Droit moral de l’auteur

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Droit moral de l’auteur
Ce point juridique est utile ?

Aux termes de l’article L 121-1 du Code de la propriété intellectuelle, le droit moral qui appartient à l’auteur ou à ses héritiers comprend le droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. Ce droit est attaché à sa personne. Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible. Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l’auteur. L’exercice du droit moral peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires.

Les caractères du droit moral

Le droit moral est rattaché aux droits de la personnalité. Il est perpétuel, inaliénable (Cour de cassation, ch. civ., 28 janvier 2003 ; Cour de cassation, ch. civ., 16 octobre 2001) et imprescriptible (Cour de cassation, ch. civ., 17 janvier 1995).

Le droit moral est transmissible aux héritiers et par testament à un tiers (Cour de cassation; ch. civ., 6 juillet 2000). Le droit moral fonde notamment l’obligation d’accompagner l’oeuvre du nom de son auteur (communément appelé le droit de paternité). C’est également sur la base du droit moral que toute oeuvre doit être respectée et que l’auteur dispose seul du droit de divulguer son oeuvre (Cour de cassation, ch. civ., 25 février 1997).

Coupures publicitaires et droit moral

Les coupures publicitaires des oeuvres audiovisuelles sont parfaitement réglementées. Le principe posé par la loi est que celles-ci se font dans le respect du droit moral de l’auteur.

La coupure publicitaire d’une oeuvre audiovisuelle peut porter atteinte au droit moral des coauteurs, au même titre que le non respect d’un ordre de présentation de dessins, de la destruction d’une sculpture, de l’absence des noms des auteurs dans les génériques des émissions (Cour de cassation, ch. soc., 17 juillet 1996).

En matière de coupures publicitaires, il est d’usage d’insérer dans les contrats de cession de droits d’auteur, une information spécifique des coauteurs sur la faculté laissée au producteur et au diffuseur d’effectuer les coupures publicitaires autorisées par la loi. L’objectif est ainsi, non pas de mettre en place une renonciation au droit moral (impossible juridiquement), mais de limiter le préjudice au dédommagement symbolique en cas de contentieux.

L’inaliénabilité du droit au respect de l’oeuvre est appréciée strictement par les tribunaux. Il s’agit là d’un principe d’ordre public qui s’oppose à ce que l’auteur abandonne au cessionnaire, de façon préalable et générale, l’appréciation exclusive des utilisation, diffusion, adaptation, retrait, adjonction et changement auxquels il plairait à ce dernier de procéder (Cour de cassation, 28 janvier 2003).

Une appréciation in concreto par les juges

On retiendra parmi les différentes applications jurisprudentielles reconnaissant une atteinte au droit moral :

– L’absence de la mention des noms et qualité du photographe dans l’édition étrangère d’une plaquette touristique (Cour de cassation, ch. civ., 25 novembre 2003) ;

– L’utilisation d’un phonogramme dans un message publicitaire sans l’accord de l’auteur (Cour de cassation, ch. civ., 19 novembre 2002) ;

– L’exposition au public d’une oeuvre photographique sans l’accord préalable de l’auteur (Cour de cassation, ch. civ., 6 novembre 2002) ;

– La publication d’une photographie dans un format non autorisé par l’auteur (Cour de cassation, ch. civ., 6 novembre 2002) ;

– La peinture d’une oeuvre ou l’ajout d’éléments à celle-ci sans accord de l’auteur (Cour de cassation, ch. crim., 3 septembre 2002) ;

– La reproduction autorisée d’une sculpture (tombée dans le domaine public) mais qui dénature l’oeuvre originale de l’auteur (Cour de cassation, ch. crim., 22 mai 2002) ;

– L’utilisation d’extraits d’oeuvres musicales, modifiées pour les intégrer à des “bandes annonces” diffusées par une chaîne de télévision à des fins publicitaires pour ses propres programmes ;

– l’altération ou la modification de l’oeuvre, quelle qu’en soit l’importance (Cour de cassation, ch. civ., 24 février 1998).

