Dirigeant de fait : 15 décembre 2022 Cour d’appel de Dijon RG n° 21/00155

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Dirigeant de fait : 15 décembre 2022 Cour d’appel de Dijon RG n° 21/00155
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RUL/CH

[G] [N]

C/

[I] [O] mandataire liquidateur de la SAS L’19

UNÉDIC DÉLÉGATION AGS CGEA – AGS [Localité 8]

S.E.L.A.R.L. MJ ASSOCIES ès- qualités de liquidateur judiciaire de la SAS L’19

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 15 DECEMBRE 2022

MINUTE N°

N° RG 21/00155 – N° Portalis DBVF-V-B7F-FUKG

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DIJON, décision attaquée en date du 28 Janvier 2021, enregistrée sous le n° F 19/00718

APPELANT :

[G] [N]

[Adresse 4]

[Localité 3]

représenté par Me Elsa GOULLERET de la SELARL ESTEVE GOULLERET NICOLLE & ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON

INTIMÉS :

[I] [O] mandataire liquidateur de la SAS L’19

[Adresse 5]

[Localité 2]

représentée par Me Florence GAUDILLIERE, avocat au barreau de PARIS, et Me Carole FOURNIER, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE

UNÉDIC DÉLÉGATION AGS CGEA – AGS [Localité 8]

[Adresse 9]

[Adresse 9]

[Localité 7]

représentée par Me Florence GAUDILLIERE, avocat au barreau de PARIS, et Me Carole FOURNIER, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE

S.E.L.A.R.L. MJ ASSOCIES ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SAS L’19

[Adresse 6]

[Localité 1]

représentée par Me Florence GAUDILLIERE, avocat au barreau de PARIS, et Me Carole FOURNIER, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 Novembre 2022 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller chargé d’instruire l’affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :

Olivier MANSION, Président de chambre,

Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,

Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

M. [G] [N] a été embauché par la société L’19 à compter du 28 août 2017 en qualité de cuisinier par contrat de travail à durée indéterminée à temps complet à raison de 151,67 heures mensuelles (35 heures hebdomadaires).

Par un avenant du 1er novembre 2017, la durée hebdomadaire de travail a été portée à 39 heures.

Par jugement du 11 juin 2019, le tribunal de commerce de Dijon a constaté l’état de cessation des paiements et prononcé l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire puis en juillet 2019 la liquidation judiciaire de la société, la SELARL MJ Associés étant désignée en qualité de mandataire judiciaire.

Par requête du 20 novembre 2019, M. [N] a saisi le conseil de prud’hommes de Dijon afin de solliciter un rappel de salaire et faire requalifier la rupture du contrat de travail en un licenciement sans cause réelle et sérieuse avec toutes les conséquences indemnitaires afférentes.

Par jugement du 28 janvier 2021, le conseil de prud’hommes de Dijon a jugé que le contrat de travail a pris fin le 22 mars 2018 et qu’à compter de cette date M. [N] était dirigeant de fait et rejeté l’ensemble de ses demandes à l’exception d’un rappel de salaire pour le mois de mars 2018 à hauteur de 1 710,95 euros, outre les congés payés afférents.

Par déclaration formée le 26 février 2021, M. [N] a relevé appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières écritures du 2 septembre 2021, l’appelant demande de :

– confirmer le jugement déféré,

– juger qu’il doit être fixé au passif de la société L’19 la somme de 1 710,95 euros au titre du salaire du 1er au 22 mars 2018, outre 171,09 euros au titre des congés payés afférents,

– réformer le jugement déféré pour le surplus,

– juger que le contrat de travail s’est poursuivi jusqu’au mois de décembre 2018,

– juger que la rupture du contrat de travail s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– fixer au passif de la société L’19 les créances suivantes :

* 23 331,20 euros bruts au titre des salaires impayés sur la période allant du mois mars 2018 au mois de décembre 2018,

* 3 590,05 euros bruts au titre des congés payés non pris et de l’indemnité compensatrice de congés payés,

