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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
N° RG 21/02594 – N° Portalis DBVS-V-B7F-FTN4
Minute n° 23/00091
[O]
C/
[C], S.A.R.L. LES EDITIONS EVEIL & DECOUVERTES
Tribunal de Grande Instance de Nancy
Jugement du 16 Décembre 2013
Cour d’Appel de NANCY
Arrêt du 24 Octobre 2017
Cour de cassation
Arrêt du 4 Juillet 2019
COUR D’APPEL DE METZ
1ère CHAMBRE CIVILE
RENVOI APRES CASSATION
ARRÊT DU 11 AVRIL 2023
DEMANDEUR A LA REPRISE D’INSTANCE:
Monsieur [T] [O]
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représenté par Me Patrick VANMANSART, avocat postulant au barreau de METZ et par Me Stéphane POLACCI, avocat plaidant au barreau de PARIS
DEFENDEUR A LA REPRISE D’INSTANCE:
Maître [B] [H] [C] Es qualité de Commissaire à l’éxécution du plan de la SARL LES EDITIONS EVEIL & DECOUVERTES
[Adresse 3]
[Localité 1]
Non représenté
S.A.R.L. LES EDITIONS EVEIL & DECOUVERTES
[Adresse 2]
[Localité 5]
Non représenté
DATE DES DÉBATS : A l’audience publique du 10 Novembre 2022 tenue en double rapporteur par Mme Anne-Yvonne FLORES, Président de chambre et Mme Laurence FOURNEL, Conseillère, qui ont entendu les plaidoiries, les avocats ne s’y étant pas opposés et en ont rendu compte à la cour dans leur délibéré, pour l’arrêt être rendu le 11 Avril 2023 en application de l’article 450 alinéa 3 du code de procédure civile
GREFFIER PRÉSENT AUX DÉBATS : Mme Cindy NONDIER
COMPOSITION DE LA COUR:
PRÉSIDENT : Mme FLORES, Présidente de Chambre
ASSESSEURS : Mme FOURNEL,Conseillère
Mme BIRONNEAU, Conseillère
ARRÊT : Réputé contradictoire
Rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme FLORES, Présidente de Chambre et par Mme NONDIER, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Monsieur [T] [O], interprète de chansons destinées à la petite enfance, a créé, le 13 avril 2005, la société Eveil et Découvertes, sous la forme d’une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, puis à compter de l’année 2008, d’une société à responsabilité limitée dont son épouse, Madame [J] [N], était la gérante de droit, chacun des époux détenant la moitié des parts.
La mésentente s’étant installée entre les époux, une procédure de divorce a été engagée, et le président du tribunal de commerce de Chalon-sur-Saône a, par ordonnance du 25 juin 2012, désigné d’une part M. [A] [K] en qualité d’administrateur provisoire, d’autre part M. [E] [W] en qualité d’expert judiciaire, afin que ce dernier estime le montant des droits d’auteur revenant à M. [O] et fixe la valeur des titres détenus par celui-ci.
Au motif que la société qu’il avait créée refusait de le rémunérer pour ses créations, qui faisaient pourtant le succès de son catalogue, alors qu’elle continuait de les exploiter et de les rééditer, et que M. [K] avait opposé un refus à sa demande en paiement de factures de redevances, M. [O] a, par acte d’huissier du 03 octobre 2011, fait assigner la SARL Eveil et Découvertes devant le tribunal de grande instance de Nancy pour faire reconnaître ses droits d’auteur, ordonner une expertise afin de dresser la liste des ‘uvres lui donnant droit à rémunération et de faire les comptes, et de condamner la société défenderesse à lui payer des dommages-intérêts en réparation de son préjudice ainsi qu’une indemnité de procédure.
Par jugement du 16 décembre 2013, la juridiction ainsi saisie, après avoir dit qu’il n’y avait pas lieu de surseoir à statuer dans l’attente des résultats de l’expertise ordonnée par le président du tribunal de commerce afin d’évaluer les droits d’auteur de M. [O], a déclaré les demandes de celui-ci pour partie irrecevables, pour partie mal fondées et l’a condamné au paiement d’une somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Pour statuer ainsi, le tribunal a considéré que si M. [O] justifiait de sa qualité d’interprète des titres litigieux, en revanche, il ne rapportait pas la preuve de sa paternité personnelle à l’égard d”uvres qui, soit relevaient du domaine public, soit étaient des ‘uvres de collaboration. Il a encore relevé que le demandeur, qui s’est comporté comme le dirigeant de fait de la société Eveil et Découvertes, ne pouvait invoquer ses propres manquements pour se voir indemniser de l’atteinte à ses droits. Il a enfin rappelé le caractère subsidiaire de l’action fondée sur l’enrichissement sans cause, et jugé que l’action fondée sur la contrefaçon du droit d’auteur étant rejetée, elle ne pouvait prospérer sur ce second fondement.
