ses clients.
II. SUR LA MÉCONNAISSANCE PAR L’AUTORITÉ DE LA PORTÉE DE L’ARRÊT TNT POST
62.Adrexo fait valoir, en premier lieu, que l’Autorité a commis une erreur de droit en refusant de constater l’incompatibilité en l’état du régime français d’exonération de TVA avec le droit de l’Union en ce qu’il n’exclut pas expressément de son champ d’application les offres destinées à répondre aux besoins particuliers d’opérateurs économiques, et invoque les lignes directrices adoptées par le Comité TVA de l’Union européenne du 11 décembre 2009. Elle considère que cette erreur a corrompu l’intégralité de sa décision, puisqu’en l’état de cette incompatibilité, l’Autorité aurait dû laisser les dispositions de l’article 261, 4, 11° du CGI inappliquées comme elle le lui avait demandé dans sa saisine.
63.Elle expose, en second lieu, que l’Autorité s’est exclusivement focalisée sur le point de savoir si les offres examinées étaient négociées de gré-à-gré entre La Poste et ses clients, y voyant là l’unique critère départiteur du secteur exonéré de TVA et du secteur taxable, alors même qu’elle aurait dû rechercher, par application de la jurisprudence de la CJUE issue de l’arrêt TNT Post, si, par leur degré de raffinement, ces offres ne répondaient pas à des besoins spécifiques d’opérateurs économiques. Si la Cour devait avoir un doute sur la portée de la jurisprudence précitée, Adrexo l’invite à saisir la CJUE d’une nouvelle question préjudicielle.
64.Elle soutient, en troisième lieu, que l’Autorité a adopté une interprétation erronée de la notion de « conditions individuellement négociées » résultant de la jurisprudence de la CJUE comme ne recouvrant que les contrats négociés de gré-à-gré, et que ce faisant, l’Autorité a élargi indûment le champ de l’exonération de TVA, en violation de l’arrêt de la CJUE, qui n’a jamais posé pareille exigence. Elle invoque les législations adoptées par certains États membres ainsi que la décision de l’Autorité italienne de concurrence du 23 mars 2013 ayant sanctionné l’opérateur de service universel postal pour avoir abusé de sa position dominante en exonérant de TVA des prestations de service qui ne s’adressaient pas à l’universalité des clients mais à des catégories étroites et qui étaient adaptées aux besoins propres de ces clients.
65.L’Autorité répond qu’il résulte de l’arrêt TNT Post, d’une part, que l’exonération de TVA prévue à la directive TVA doit être interprétée strictement mais de manière conforme aux objectifs poursuivis et que dans le domaine postal, l’objectif est celui spécifique d’offrir, à un coût réduit, des services postaux qui répondent aux besoins essentiels de la population, et que, dans l’état actuel du droit de l’Union, un tel objectif coïncide, en substance, avec celui poursuivi par la directive 97/67 d’offrir un service postal universel. D’autre part, la CJUE a précisé que les prestations qui bénéficient de l’exonération de TVA doivent être comprises comme « étant celles que les services publics postaux effectuent en tant que tels, à savoir au titre de leur qualité même de services publics postaux », c’est-à-dire les prestations relevant du service universel postal. Or, le bénéfice de l’exonération de TVA prévue au 11° du 4 de l’article 261 du code général des impôts est réservé aux seules prestations « qui relèvent du service universel postal tel que défini par l’article L. 1 » et c’est donc à bon droit qu’elle a conclu que les éléments apportés par Adrexo ne rendaient pas suffisamment vraisemblable l’infraction qu’elle invoque.
66.Elle souligne que les contrats types, dénoncés par Adrexo, ne relèvent pas des contrats dont les conditions ont fait l’objet de négociations individuelles, puisque par définition, ces conditions n’ont pas été définies en référence à leurs besoins individuels mais concernent toute une catégorie d’utilisateurs du service postal. Ces conditions répondent certes aux besoins particuliers des clients de l’opérateur du service universel postal, les clients en question ayant choisi ces contrats parmi les différentes offres qui leur étaient proposées. Pour autant, ces conditions n’ont pas nécessairement été définies pour répondre aux besoins individuels de certains opérateurs économiques de manière à se dissocier du service d’intérêt général.