* 753,57 euros nets à titre d’indemnité de licenciement,

* 2 411,44 euros bruts à titre d’indemnité de préavis, outre 241,14 euros bruts au titre des congés payés afférents,

* 4 882,88 euros au titre des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– fixer au passif de la société L’19 :

* le versement des intérêts de retard conformément à l’article L1236-1 du code du travail,

* la créance de paiement de la somme de 4 822,88 euros à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice moral et financier distinct subi en raison du non-paiement de ses salaires sur une période de 10 mois,

– ordonner la remise à M. [N] des documents suivants, établis conformément aux dispositions légales et à la décision à intervenir : des bulletins de salaire des mois de mars à décembre 2018, des documents de fin de contrat (attestation Pôle Emploi, reçu pour solde de tout compte et certificat de travail),

– condamner la société L’19 aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières écritures du 10 juin 2021, la SELARL MJ ASSOCIÉS, ès-qualités de mandataire liquidateur de la société L’19, demande de :

– infirmer le jugement déféré en ce qu’il a accordé à M. [N] un rappel de salaire du 1er au 22 mars 2018 ainsi qu’un article 700 du code de procédure civile,

– le confirmer pour le surplus,

à titre principal, sur l’absence de lien de subordination et sur la mise hors de cause de l’AGS,

– constater que M. [N] était le gérant de droit de la société L’19,

– constater que les éléments versés aux débats en font la démonstration,

– constater qu’il n’existe pas de lien de subordination entre la société L’19 et M. [N],

– constater la carence du requérant dans l’administration de la preuve,

– le débouter de l’intégralité de ses demandes,

– ordonner la mise hors de cause du Centre de Gestion et d’Etudes AGS,

à titre subsidiaire, sur les demandes de M. [N],

– constater la carence du salarié dans l’administration de la preuve,

– le débouter de l’intégralité de ses demandes,

– statuer ce que de droit sur les dépens.

Aux termes de ses dernières écritures du 3 juin 2021, le centre de gestion et d’études AGS (CGEA) de [Localité 8], demande de :

– infirmer le jugement déféré en ce qu’il a accordé à M. [N] un rappel de salaire du 1er au 22 mars 2018 ainsi qu’un article 700 du code de procédure civile,

– le confirmer pour le surplus,

à titre principal, sur l’absence de lien de subordination et sur la mise hors de cause de l’AGS,

– constater que M. [N] était le gérant de droit de la société L’19,

– constater que les éléments versés aux débats en font la démonstration,

– constater qu’il n’existe pas de lien de subordination entre la société L’19 et M. [N],

– constater la carence du requérant dans l’administration de la preuve,

– le débouter de l’intégralité de ses demandes,

– ordonner la mise hors de cause du Centre de Gestion et d’Etudes AGS,

à titre subsidiaire, sur les demandes de M. [N],

– constater la carence du salarié dans l’administration de la preuve,

– le débouter de l’intégralité de ses demandes,

– juger que les créances résultant de l’article 700 du code de procédure civile ne sauraient être déclarées opposables à l’AGS,

– juger que la garantie AGS ne peut aller au-delà des limites prévues par les articles L 3253-8 et suivants du code du travail,

– juger que le montant maximal avancé par le Centre de Gestion et d’Etudes de l’AGS ne saurait être supérieur au montant du plafond applicable, toutes créances avancées pour le compte du salarié,

à titre infiniment subsidiaire et en tout état de cause,

– donner acte à l’AGS de ce qu’elle ne prendrait éventuellement en charge :

* que les salaires et accessoires, dans le cadre des dispositions des articles L.625-3 et suivants du code de commerce, uniquement dans la limite des articles L.3253-8 et suivants du code du travail,

* que les créances directement nées de l’exécution du contrat de travail et ne prendrait donc en charge, notamment, ni les dommages-intérêts pour résistance injustifiée ou pour frais irrépétibles, ni les astreintes, ni les sommes attribuées au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– juger que l’AGS ne devra procéder à l’avance des créances visées aux articles L.3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et les conditions résultant des dispositions des articles L.3253-17 et L.3253-19 du code du travail,

– juger à ce titre que l’obligation du Centre de Gestion et d’Etudes AGS de [Localité 8] de faire l’avance de la somme à laquelle serait évalué le montant des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s’exécuter que sur présentation d’un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l’absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement,

– statuer ce que de droit sur les dépens.

