Dirigeant de fait : 15 décembre 2022 Cour d’appel de Caen RG n° 20/00914

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Dirigeant de fait : 15 décembre 2022 Cour d’appel de Caen RG n° 20/00914
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AFFAIRE : N° RG 20/00914 –

N° Portalis DBVC-V-B7E-GQ5N

 

ARRÊT N°

JB.

ORIGINE : DECISION du Tribunal de Commerce d’ALENCON en date du 21 Avril 2020 – RG n° 20/00215

COUR D’APPEL DE CAEN

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRÊT DU 15 DECEMBRE 2022

APPELANT :

Monsieur [Z] [G]

né le [Date naissance 1] 1957 à [Localité 11] (ARMENIE)

[Adresse 7]

[Localité 8]

représenté par Me Mickaël DARTOIS, avocat au barreau de CAEN

assisté de Me François SOUCHON de la SCP SCP SOUCHON – CATTE – LOUIS et ASSOCIES, avocat au barreau de CHARTRES,

INTIMES :

Monsieur [H] [D]

né le [Date naissance 5] 1966 à [Localité 10] (COTE D’IVOIRE)

[Adresse 2]

[Localité 8]

non représenté, bien que régulièrement assigné

MINISTERE PUBLIC pris en la personne de Mr Le Procureur Général

[Adresse 13]

Cour d’Appel

[Localité 4]

représenté par M. PAMART, Substitut Général,

SELARL [S] [F] prise en la personne de Me [S] [F] liquidateur judiciaire à la liquidation de la Société CBF

N° SIRET : 505 012 385

[Adresse 6]

[Localité 9]

représentée et assistée de Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN

DEBATS : A l’audience publique du 06 octobre 2022, sans opposition du ou des avocats, Madame EMILY, Président de Chambre et Mme COURTADE, Conseillère, ont entendu les plaidoiries et en ont rendu compte à la cour dans son délibéré

MINISTERE PUBLIC : représenté par M. PAMART, Substitut Général,

GREFFIER : Mme FLEURY, greffier

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme EMILY, Président de Chambre,

Mme CHEENNE, Conseiller,

Mme COURTADE, Conseillère,

ARRÊT prononcé publiquement le 15 décembre 2022 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Madame EMILY, président, et Mme LE GALL, greffier

* * *

La SAS CBF, immatriculée au registre du commerce le 30 janvier 2017 et ayant son siège social sis [Adresse 12], exploitait une activité de « achat, vente de tous objets ou matériaux de construction, isolation, extérieure et intérieure ».

Le capital social de la société CBF d’un montant de 1.000 euros était détenu à hauteur de 50% par M. [H] [D], président, et à hauteur de 50% par M. [Z] [G], directeur général.

Suivant déclaration de cessation des paiements en date du 21 janvier 2019, le tribunal de commerce d’Alençon a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de la société CBF par jugement du 4 février 2019 et désigné la SELARL [S] [F] prise en la personne de Maître [S] [F] ès qualité de liquidateur judiciaire et la SCP Biget-Nowakowski ès qualités de commissaire-priseur, en fixant provisoirement la date de cessation des paiements au 21 décembre 2018 et en constatant que la société employait trois salariés à l’ouverture et que la procédure a été ouverte depuis moins de 3 ans conformément aux articles L. 651-2 alinéa 3 et L. 653-1 II du code de commerce.

Par requête en date du 3 décembre 2019 déposée au greffe du tribunal le 8 janvier 2020, M. le procureur de la République a saisi le tribunal de commerce d’Alençon afin de voir prononcer une mesure de faillite personnelle ou d’interdiction de gérer à l’égard de M. [H] [D], dirigeant de droit, et de M. [Z] [G], dirigeant de fait de la société CBF et de décider que le montant de l’insuffisance d’actif de ladite société sera supporté, en tout ou en partie, par M. [D] et M. [G], en raison de leurs agissements et des fautes de gestion relevées sur le fondement des articles L. 651-1 à L. 653-11 et R. 651-1 à R. 653-4 du code de commerce.

