Your cart is currently empty!
Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 3
ARRÊT DU 18 MAI 2022
(n° , 16 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/13878 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCNG4
Sur renvoi après un arrêt de la Cour de Cassation prononcé le 08 Juillet 2020 emportant cassation partielle d’un arrêt rendu par la Cour d’appel de PARIS (Pôle 1 – Chambre 8) le 25 octobre 2019, sur appel d’un jugement rendu le 26 décembre 2018 par le Tribunal de commerce de LYON sous le numéro RG : 2018R01240
APPELANTE
S.A.S.U. EIFFAGE INFRASTRUCTURES prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège social
[Adresse 4]
[Localité 7]
(Registre du Commerce et des Sociétés de VERSAILLES sous le numéro 542 094 792)
Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
Ayant pour avocat plaidant Me Xavier LACAZE de la SELAS DS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : T07
INTIMEE
S.A.S. RENAULT TRUCKS prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège social
[Adresse 10]
[Localité 5]
(Registre du Commerce et des Sociétés de LYON sous le numéro 954 506 077)
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Ayant pour avocats plaidants Me Jérôme PHILIPPE du LLP FRESHFIELDS BRUCKHAUS DERINGER LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J007 et Me Dimitri LECAT du LLP FRESHFIELDS BRUCKHAUS DERINGER LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J007
INTERVENANTES VOLONTAIRES
Société DAIMLER AG de droit allemand prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège social
Mercedesstrass 120
[Localité 6]
Société DAIMLER TRUCK AG de droit allemand prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège social
Mercedesstrass 120
[Localité 6]
Représentées par Me François TEYTAUD de AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125
Ayant pour avocat plaidant Me Didier THEOPHILE de AARPI DARROIS VILLEY MAILLOT BROCHIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R170, substitué par Me Julie PASTERNAK
TRATON SE (anciennement Volkswagen Truck & Bus SE), venant aux droits de MAN SE, société européenne prise en la personne de son représentant légal ayant son siège social
[Adresse 11]
[Localité 8]
MAN TRUCK & BUS SE, société européenne prise en la personne de son représentant légal ayant son siège social
[Adresse 11]
[Localité 8]
MAN TRUCK & BUS DEUTSCHLAND GMBH, société de droit allemand prise en la personne de son représentant légal ayant son siège social
[Adresse 14]
[Localité 8]
Représentées par Me Luca DE MARIA de PMG AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : L18
Ayant pour avocats plaidants Me Barbara LEVY de l’EURL Barbara LEVY et l’EURL Philippe GUIBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : R45 et Me Philippe GUIBERT de l’EURL Barbara LEVY et l’EURL Philippe GUIBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : R45
SCANIA AB, société de droit suédois prise en la personne de son représentant légal ayant son siège social
[Adresse 2]
SUEDE
SCANIA CV AB, société de droit suédois prise en la personne de son représentant légal ayant son siège social
[Adresse 2]
SUEDE
Représentées par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151
Ayant pour avocat plaidant Me Florence NINANE de ALLEN & OVERY LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J22
CNH INDUSTRIAL N.V., société de droit néerlandais prise en la personne de son représentant légal ayant son siège social sis AMSTERDAM (PAYS-BAS) et son lieu effectif de direction
[Adresse 3]
[Localité 12]
STELLANTIS N.V. (anciennement dénommée FIAT CHRYSLER AUTOMOBILES N.V.), société de droit néerlandais prise en la personne de son représentant légal ayant son siège social
Singaporestraat 92
1175RA LIJNDEN (PAYS-BAS)
IVECO S.P.A., société de droit italien prise en la personne de son représentant légal ayant son siège social
Via Puglia 35
[Localité 1]
IVECO MAGIRUS AG, société de droit allemand prise en la personne de son représentant légal ayant son siège social
[Adresse 13]
[Localité 9]
Représentées par Me Audrey HINOUX de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : D0049
Ayant pour avocats plaidants Me Antoine CHOFFEL du Cabinet GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocat au barreau de PARIS, toque : T03 et Me Laura CASTEX du Cabinet GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocat au barreau de PARIS, toque : T03
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 07 Mars 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre
Jean-Christophe CHAZALETTE, Président de chambre
Edmée BONGRAND, Conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Mme Edmée BONGRAND, Conseillère, dans les conditions prévues par l’article 785 du code de procédure civile,
Greffier, lors des débats : Meggy RIBEIRO
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par M. Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre, et par Mme Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
*****
Par décision du 19 juillet 2016 (affaire AT.39824), la Commission européenne a relevé l’existence d’une entente entre plusieurs constructeurs de camions, entre le 17 janvier 1997 et le 18 janvier 2011, portant sur la fixation des prix et des augmentations de prix bruts dans l’Espace économique européen (EEE) pour les utilitaires moyens et les poids lourds, ainsi que sur le calendrier et la répercussion des coûts liés à l’introduction des technologies de réduction des émissions prévues par les normes EURO 3 à 6. La Commission européenne a décidé que cette entente contrevenait à l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et à l’article 53 de l’accord EEE et a prononcé des amendes à l’encontre des constructeurs suivants :
1) MAN SE ; MAN Truck & Bus AG ; MAN Truck & Bus Deutschland GmbH ;
2) AB Volvo ; Volvo Lastvagnar AB ; Volvo Group Trucks Central Europe GmbH ; Renault Trucks SAS ;
3) Daimler AG ;
4) Fiat Chrysler Automobiles NV ; CNH Industrial NV ; Iveco S.p.A ; Iveco Magirus AG ;