Pour l’exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I – Sur la qualification de la relation de travail :

Le contrat de travail implique une prestation de travail fournie pour autrui en contrepartie d’une rémunération et la soumission à une subordination juridique à la personne pour le compte de laquelle cette prestation est fournie.

Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

L’existence d’une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité.

C’est à celui qui se prévaut d’un contrat de travail d’en établir l’existence. À l’inverse, en présence d’un contrat de travail apparent, il incombe à celui qui invoque son caractère fictif d’en apporter la preuve.

La gestion de fait implique une activité positive de gestion et de direction d’une personne morale réalisée en toute indépendance.

L’AGS-CGEA et la SELARL MJ Associés, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société L’19, soutiennent que M. [N] ne justifie pas d’avoir effectué une prestation de travail dans les conditions du salariat pour le compte de la société L’19 puisqu’il était en réalité son gérant de fait.

A l’appui de cette affirmation, ils indiquent que :

– il ressort de l’enquête pénale et du jugement du tribunal correctionnel de Dijon du 2 novembre 2020 que M. [R] avait confié la gestion de fait de l’établissement à compter de décembre 2017, l’ensemble des salariés ayant attesté que M. [N] avait en charge l’effectif salarial de l’entreprise dès lors qu’il procédait aux embauches, sans pour certains procéder aux déclarations nécessaires, de sorte que M. [N] a été reconnu comme gérant de fait à compter du mois de décembre 2017,

– M. [R], président de la société L’19, a cessé son activité à compter de décembre 2017 et formalisé sa démission le 21 mars 2018 “sous conditions suspensive de la cession de la totalité du capital au profit de Mr [G] [N]” (pièce n° 1), et une assemblée générale ordinaire s’est tenue le même jour en vue d’adopter la cession de la totalité des parts des deux associés (les consorts [R]) au profit de M. [N], soit 200 actions pour un montant de 2 000 euros, et nommant ce dernier pour une durée illimitée en qualité de nouveau président (pièce n° 2),

– le 22 mars 2018, suivant acte sous seing privé, les époux [R] ont cédé au demandeur la totalité de leurs actions (pièce n° 3), seul le défaut de paiement de l’expert-comptable par M. [N] a empêché la publicité de l’ensemble de ses modifications (pièce n° 4),

– dans le cadre d’une instance prud’homale introduite le 14 janvier 2020, Mme [U], embauchée par la société L’19 en qualité de serveuse à compter du 29 mai, soutient que M. [R] “est en réalité un homme de paille puisque Monsieur [N] [G], cuisinier et salarié, en était le véritable patron : celui-ci ne pouvait toutefois apparaître comme gérant officiel puisqu’il fait l’objet d’une interdiction de gestion prononcée par le Tribunal de commerce de DIJON le 22 mars 2011” (pièce n° 7),

– il ne justifie pas de la prétendue demande de rappel de salaires,

– compte tenu des actes de cession évoqués dont il était parfaitement informé et qu’il a signés, sa démarche ne peut s’analyser qu’en une tentative de battre monnaie aux frais des organes de la procédure collective et particulièrement de l’AGS, démarche qui s’inscrit dans l’historique de M. [N] en matière de gestion de société puisqu’au moment de la cession des actions de la société L’19 proposée par M. [R], il a souhaité que cette reprise s’effectue avec M. [B], embauché en janvier 2018 mais démissionnaire un mois plus tard, car il avait besoin d’une tierce personne susceptible d’assumer cette position de droit car il était sous le coup d’une interdiction de gérer pour une durée de 8 ans suivant un jugement du tribunal de commerce de DIJON du 22 mars 2011 concernant une affaire pénale en cours pour laquelle il est reproché à M. [N] d’avoir dissimulé le travail de plusieurs personnes à son profit (pièce n° 6).