Par jugement réputé contradictoire du 21 avril 2020, le tribunal de commerce d’Alençon a :

– prononcé une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale pour une durée de 5 ans ) à l’égard de M. [H] [D], né le [Date naissance 5] 1966 à [Localité 10] (Côte d’Ivoire), de nationalité française demeurant [Adresse 3], dirigeant de droit de la société CBF (SAS), dont le siège social était situé [Adresse 12], exerçant l’activité de « achat, vente de tous objets ou matériaux de construction, isolation, extérieure et intérieure » (RCS Alençon 825 256 910),

– prononcé une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale pour une durée de 5 ans ) à l’égard de M. [Z] [G], né le [Date naissance 1] 1957 à [Localité 11] (Armenie), de nationalité française demeurant [Adresse 7], dirigeant de fait de la société CBF (SAS), dont le siège social était situé [Adresse 12], exerçant l’activité de « achat, vente de tous objets ou matériaux de construction, isolation, extérieure et intérieure » (RCS Alençon 825 256 910),

– condamné M. [H] [D] en qualité de dirigeant de droit de la personne morale à supporter à hauteur de la somme de 10.000 euros le montant partiel de l’insuffisance d’actif de la société CBF, somme qui sera répartie au marc le franc entre tous les créanciers ;

– condamné M. [Z] [G] en qualité de dirigeant de fait de la personne morale à supporter à hauteur de la somme de 20.000 euros le montant partiel de l’insuffisance d’actif de la société CBF (SAS), somme qui sera répartie au marc le franc entre tous les créanciers.

– ordonné l’exécution provisoire,

– dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

Par déclaration au greffe en date du 2 juin 2020, M. [G] a interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance de référé en date du 29 septembre 2020, le premier président de la cour d’appel de Caen a ordonné la suspension de l’exécution provisoire du jugement entrepris.

Par arrêt du 10 mars 2022, statuant sur déféré, la cour d’appel de Caen a infirmé l’ordonnance du conseiller de la mise en état du 23 juin 2021 et a jugé que les conclusions et pièces signifiées par la SELARL [F] ès qualités de liquidateur de la SARL CBF sont irrecevables.

M. [D] n’a pas constitué avocat bien que la déclaration d’appel et les premières conclusions d’appelant lui ont été signifiées le 7 août 2020 à l’étude d’huissier.

Par dernières conclusions déposées le 22 février 2021, le ministère public demande à la cour la confirmation du jugement entrepris s’agissant :

– de la contribution à l’insuffisance d’actif,

– du principe de l’interdiction de gérer, en sollicitant, toutefois, que la durée de cette dernière soit ramenée à la plus juste proportion de deux années.

Par dernières conclusions déposées le 5 avril 2022, M. [Z] [G] demande à la cour de :

A titre principal,

– Prononcer la nullité du jugement entrepris,

A titre subsidiaire,

Sur le fond,

– Infirmer le jugement entrepris sauf en ce qu’il a considéré que le délai de 45 jours pour solliciter l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire à compter de la date de cessation des paiements de la société CBF a été respecté,

Et, statuant à nouveau,

– Juger qu’il n’était pas dirigeant de fait de la société CBF,

– Infirmer entrepris en ce qu’il l’a condamné à supporter l’insuffisance d’actifs de la Société CBF à hauteur de 20 000 euros ;

– Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a prononcé une interdiction de gérer d’une durée de 5 ans à son encontre,

A titre très subsidiaire,

– Juger qu’il convient de ramener à une plus juste proportion, soit bien moins que les deux années demandées par le Ministère public, les condamnations dont il fait l’objet,

En tout état de cause,

– Condamner in solidum M. [D] et la SELARL [F] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société CBF à lui payer la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– Condamner in solidum M. [D] et la SELARL [F] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société CBF aux dépens.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 7 septembre 2022.

Il est expressément renvoyé aux écritures précitées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

MOTIFS

I. Sur la nullité du jugement

1. Sur le défaut de motivation de la requête du ministère public

L’art. R. 651-2 du code de commerce dispose que l’action en insuffisance d’actif émanant du ministère public, est faite par requête et indique les faits de nature à motiver cette demande.