Saisie de l’appel formé par M. [O] la cour d’appel de Nancy a, par arrêt partiellement infirmatif du 09 février 2015 :
dit que M. [O] était l’auteur des paroles et de la musique des deux chansons intitulées « La chanson des petits » et « Je fais le tour de ma maison » qui sont comprises dans le recueil « 60 comptines et formulettes pour crèches » diffusé par la SARL Eveil & Découvertes ;
dit que M. [O] était l’interprète des chansons dont Mme [F], huissier de justice, avait constaté dans son procès-verbal du 31 janvier 2011 qu’elles étaient chantées par lui ;
ordonné la mise en ‘uvre d’une expertise judiciaire confiée à M. [P], lui donnant pour mission de déterminer, au regard des recettes enregistrées par la société Eveil & Découvertes au titre des exercices des années 2005 à 2010 : la rémunération due à M. [O] après évaluation de sa participation proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l’exploitation des deux chansons dont il est l’auteur, ou la rémunération forfaitaire due au même titre conformément aux dispositions de l’article L.131-4 du code de la propriété littéraire et artistique; la rémunération due à M. [O] à titre de redevances calculées sur le nombre des chansons qu’il a interprétées et qui sont comprises dans le recueils diffusés par la SARL Eveil & Découvertes ;
sursis à statuer sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile ;
sursis à statuer sur les dépens.
L’expert ainsi désigné ayant rempli sa mission et déposé son rapport le 23 août 2016, M. [O] a par conclusions de reprise d’instance demandé à la cour de prononcer la résiliation judiciaire des contrats le liant à la société Eveil & Découvertes et de condamner celle-ci à lui payer différentes sommes.
Par arrêt du 24 octobre 2017, la cour d’appel de Nancy a :
infirmé le jugement déféré et, statuant à nouveau ;
condamné la société Eveil & Découvertes à payer à M. [O] les sommes suivants : 12 600 euros au titre de ses droits d’auteur, 41 227,89 euros au titre de ses droits d’artiste-interprète, avec les intérêts au taux légal à valoir sur ces sommes à compter de la présente décision, 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
débouté M. [O] de sa demande de dommages-intérêts ;
prononcé la résiliation des contrats qui lient M. [O] en tant qu’auteur-compositeur et artiste-interprète à la société Eveil & Découvertes ;
débouté la société Eveil & Découvertes de sa demande d’indemnité de procédure en cause d’appel ;
condamne la société Eveil & Découvertes aux entiers dépens et autorisé M. Bach-Wasserman, qui en a fait la demande, à recouvrer directement contre elle des dépens dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Pour calculer les droits d’auteur dus à M. [O], la cour s’est référée aux conclusions de l’expert judiciaire, lequel a adopté la règle d’usage avancée par M. [O], à savoir une rémunération fixée à la somme de 150 euros par tranche de 1 000 exemplaires fabriqués. Au vu des chiffres communiqués par les différents diffuseurs, la cour a retenu un total de 84 093 exemplaires supports de diffusion des deux chansons dont M. [O] est l’auteur soit la somme totale de 150 euros x 84 euros= 12 600 euros.
Pour calculer les droits d’artiste-interprète dus à M. [O], la cour s’en est également référée aux conclusions de l’expert judiciaire et a appliqué un pourcentage de 8% sur les recettes tirées de la vente des différents recueils de chansons tout en retenant exclusivement les textes qui étaient interprétés par lui.
La cour a en revanche écarté la demande en paiement de M. [O] en paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts, en considérant qu’il ne démontrait pas le préjudice allégué, à savoir l’abstention par la société Eveil & Découvertes de produire les chiffres exacts de vente de ses ‘uvres.
Elle a fait droit à la demande de résiliation des contrats présentée par M. [O], en considérant que la SARL Eveil & Découvertes n’avait pas satisfait à ses obligations de rendre compte et de payer des redevances.