– l’effacement du nom de l’auteur sur des études architecturales qualifées d’originales (Cour de cassation, ch. crim., 24 septembre 1997).

Précisons que la Cour de cassation a jugé que la nouvelle représentation d’une oeuvre est réalisée dès lors que l’oeuvre a été communiquée au public sous une forme altérée ou modifiée (peinture d’une oeuvre et ajout d’éléments à celle-ci : Cour de cassation, ch. crim., 3 septembre 2002). Cette nouvelle représentation de l’oeuvre peut être sanctionnée par l’article L 335-3 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose “est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une oeuvre de l’esprit”sans autorisation de l’auteur.

Toutefois, les tribunaux ont aussi eu l’occasion de juger que le droit moral d’un sculpteur sur son oeuvre ne fait pas obstacle à ce que son oeuvre puisse être érigée en un autre lieu (Tribunal de commerce de Lyon, 28 avril 1997). Cependant, la solution retenue n’a pas un caractère absolu. En effet, le déplacement d’une oeuvre pourrait porter au droit moral de l’auteur si ce dernier apporte la preuvre que l’esprit de son œuvre est lié au site où elle se trouve placée. en l’espèce le Tribunal n’a pas retenu un lien d’attachement suffisant entre le lieu d’exposition de l’oeuvre et le droit moral de l’artiste.

L’auteur d’une première oeuvre de l’esprit est seul habilité à dénoncer les atteintes portées à son droit moral. Il tient, en outre, de sa paternité sur elle la faculté de faire ou laisser faire état de sa qualité pour aider à la promotion d’une autre oeuvre, en l’espèce un film (Cour de cassation, ch. civ., 19 février 2002).

En outre, la violation du droit moral de l’auteur n’a pas été admise concernant :

– Des reproductions de la signature d’un peintre dans des copies de tableaux lorsque ces oeuvres sont tombées dans le domaine public et qu’aucune confusion n’est à craindre entre l’original et sa copie (Cour de cassation, ch. crim., 11 juin 1997).

– Le classement par la SCAM (société de gestion de droits) d’une oeuvre dans la catégorie des oeuvres de compilation ou d’arrangement, catégorie déterminant le barême de rémunération et qui est autonome de la qualification des oeuvres en tant que telles (Cour de cassation, ch. civ., 6 février 1996) ;

– Le déplacement d’une statut lorsque l’oeuvre n’est pas liée à l’esprit du lieu où elle se trouve (Tribunal de commerce de Lyon, 28 avril 1997) ;

Comme jugé par les tribunaux (Cour de cassation, ch. soc., 8 février 2006), l’exploitation d’une oeuvre sous forme de compilations est de nature à en altérer le sens, et ne peut relever de l’appréciation exclusive du cessionnaire. Cette exploitation de l’oeuvre musicale sous forme de compilation requiert une autorisation spéciale de l’artiste sous peine de violation de l’article L. 212-2 du Code de la propriété intellectuelle. Le cessionnaire pourra ainsi être condamné à des dommages et intérêts et à cesser toute exploitation des compilations litigieuses et à remettre les supports des compilations à l’artiste.

Le droit moral de l’auteur d’oeuvres littéraires est seulement celui de faire respecter soit l’intégrité de ses oeuvres, soit son nom et sa qualité, mais reste étranger à la défense des autres droits de la personnalité protégés par la loi (Cour de cassation, ch. civ., 10 mars 1993).

Les juges ont ainsi retenu, que dans une affaire de copie d’un tableau de Renoir et hors l’hypothèse d’un plan frauduleux tendant à faire croire à un acquéreur éventuel que l’œuvre soumise à son examen était une œuvre authentique, il n’y avait aucune violation du droit moral de l’auteur dans la reproduction de la signature du peintre qui fait incontestablement partie de l’œuvre elle-même. De plus, la copie du tableau portait à son verso, une mention nette et non équivoque faisant état de sa qualité de copie. Selon les tribunaux, concernant les copies d’œuvres notoires tombées dans le domaine public et dont les personnes qui s’intéressent à l’art ont une très bonne connaissance (exposition de l’oeuvre dans tel musée…), l’atteinte au droit moral n’est pas démontrée (Cour d’appel de Paris, 5 octobre 1999).

