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MINUTE N° 611/22
Copie exécutoire à
– Me Guillaume HARTER
– Me Anne CROVISIER
Le 21.12.2022
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
PREMIERE CHAMBRE CIVILE – SECTION A
ARRET DU 21 Décembre 2022
Numéro d’inscription au répertoire général : 1 A N° RG 21/04806 – N° Portalis DBVW-V-B7F-HWYQ
Décision déférée à la Cour : 08 Novembre 2019 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE COLMAR – 1ère chambre civile
APPELANTE :
S.C.I. DU CERF
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Guillaume HARTER, avocat à la Cour
INTIMEE :
S.A.R.L. HOTEL RESTAURANT SAINT-NICOLAS
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Anne CROVISIER, avocat à la Cour
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 modifié du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 Novembre 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme PANETTA, Présidente de chambre, et M. LAETHIER, Vice-Président placé.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme PANETTA, Présidente de chambre
M. ROUBLOT, Conseiller
M. LAETHIER, Vice-Président placé
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE
ARRET :
– Contradictoire
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.
– signé par Mme Corinne PANETTA, présidente et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La société à responsabilité limitée (SARL) Hôtel Restaurant Saint-Nicolas a exploité un fonds de commerce d’hôtel-restaurant à Riquewihr dans des locaux appartenant à la société civile immobilière (SCI) du Cerf.
La SARL Hôtel Restaurant Saint-Nicolas, ayant pour gérante Mme [I] [E] (ex-épouse [J]), détient 60 % du capital social de la SCI du Cerf, ayant pour gérant M. [O] [J].
Selon acte reçu le 12 février 2014 par Maître [D], notaire à [Localité 4], et Maître [S], notaire à [Localité 5], les deux sociétés ont cédé, l’une les murs et l’autre le fonds de commerce, à une société en formation dénommée SCI Saint-Nicolas pour un prix de cession de 600 000 euros pour les bâtiments et de 200 000 euros pour le fonds de commerce.
Par acte introductif d’instance du 21 mars 2014, la SARL Hôtel Restaurant Saint-Nicolas a saisi le tribunal de grande instance de Colmar afin de voir condamner la SCI du Cerf à lui payer la somme de 445 000 euros, outre intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.
Par jugement réputé contradictoire du 27 octobre 2016, le tribunal a ordonné une expertise comptable afin de fournir tous éléments de nature à permettre d’établir les comptes entre les parties et notamment le montant de la créance de la SARL Hôtel Restaurant Saint-Nicolas à l’encontre de la SCI du Cerf suite à la vente de l’immeuble.
Le rapport d’expertise a été déposé le 14 novembre 2017.
Par jugement contradictoire du 8 novembre 2019, le tribunal de grande instance de Colmar a :
– condamné la SCI du Cerf à payer à la SARL Hôtel Restaurant Saint-Nicolas la somme de 396 146,36 euros, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
– débouté la SARL Hôtel Restaurant Saint-Nicolas de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la SCI du Cerf aux dépens, lesquels comprendront le coût de l’expertise judiciaire du 9 novembre 2017 ordonnée suite au jugement du tribunal de grande instance de Colmar du 27 octobre 2016,
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.
La SCI du Cerf a interjeté appel à l’encontre de ce jugement par déclaration du 10 décembre 2019.
La SARL Hôtel Restaurant Saint-Nicolas s’est constituée intimée le 13 janvier 2020.
Par arrêt du 18 octobre 2021, la cour d’appel a ordonné le retrait de la procédure du rôle des affaires en cours à la demande conjointe des parties.
Par acte du 16 novembre 2021, la SCI du Cerf a sollicité la reprise de l’instance.