La SARL Eveil & Découvertes a formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cette décision.
Par arrêt du 04 juillet 2019, la cour de cassation a :
cassé et annulé, mais seulement en ce qu’il condamne la société les éditions Eveil & Découvertes à payer à M. [O] la somme de 12 600 euros au titre de ses droits d’auteur l’arrêt rendu le 24 octobre 2017, entre les parties, par la cour d’appel de Nancy; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Metz;
condamné M. [O] aux dépens ;
vu l’article 700 du code de procédure, rejeté les demandes ;
dit que sur les diligences du procureur général près de la cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé.
Pour statuer ainsi, la cour de cassation a retenu que pour fixer à la somme de 12 600 euros la condamnation de la SARL Eveil & Découvertes au titre des droits d’auteur éludés, l’arrêt reprenant l’évaluation de l’expert avait pris pour base un montant de 150 euros par tranche de mille exemplaires de l’album vendus, qu’en statuant ainsi alors que la rémunération de l’auteur doit être proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l’exploitation, la cour d’appel a violé les dispositions de l’article L.131-4 du code de la propriété intellectuelle.
Par déclaration de saisine enregistrée au greffe de la cour d’appel de Metz le 04 septembre 2019, M. [O] a saisi la cour de céans aux fins de reprise après cassation.
Par arrêt du 22 septembre 2020 et à la demande des parties, qui indiquaient qu’elles n’avaient pas appelé en la cause le commissaire à l’exécution de plan de sauvegarde de la SARL Eveil & Découvertes, la cour d’appel de Metz a prononcé la radiation de l’affaire.
Par conclusions déposées le 25 octobre 2020, M. [O] a sollicité la reprise de l’instance.
Bien que les conclusions en reprise d’instance aient été signifiées à la SARL les Editions Eveil & Découvertes ainsi qu’à M. [C] le commissaire à l’exécution de plan de sauvegarde de la SARL Eveil & Découvertes par voie d’huissier le 10 novembre 2021, en l’étude pour la SARL Eveil & Découvertes et à domicile pour M. [C], la SARL Eveil & Découvertes n’a pas constitué avocat ni conclu.
Il résulte de l’article 634 du code de procédure civile qu’en cas de renvoi après cassation, la partie qui ne comparaît pas est réputée s’en tenir aux moyens et prétentions qu’elle avait remis à la juridiction dont la décision a été cassée.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET DES MOYENS DES PARTIES
Par conclusions signifiées le 10 novembre 2021, auxquelles il sera expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, M. [O] demande à la cour, au visa de l’article L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle, des articles L. 335-2 et L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle et de l’arrêt du 09 février 2015 de la cour d’appel de Nancy constatant les qualités d’auteur et d’artiste-interprète de M. [O], de :
dire et juger que M. [O] a droit à juste rémunération du fait de l’exploitation de ses oeuvres par la société Eveil & Découvertes ;
Par conséquent, réformant le jugement entrepris :
constater la dette de la société des éditions Éveil & Découvertes envers M. [O] d’un montant de 12 600 euros au titre de ses droits d’auteur pour l’exploitation de ses oeuvres sur la période de janvier 2005 à décembre 2010 avec intérêt au taux légal à compter de l’année 2005 et fixer la créance de M. [O] sur ce fondement à l’encontre de la société Eveil & Découvertes à la somme de 12 600 euros avec intérêt au taux légal à compter de l’année 2005 ;
constater la dette de la société des éditions Éveil & Découvertes envers M. [O] d’un montant de 15 000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice patrimonial subi avec intérêts au taux légal à compter de l’année 2005 et fixer la créance de M. [O] sur ce fondement à l’encontre de la société Eveil & Découvertes à la somme de 15 000 euros ;
condamner la société des éditions Eveil & Découvertes à payer à M. [O] la somme de 7 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
ordonner l’inscription desdites condamnations par le mandataire ad hoc au titre des dettes de la société Eveil & Découvertes ;
condamner la société Eveil et Découvertes en tous les dépens de l’instance en ce compris le coût de l’expertise.