67.Elle ajoute qu’Adrexo ne fait qu’alléguer que, « par nature », une diversification de l’offre répondait aux besoins particuliers de clients au motif que les offres litigieuses ne bénéficiaient qu’à un nombre « très restreint d’opérateurs ». Or, de tels éléments sont très insuffisants pour caractériser une prétendue négociation individualisée pour répondre aux besoins particuliers de certains clients individuels. L’hypothèse posée par Adrexo apparaît donc, au mieux, hypothétique. Elle considère que c’est donc à bon droit qu’elle a relevé, au paragraphe 71 de la décision que les contrats-types offerts par La Poste offraient des grilles tarifaires ou de rabais « identiques pour l’ensemble des clients » de chaque contrat et, au paragraphe 72 de la décision, que des négociations individuelles pouvaient exister avec La Poste, mais que cette dernière appliquait alors la TVA aux prestations en question. Elle en déduit qu’il n’apparaît pas nécessaire de saisir la CJUE d’une question préjudicielle.
Sur ce, la Cour,
68.Sur la compatibilité de l’article 261 du CGI au droit de l’Union, ainsi qu’il a déjà été exposé, l’article 132, 1) a) de la directive TVA prévoit une exonération de TVA au profit d’activités d’intérêt général au rang desquelles figurent « les prestations de services et les livraisons de biens accessoires à ces prestations, à l’exception des transports de personnes et des télécommunications, effectuées par les services publics postaux », le terme « services publics postaux » renvoyant au prestataire de services postaux qui assure le service universel comme l’a précisé la CJUE dans l’arrêt TNT Post. Par cet arrêt, la CJUE a également jugé que l’exonération de TVA s’applique aux prestations que les services publics postaux effectuent en tant que tels, à savoir au titre de leur qualité même de services publics postaux, et précisé qu’elle ne s’applique pas à des prestations dont les conditions ont été négociées individuellement.
69.Quant à l’article 261 du CGI, ce dernier dispose que « Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée (‘) les prestations de services et les livraisons de biens accessoires à ces prestations, à l’exception des transports de personnes et télécommunications, qui relèvent du service universel postal tel que défini par l’article L. 1 du code des postes et communications électroniques, effectuées par le prestataire en France du service universel postal tel que désigné à l’article L. 2 du même code. »
70.Ainsi, cette disposition de droit interne exonère de TVA des prestations de services dès lors qu’elles relèvent du service universel postal et qu’elles ont été effectuées par le prestataire de ce service. Elle est donc conforme à l’article 132, 1), tel qu’interprété par la CJUE dans l’arrêt TNT Post.
71.La circonstance que l’article 261 du CGI omette de préciser que l’exonération ne s’applique pas à des prestations de services dont les conditions ont été négociées individuellement pour répondre à des besoins particuliers, n’a pas pour effet de le rendre incompatible avec le principe d’exonération posé par la directive, puisque de telles prestations ne relèvent pas, par nature, du service universel, ce que rappelle l’ARCEP dans ces avis de 2010 et 2011 précités.
72.Les références aux modifications apportées par d’autres États membres à leur législation nationale pour exclure expressément de l’exonération de TVA les services postaux dont les conditions ont été négociées individuellement sont dès lors inopérantes. C’est également en vain qu’Adrexo invoque les législations du Royaume Uni et des Pays-Bas puisque ces États ont choisi d’exclure du service universel postal les prestations d’envois en nombre aux entreprises. Quant à la législation allemande, Adrexo se borne à en reproduire un extrait dont il résulte que sont exclus du champ de l’exonération des TVA les services fournis par le prestataire du service universel postal « sur la base de conditions générales de vente, à des conditions de qualité divergentes ou à des prix plus favorables que les tarifs généralement accessibles au public ou que les tarifs approuvés conformément à l’article 19 de la loi postale du 22 décembre 1997 (‘) », soit des services qui apparaissent différents de ceux en cause, sans produire aucun élément sur le périmètre du service universel postal permettant d’en apprécier la portée.
73.Enfin, les contrats conclus en application de l’article L.2-1 du CPCE ne résultent pas de négociations individuelles, visant à répondre à des besoins spécifiques de certains clients, mais sont des contrats types destinés à des catégories d’utilisateurs, portant sur des prestations relevant du service universel et dont les tarifs spéciaux doivent répondre aux exigences de transparence et de non-discrimination.
74.Aussi, c’est à juste titre que l’Autorité a considéré que l’article 261 du CGI était compatible avec le droit de l’Union.