M. [N] oppose pour sa part que :

– il a continué à exercer ses fonctions jusqu’au mois de décembre 2018 et que s’il a montré un signe d’intérêt pour la reprise de l’activité du restaurant, les formalités obligatoires relatives à la cession de parts n’ont pas été remplies de sorte que celle-ci n’a jamais été effective,

– l’extrait KBIS de la société L’19 daté de janvier 2020 démontre que M. [R] a toujours assuré la gestion de la société (pièce n° 5).

A l’appui de son affirmation, il produit une capture d’écran d’un message datant de juillet 2018 dans laquelle il demande à M. [R] le contrat d’un nouvel employé (pièce n° 7), et une autre, de juillet 2018 également, dans laquelle M. [R] indique : « ‘ Je te fais confiance et je sais que t’es donné comme un malade. Aujourd’hui je suis tributaire des chiffres c’est pour ça que je cherche quelqu’un pour racheter et en finir. Je te respecte et te respecterais toujours. Aujourd’hui l’aventure n’est pas encore terminée » (pièce n° 8)

En l’espèce, il est constant qu’il existe entre les parties un contrat de travail apparent au profit de M. [N]. Dès lors, il appartient au mandataire liquidateur et à l’AGS, qui le contestent, de rapporter la preuve de son caractère fictif.

A cette fin, il est produit un jugement du tribunal correctionnel de Dijon du 2 novembre 2020 dans lequel est reconnu pénalement la qualité de gérant de fait de la société L’19 de M. [N] depuis 2017 (pièce n° 8).

Néanmoins, il est fait mention sur la copie produite que ce jugement a été frappé d’appel par M. [N] et par le ministère public, de sorte qu’en l’absence de toute indication sur l’état actuel de la procédure, celui-ci n’est pas définitif et ne peut en conséquence être retenu comme contredisant suffisamment la qualité de salarié revendiquée par l’intéressé.

S’agissant de la démonstration de l’absence de prestation de travail et de lien de subordination entre lui et la société L’19, il n’est pas contesté que M. [N] et M. [R], ce dernier en sa qualité de président de la société, ont engagé une procédure de cession de parts et de nomination du second en remplacement du premier comme président (pièces n° 2 et 3). Néanmoins, ce processus n’ayant pas été mené à son terme, peu important la cause (en l’occurrence la non publication des actes du fait du non paiement de l’expert-comptable – pièce n° 4), M. [R] est demeuré gérant de droit de la société, comme en atteste l’extrait KBIS produit en pièce n° 5.

Enfin, il n’est produit aucun élément de nature à démontrer la gestion de fait alléguée, l’affirmation selon laquelle la démarche entreprise s’analyserait en une tentative de battre monnaie aux frais des organes de la procédure collective et particulièrement de l’AGS relevant d’un simple point de vue.

Enfin, le fait que M. [N] ait été condamné à une interdiction de gérer par le tribunal de commerce de Dijon le 22 mars 2011 (pièce n° 6) n’est pas en soit de nature à établir une quelconque gestion de fait de la société L’19 entre 2017 et 2018, pas plus que l’affirmation en ce sens de Mme [U] extraite de l’historique d’une requête prud’homale de l’intéressé (pièce n° 7).

Dès lors, nonobstant le fait qu’il ressort par ailleurs des deux messages produits par M. [N] datés de juillet 2018, que M. [R] avait conservé ses fonctions de président au moins jusqu’à cette date (pièces n° 7 et 8), il s’ensuit que l’AGS-CGEA et la SELARL MJ Associés, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société L’19, échouent à démontrer la gestion de fait de M. [N] et le caractère fictif de son contrat de travail, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.

II – Sur la demande de rappel de salaires :

M. [N] soutient qu’il n’a plus perçu son salaire entre mars et décembre 2018 alors qu’il était toujours salarié de la société.

Il sollicite en conséquence le règlement de ces salaires impayés, soit la somme de 23 331,20 euros, outre une indemnité compensatrice de congés payés et le rappel de solde de congés payés pour un total de 3 590,05 euros.

Il sollicite enfin une somme à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral et financier résultant de ce non paiement, lequel caractérise une exécution déloyale du contrat de travail.