Sur le fondement juridique de l’action, l’appelant fait valoir que ses qualités d’auteur et d’artiste interprète ont été reconnues par décision de justice devenue définitive et ayant force de chose jugée, qu’il ne reste plus qu’à fixer le montant de ses droits en tant qu’auteur et qu’il entend solliciter réparation du préjudice qu’il a subi sous la forme d’une somme forfaitaire équivalente aux redevances qu’il aurait dû toucher si la société Eveil & Découvertes avait exploité licitement ses ‘uvres.
M. [O] estime que la détermination du taux applicable à un artiste répond à plusieurs critères dont le plus influent est la notoriété de l’artiste. L’appelant expose que compte tenu du fait qu’il est un chanteur qui se dédie à un public spécifique car il est un chanteur pour enfants, il convient de considérer sa popularité auprès de ce public particulier afin de déterminer le pourcentage lui étant dû au titre de ses droits.
S’agissant de sa notoriété, M. [O] fait valoir qu’il bénéficie d’une très large couverture médiatique proportionnelle à sa renommée, qu’il a fait la couverture de nombreux magazines pour enfants, qu’il a présenté des programmes télévisés pour des chaînes enfants, qu’il a effectué plus d’une centaine de représentations dans les écoles et théâtres de sorte que son succès commercial est incontestable et corrélé à l’existence d’un public constant attaché à sa personne. L’appelant indique qu’il justifie de 29 ans de carrière et d’une actualité importante ainsi que de récompenses conséquentes notamment plusieurs disques d’or. Il en déduit que le taux appliqué ne peut correspondre à un premier contrat d’un artiste en début de carrière à savoir entre 8 et 10 % et il sollicite que le taux soit fixé à 15%.
Sur le chiffrage des droits d’auteur-compositeur, M. [O] rappelle que le mode de calcul qu’il avait proposé, à savoir la somme forfaitaire de 150 euros par tranche de 1000 exemplaires fabriqués, avait été débattu lors des opérations d’expertise judiciaire et que l’article L131-4 du code de la propriété intellectuelle permet une évaluation forfaitaire notamment dans le cas où la base de calcul de la participation proportionnelle ne peut pas être déterminée.
Il estime que c’est précisément le cas en l’espèce puisque les documents relatifs aux ventes ont été dissimulés par la SARL Eveil & Découvertes.
Il sollicite donc la somme de 12 600 euros au titre de l’exploitation graphique de ces deux textes assorti des intérêts au taux légal à compter de 2005.
Sur le préjudice d’exploitation, l’appelant fait valoir que l’absence de communication par la société Eveil & Découvertes de données précises sur la vente des ‘uvres lui porte nécessairement préjudice, puisque seule la société Eveil & Découvertes détient les chiffres de vente exacts.
Dans ses dernières conclusions déposées le 24 février 2017, auxquelles il sera expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, la société Eveil & Découvertes demande à la cour de :
débouter M. [O] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions.
Subsidiairement, dire et juger que ses droits d’auteur au titre de la reproduction graphique de ses ‘uvres, pour les années 2005 à 2010, se limitent à la somme de 75,16 euros ;
dire et juger qu’il ne saurait revendiquer un pourcentage supérieur à 3 % des recettes au titre de ses droits d’artiste interprète ;
condamner M. [O] à verser à la SARL Eveil & Découvertes la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
condamner M. [O] aux entiers dépens, qui comprendront les frais d’expertise.
La SARL Eveil & Découvertes indique que M. [O] n’est pas l’auteur des deux chansons retenues par la cour de sorte qu’il ne peut revendiquer aucune redevance sur ces deux titres. Elle soutient, s’agissant du montant des droits d’auteur, qu’un pourcentage de 1 % paraît conforme aux usages en la matière, et que rien ne justifie l’octroi d’une somme de 150 euros par tranche de 1 000 exemplaires. Elle considère que l’expert judiciaire se contredit puisqu’il juxtapose la démonstration de son pré-rapport et les allégations de M. [O] qu’il reprend telles quelles, sans même en débattre ou les critiquer.
L’affaire a été mise en délibérée lors de l’audience de plaidoirie du 10 novembre 2022.
Le 7 mars 2023, la note en délibéré suivante a été transmise au conseil de M. [O] :
« L’article 638 du code de procédure civile dispose que l’affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l’exclusion des chefs non atteints par la cassation.
Il s’en déduit que la cour d’appel de renvoi ne peut statuer sur les chefs non atteints par la cassation qui bénéficient de l’autorité de la chose jugée.