5) PACCAR Inc. ; DAF Trucks NV ; DAF Trucks Deutschland GmbH.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 13 juin 2018, la société Eiffage infrastructures a informé la société Renault Trucks qu’elle avait pris connaissance de la décision de la Commission européenne du 19 juillet 2016. Elle a indiqué qu’elle se considérait comme une victime du cartel puisqu’elle faisait partie de ses principaux clients, lui ayant acheté 839 camions entre 1997 et 2010 pour un montant cumulé de 56 495 362 euros. La société Eiffage infrastructures a mis en demeure la société Renault Trucks de lui communiquer :
la communication de griefs qui lui a été notifiée par la Commission européenne, expurgée, me cas échéant, des exposés écrits ou des transcriptions de déclarations orales présentées volontairement à la Commission et qui contribuent à établir la réalité d’une pratique anticoncurrentielle en vue de bénéficier d’une exonération totale ou partielle de sanctions en application d’une procédure de clémence, ou traduisant sa volonté de renoncer à contester la réalité des griefs qui lui sont notifiés et la responsabilité qui en découle ;
la liste des pièces qui lui a été communiquées par la Commission européenne au soutien de sa communication de griefs ;
les pièces qu’elle a communiquées à la Commission européenne dans le cadre de la procédure de clémence et qui existaient indépendamment de cette procédure engagée devant la Commission ;
les pièces visées dans la décision de la Commission européenne du 19 juillet 2016 et figurant aux numéros de bas de page suivants : 10, 11, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42,43, 44 et 45.
Par acte d’huissier du 31 octobre 2018, la société Eiffage infrastructures a fait assigner la société Renault Trucks devant le juge des référés du tribunal de commerce de Lyon afin qu’il lui soit ordonné de communiquer les pièces litigieuses dans un délai de trois jours ouvrés.
Par ordonnance du 26 décembre 2018, le juge des référés du tribunal de commerce de Lyon a :
– dit que la société Renault Trucks soulève des moyens de défense qui constituent une contestation sérieuse au sens de l’article 873, alinéa 2 du code de procédure civile ;
En conséquence,
– dit que les demandes formulées par la société Eiffage infrastructures excèdent les pouvoirs du juge des référés et l’a renvoyée à mieux se pourvoir devant les juges du fond si elle l’estime nécessaire ;
– condamné la société Eiffage infrastructures à verser la somme de 10 000 euros à la société Renault Trucks en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société Eiffage infrastructures aux dépens de l’instance.
Par déclaration du 8 mars 2019, la société Eiffage infrastructures a interjeté appel de cette décision.
Par arrêt du 25 octobre 2019, cette cour a :
– rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société Renault Trucks relative aux demandes de productions additionnelles de documents formulées le 26 novembre 2018 relatives aux listes de prix bruts de Renault Trucks pratiqués en France entre janvier 1997 et 2013 ainsi qu’aux coûts et marges réalisés en France par Renault Trucks entre 1997 et 2013 ;
– infirmé l’ordonnance entreprise ;
Statuant à nouveau,
– ordonné la communication par la société Renault Trucks à la société Eiffage infrastructures, dans un délai d’un mois à compter de la signification de la présente décision, sous astreinte provisoire de 1 000 euros par jour de retard passé ce délai et pendant une durée de trois mois à l’expiration desquels il pourra de nouveau être statué, des pièces suivantes :
* les griefs que la Commission européenne a adressés à la société Renault Trucks ;
* la liste des pièces venant au soutien de la communication de griefs de la Commission européenne ;
* les versions confidentielles des pièces visées dans la décision de la Commission européenne du 19 juillet 2016, aux numéros de bas de page suivants : 10, 11, 18, 19, 20, 21, 22, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44 et 45 ;
– rejeté les demandes formulées par la société Eiffage infrastructures concernant :
* les listes de prix bruts de Renault Trucks pratiqués en France entre janvier 1997 et 2013 ;
* les coûts et les marges réalisés en France par Renault Trucks entre 1997 et 2013 ;
* les pièces communiquées par Renault Trucks à la Commission européenne dans le cadre de la procédure de clémence et qui sont relatives aux prix bruts des camions, aux augmentations de prix bruts, aux remises définies entre les participants des cartels, aux coûts liés aux normes d’émission Euro 3, 4 et 5 qui ont été répercutés sur les clients et plus généralement tout élément relatif à la politique de prix pratiquée en France ;
* les versions confidentielles des pièces visées dans la décision de la Commission européenne du 19 juillet 2016, aux numéros de bas de page 17 et 23 ;
– condamné la société Renault Trucks aux dépens de première instance et d’appel ;
– condamné la société Renault Trucks à verser à la société Eiffage infrastructures la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par arrêt du 8 juillet 2020, la Cour de cassation a déclaré recevables les interventions volontaires accessoires des sociétés CNH Industrial NV, Fiat Chrysler Automobiles NV, Iveco SpA et Iveco Magirus AG, des sociétés Man SE, Man Truck et Bus AG ainsi que Man Truck et Bus Deutschland GmbH, des sociétés Daimler AG et Daimler Truck AG. Elle a cassé et annulé l’arrêt rendu le 25 octobre 2019 par cette cour, mais seulement en ce qu’il a ordonné la communication, par la société Renault Trucks à la société Eiffage infrastructures, de la communication des griefs adressée par la Commission européenne, de la liste des pièces venant au soutien de cette communication des griefs et de la version non confidentielle des pièces mentionnées aux notes de bas de page 10 et 11, 18 à 22, et 24 à 45 de la décision et en ce qu’il a statué sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile. L’affaire et les parties ont été renvoyée devant cette cour, autrement composée.