Dans ses dernières conclusions du 22 mars 2022 auxquelles était joint un bordereau de communication de pièces qui n’a fait l’objet d’aucune contestation, la SCI du Cerf demande à la cour de :
– DECLARER l’appel formé par la SCI DU CERF à l’encontre du Jugement du Tribunal de Grande Instance de COLMAR du 8 novembre 2019 recevable et bien fondé,
Y faire droit,
En conséquence :
– INFIRMER le Jugement du Tribunal de Grande Instance de COLMAR du 8 novembre 2019,
STATUANT A NOUVEAU :
Avant dire droit :
– ORDONNER le sursis à statuer jusqu’à l’issue de la procédure engagée par Monsieur [J] à l’encontre de la SARL HOTEL RESTAURANT SAINT NICOLAS par devant le Tribunal de Grande Instance de COLMAR.
Au fond :
A titre principal :
– DEBOUTER la SARL HOTEL RESTAURANT SAINT NICOLAS de l’intégralité de ses fins et conclusions.
Subsidiairement :
– LIMITER à la somme de 95 971 € le montant de toute condamnation susceptible d’intervenir à l’encontre de la SCI DU CERF.
En tout état de cause :
– DEBOUTER la SARL HOTEL RESTAURANT SAINT NICOLAS de toute demande formée au titre d’un appel incident.
– LA CONDAMNER en tous les frais et dépens des deux instances ainsi qu’au paiement d’une indemnité de 2 000 par application de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Sur la demande de sursis à statuer, la SCI du Cerf fait valoir que les comptes entre les parties ne peuvent être établis de façon fidèle qu’en tenant compte de la créance personnelle que Monsieur [J] détient à l’égard de la SARL Hôtel Restaurant Saint-Nicolas et qu’une instance est pendante devant le tribunal judiciaire de Colmar concernant cette créance.
La SCI soutient que les conclusions de la SARL Hôtel Restaurant Saint-Nicolas en première instance ne mentionnaient pas le fondement juridique des demandes et qu’il n’appartenait pas au tribunal de suppléer la carence de la demanderesse en statuant au vu de l’article 1134 du code civil.
L’appelante expose que l’expert a précisé dans son rapport que le montant de la dette est appelé à varier entre le 1er janvier 2017 et la date de la dissolution de la SCI du Cerf en fonction des versements qui ont pu et peuvent encore être effectués par la SCI pour le compte de la SARL. Elle affirme qu’il ressort notamment d’un relevé de compte client établi par Maître [D], Notaire, le 19 novembre 2019 que la SARL lui est redevable d’une somme de 246 674 euros et qu’une éventuelle condamnation ne pourrait donc excéder la somme de 95 971 euros.
Dans ses dernières conclusions du 13 août 2020 auxquelles était joint un bordereau de communication de pièces qui n’a fait l’objet d’aucune contestation, la SARL Hôtel Restaurant Saint-Nicolas demande à la cour de :
– DECLARER l’appel de la SCI du CERF mal fondé.
– DEBOUTER l’appelante de ses fins et conclusions.
– CONFIRMER le jugement entrepris.
– CONDAMNER la SCI DU CERF au paiement d’un montant de 5 000 € par application de l’article 700 du CPC outre les entiers frais et dépens
Sur la demande de sursis à statuer, la SARL Hôtel Restaurant Saint-Nicolas fait valoir que la procédure vise à établir les comptes entre les deux sociétés et qu’il ne peut être retenu que la créance alléguée par M. [J], associé de la SCI du Cerf, viendrait diminuer la créance de la SARL Saint-Nicolas à l’égard de la SCI du Cerf.
Sur le fondement juridique de la demande, elle soutient que le premier juge s’est fondé à juste titre sur l’article 1134 du code civil, applicable au litige.
Sur les versements que l’appelante prétend avoir effectué pour le compte de la SARL Saint-Nicolas, l’intimée indique que les dettes à l’égard du trésor public sont antérieures à l’exercice 2017 et que le relevé de compte de Maître [D], en date du 19 novembre 2019, ne fait que traduire un certain nombre de mouvements et ne permet pas l’imputabilité des virements à la SARL Saint-Nicolas.
Pour l’exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux dernières conclusions précédemment visées en application de l’article 455 du code de procédure civile.
La clôture de la procédure a été prononcée le 8 avril 2022.
L’affaire a été appelée et retenue à l’audience du 9 novembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la recevabilité de l’appel principal :
Celle-ci n’étant pas contestée, il sera déclaré recevable.