Par arrêt du 04 juillet 2019, la cour de cassation saisie par pourvoi de la SARL Les Editions Eveil & Découvertes a cassé et annulé, mais seulement en ce qu’il condamne la société les Editions Eveil & Découvertes à payer à M. [O] la somme de 12 600 euros au titre de ses droits d’auteur l’arrêt rendu le 24 octobre 2017, entre les parties, par la cour d’appel de Nancy.
Devant la cour d’appel de renvoi, M. [O] demande la fixation d’une créance de dommages et intérêts de 15 000 euros au motif du comportement de l’intimée, qui dissimulerait les chiffres de ventes exacts des ‘uvres le concernant.
Mais M. [O] n’avait pas formé de pourvoi incident sur le chef de la décision de la cour d’appel de Nancy ayant rejeté sa demande de dommages et intérêts à l’encontre de la SARL Les Editions Eveil & Découvertes au motif de la rétention injustifiée des chiffres de vente.
Le chef de la décision de la cour d’appel de Nancy ayant rejeté sa demande de dommages et intérêts serait donc assorti de l’autorité de chose jugée.
M. [O] est invité à faire toute observation utile sur ce point avant le 21 mars 2023 ».
Le délibéré a donc été prorogé jusqu’au 28 mars 2023.
Par note transmise le 20 mars 2023, M. [O] soutient que sa demande de dommages et intérêts ne correspond pas à celle qui a déjà été jugée, mais aux nouveaux dommages subis dans le cadre de la procédure reprise devant la cour d’appel de Metz.
Il ajoute que la décision de la cour de cassation impose un calcul des droits proportionnels au nombre de ventes et que chaque vente non déclarée dans le cadre de la procédure de renvoi créé un préjudice unique, particulier et nouveau.
MOTIFS DE LA DECISION
I- Sur la recevabilité des prétentions de M. [O] à l’encontre de la SARL Eveil & Découvertes
Il résulte de l’article 472 du code de procédure civile qu’en appel, si l’intimé ne conclut pas, il est néanmoins statué sur le fond, et le juge ne fait droit aux prétentions et aux moyens des parties que dans la mesure où il les estime réguliers, recevables et bien fondés.
Le jugement d’ouverture de la sauvegarde judiciaire concernant la SARL Eveil & Découvertes a été publié au BODACC le 26 décembre 2018.
Par jugement du 18 février 2020, le tribunal de commerce de Dijon a mis fin à la période d’observation et a arrêté le plan proposé par la SARL Eveil & Découvertes, en désignant M. [C] ès qualités de commissaire à l’exécution du plan.
Par jugement du 6 juillet 2021, le tribunal de commerce de Dijon a confirmé l’ordonnance du juge-commissaire ayant relevé M. [O] de la forclusion qu’il encourait dans le cadre de sa déclaration de créances. Il résulte de la lecture dudit jugement que cette déclaration portait bien sur les sommes en litige dans le cadre de la présente procédure et plus particulièrement sur les sommes restant dues à M. [O] au titre de ses droits d’auteur.
Enfin, il sera relevé que la déclaration de saisine de la cour d’appel de renvoi a bien été signifiée le 10 novembre 2021 à la SARL Les Editions Eveil & Découvertes et à son commissaire à l’exécution du plan.
La cour ne fera droit aux prétentions de M. [O] contre la SARL Les Editions Eveil & Découvertes que s’il les estime recevables et bien fondées.
II- Sur la portée du renvoi de cassation
L’article 638 du code de procédure civile dispose que l’affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l’exclusion des chefs non atteints par la cassation.
Il s’en déduit que la cour d’appel de renvoi ne peut statuer sur les chefs non atteints par la cassation qui bénéficient de l’autorité de la chose jugée.
Par arrêt du 04 juillet 2019, la cour de cassation saisie par pourvoi de la SARL Les Editions Eveil & Découvertes a cassé et annulé, mais seulement en ce qu’il condamne la société les Editions Eveil & Découvertes à payer à M. [O] la somme de 12 600 euros au titre de ses droits d’auteur l’arrêt rendu le 24 octobre 2017, entre les parties, par la cour d’appel de Nancy.
Devant la cour d’appel de renvoi, M. [O] demande la fixation d’une créance de dommages et intérêts de 15 000 euros au motif du comportement de l’intimée, qui dissimulerait les chiffres de ventes exacts des ‘uvres le concernant.