Aux termes de sa requête du 3 décembre 2019, le procureur de la république a sollicité le prononcé d’une mesure de faillite personnelle ou d’interdiction de gérer à l’encontre de M. [G] ainsi que sa condamnation à tout ou partie de l’insuffisance d’actif, en invoquant notamment sa qualité de dirigeant de fait, son absence de coopération avec les organes de la procédure collective, le défaut de remise de toute comptabilité et de publication des comptes sociaux, l’absence de communication des éléments visés à l’article L 622-6 du code de commerce ainsi que le caractère tardif de la déclaration de cessation des paiements.

La requête est, contrairement à ce que soutient M. [G], suffisamment motivée en fait, étant rappelé que l’inexistence ou le caractère incomplet de la comptabilité peut fonder à la fois une sanction professionnelle (faillite personnelle/ interdiction de gérer) et constituer une faute de gestion justifiant une action en comblement de l’insuffisance d’actif.

Ce moyen de nullité est donc rejeté.

2. Sur la non-communication du rapport du juge-commissaire

Selon l’article R 662-12 du code de commerce, le tribunal statue sur rapport du juge-commissaire sur ce qui concerne notamment l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif, la faillite personnelle ou l’interdiction de gérer.

En l’espèce, il ressort des énonciations du jugement que le juge-commissaire a établi un rapport le 12 février 2020 qui a été déposé au greffe le lendemain.

M. [G] fait valoir que la consultation du dossier au greffe ne dispense pas celui-ci de communiquer à la partie qui le demande le rapport du juge-commissaire communiqué au ministère public et qu’il n’est pas démontré qu’il en a eu connaissance.

Cependant, l’appelant n’allègue ni ne justifie avoir formulé une demande préalable de communication auprès du greffe de sorte que ce moyen ne peut qu’être écarté.

3. Sur l’absence du ministère public à l’audience du tribunal

En vertu de l’article 431 du code de procédure civile, le ministère public n’est tenu d’assister à l’audience que dans les cas où il est partie principale, dans ceux où il représente autrui ou lorsque sa présence est rendue obligatoire par la loi.

En l’espèce, le ministère public, qui a saisi le tribunal, a la qualité de partie principale.

Il aurait donc dû être présent à l’audience pour soutenir sa requête.

Or, tel n’a pas été le cas de sorte qu’il convient d’annuler le jugement déféré.

L’absence du ministère public à l’audience n’affecte pas l’acte de saisine de la juridiction.

Par conséquent, en vertu de l’effet dévolutif, la cour est tenue de statuer sur le fond de l’affaire.

4. Sur la saisine d’office du président du tribunal

Contrairement à ce que prétend l’appelant, le tribunal de commerce n’a pas été saisi d’office par son président de la question de la responsabilité pour insuffisance d’actif mais sur la requête motivée du procureur de la république.

Ce moyen de nullité de la procédure est donc écarté.

II. Sur le fond

1. Sur la qualité de dirigeant de fait de M. [G]

Les sanctions d’interdiction de gérer et de contribution à l’insuffisance prévues par le code de commerce visent tant le dirigeant de droit que le dirigeant de fait de la personne morale.

En l’espèce, M. [H] [D], président de la SAS CBF, a la qualité de dirigeant de droit.

Il incombe au ministère public de démontrer que M. [G], directeur général de ladite société, en est le dirigeant de fait ce qui suppose l’accomplissement d’actes positifs de gestion ou de direction accomplis en toute indépendance ou encore l’immixtion dans la gestion de la société.

Cette preuve peut être rapportée par un faisceau d’indices.

L’appelant fait valoir qu’il était simplement commercial et avait l’obligation de rendre compte de ses activités.

Cependant, il résulte des éléments suivants :

– la détention de la signature bancaire de la SAS CBF et la représentation de celle-ci par M. [G] lors de l’audience d’ouverture de la liquidation judiciaire;

– le témoignage d’un salarié de la société attestant que ‘ M. [G] était le vrai gérant de la société SAS CBF; qu’il recevait les ordres de sa part; qu’il gérait entièrement l’entreprise, M. [H] [D] étant absent de l’entreprise, ne prenant aucune décision pour la bonne marche de l’entreprise.’