La Cour de cassation a reproché à l’arrêt du 15 octobre 2021 d’avoir ordonné la communication des pièces litigieuses en se déterminant par la seule référence à l’utilité des pièces et à leur caractère confidentiel à l’égard de la seule société Renault Trucks, sans rechercher, ainsi qu’il lui incombait, si leur communication était proportionnée au regard, d’une part, de la protection du caractère confidentiel des éléments de preuve retenus concernant les tiers à la procédure envisagée par la société Eiffage infrastructures, d’autre part, de la préservation de l’efficacité du droit de la concurrence mis en ‘uvre dans la sphère publique.
Cette cour a été saisie par déclaration au greffe de la société Eiffage infrastructures du 29 septembre 2020.
Le 16 février 2021, les sociétés Daimler AG et Daimler Truck AG ont déposé des conclusions d’intervention volontaire devant la cour. Les sociétés CNH Industrial NV, Stellantis NV (anciennement Fiat Chrysler Automobiles NV), Iveco SpA et Iveco Magirus AG ; les sociétés Scania AB et Scania CV AB ; les sociétés Traton SE, venant aux droits de MAN SE, MAN Truck & Bus SE, MAN Truck & Bus Deutschland GmbH sont également intervenues volontairement devant la cour les 17 et 18 février 2021.
Par arrêt du 15 octobre 2021 sur déféré de l’ordonnance du 12 mai 2021ayant statué sur la caducité de la déclaration de saisine de la cour d’appel de renvoi, cette cour a :
– ordonné la jonction des instances enregistrées sous les numéros RG 21/10638 et 21/10523 ;
– rejeté la demande de la société Eiffage infrastructures tendant au rejet de débats des conclusions des sociétés Renault Trucks, Scania AB et Scania CV AB, Traton SE, venant aux droits de MAN SE, MAN Truck & Bus SE, MAN Truck & Bus Deutschland GmbH, CNH Industrial NV, Stellantis, Iveco SpA et Iveco Magirus AG ;
– dit que la requête en déféré est fondée ;
– constaté l’absence de caducité de la déclaration de saisine et la poursuite de l’instance devant la présente cour de renvoi ;
– laissé les dépens de l’incident devant le magistrat désigné par le premier président et du déféré à la charge des sociétés Daimler AG et Daimler Truck AG ;
– condamné les sociétés Daimler AG et Daimler Truck AG à payer à la société Eiffage infrastructures la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et rejeté les autres demandes formées par les parties en application de ces dispositions, en ce compris celles formées devant le magistrat désigné par le premier président.
La société Eiffage infrastructures, aux termes de ses dernières conclusions en date du 10 mai 2021 auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé des moyens développés, demande à la cour de :
– déclarer recevable son appel à l’encontre de l’ordonnance de référé rendue par le tribunal de commerce de Lyon le 26 décembre 2018, en ce qu’il tend à la réformation ou à l’annulation de la décision qualifiée de rendue en dernier ressort ;
– infirmer dans son intégralité l’ordonnance de référé rendue par le tribunal de commerce de Lyon le 26 décembre 2018 ;
Statuant à nouveau :
À titre principal,
– débouter la société Renault Trucks et les autres membres du cartel de l’ensemble de leur demandes ;
– ordonner à la société Renault Trucks de communiquer, dans un délai de dix jours ouvrés à compter du prononcé de l’arrêt, et passé ce délai sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, les pièces suivantes :
* la communication de griefs que la Commission européenne lui a adressée ;
* la liste des pièces venant au soutien de la communication de griefs et figurant dans le dossier de la Commission européenne ;
* les informations préexistantes contenues dans la décision de la Commission européenne du 19 juillet 2016, aux numéros de bas de page suivants 18, 19, 25, 26, 33 et 41 qui ne contiennent aucune déclaration de clémence ;
* les informations préexistantes contenues dans les notes de bas de page 10, 11,17, 20, 21, 22, 23, 24, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 42, 43, 44 et 45 expurgées des déclarations de clémence si elles existent ;
– se réserver le pouvoir de liquider l’astreinte au sens de l’article L 131-3 du code des procédures civiles d’exécution ;
À titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la Cour estimerait que certaines des pièces réclamées relèveraient de l’interdiction prévue à l’article L. 483-5 du code de commerce :
– examiner les documents litigieux afin d’exclure les parties relevant de l’interdiction prévue à l’article L. 483-5 du code de commerce ;
– en conséquence, ordonner à la société Renault Trucks de communiquer, dans un délai de dix jours ouvrés à compter du prononcé de sa décision, et passé ce délai sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, les parties de la pièce ne tombant pas sous le coup de l’interdiction prévue à l’article L. 483-5 du code commerce ;
En tout état de cause,
– condamner la société Renault Trucks à lui payer la somme de 60.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société Renault Trucks aux entiers dépens.