Mais M. [O] n’avait pas formé de pourvoi incident sur le chef de la décision de la cour d’appel de Nancy ayant rejeté sa demande de dommages et intérêts à l’encontre de la SARL Les Editions Eveil & Découvertes au motif de la rétention injustifiée des chiffres de vente.
S’il affirme se prévaloir devant la cour d’appel de renvoi d’un nouveau préjudice, au motif du mode de calcul demandé par la cour de cassation, il sera observé que le mode de calcul proposé par M. [O] et retenu par la cour d’appel de Nancy, à savoir un forfait par tranche d’exemplaires vendus, supposait également de connaître le nombre exact de ventes réalisées.
Au surplus devant la présente juridiction, M. [O] ne justifie pas avoir sollicité de nouveau auprès de la société Eveil & Découvertes les chiffres exacts de ventes de ses ‘uvres, ni de s’être vu opposer un refus sur ce point.
La demande de fixation de la somme de 15 000 euros au passif de la SARL Les Editions Eveil & Découvertes à titre de dommages et intérêts ne constitue donc pas une demande nouvelle et le chef de la décision de la cour d’appel de Nancy ayant rejeté sa demande de dommages et intérêts est donc assorti de l’autorité de chose jugée.
Par voie de conséquence, la cour déclare irrecevable la demande de M. [O] de la fixation de la somme de 15 000 euros au passif de la SARL Les Editions Eveil & Découvertes à titre de dommages et intérêts.
III- Sur les droits d’auteurs dus à M. [O]
L’article 131-4 du code de la propriété intellectuelle dispose que :
« La cession par l’auteur de ses droits sur son oeuvre peut être totale ou partielle. Elle doit comporter au profit de l’auteur la participation proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l’exploitation. Toutefois, la rémunération de l’auteur peut être évaluée forfaitairement dans les cas suivants :
1° La base de calcul de la participation proportionnelle ne peut être pratiquement déterminée;
2° Les moyens de contrôler l’application de la participation font défaut ;
3° Les frais des opérations de calcul et de contrôle seraient hors de proportion avec les résultats à atteindre ;
4° La nature ou les conditions de l’exploitation rendent impossible l’application de la règle de la rémunération proportionnelle, soit que la contribution de l’auteur ne constitue pas l’un des éléments essentiels de la création intellectuelle de l’oeuvre, soit que l’utilisation de l’oeuvre ne présente qu’un caractère accessoire par rapport à l’objet exploité ;
5° En cas de cession des droits portant sur un logiciel ;
6° Dans les autres cas prévus au présent code.
Est également licite la conversion entre les parties, à la demande de l’auteur, des droits provenant des contrats en vigueur en annuités forfaitaires pour des durées à déterminer entre les parties ».
Ces dispositions de l’article L.131-4 du code de la propriété intellectuelle présentent un caractère impératif.
M. [O] demande le règlement de la somme de 12 600 euros au titre de ses droits d’auteurs, mais cette somme correspond à la règle d’usage avancée par M. [O] lors des opérations d’expertise judiciaire, à savoir une rémunération fixée à la somme de 150 euros par tranche de 1 000 exemplaires fabriqués, soit en l’espèce la somme de 150 euros x 84 = 12 600 euros.
Il s’agit donc d’une somme forfaitaire, or l’article L.131-4 ne prévoit de calcul forfaitaire que s’il n’est pas possible de connaître les recettes brutes de ventes. En outre, l’application d’une somme de 150 euros par tranche de 1 000 exemplaires fabriqués assurerait à M. [O] une rémunération en qualité d’auteur pour tous les titres des albums, alors même qu’il n’a été reconnu l’auteur que de deux chansons.
Les deux chansons intitulées « La chanson des petites mains » et « Je fais le tour de ma maison » dont M. [O] a été reconnu comme étant l’auteur sont comprises dans le recueil ayant pour titre « 60 comptines et formulettes pour crèches » mais aussi sur les albums « Comptines à mimer et jeux de doigts » et « 60 comptines pour des crèches ». Le nombre de titres gravés sur l’album « Comptines à mimer et jeux de doigts » n’est pas communiqué et ne ressort pas des pièces versées aux débats, il sera donc considéré qu’il y en a 60, selon le format habituel privilégié par la SARL Eveil & Découvertes.