Sur la demande de sursis à statuer :
En vertu de l’article 378 du code de procédure civile, la décision de sursis suspend le cours de l’instance pour le temps ou jusqu’à la survenance d’un événement qu’elle détermine.
Hors les cas où cette mesure est prévue par la loi, les juges du fond apprécient discrétionnairement l’opportunité du sursis à statuer dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice.
En l’espèce, la créance personnelle que détiendrait Monsieur [O] [J], en sa qualité d’associé, sur la SARL Hôtel Restaurant Saint-Nicolas n’a aucune incidence sur la solution du litige qui concerne deux personnes morales, la SARL Hôtel Restaurant Saint-Nicolas et la SCI du Cerf.
De plus, l’appelante ne justifie pas de l’existence d’une procédure pendante devant le tribunal judiciaire de Colmar.
En conséquence, la demande de sursis à statuer sera rejetée.
Sur le fondement juridique de la demande de la SARL Hôtel Restaurant Saint-Nicolas :
Aux termes de l’article 12 du code de procédure civile, ‘le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée Toutefois, il ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d’un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l’ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat. Le litige né, les parties peuvent aussi, dans les mêmes matières et sous la même condition, conférer au juge mission de statuer comme amiable compositeur, sous réserve d’appel si elles n’y ont pas spécialement renoncé’.
L’obligation faite au juge, en application de ces dispositions, de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables, lui impose, en l’absence de toute précision sur le fondement de la demande, d’examiner les faits sous tous leurs aspects juridiques conformément aux règles de droit qui leurs sont applicables.
L’office du juge est de donner ou de restituer l’exacte qualification aux faits et actes litigieux et de trancher le litige au regard des textes applicables en vigueur, ce qu’a effectué le premier juge en appliquant l’article 1134 du code civil malgré l’absence de précision sur le fondement juridique de la demande.
En conséquence, le moyen soulevé par la SCI du Cerf sera écarté.
Sur les comptes entre les parties :
Selon les dispositions de l’article 1134 du code civil dans sa version antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016, applicable au litige : ‘Les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise .’
En l’espèce, le tribunal s’est fondé sur les conclusions du rapport d’expertise établi par M. [C] [G], expert comptable, pour condamner la SCI du Cerf à payer à la SARL Hôtel Restaurant Saint-Nicolas la somme de 396 146,36 euros.
L’expert s’est appuyé sur les états comptables des deux sociétés, arrêtés au 31 décembre 2016, pour faire ressortir un solde de dette de la SCI envers la SARL de 396 146,36 euros selon le calcul suivant :
– dette en compte courant de la SCI vis-à-vis de la SARL : 427 340 euros
– dette en compte fournisseur de la SCI vis-à-vis de la SARL : 4 186 euros
– créance en compte client de la SCI vis-à-vis de la SARL : – 35 379,64 euros
L’expert précise dans son rapport que le montant de la dette est appelé à varier entre le 1er janvier 2017 et la date de la dissolution de la SCI, en fonction des versements effectués par la SCI pour le compte de la SARL car la SCI est la seule à détenir encore des fonds.
Les conclusions du rapport d’expertise ne sont pas contestées par les parties.
La SCI du Cerf affirme que la SARL lui est redevable d’une somme de 246 674 euros du fait de règlements intervenus depuis le 1er janvier 2017 selon le détail suivant :
– paiements figurant sur un relevé de compte client de Maître [D], notaire : 53 500,47 euros.
– loyers : 43 174 euros.
– créance détenue par M. [J] sur la SARL : 125 000 euros.
– frais d’avocat : 10 000 euros.
– frais judiciaires : 10 000 euros.
– frais de fonctionnement de la SCI : 5 000 euros.
A l’appui de ses allégations, elle produit un relevé de compte client établi par Maître [D], Notaire, le 19 novembre 2019.
Cependant, il ressort de l’examen de ce relevé que la plupart des règlements effectués par la SCI pour le compte de la SARL à compter du 1er janvier 2017 concerne des dettes, notamment fiscales, nées antérieurement au 1er janvier 2017.