La société Renault Trucks, aux termes de ses dernières conclusions en date du 19 mai 2021 auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé des moyens développés, demande à la cour de :
À titre liminaire,
– déclarer les demandes d’Eiffage infrastructures visant à obtenir la production forcée des versions confidentielles des pièces visées dans la décision de la Commission européenne du 19 juillet 2016 aux notes de bas de page 17 et 23 irrecevables au regard de l’autorité de chose jugée attachée à l’arrêt du 25 octobre 2019 ;
À titre principal,
– confirmer l’ordonnance de référé du 26 décembre 2018 en ce qu’elle a débouté la société Eiffage infrastructures de l’ensemble de ses demandes ;
– débouter la société Eiffage infrastructures de l’ensemble de ses demandes ;
– en tout état de cause, si la cour ne s’estimait pas suffisamment informée pour prendre pareille décision en l’état, solliciter au préalable l’avis de la Commission européenne ;
À titre subsidiaire,
– prendre acte de ce qu’elle ne détient pas les déclarations effectuées par Daimler, Iveco et MAN en vue d’obtenir la clémence qui ne pourront donc être communiquées ni à la Cour ni à Eiffage infrastructures ;
– ordonner le cas échéant le placement sous séquestre provisoire des documents litigieux ;
– examiner les documents litigieux afin d’exclure, par tout moyens appropriés, tous les éléments protégés au titre de l’article L. 483-5 du code de commerce ;
– examiner les documents litigieux afin d’exclure, par tout moyens appropriés, tous les éléments protégés du secret des affaires ;
A cette fin, fixer un calendrier afin qu’elle lui communique :
les documents dont la production est interdite par l’article L. 483-5 du code de commerce dans la version dont elle dispose, et ses observations ;
les documents contenant des secrets d’affaires, conformément à l’article R. 153-3 du code de commerce : la version intégrale de la pièce, dans la version dont elle dispose (à l’exclusion de ses déclarations en vue d’obtenir la clémence et protégée au titre de l’article L. 483-5 du code de commerce) ; une version non-confidentielle ; un résumé permettant de comprendre la nature de l’information ; un mémoire précisant, pour chaque information ou partie du document en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d’un secret des affaires, notamment au regard du risque engendré par la divulgation ou l’utilisation de l’information ;
– juger que seule la cour pourra prendre connaissance de ces documents en sa présence pour les seuls besoins de l’examen prévu par les articles L. 483-6 et R. 153-3 du code de commerce ;
– entendre les autres constructeurs pour vérifier que les pièces litigieuses bénéficient bien de la protection du programme de clémence ou du secret des affaires conformément aux articles 199 et suivants du code de procédure civile, L. 483-6 du code de commerce et R. 153-3 du code de commerce ;
– fixer une audience qui se tiendra à huis clos et hors la présence de la société Eiffage infrastructures au cours de laquelle elle pourra présenter ses observations orales à la cour ;
– à l’issue de cet examen, lui restituer les documents examinés par la cour ;
En tout état de cause,
– condamner la société Eiffage infrastructures à lui payer 60.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société Eiffage infrastructures aux entiers dépens de première instance et d’appel, ces derniers au profit de la société Lexavoué Paris-Versailles par application de l’article 699 du code de procédure civile.
Les sociétés Scania AB et Scania CV AB, aux termes de leurs dernières conclusions en date du 17 février 2021 auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé des moyens développés, demandent à la cour de :
– les déclarer recevables et bien fondées en leur intervention volontaire ;
À titre principal,
– déclarer irrecevables les demandes de la société Eiffage infrastructures visant à obtenir la production forcée des versions confidentielles des pièces visées dans la décision de la Commission européenne du 19 juillet 2016 aux numéros de bas de page 17 et 23 au regard de l’autorité de chose jugée attachée à l’arrêt du 25 octobre 2019 ;
– confirmer l’ordonnance de référé du 26 décembre 2018 ;
– en conséquence, débouter la société Eiffage infrastructures de l’ensemble de ses demandes ;
À titre subsidiaire,
– examiner préalablement les documents dont la communication est sollicitée par la société Eiffage infrastructures, selon les modalités prévues aux articles L. 153-1 et suivants et R. 153-1 et suivants du code de commerce ;
– dire que les pièces couvertes par le secret des affaires de Scania non utiles à la solution du litige opposant la société Eiffage infrastructures à la société Renault Trucks, ne peuvent être communiquées ;
– ordonner le cas échéant les mesures de protection appropriées concernant des pièces dont la communication serait ordonnée dans les termes prévus aux articles R. 153-6 et R. 153-7 du code de commerce ;
En tout état de cause,
– condamner la société Eiffage infrastructures à leur payer la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société Eiffage infrastructures aux entiers dépens.