– une vidéo promotionnelle sur ‘You Tube’ dans laquelle M. [G] se présente comme le gérant de la société ;

– le fait que ce dernier était le dirigeant de plusieurs autre sociétés,

que M. [G] a exercé la gérance concrète, de fait, de la société CBF, disposant manifestement du pouvoir de décision et dirigeant l’entreprise en toute autonomie, cette fonction excédant son activité de salarié commercial.

2. Sur l’action en insuffisance d’actif

L’article L 651-2 du code de commerce dispose que lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion.

En l’espèce, il convient de relever que Messieurs [D] et [G] n’ont justifié devant le mandataire liquidateur d’aucune tenue de comptabilité ni du dépôt au greffe des comptes sociaux, ce en violation de leur obligation de dirigeant.

La production tardive et parcellaire en cause d’appel d’éléments comptables, à savoir les bilan et compte de résultat au titre de l’exercice 2017, dont ni la date à laquelle ils ont été dressés ni la réalité de leur approbation par les associés et de leur dépôt au greffe ne sont justifiées, ne permet pas de considérer que Messieurs [D] et [G] ont satisfait à leur obligation en matière comptable.

L’absence de tenue d’une comptabilité régulière et complète constitue une faute de gestion tant du dirigeant de droit que du dirigeant de fait en lien avec l’insuffisance d’actif d’un montant de 71 000€ (cf état du passif déclaré et inventaire de l’actif annexés à la requête du procureur de la république- pièce n° 5 de l’appelant), dans la mesure où elle a privé les gérants d’un outil de gestion qui leur aurait permis d’appréhender en temps réel la situation financière de l’entreprise et de prendre les mesures qui s’imposaient, par exemple de réduction des charges de personnel (trois salariés présents), au regard notamment de la faiblesse du chiffre d’affaires réalisé (36 297€ sur l’exercice clos au 31 décembre 2017) et de l’importance du passif.

M. [G] ne peut valablement se retrancher derrière la carence du représentant légal de la SAS.

Compte tenu de ces observations, il convient de condamner M. [G] à supporter le montant de l’insuffisance d’actif à hauteur de 20 000€, cette sanction étant proportionnée à l’importance du manquement commis, et à payer cette somme entre les mains de la SELARL [S] [F] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS CBF.

3. Sur l’interdiction de gérer

En application des articles L 653-5 6° et L 653-8 du code de commerce, l’interdiction de gérer peut être prononcée contre un dirigeant de personne morale contre lequel a été relevé notamment les faits suivants: ‘avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables.’

L’article L 653-11 énonce que le tribunal fixe la durée de la mesure qui ne peut être supérieure à 15 ans.

En cause d’appel, le ministère public ne retient plus que le seul grief tiré du caractère incomplet de la comptabilité à l’appui de sa demande d’interdiction de gérer.

Il a été jugé précédemment que ce manquement était caractérisé à l’encontre de M. [G].

Il convient donc de prononcer la sanction réclamée.

Au regard de la gravité de la faute commise et de la situation professionnelle de l’intéressé qui perçoit une pension de retraite mensuelle de 882€ et est directeur général de la société Anatole Rénovation, il convient de fixer la durée de la mesure à deux ans.

III. Sur les demandes accessoires

M. [G] succombant, est condamné aux dépens d’appel et est débouté de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt par défaut, mis à disposition au greffe, dans les limites de sa saisine,

ANNULE le jugement entrepris ;

Vu l’effet dévolutif de l’appel,

CONDAMNE M. [Z] [G] à supporter le montant de l’insuffisance d’actif de la SAS CBF à hauteur de 20 000€ et à payer cette somme entre les mains de la SELARL [S] [F] ès qualités de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la SAS CBF ;

PRONONCE à l’encontre de M. [Z] [G] l’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale pour une durée de deux ans ;

DEBOUTE M. [Z] [G] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [Z] [G] aux dépens de l’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

N. LE GALL F. EMILY

 


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