L’employeur conclut au rejet de ces demandes au motif qu’il ne peut se prévaloir d’un quelconque statut salarié pour cette période et ne justifie d’aucune prestation de travail pour le compte de la société L’19 ni d’un quelconque lien de subordination.

Il ressort toutefois des développements qui précèdent que M. [N] est fondé à se prévaloir du statut de salarié pour la période considérée et donc au paiement de son salaire et accessoires afférents.

Compte tenu du contrat de travail et de l’avenant du 1er novembre 2017 (pièces n° 1 et 2), les créances de M. [N] au passif de la liquidation judiciaire de la société L’19 seront fixées aux sommes suivantes :

– 23 331,20 euros à titre de rappel de salaire, outre 2 331,20 euros au titre des congés payés afférents,

– 1 256,93 euros au titre du solde de congés payés pour la période antérieure.

En revanche, il ne peut y avoir de réparation sans preuve du préjudice subi, l’existence et l’évaluation de celui-ci relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond sur la base des justificatifs produits aux débats.

En l’espèce, M. [N] n’apporte aucun élément permettant de justifier de la réalité d’un préjudice moral ou financier distinct non indemnisé au titre du rappel de salaire, préjudice qu’il fixe dans un premier temps à 2 000 euros dans le corps de ses conclusions puis à 4 822,88 euros dans le dispositif de celle-ci.

La demande à ce titre sera donc rejetée, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.

III – Sur la rupture de la relation de travail :

Par courrier du 12 décembre 2018, M. [N] a notifié à son employeur sa démission et sollicite dans le cadre de la présente procédure que cette rupture soit requalifiée en prise d’acte aux torts de l’employeur. (pièce n° 4)

Le mandataire liquidateur et l’AGS ne formulent aucune observation à cet égard, concluant au rejet des demandes indemnitaires afférentes.

Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de la démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission la rendant équivoque, l’analyser en une prise d’acte de rupture qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifient, ou, dans le cas contraire, d’une démission.

En l’espèce, la référence dans la lettre de démission au non paiement de son salaire depuis le mois de janvier 2018 est de nature à la rendre équivoque et ce grief, imputable à l’employeur, justifie la requalification de sa démission en prise d’acte de rupture aux torts exclusifs de la société L’19.

M. [N] est de ce fait fondé à réclamer des sommes à titre d’indemnité de licenciement, d’indemnité de préavis et les congés payés afférents ni de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.

Compte tenu des pièces produites, en particulier ses bulletins de salaire, et de la situation du salarié qui justifie d’une ancienneté de 17 mois, durée du préavis incluse, il lui sera alloué les sommes suivantes :

– Sur l’indemnité de licenciement :

L’article 32 convention collective applicable prévoit une limitation de l’indemnité de licenciement à 10% du salaire mensuel brut par année d’ancienneté lorsque le salarié licencié justifie d’au moins deux ans d’ancienneté ininterrompue dans l’entreprise.

Tel n’étant pas le cas de M. [N], il sera fait application des dispositions de l’article R1234-2 du code du travail et il lui sera alloué la somme de 729,10 euros.

– Sur l’indemnité de préavis :

L’article 30.2 de la convention collective applicable fixe à un mois la durée du préavis du salarié relevant de la catégorie employé lorsqu’il est licencié, hors faute grave ou lourde, et qu’il justifie d’une ancienneté supérieure à 6 mois et inférieure à deux ans.

En conséquence, il sera alloué à M. [N] la somme de 2 333,12 euros, outre 233,31 euros au titre des congés payés afférents.

– Sur les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Compte tenu des circonstances de la rupture, d’un salaire mensuel moyen s’établissant à 2 333,12 euros et de l’ancienneté de 16 mois du salarié, durée du préavis incluse, le montant des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sera évalué, en application des dispositions de l’article L1235-3 du code du travail, à la somme de 2 333,12 euros.