Les sociétés Daimler AG et Daimler Truck AG, aux termes de leurs dernières conclusions en date du 15 avril 2021 auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé des moyens développés, demandent à la cour de :
– les recevoir en leur intervention volontaire ;
À titre liminaire,
– déclarer irrecevable la demande de la société Eiffage infrastuctures portant sur la communication des informations préexistantes contenues dans les notes de bas de page 17 et 23 expurgées des déclarations de clémence si elles existent ;
À titre principal,
– confirmer l’ordonnance de référé du 26 décembre 2018 ;
– débouter la société Eiffage infrastuctures de toutes ses demandes ;
À titre subsidiaire,
– prendre acte de ce que la société Renault Trucks ne détient pas les déclarations orales effectuées par la société Daimler AG en vue d’obtenir la clémence, qui ne seront donc pas communiquées à la cour ni à la société Eiffage infrastuctures ;
– confirmer l’ordonnance de référé du 26 décembre 2018 et débouter la société Eiffage infrastuctures de toutes ses demandes ou réformer ladite ordonnance, après avoir examiné, si elle le juge nécessaire, les documents litigieux et au vu des nouvelles écritures qui lui seront remises par elles ; à cette fin, fixer un calendrier dans lequel la société Daimler Truck AG lui communiquera :
* les documents dont la communication est interdite par l’article L. 483-5 du code de commerce, dans la version dont Daimler dispose (à l’exclusion des déclarations orales en vue d’obtenir la clémence), et ses observations ;
* pour tous les documents litigieux, contenant des secrets d’affaires, conformément à l’article R. 153-3 du code de commerce : la version intégrale de la pièce litigieuse, dans la version dont Daimler dispose (à l’exclusion de ses déclarations orales en vue d’obtenir la clémence) ; une version non confidentielle : les données considérées confidentielles seront noircies ; un résumé permettant de comprendre la nature de l’information ; un mémoire précisant, pour chaque information ou partie du document en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d’un secret des affaires, notamment au regard du risque engendré par la divulgation ou l’utilisation de l’information ;
– juger que seule la cour, à l’exclusion de toute autre partie, pourra prendre connaissance de ces documents en leur seule présence, pour les seuls besoins de l’examen prévu par les articles L. 483-6 et R. 153-3 du code de commerce ;
– fixer une audience qui se tiendra à huis clos et hors la présence des autres parties lors de laquelle elles pourront présenter leurs observations orales à la cour ;
– à l’issue de cet examen, leur restituer les documents examinés par la cour ;
– débouter la société Eiffage infrastuctures de toutes ses demandes, fins et prétentions ;
En tout état de cause,
– condamner la société Eiffage infrastuctures à leur payer 60 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Les sociétés CNH Industrial NV, Stellantis NV, Iveco SpA et Iveco Magirus AG, ci-après dénommées le groupe Iveco, aux termes de leurs dernières conclusions en date du 15 avril 2021 auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé des moyens développés, demandent à la cour de :
– déclarer le groupe Iveco recevable dans son intervention volontaire ;
À titre principal,
– confirmer l’ordonnance de référé du 26 décembre 2018 ;
– débouter la société Eiffage infrastuctures de l’ensemble de ses demandes de communication de pièces ;
À titre subsidiaire,
– ordonner à la société Renault Trucks de communiquer au groupe Iveco, ou à ses seuls conseils, les documents dont la cour d’appel envisage d’ordonner la communication à la société Eiffage infrastuctures ;
– examiner hors la présence des autres parties ces documents préalablement à leur éventuelle divulgation ;
– constater la présence d’éléments communiqués dans le cadre des procédures de clémence et de transaction dont a bénéficié le groupe Iveco et, en conséquence ;
– juger que ces pièces ne peuvent être communiquées à la société Eiffage infrastuctures ;
– constater la présence de documents et informations confidentiels au groupe Iveco, dont des secrets d’affaires et, en conséquence ;
– juger que ces pièces ne peuvent être communiquées en tout ou partie à la société Eiffage infrastuctures ;
– ordonner le cas échéant des mesures de protection appropriées des documents dont la communication à la société Eiffage infrastuctures serait ordonnée ;
En tout état de cause,
– condamner la société Eiffage infrastuctures à verser au groupe Iveco la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société Eiffage infrastuctures à payer les entiers dépens.
