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AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatre mai deux mille six, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller DULIN, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général DAVENAS ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
– X… Joseph,
contre l’arrêt de la cour d’appel de BASTIA, chambre correctionnelle, en date du 15 décembre 2004, qui, pour détournement de fonds publics, l’a condamné à 6 mois d’emprisonnement avec sursis, 10 000 euros d’amende, 1 an d’inéligibilité et a dit n’y avoir lieu à dispense d’inscription au bulletin n° 2 du casier judiciaire ;
Vu le mémoire et les observations complémentaires produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-4 et 432-15 du code pénal, 38 de la loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988, 591 et 593 du code de procédure pénale, manque de base légale et défaut de motifs ;
“en ce que l’arrêt confirmatif attaqué a déclaré Joseph X… coupable du délit de détournement de fonds publics pour avoir, entre le 27 juillet 1995 et le 31 décembre 1997, étant président du Conseil général de Corse du Sud, utilisé des crédits destinés à l’insertion des bénéficiaires du RMI à des fins prétendument étrangères à leur objet, sous la forme de subventions à des clubs sportifs départementaux, des sportifs de haut niveau et des associations oeuvrant dans le secteur social et dans le secteur sportif ;
“aux motifs que “la notion de détournement postulant qu’une chose a été dévoyée indûment de son but, il convient de s’interroger sur le point de savoir si les crédits du chapitre 959 du budget du Conseil général étaient obligatoirement destinés aux bénéficiaires du RMI, c’est à dire si les crédits d’insertion avaient bien un caractère obligatoire ; un tel caractère s’induit de plusieurs articles du texte de la loi précitée du 29 juillet 1992 ; tout d’abord, l’article 38 qui porte que, pour le financement des actions d’insertion destinées aux Rmistes ” le département est tenu d’inscrire dans un chapitre individualisé ” ; ceci est confirmé par la rédaction du 1er alinéa de l’article 41 qui indique ” les crédits résultant de l’obligation prévue à l’article 38 sont engagés dans le cadre des conventions mentionnées à l’article 39 ” ; enfin, ces crédits sont précisément qualifiés par l’article 36 qui précise que ” les crédits obligatoires prévus à l’article 38 restent affectés aux bénéficiaires du RMI (lorsqu’ils sont inclus dans des actions plus vastes de lutte contre la pauvreté) ” ;
“alors, d’une part, que l’article 38 de la loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d’insertion, dans sa rédaction issue de la loi n° 92-722 du 29 juillet 1992, disposait que le crédit inscrit par le département dans un chapitre individualisé de son budget devait être affecté au ” financement des actions inscrites au programme départemental d’insertion et des dépenses de structure correspondantes ” ; qu’il n’exigeait pas que le département contrôle au surplus l’utilisation effective des sommes au profit des bénéficiaires du RMI ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté que le programme départemental d’insertion applicable incluait en 1995 et 1996 une action n° 10 visant l’aide aux associations intervenant dans le domaine du loisir et du sport et touchant un public en difficulté bénéficiaire du RMI, et, en 1997, une action n 5 visant l’aide financière des structures associatives dans le domaine du loisir et du sport ; qu’elle a également constaté que les sommes litigieuses avaient bien été affectées au financement des actions ainsi définies ; que dans ces conditions, aucun détournement de fonds publics ne peut être retenu à l’encontre du président du conseil général, quand bien même les actions financées n’auraient pas effectivement profité in fine à des bénéficiaires du RMI ;
“alors que, d’autre part, il ne peut y avoir de détournement de fonds publics lorsqu’une collectivité publique fait de ses ressources, ayant préalablement reçu certaines affectations budgétaires, une utilisation contraire à ces inscriptions budgétaires, mais conforme à son intérêt et à l’intérêt public ; qu’il s’agit là tout au plus de la méconnaissance de simples règles de fonctionnement budgétaires, exclusive de détournement ; qu’en l’espèce, il n’a jamais été allégué, et encore moins constaté, que les actions financées par les sommes inscrites au chapitre budgétaire du dispositif départemental d’insertion auraient été contraires à l’intérêt public départemental ; qu’en retenant un détournement des fonds du département au motif que l’utilisation de ces fonds n’aurait pas été conforme à leur inscription budgétaire, la cour d’appel a violé l’article 432-15 du code pénal ;
“alors, par ailleurs, qu’il n’a pas plus été allégué que les actions litigieuses auraient été financées par des ressources provenant de collectivités publiques distinctes du département ;
qu’il ne peut donc en aucune façon être reproché au prévenu d’avoir détourné les fonds d’autres collectivités publiques ;
“et alors, très subsidiairement, que ne peut constituer un détournement de fonds publics le simple défaut de réalisation d’une dépense publique facultative ; que le financement du dispositif départemental d’insertion ne revêtait un caractère obligatoire pour le département qu’à hauteur du plancher fixé par l’article 38 de la loi relative au revenu minimum d’insertion, dans sa rédaction issue de la loi du 29 juillet 1992, à 20 % des sommes versées, au cours de l’exercice précédent, par l’Etat, dans le département au titre de l’allocation de revenu minimum d’insertion ;