Selon les informations communiquées dans le rapport d’expertise judiciaire et par M. [O], les chiffres des ventes de ces albums, CD ou DVD, sont les suivants :
« 60 comptines et formulettes pour crèches » : entre 2005 et 2010, 29 851 exemplaires vendus par la société EMI, 26 835 vendus par la société France Loisirs et 1060 exemplaires par la société Daudin, soit un nombre total de 57 746 exemplaires ;
« Comptines à mimer et jeux de doigts Volume 2 et 4» sur CD et DVD: 18 479 exemplaires vendus (dont 4 743 par la société Daudin) ;
« 60 comptines pour des crèches » : 7 870 exemplaires.
Ainsi 84 095 CD ou DVD contenant les deux chansons dont M. [O] est l’auteur ont été vendus entre 2005 et 2010.
M [O] indique que ces ‘uvres étaient vendues entre 10 et 15 euros en moyenne, sans autre précision mais cette fourchette apparaît effectivement conforme aux prix publics pratiqués pour les CD et DVD, étant rappelé que le prix de vente retenu est le prix hors taxe et que le prix pouvait varier d’un point de vente à l’autre et d’un distributeur à l’autre.
Un prix moyen de 12,5 euros TTC correspond à un CD ou un DVD à 10,42 euros HT (TVA à 20%).
Sur le taux de rémunération dû à l’auteur, il est exact que sans être connu du grand public, M. [O] dispose d’une certaine notoriété en tant que chanteur pour enfants, car il donne de nombreux spectacles dans les écoles et les crèches ainsi que dans de petites salles de concert. Il a aussi fait l’objet d’un article dans une revue professionnelle de référence pour les enseignants.
Dans ces conditions, le taux de 15% de rémunération proposé par M. [O] semble adéquat, étant toutefois rappelé qu’il n’est l’auteur que de deux chansons sur toutes celles qui figurent sur ses albums.
Dans ces conditions, la formule de calcul de la rémunération de M. [O] pour une chanson est la suivante : (84 095 exemplaires x 10,40 euros HT x 15%)/60 = 2 186,47 euros soit pour deux chansons 4 372,94 euros.
Les sommes dues produiront intérêts à compter du 3 octobre 2011, date de l’assignation en justice, conformément aux dispositions de l’article 1231-6 du code civil (ancien article 1153).
Ainsi la cour infirme la décision entreprise en ce qu’elle a rejeté la demande de M. [O] au titre de ses droits d’auteur et statuant à nouveau, fixe au passif de la SARL Eveil & Découvertes la somme de 4 372,94 euros au titre des droits d’auteur dus à M. [O] pour la période de 2005 à 2010, avec intérêts au taux légal à compter du 3 octobre 2011.
IV- Sur les dépens et les frais irrépétibles
La SARL Eveil & Découvertes qui succombe sera condamnée aux entiers dépens de première instance ainsi qu’aux dépens de l’appel et à ceux engagés devant la cour d’appel de Nancy, y compris les frais d’expertise.
Pour des considérations d’équité, elle devra aussi payer la somme de 7 000 euros à M. [O] en application de l’article 700 du code de procédure civile.
La cour rappelle qu’il appartiendra au greffier du tribunal de commerce compétent d’inscrire les condamnations prononcées au passif de la SARL Eveil & Découvertes.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare irrecevable la demande de M. [T] [O] de la fixation de la somme de 15 000 euros au passif de la SARL Les Editions Eveil et Découvertes à titre de dommages et intérêts ;
Infirme le jugement du 16 décembre 2013 du tribunal de grande instance de Nancy en ce qu’il a rejeté la demande de M. [O] au titre de ses droits d’auteur ;
Statuant à nouveau dans la limite de l’arrêt de renvoi de la cour de cassation,
Fixe au passif de la SARL Eveil & Découvertes la somme de 4 372,94 euros au titre des droits d’auteur dus à M. [T] [O] pour la période 2005-2010, avec intérêts au taux légal à compter du 3 octobre 2011;
Condamne la SARL Eveil & Découvertes aux dépens de première d’instance ;
Y ajoutant,
Condamne la SARL Eveil & Découvertes aux dépens de l’appel et à ceux engagés devant la cour d’appel de Nancy, y compris les frais de l’expertise judiciaire confiée à M. [P] ;
Condamne la SARL Eveil & Découvertes à payer à M. [T] [O] la somme de 7 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
La Greffière La Présidente de chambre