En matière de sonorisation d’oeuvre audiovisuelle, lorsqu’un compositeur musical a été spécialement désigné pour la création de la bande originale d’un film, il devient coauteur et se trouve investi d’un droit moral sur cette bande son. Il est donc important de prévoir, dans le contrat de production audiovisuelle, une clause de publicité qui organise la mention des coauteurs sur les différents supports du film (générique compris). Toute omission du nom de l’un des coauteurs de l’œuvre sur l’un des supports du film (affiches, pochettes, jaquettes …) pourra être sanctionnée sur le fondement de l’atteinte au droit moral (droit de paternité). A noter que le coauteur ne peut renoncer contractuellement à son « droit au nom »

Le Karaoké constitue une oeuvre composite nouvelle et globale. La commercialisation de l’oeuvre sous cette forme, nécessite l’autorisation de l’auteur. Sur le terrain du droit moral, les tribunaux ont jugé que le procédé du karaoké n’engendrait pas nécessairement une altération de l’oeuvre originale et cela même si les interprètes du phonogramme “chantent faux”. Il n’y a pas d’atteinte au droit moral de l’auteur dès lors que l’oeuvre est classiquement chantée (paroles et musique), par un interprète qui livre l’oeuvre au public intégralement, sans déformation, mutilation ou autre modification.

S’agissant de chansons populaires, il a été jugé que la superposition du texte aux images de cette interprétation ou le cadre général de l’oeuvre audiovisuelle dans lequel cette interprétation s’inscrit, ne modifie pas l’esprit de l’oeuvre, ni n’est de nature à la dévaloriser ou à nuire à l’honneur ou à la réputation de son auteur.

En matière de presse, et dans le cadre d’une contribution à un journal, il est compréhensible que le directeur de la publication procède à quelques modifications sur les contributions des auteurs journalistes (longueur …). Ces interventions ne vont pas sans poser certains problèmes, notamment sur le volet du droit moral des auteurs.

Si l’auteur d’une contribution à un journal ou un magazine (oeuvre collective) demeure investi du droit moral (respect de son œuvre, signature…), ce droit est limité par la nature collective de l’œuvre. On parle de fusion de la contribution de l’auteur dans un ensemble, de sorte que le responsable de la publication est en droit d’apporter aux contributions des différents auteurs les modifications que justifie la nécessaire harmonisation de l’oeuvre dans sa totalité.

Pour autant, les juges ont précisé qu’il était interdit de remanier la contribution de l’auteur sans son accord, ou à tout le moins sans qu’il en soit avisé. C’est ainsi que récemment, un tribunal a fait droit à une demande de dommages et intérêts d’un expert en histoire de l’art dont la contribution à un magazine avait été coupée / raccourcie et adaptée à un lectorat « profane ». Les juges ont considéré que les coupures n’étaient pas nécessaires et que les lecteurs du magazine pouvaient largement comprendre le texte sans besoin pour le directeur de la publication, de le vulgariser.

Le droit moral de l’artiste

Bien que le code de la propriété intellectuelle ne fait pas état à proprement dit de droit moral, l’artiste interprète dispose de prérogatives voisines du droit moral. Conformément à l’article L.212-2 du Code de la propriété intellectuelle, l’artiste-interprète a le droit au respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation. Comme le droit moral des auteurs, ce droit est inaliénable et imprescriptible, il est attaché à sa personne. Il est également transmissible à ses héritiers pour la protection de l’interprétation et de la mémoire du défunt.

(1) Cour de cassation, ch. soc., 8 février 2006


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