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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 50D
3e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 27 FEVRIER 2020
N° RG 16/02877
– N° Portalis DBV3-V-B7A-QS6Y
AFFAIRE :
SCP DE CHIRURGIENS DENTISTES [L] ET AUTRES
C/
SOCIETE DENTSPLY SIRONA FRANCE ANCIENNEMENT SASU DENTSPLY FRANCE HI
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 Mars 2016 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE
N° Chambre : 6
N° Section :
N° RG : 14/03231
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Oriane DONTOT
Me Salim BOUREBOUNE,
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT SEPT FEVRIER DEUX MILLE VINGT,
La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
SCP DE CHIRURGIENS DENTISTES [L] ET AUTRES
N° SIRET : 420 832 628
[Adresse 4]
[Localité 2]
Autre(s) qualité(s) : Intimé dans 16/03308 (Fond)
Représentant : Me Oriane DONTOT de l’AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 633 –
Représentant : Me Laurent DELPRAT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1299
APPELANTE
****************
SOCIETE DENTSPLY SIRONA FRANCE Anciennement dénommée SASU DENTSPLY FRANCE HI
N° SIRET : 331 432 831
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Salim BOUREBOUNE, Postulant et plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1515
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 786 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 09 Janvier 2020 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie-José BOU, Président chargé du rapport et Madame Françoise BAZET, conseiller, .
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-José BOU, Président,
Madame Françoise BAZET, Conseiller,
Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Claudine AUBERT,
La société Astra Tech, aux droits de laquelle viennent les société Dentsply IH puis Dentsply Sirona France, ci-après la société Dentsply, fournissait la SCP de chirurgiens-dentistes [L] et autres, ci-après la SCP [L], et en particulier son dirigeant, le docteur [U] [L], en piliers et implants dentaires depuis 2003.
En juin 2009, M [L] a signalé à la société Astra Tech plusieurs cas de ruptures et de dévissages de piliers implantaires petite plateforme Aqua et obtenu en juillet 2010 l’indemnisation partielle des frais consécutifs aux différentes interventions nécessitées par ces désordres.
Par lettre du 19 avril 2012, M. [L] a fait savoir que 8 nouveaux sinistres s’étaient produits et sollicité le solde de l’indemnisation des cas signalés en 2009 et 2010 ainsi qu’une solution d’indemnisation pour les nouveaux cas, sans obtenir satisfaction malgré mise en demeure du 21 novembre 2013.
C’est dans ces circonstances que le 25 février 2014, la SCP [L] a assigné devant le tribunal de grande instance de Nanterre la société Astra Tech.
Par jugement du 11 mars 2016, le tribunal a :
– débouté la SCP [L] de ses demandes fondées sur une garantie contractuelle à vie,
– déclaré irrecevables les actions en responsabilité du fait des produits défectueux et en garantie des vices cachés,
– condamné la SCP [L] à payer à la société Dentsply la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
– condamné la SCP [L] aux entiers dépens qui pourront être recouvrés suivant les modalités prévues par l’article 699 du code de procédure civile.
Par acte du 15 avril 2016, la SCP [L] a interjeté appel de ce jugement.
Par arrêt du 15 mars 2018, la cour d’appel de Versailles a :
– infirmé le jugement déféré en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau,
– dit que la prescription est acquise pour les implants ayant connu des incidents antérieurement au 25 février 2012,
– déclaré la demande recevable en ce qui concerne les 29 incidents constatés entre le 6 mars 2012 et le 31 août 2017, tels qu’énumérés aux pages 4 et 5 des dernières écritures de la SCP [L] du 10 janvier 2018,
– avant-dire droit, désigné en qualité d’experts MM. [B] et [Y] avec pour mission, notamment, de dire si le matériel implantaire mis en oeuvre dans le cadre de ces incidents est ou non défectueux, dire si les incidents constatés sont en tout ou partie imputables aux choix thérapeutiques opérés par le docteur [L] ou à un non respect des règles de l’art, dire si et dans quelle mesure ces incidents sont imputables à un défaut du matériel implantaire et, dans cette hypothèse, donner un avis sur les préjudices subis par la SCP [L],
– réservé le surplus des demandes et les dépens.
Ayant refusé la mission, le docteur [B] a été remplacé par le docteur [P], lequel a été déchargé de sa mission par ordonnance du 17 septembre 2018 qui a désigné le docteur [G] pour l’accomplir. Ce dernier, empêché, a été remplacé par le docteur [Z].
Les experts ont déposé leur rapport le 27 mai 2019.