L’appelante ne démontre pas que l’expert judiciaire, qui s’est fondé sur la comptabilité des deux sociétés arrêtée au 31 décembre 2016, n’a pas eu connaissance de ces règlements au moment d’établir son rapport.
Seuls les règlements effectués par la SCI pour le compte de la SARL afférents à des dettes nées après le 1er janvier 2017 peuvent être pris en compte, à savoir :
– facture CAGEX du 30 juin 2017 : paiement de 1200 euros effectué le 17 mai 2018
– facture CAGEX du 15 novembre 2017 : paiement de 528,84 euros effectué le 17 mai 2018
Total : 1 728,84 euros
Le relevé du notaire fait également mention du règlement d’une facture de 2017 au bénéfice de Me Dieudonné d’un montant de 1800 euros mais le libellé du règlement (‘P/CPT SARL SAINT NICOLAS, SCI DU CERF, Mme [E], M. [J]’) ne permet pas d’établir qu’il s’agit d’un paiement effectué par la SCI pour le compte exclusif de la SARL.
Par ailleurs, l’appelante mentionne l’existence de loyers impayés d’un montant de 43 174 euros dus par la SARL Hôtel Restaurant Saint-Nicolas.
Là encore, il s’agit d’une créance née antérieurement au 1er janvier 2017 puisqu’elle figure dans les comptes annuels de la SARL arrêtés au 31 décembre 2015.
En ce qui concerne la créance de 125 000 euros qui serait détenue par M. [J], en sa qualité d’associé, sur la SARL Hôtel Restaurant Saint-Nicolas, il s’agit d’une créance personnelle de M. [J], qui n’est pas partie à la procédure, et non de la SCI du Cerf, personne morale seule concernée par la présente instance.
Par conséquent, cette créance ne saurait figurer dans les comptes entre les parties.
Enfin, s’agissant des divers règlements (10 000 euros de frais d’avocat, 10 000 euros de frais judiciaires, 5 000 euros de frais de fonctionnement de la SCI) que la SCI aurait effectués pour le compte de la SARL, l’appelante ne produit aucune pièce justificative à l’appui de ses allégations.
Il résulte de ce qui précède que seule la somme de 1 728,84 euros peut être retenue au titre des versements effectués par la SCI pour le compte de la SARL à compter du 1er janvier 2017.
La créance détenue par la SARL Hôtel Restaurant Saint-Nicolas à l’encontre de la SCI du Cerf s’élève à la somme de 394 417,52 euros (396 146,36 euros – 1 728,84 euros).
Il convient donc d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a condamné la SCI du Cerf à payer à la SARL Hôtel Restaurant Saint-Nicolas la somme de 396 146,36 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement, et statuant à nouveau, de condamner la SCI du Cerf à payer à la SARL Hôtel Restaurant Saint-Nicolas la somme de 394 417,52 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :
Les dispositions du jugement déféré quant aux frais et dépens seront confirmées.
Succombant pour l’essentiel, la société civile immobilière du Cerf sera condamnée au paiement des dépens de l’instance d’appel.
L’équité commande de ne pas prononcer de condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile de sorte que les demandes présentées à hauteur de cour de ce chef seront rejetées.
P A R C E S M O T I F S
La Cour,
Déclare recevable l’appel formé par la SCI du Cerf,
Rejette la demande de sursis à statuer,
Infirme le jugement rendu le 8 novembre 2019 par le tribunal de grande instance de Colmar, 1ère chambre civile, en ce qu’il a condamné la SCI du Cerf à payer à la SARL Hôtel Restaurant Saint-Nicolas la somme de 396 146,36 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
Confirme le jugement entrepris pour le surplus,
Statuant à nouveau du chef de demande infirmé et y ajoutant,
Condamne la SCI du Cerf à payer à la SARL Hôtel Restaurant Saint-Nicolas, la somme de 394 417,52 euros, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Condamne la SCI du Cerf à supporter les dépens d’appel,
Rejette les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.
La Greffière : la Présidente :