Les sociétés Traton SE, venant aux droits de la société MAN SE, MAN Truck & Bus SE, MAN Truck & Bus Deutschland GmbH, aux termes de leurs dernières conclusions en date du 2 février 2021 auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé des moyens développés, demandent à la cour de :
– les déclarer recevables et bien fondées en leur intervention volontaire ;
– juger irrecevables les demandes de la société Eiffage infrastructures visant à obtenir la production forcée des versions confidentielles des pièces visées dans la décision de la Commission européenne du 19 juillet 2016 aux notes de bas de page 17 et 23 au regard de l’autorité de chose jugée attachée à l’arrêt du 25 octobre 2019 ;
À titre principal,
– confirmer l’ordonnance de référé du 26 décembre 2018 en toutes ses dispositions ;
– débouter la société Eiffage infrastructures de l’ensemble de ses demandes ;
À titre subsidiaire,
Avant dire droit,
– ordonner à la société Renault Trucks de leur communiquer les documents expurgés des secrets d’affaires de la société Renault Trucks et des éléments protégés au titre de la clémence, avant toute communication des documents à la société Eiffage infrastructures ;
– fixer un calendrier dans lequel elles communiqueront à la cour :
* une version intégrale des documents identifiant les pièces relevant de la protection intégrale au titre de la procédure de clémence en application de l’article L. 483-5 du code de commerce ;
* une version non-confidentielle des documents expurgée de leurs informations confidentielles et secrets d’affaires en application de l’article R 153-3 du code de commerce ;
* un mémoire justifiant du caractère confidentiel des documents et informations dont elles sollicitent la protection au titre du secret des affaires ;
– juger que seule la cour, à l’exclusion de toute autre partie, pourra prendre connaissance de ces documents et en leur présence ;
Sur la demande de transmission des pièces une fois les mesures avant dire droit exécutées,
– rejeter la communication des pièces couvertes par le principe de confidentialité intégrale propre à la procédure de clémence dont elles ont bénéficié ;
– rejeter la communication des pièces citées dans le mémoire prévu par l’article R. 153-3 précité comme couvertes par le secret des affaires dont elles bénéficient et qui ne sont pas utiles à la solution du litige opposant la société Eiffage infrastructures à la société Renault Trucks ;
À défaut, si la cour estimait devoir procéder par extraordinaire à la communication de ces mêmes pièces :
– ordonner les mesures de protection appropriées concernant les pièces citées dans le mémoire prévu par l’article R. 153-3 précité dont la communication serait ordonnée dans les termes prévus aux articles R. 153-6 et R. 153-7 du code de commerce ;
En tout état de cause :
– condamner la société Eiffage infrastructures à leur payer une somme de 20.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société Eiffage infrastructures aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 3 février 2022.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
SUR CE,
Sur la recevabilité des interventions volontaires
En vertu de l’article 554 du code de procédure civile, peuvent intervenir en cause d’appel dès lors qu’elles y ont intérêt les personnes qui n’ont été ni parties ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité.
En l’espèce les sociétés Scania AB et Scania CV AB, Daimler AG et Daimler Truck AG, CNH Industrial NV, Stellantis NV, Iveco SpA et Iveco Magirus AG, Traton SE, venant aux droits de la société MAN SE, MAN Truck & Bus SE, MAN Truck & Bus Deutschland GmbH étaient mises en cause dans la procédure d’entente illégale qui a abouti à la décision de la Commission européenne du 19 juillet 2016. Elles justifient d’un intérêt, pour la conservation de leurs droits, à soutenir les prétentions de la société Renault Trucks qui a conclu au rejet de la demande de production de pièces parmi lesquelles certaines sont susceptibles de contenir des déclarations auto-incriminantes ou des secrets d’affaires.
Ces interventions volontaires ne sont au demeurant pas critiquées par l’appelante et seront donc déclarées recevables.
Sur l’irrecevabilité d’une partie de la demande
En vertu de l’article 638 du code de procédure civile, l’affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l’exclusion des chefs non atteints par la cassation.
La demande de production forcée des versions confidentielles des pièces visées dans la décision de la Commission européenne du 19 juillet 2016 aux numéros de bas de page 17 et 23 a été rejetée par l’arrêt du 25 octobre 2019, sans être atteinte par la cassation.
Dans ces conditions, la demande de la société Eiffage infrastructure de ce chef est irrecevable.
Sur la demande de communication de pièces la société Eiffage infrastructures
En vertu de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées par le juge des référés à la demande de tout intéressé.
L’application de ces dispositions suppose de constater la possibilité d’un procès potentiel, non manifestement voué à l’échec, sur la base d’un fondement juridique suffisamment déterminé, sans qu’il revienne au juge des référés de se prononcer sur le fond. Le demandeur à la mesure d’instruction n’a pas à démontrer la réalité des faits qu’il recherche précisément à établir mais seulement à justifier d’éléments les rendant crédibles.
En vertu du second alinéa de l’article L. 483-1 du code de commerce, la juridiction saisie d’une demande de communication de pièces ayant pour objet de permettre d’établir les preuves nécessaires à l’indemnisation d’une victime du fait d’une pratique anticoncurrentielle doit tenir compte des intérêts légitimes des parties et des tiers, quand bien même ceux-ci ne seraient pas représentés, et veiller à concilier la mise en ‘uvre effective du droit à réparation, en considération, d’un côté, de l’utilité des éléments de preuve dont la communication ou la production est demandée, de l’autre, de la protection du caractère confidentiel de ces éléments de preuve, ainsi que de la préservation de l’efficacité de l’application du droit de la concurrence par les autorités compétentes.
La participation de la société Renault Trucks à l’existence d’une entente illégale entre plusieurs constructeurs de camions de 1997 à 2011 portant sur la fixation des prix, sur les augmentations de prix bruts, sur le calendrier et sur la répercussion des coûts liés à l’introduction des technologies de réduction des émissions n’est pas contestée et résulte de sa reconnaissance de l’infraction et de sa demande de transaction devant la Commission européenne ainsi qu’il résulte de la décision du 19 juillet 2016.