IV – Sur la garantie de l’AGS

Il n’y a pas lieu de rappeler les limites de la garantie de l’AGS qui sont déterminées par la loi et notamment les articles L. 3253-8 à L. 3253-13, L. 3253-17, R. 3253-5 et L. 3253-19 à L. 3253-23 du code du travail.

V – Sur les demandes accessoires :

– Sur les intérêts au taux légal :

M. [N] sollicite dans le dispositif de ses conclusions de “fixer au passif de la société L’19 le versement des intérêts de retard conformément à l’article L1236-1 du code du travail”.

La cour relève toutefois que l’article visé, par ailleurs abrogé depuis 2008, est sans rapport avec la demande qui concerne en fait l’article L1236-1 du code civil.

En tout état de cause, toute condamnation à une indemnité emportant intérêts au taux légal même en l’absence de demande, il sera dit que les condamnations au paiement de créances de nature salariale portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la SELARL MJ Associés, ès-qualités de mandataire liquidateur de la société L’19 de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes et que les condamnations au paiement de créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du présent arrêt, sous réserve des règles propres aux procédures collectives, et notamment la suspension du cours des intérêts.

Ces sommes, par ailleurs non déterminées à ce stade, étant de droit l’accessoire des condamnations pécuniaires elles-même fixées au passif de la liquidation judiciaire de la société L’19, la demande formulée est superfétatoire et sera en conséquence rejetée.

– Sur la remise des bulletins de paye et des documents de fin de contrat :

La SELARL MJ Associés, ès-qualités de mandataire liquidateur de la société L’19, sera condamnée à remettre à M. [N] ses bulletins de salaire des mois de mars à décembre 2018 outre une attestation Pôle Emploi, un reçu pour solde de tout compte et un certificat de travail, le jugement déféré étant partiellement infirmé sur ce point.

– Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de M. [N] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Le jugement déféré sera infirmé en ce qu’il a ordonné l’emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

Les demandes des parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

La SELARL MJ Associés, ès-qualités de mandataire liquidateur de la société L’19, succombant pour l’essentiel, elle supportera les dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement du conseil de prud’hommes de Dijon du 28 janvier 2021 sauf en ce qu’il a rejeté les demandes de M. [G] [N] :

– à titre de dommages-intérêts pour non paiement des salaires,

– au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

REQUALIFIE la démission de M. [G] [N] en prise d’acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse à effet au 12 décembre 2018,

FIXE au passif de la liquidation judiciaire de la société L’19 les créances suivantes de M. [G] [N] :

– 23 331,20 euros à titre de rappel de salaire pour la période de mars à décembre 2018, outre 2 331,20 euros au titre des congés payés afférents,

– 1 256,93 euros au titre du solde de congés payés pour la période antérieure,

– 2 333,12 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis

– 729,10 euros à titre d’indemnité de licenciement,

– 2 333,12 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

DIT que les condamnations au paiement de créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par la SELARL MJ Associés, ès- qualités de mandataire liquidateur de la société L’19, de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes et que les condamnations au paiement de créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du présent arrêt, sous réserve des règles propres aux procédures collectives, et notamment la suspension du cours des intérêts,

DIT que la garantie de l’AGS n’est pas due pour les créances résultant de la rupture du contrat de travail, pour l’indemnité de préavis et congés payés, pour l’indemnité conventionnelle de licenciement et les dommages-intérêts,

REJETTE les autres demandes de l’AGS CGEA de [Localité 8],

REJETTE la demande aux fins de fixer au passif de la société L’19 le versement des intérêts de retard conformément à l’article L1236-1 du “code du travail”,

CONDAMNE la SELARL MJ Associés, ès-qualités de mandataire liquidateur de la société L’19 à remettre à M. [G] [N] ses bulletins de salaire des mois de mars à décembre 2018 outre une attestation Pôle Emploi, un reçu pour solde de tout compte et un certificat de travail,

REJETTE les demandes des parties au titre de l’article 700 code de procédure civile,

CONDAMNE la SELARL MJ Associés, ès-qualités de mandataire liquidateur de la société L’19 aux dépens de première instance et d’appel.

Le greffier Le président

Frédérique FLORENTIN Olivier MANSION

 


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