75.Sur la mise en ‘uvre de la jurisprudence issue de l’arrêt TNT Post, comme déjà exposé, cet arrêt n’invite pas à faire la distinction, parmi les prestations réalisées par le prestataire de service universel, en tant que tel, entre celles qui répondent à un besoin d’intérêt général et celles qui répondent à un besoin particulier. En revanche, cet arrêt pose la distinction entre les services postaux dont les conditions n’ont pas été négociés individuellement et ceux dont les conditions l’ont été pour répondre à des besoins spécifiques de certains utilisateurs, ces services négociés individuellement étant ceux qui, par nature, sont dissociables de l’intérêt général et partant, ne peuvent bénéficier de l’exonération de TVA. Les lignes directrices adoptées par le Comité de la TVA de l’Union européenne ne sont pas de nature à remettre en cause cette grille d’analyse. En effet, outre la qualité de simple organe consultatif de ce comité, ses lignes directrices telles qu’invoquées par Adrexo font ressortir l’absence de consensus sur la notion de prestations répondant à des services spécifiques qui doivent être exclues du champ de l’exonération de TVA, mais admettent expressément que relèvent de cette notion celles ayant fait l’objet de négociations individuelles.
76.À cet égard, c’est en vain qu’Adrexo invoque la décision de l’Autorité italienne de la concurrence, dès lors que cette dernière a sanctionné l’opérateur historique pour avoir appliqué des exonérations de TVA à des prestations dont les conditions avaient été négociées individuellement avec les clients concernés, comme il résulte des motifs figurant aux paragraphes 197 à 203 de sa décision dans sa version française produite en pièce n° 12 par Adrexo. Ainsi, répondant à l’opérateur historique qui soutenait que les contrats en cause n’étaient pas négociés individuellement au sens de la réglementation européenne, mais qu’ils relevaient de tarifs spéciaux autorisés par la loi nationale italienne, l’Autorité italienne a considéré que cette exception n’était pas fondée dans la mesure où, d’une part, tous les contrats en cause apparaissaient avoir été négociés individuellement avec les cocontractants (des ébauches de contrat avant la version définitive, ainsi que des études analysant les caractéristiques spécifiques du client et construisant l’offre précisément à partir de ses exigences ayant été saisies) et, d’autre part, ces contrats ne respectaient pas les principes de transparence et de non-discrimination attachés aux tarifs spéciaux, au motif notamment que les offres en cause n’avaient jamais été publiées et qu’une demande de protection du secret des affaires avait été faite par l’opérateur historique pour éviter que la concurrence en ait connaissance.
77.C’est donc à juste titre que l’Autorité a recherché si les éléments produits à l’appui de la saisine permettaient de constater que La Poste appliquait une exonération de TVA à des prestations ayant fait l’objet de négociations individuelles, c’est-à-dire de négociations de gré à gré en vue de couvrir les besoins spécifiques d’utilisateurs particuliers.
78.Or, ainsi que le souligne l’Autorité dans ses observations, les contrats types dénoncés par Adrexo dans sa saisine ne relèvent pas des contrats dont les conditions ont fait l’objet de négociations individuelles, puisque par hypothèse, ces conditions n’ont pas été définies en référence au besoin propre d’un client mais concernent toute une catégorie d’utilisateurs du service postal. La circonstance que les offres s’adressent à différentes catégories d’utilisateurs ne saurait induire que les besoins auxquels elles répondent sont exclusifs de l’intérêt général inhérent au service universel. En outre, les contrats-types offerts par La Poste proposent des grilles tarifaires ou de rabais identiques pour l’ensemble des clients de chaque contrat.
79.De la même manière, la diversité des offres du catalogue du service universel postal, invoquée par Adrexo au soutien de sa saisine, ne peut suffire à caractériser une négociation individualisée de prestations offertes à certains clients individuels.
80.Par ailleurs, l’Autorité a constaté, qu’en l’état des éléments recueillis au cours de l’instruction, les services de courriers adressés proposés par La Poste ne font l’objet de négociations que dans le cadre d’appels d’offres et que dans cette hypothèse, certaines prestations relevant initialement du service universel peuvent faire l’objet de négociations de gré à gré portant notamment sur la qualité du service, la distribution dédiée, le niveau de responsabilité, les pénalités de retard, les modalités de paiement, prestations auxquelles La Poste applique la TVA. Ces constats ne sont pas contestés par Adrexo.