Si, en vertu de l’article L. 481-7 du code de commerce, il est présumé jusqu’à preuve contraire qu’une entente entre concurrents cause un préjudice, il demeure qu’en l’espèce – ainsi que le relève à juste titre les sociétés Daimler AG et Daimler Truck AG, la société Eiffage infrastructures ne justifie pas qu’elle a effectivement acquis 839 camions auprès de la société Renault Trucks pendant la période litigieuse puisqu’elle se borne à fournir sur papier libre une prétendue synthèse des achats sur papier libre, sans même aucune spécification des produits achetés (pièces 1 et 18). De ce seul chef, le motif légitime d’obtenir les pièces réclamées fait défaut, puisque l’existence d’un préjudice lié à l’entente sanctionnée par la Commission européenne suppose la démonstration préalable de l’acquisition de camions auprès d’un participant à l’entente dans la période visée par l’enquête.
La société Eiffage infrastructures fait valoir qu’elle ne dispose d’aucun élément comptable ou financier lui permettant de déterminer le préjudice qu’elle a subi et affirme qu’elle a un intérêt légitime à connaître le montant des augmentations de prix décidées pour la France par la société Renault Trucks et ses concurrents et à se voir communiquer les pièces litigieuses à cette fin. Elle souligne que son préjudice est susceptible de comprendre, au sens de l’article L. 481-3 du Code de commerce, les éléments suivants :
la perte résultant du surcoût correspondant à la différence entre le prix du camion qu’elle a effectivement payé et celui qu’elle aurait payé en l’absence de commission de l’infraction de coordination des prix au niveau des barèmes des prix bruts et de répercussion sur les clients des coûts des technologies d’émission ;
le gain manqué résultant notamment de la diminution du volume des marchés publics obtenus et qui sont liés à la répercussion partielle ou totale du surcoût.
Or, à supposer même que la société Eiffage infrastructures démontre la réalité de ses achats de camion, l’analyse de la décision du 16 juillet 2016 permet de vérifier que la Commission européenne a constaté une infraction par objet, sans rechercher si les pratiques illicites avaient pu avoir un quelconque effet sur le marché, de sorte qu’il n’est pas établi que des éléments comptables et financiers soient au nombre des pièces réclamées par la société Eiffage infrastructures.
En effet, les développements contenus au paragraphe 3.2 de la décision du 16 juillet 2016, accompagnés des notes de bas de page 7 à 45, portant sur la nature et l’étendue de l’infraction, permettent en effet de constater que la Commission européenne a seulement caractérisé la forme des contacts frauduleux et le contenu des réunions et échanges.
Ainsi, quant à la forme des contacts frauduleux entre les membres du cartel entre 1997 et 2011, la Commission européenne a relevé l’existence de réunions régulières dans les locaux d’associations professionnelles, lors de salons professionnels, de démonstrations de produits par les constructeurs, réunions de concurrents, organisées pour les besoins de l’infraction, entre les dirigeants de haut niveau ou de niveau intermédiaire, échanges réguliers sous forme de courriels et d’appels téléphoniques.
Par ailleurs, quant au contenu des réunions et échanges, la Commission européenne a relevé :
– des discussions portant sur les prix, les augmentations de prix et l’introduction de nouvelles normes d’émission jusqu’en 2004, accords ou pratiques concertées concernant, d’une part, la fixation des prix et l’augmentation des prix bruts afin d’aligner les prix bruts pratiqués dans l’EEE et, d’autre part, le calendrier et la répercussion des coûts afférents à l’introduction des technologies en matière d’émissions imposées par les normes Euro 3 à 6 ;
– avant l’introduction de listes de prix applicables au niveau pan-européen, des discussions sur les augmentations des prix bruts, en déterminant leur application dans l’ensemble de l’EEE, divisé en marchés majeurs ;
– des discussions visant à utiliser l’introduction de l’euro pour diminuer les remises, et la décision d’augmentation des prix en France, qui pratiquait les prix les plus bas ; après le passage à l’euro et avec l’introduction de listes de prix pan-européennes pour la quasi-majorité des constructeurs, des échanges sur les augmentations prévues des listes de prix brut respectives par l’intermédiaire des filiales allemandes ;
– des échanges sur les augmentations de prix bruts à venir portant soit seulement sur les modèles de base soit sur les camions et les options disponibles ; en règle générale, pas d’échange d’information sur les prix nets ou les augmentations de prix nets, à l’exception de certains pays ou ces prix étaient discuté ;
– un accord sur le calendrier de l’introduction des technologies en matière d’émissions conformes aux normes européennes et des frais supplémentaires à appliquer à ce titre ; le 6 avril 1998, une décision de ne pas proposer de camions conformes à la norme Euro 3 avant que cela ne devienne obligatoire et fixation d’une fourchette de majorations à appliquer sur les prix de ces camions ;
– une information régulière au sujet des augmentations programmées de leurs prix bruts, des délais de livraison et des prévisions générales concernant les marchés, ventilées par pays et par catégories de camions.