qu’en l’espèce, à supposer que les sommes visées par la prévention n’aient pas été effectivement utilisées au financement des actions du programme départemental d’insertion, il n’a pour autant jamais été allégué par l’accusation, et pas plus établi ni constaté par les juges du fond, que la participation obligatoire ainsi définie n’aurait pas été respectée dans le département de Corse du Sud de 1995 à 1997 du fait des détournements allégués ; qu’en se fondant néanmoins sur le caractère obligatoire de l’ensemble des crédits d’insertion inscrits au budget pour retenir le président du conseil général dans les liens de la prévention, la cour d’appel a violé l’article 38 de la loi précitée ;
“et aux motifs qu’il est établi que c’est la commission des affaires sociales du département qui a préparé les attributions de crédit et que celles-ci ont été votées soit par la commission permanente soit par l’assemblée du département, mais ceci ne fait pas obstacle à la recherche de Joseph X… comme auteur principal ; il est, certes, aux termes de l’article L. 3221-1 du code général des collectivités territoriales, l’exécutant des décisions du Conseil général ; néanmoins la part qu’il a prise personnellement aux faits par la signature du PDI, cadre de l’action d’insertion, par sa présence permanente en qualité de présentateur des rapports d’attributions et de président des assemblées les ayant attribuées, lui donne un rôle d’auteur du délit ; une telle qualité est confirmée par la signature des nombreux arrêtés attributifs et celle des courriers que Joseph X… a adressés aux bénéficiaires des subventions qui le font apparaître, au moins implicitement, comme le véritable décideur contrairement à ce qu’il a soutenu sur la délégation de ses pouvoirs en ce domaine à un vice-président du Conseil général ;
“alors que seul est auteur de l’infraction la personne qui commet, ou tente de commettre, les faits incriminés ; que, s’agissant du détournement de fonds publics par l’octroi indu de subventions, l’infraction est entièrement consommée par la décision allouant la subvention ; que la cour d’appel constate qu’en l’espèce les décisions ont été prises exclusivement par la commission permanente ou l’assemblée du département ; qu’en retenant néanmoins le président du conseil général comme auteur du délit, seule qualité en laquelle il était poursuivi, par les motifs inopérants de la part prise dans la mise en place du dispositif d’insertion, de sa présence permanente, de la signature d’arrêtés et de l’envoi de courriers, la cour d’appel a violé les articles 121-4 et 432-15 du code pénal” ;
Attendu que, pour déclarer Joseph X…, président du conseil général de Corse du Sud, coupable de détournement de fonds publics commis entre juillet 1995 et décembre 1997, l’arrêt attaqué énonce qu’en application de l’article 38 de la loi du 1er décembre 1988, alors en vigueur, relative au revenu minimum d’insertion, des crédits, inscrits au budget de ce département au titre des dépenses obligatoires et destinés à des actions ayant pour objet l’insertion des personnes en difficulté, ont en définitive bénéficié à des associations sportives évoluant au niveau national, à des sportifs de haut niveau et à des associations ne proposant aucune activité particulière d’insertion ; que l’arrêt ajoute qu’après adoption par le conseil général du plan départemental d’insertion établi par la commission départementale d’insertion, les décisions d’attribution de ces crédits ont été arrêtées par la commission permanente de l’assemblée départementale, présidée par Joseph X…, qui a pris une part personnelle dans les attributions de ces subventions, notamment en présentant lui-même les rapports, en adressant des courriers à leurs bénéficiaires ou en signant les arrêtés attributifs ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations procédant de son appréciation souveraine, d’où il résulte que, d’une part, les crédits destinés à des actions déterminées ont été utilisés à d’autres fins que celles autorisées, que, d’autre part, le prévenu a personnellement participé à l’attribution de ces crédits, la cour d’appel a justifié sa décision ;
Qu’ainsi, le moyen doit être écarté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 3 du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, 591 et 593 du code de procédure pénale, manque de base légale et défaut de motifs ;
“en ce que l’arrêt confirmatif attaqué a refusé de faire droit à la demande de dispense d’inscription de la condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire ;
“aux motifs qu’il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de non-inscription au bulletin n° 2 du casier judiciaire ;
“alors que, par l’effet de l’article L. 7 du code électoral, la condamnation pour détournement de fonds entraîne automatiquement une radiation des listes électorales, et par voie de conséquence une inéligibilité, pour une durée de cinq ans, sauf dispense d’inscription au bulletin n° 2 du casier judiciaire ; que le juge interne, y compris la Cour de cassation, se doit de contrôler la compatibilité de l’atteinte ainsi portée au droit de voter et d’être élu avec l’article 3 du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit le droit de participer régulièrement à des élections libres ; qu’en l’espèce, la durée de l’inéligibilité, manifestement disproportionnée au regard de la faible gravité de la prévention retenue qui ne se rapporte en définitive qu’à une erreur d’imputation budgétaire, prive de substance le droit du prévenu à se présenter à de nouvelles élections et méconnaît la disposition conventionnelle précitée” ;