81.Le moyen est rejeté.
III. SUR LE CARACTÈRE SUFFISAMMENT PROBANT DES ÉLÉMENTS INVOQUÉS AU SOUTIEN D’UNE PRATIQUE D’ABUS DE POSITION DOMINANTE
82.Adrexo soutient, en premier lieu que l’Autorité aurait dû constater la violation par la Poste de sa responsabilité particulière d’opérateur en position dominante, de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence non faussée, en ce qu’elle aurait dû laisser inappliquée l’exonération de TVA prévue à l’article 261 du CGI, qui constitue un avantage tarifaire, aux offres qui répondent à des besoins particuliers d’opérateurs économiques qu’elle propose en concurrence avec celles d’opérateurs alternatifs.
83.Elle fait valoir en second lieu, que l’Autorité disposait de tous les éléments probants pour constater la similarité voire l’identité de contenu des offres de La Poste entre les services d’envois en nombre relevant du service universel postal et ses autres services d’envois en nombre ouverts à la concurrence, et que La Poste entretient une confusion entre ces offres, confusion illustrée par les réponses fournies par certains des principaux clients de La Poste aux services d’instruction. Elle soutient que la Poste fait varier l’application de la TVA sur ses offres, non pas en fonction de la teneur des prestations rendues et de ce qu’elles relèvent ou non du service universel postal, mais des considérations économiques qui lui sont propres et qu’un tel comportement « opportuniste » et « optimisant » caractérise un abus de position dominante.
84.L’Autorité considère que les arguments avancés par Adrexo modifient les termes de la saisine initiale, et ne sont donc pas de nature à remettre en cause la décision attaquée. Elle souligne qu’en tout état de cause, ces nouveaux arguments ne sont pas étayés, en particulier l’allégation selon laquelle l’exonération de TVA constitue un avantage tarifaire au profit de La Poste sans analyse des obligations auxquelles elle est soumise, et celle tenant aux effets prétendument négatifs du comportement dénoncé.
Sur ce, la Cour,
85.En premier lieu, ainsi qu’il a été exposé, c’est à juste titre que l’Autorité a considéré que l’article 261 du CGI était compatible avec le droit de l’Union et retenu que l’exonération prévue à cet article s’appliquait aux prestations relevant du service universel et accomplies par La Poste en sa qualité de prestataire de service universel et non aux prestations dont les conditions ont été négociées individuellement. La seule circonstance que les offres du catalogue de la Poste destinées aux entreprises pour leurs envois en nombre puissent satisfaire leurs besoins ne permet pas de considérer qu’elles sortent du champ d’application de l’exonération de TVA, s’agissant de prestations que le droit interne, conformément aux dispositions de la directive services postaux, a incluses dans le périmètre du service universel postal, et qui sont proposées par le prestataire de ce service en tant que tel.
86.Il s’en déduit que la première branche du moyen, qui consiste à soutenir que La Poste, en raison de sa responsabilité particulière attachée à sa position dominante, aurait dû laisser inappliquée l’exonération de TVA à ses offres relevant du service universel mais répondant à des besoins spécifiques d’opérateurs économiques, repose sur un postulat erroné.
87.En second lieu, il convient de rappeler que, tant dans sa saisine qu’au cours de la procédure d’instruction, Adrexo n’avait pas reproché à La Poste d’entretenir une confusion entre les services d’envois en nombre au titre du service universel postal et ceux qui n’en relevaient pas, mais avait dénoncé des pratiques consistant en l’application de l’exonération de TVA à des prestations qui, selon elle, ne relevaient pas du champ de cette exonération. Adrexo ne peut donc, à l’occasion de son recours, reprocher à l’Autorité de ne pas s’être prononcée sur des pratiques qu’elle n’avait pas dénoncées.
88.Le moyen est rejeté.
89.Succombant en ses prétentions, Adrexo ne peut prétendre à l’octroi d’une indemnité au titre de ses frais irrépétibles. Sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile est rejetée.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement,
REJETTE le recours ;
REJETTE la demande de la société Milee ayant pour nom commercial Adrexo fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société Milee ayant pour nom commercial Adrexo aux dépens.
LE GREFFIER,
Véronique COUVET
LE PRÉSIDENT,
Gildas BARBIER