Il apparaît donc que la Commission européenne a réuni des preuves qui établissaient l’existence de rencontres, de réunions et d’échanges portant sur des informations sur les prix bruts, ou sur les composantes des prix bruts, y compris pour la répercussion de coûts imposés par les autorités publiques, sans avoir procédé à une compilation des informations échangées ou des harmonisations ou accords décidés permettant de mesurer l’effet, sur le plan comptable et financier, de l’entente frauduleuse.
Ce sont bien des comportements frauduleux qui ont été sanctionnés par la Commission européenne dans la décision du 16 juillet 2016, sans que celle-ci ait fait porter son contrôle sur l’impact économique du cartel.
La société Eiffage infrastructures échoue donc à démontrer en quoi les informations réclamées sont de nature à lui permettre d’évaluer le préjudice subi, puisque la communication des griefs, la liste des pièces et les pièces visées par notes en bas de pages s’inscrivent tous dans l’imputation et dans la démonstration de l’existence d’un cartel par son objet, sans renseigner sur les effets de ce cartel, sur lesquels il n’a pas été enquêté, ainsi qu’il résulte de la décision du 16 juillet 2016.
La société Eiffage infrastructures ne justifie ni qu’elle a procédé aux acquisitions de camions dont son préjudice découlerait, ni que les pièces dont elle demande la communication auraient une quelconque utilité pour évaluer ses pertes ou gains manqués.
Il n’est donc pas nécessaire de vérifier si cette communication est proportionnée au regard de la protection du caractère confidentiel des éléments de preuve concernant les tiers, en l’espèce les sociétés Scania AB et Scania CV AB, Daimler AG et Daimler Truck AG, CNH Industrial NV, Stellantis NV, Iveco SpA et Iveco Magirus AG, Traton SE, venant aux droits de la société MAN SE, MAN Truck & Bus SE, MAN Truck & Bus Deutschland GmbH, ou au regard de la préservation de l’efficacité du droit de la concurrence mis en ‘uvre dans la sphère publique. Ce contrôle de proportionnalité suppose en effet de considérer comme acquis que la demande de communication des pièces s’appuie sur un motif légitime au sens de l’article 145 précité, comme étant utile au besoin du procès potentiel, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Il n’y a pas lieu de statuer sur la demande subsidiaire de la société Eiffage infrastructures, qui n’était formulée que dans l’hypothèse où la cour estimait que certaines des pièces réclamées relèveraient de l’interdiction prévue à l’article L. 483-5 du code de commerce. Ainsi qu’il a été décidé plus haut, la demande a en effet été rejetée en raison de l’absence de motif légitime de communiquer les pièces demandées, avant tout examen du caractère prohibé de la communication de pièces figurant au dossier de la Commission européenne.
Sur les autres demandes
La société Eiffage sera tenue aux dépens et à l’indemnisation des autres parties sur le fondement de l’article 700 précité dans les montants arrêtés au dispositif ci-après.
PAR CES MOTIFS
Vu l’ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce de Lyon du 26 décembre 2018,
Vu l’arrêt de cette cour du 25 octobre 2019 ;
Vu l’arrêt de la Cour de cassation du 8 juillet 2020 ;
Statuant dans les limites de la cassation,
Reçoit l’intervention volontaire des sociétés Scania AB et Scania CV AB, Daimler AG et Daimler Truck AG, CNH Industrial NV, Stellantis NV, Iveco SpA et Iveco Magirus AG, Traton SE, venant aux droits de la société MAN SE, MAN Truck & Bus SE, MAN Truck & Bus Deutschland GmbH ;
Déclare irrecevable la demande de communication sous astreinte des informations préexistantes contenues dans la décision de la Commission européenne du 19 juillet 2016 aux notes de bas de page 17 et 23, expurgées des déclarations de clémence si elles existent ;
Déboute la société Eiffage infrastructure de sa demande de communication sous astreinte des pièces suivantes :
communication de griefs que la Commission européenne lui a adressée ;
liste des pièces venant au soutien de la communication de griefs et figurant dans le dossier de la Commission européenne ;
informations préexistantes contenues dans la décision de la Commission européenne du 19 juillet 2016, aux numéros de bas de page suivants 18, 19, 25, 26, 33 et 41 qui ne contiennent aucune déclaration de clémence ;
informations préexistantes contenues dans les notes de bas de page 10, 11, 20, 21, 22, 24, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 42, 43, 44 et 45 expurgées des déclarations de clémence si elles existent ;
Condamne la société Eiffage infrastructures à payer sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile :
une somme de 40 000 euros à la société Renault Trucks ;
une somme de 10 000 euros aux sociétés Scania AB et Scania CV AB ;
une somme de 15 000 euros aux sociétés Daimler AG et Daimler Truck AG ;
une somme de 15 000 euros aux sociétés CNH Industrial NV, Stellantis NV, Iveco SpA et Iveco Magirus AG ;
une somme de 15 000 euros aux sociétés Traton SE, venant aux droits de la société MAN SE, MAN Truck & Bus SE, MAN Truck & Bus Deutschland GmbH ;
Condamne la société Eiffage infrastructures aux entiers dépens et dit que la société Lexavoué Paris-Versailles, par Me Boccon-Gibod, avocat au barreau de Paris, pourra recouvrer directement contre elle ceux des dépens dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision.
LE GREFFIER LE PRESIDENT