Par dernières écritures du 9 décembre 2019, la SCP [L] prie la cour, au visa des articles 1104 (1134 ancien), 1240, 1641, 1648 et suivants du code civil, de :
– constater son arrêt mixte du 15 mars 2018 comme pourvu de l’autorité de la chose jugée en ce qu’il a :
infirmé le jugement déféré en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau,
dit que la prescription était acquise pour les implants ayant connu des incidents antérieurs au 25 février 2012,
déclaré la demande de la SCP [L] recevable en ce qui concerne les 29 incidents constatés entre le 6 mars 2012 et le 31 août 2017, tels qu’énumérés aux pages 4 et 5 des dernières écritures de la SCP [L] du 10 janvier 2018,
avant dire droit sur cette demande, ordonné une expertise,
– en ouverture de rapport, sur l’indemnisation des préjudices subis :
rejeter toutes les demandes de la société Dentsply,
condamner la société Dentsply à lui payer la somme de 74 939,12 euros au titre de son préjudice pour le temps passé pour le remplacement des piliers et des prothèses, sauf à parfaire,
condamner la société Dentsply à lui payer la somme de 154 270 euros au titre de son préjudice financier, sauf à parfaire,
condamner la société Dentsply à lui payer la somme de 682 340 euros au titre de son préjudice d’image, sauf à parfaire,
condamner la société Dentsply à lui payer la somme de 20 000 euros au titre de son préjudice moral, sauf à parfaire,
à titre subsidiaire :
– designer tout expert judiciaire qu’il plaira à la cour, avec pour mission de calculer l’ensemble des préjudices subis par la SCP [L],
en tout état de cause,
– condamner la société Dentsply à lui payer la somme de 5 000 euros pour résistance abusive,
– condamner la société Dentsply à lui payer la somme 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société Dentsply aux entiers dépens, dont principalement les frais inhérents à l’expertise judiciaire (6 000 euros) et au laboratoire de biomécanique (institut de soudure 9 456 euros) qui seront recouvrés par Maître Dontot, AARPI JRF avocats, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
Par dernières écritures du 11 décembre 2019, la société Dentsply prie la cour de :
– au visa de l’article 16 du code de procédure civile, écarter des débats les pièces n° 167 à 213 communiquées par la SCP [L] le 9 décembre 2019,
à titre principal :
– au visa de l’article 1648 du code civil, juger prescrites les demandes de la SCP [L],
– en conséquence, confirmer le jugement dont appel dans toutes ses dispositions,
à titre subsidiaire :
– constater que la SCP [L] ne rapporte la preuve ni d’un vice caché ni de la responsabilité de la société Dentsply,
– débouter la SCP [L] de l’ensemble de ses demandes,
– juger que la SCP [L] ne rapporte pas la preuve du préjudice subi,
en tout état de cause,
– débouter la SCP [L] de l’ensemble de ses demandes,
– la condamner à lui payer la somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Boureboune, avocat, conformément à l’article 699 du code de procédure civile,
à titre infiniment subsidiaire :
– ordonner une nouvelle expertise et désigner à cette fin un expert chirurgien-dentiste spécialiste en implantologie, assisté d’un chirurgien-dentiste spécialiste en biomatériaux, avec pour mission de se faire communiquer l’entier dossier de chaque patient concerné et le mode opératoire implantaire suivi par le docteur [L], notamment :
les fiches cliniques de tous les patients concernés, retranscrites avec toutes les dates, plans de traitements, devis, consentements éclairés, commentaires et les actes réalisés,
les modèles d’étude, photographies afin d’examiner le contexte occlusal et les facteurs de risque biomécaniques,
les radios panoramiques initiales et post-traitement et rétro-alvéolaires,
les radios cone beam 3D pour vérifier les volumes osseux et les choix de diamètre implantaire,
sa justification, cas par cas, de ses choix de diamètre implantaire en fonction du volume osseux et de ses choix de plateforme prothétique (aqua, lilas, etc.),
l’indication au cas par cas du praticien qui a réalisé la ou les couronnes (le docteur [L] ou un de ses correspondants comme c’est très fréquemment le cas), car la responsabilité peut être partagée entre deux praticiens intervenants,
et de se prononcer sur :
les odontogrammes et parogrammes préopératoires,
l’indication du traitement implantaire,
la traçabilité de tous les éléments implantaires utilisés,
la description des procédures pratiquées (ajout de biomatériaux, protocole de mise en charge, etc.),
le respect de non-stérilisation des éléments à usage unique,
le respect des couples de serrage préconisés par le fabricant,
la préparation prothétique (analyse, prothèses provisoires, etc.),
le volume prothétique par rapport au diamètre de l’implant et du pilier prothétique.
le ratio hauteur couronne clinique vs hauteur du pilier implantaire,
la conformité et la bonne adaptation marginale de la restauration finale,
la conformité des radiographies prises par rapport aux protocoles en vigueur (fréquence),
les rendez-vous de contrôle effectués (contrôle de la plaque, de l’occlusion, etc.)
les méthodes diagnostiques employées et le diagnostic obtenu des incidents implantaires,
le pronostic mentionné pour les incidents implantaires,
les procédures mises en oeuvre pour gérer les incidents par rapport aux protocoles généralement reconnus en dentisterie,
le respect des normes applicables aux produits mentionnés (notamment la norme EN 1642 – exigences en matière d’implants dentaires et accessoires),
la pertinence des choix thérapeutiques et le respect des règles de l’art,
– dire enfin que l’expertise devra se prononcer sur la responsabilité éventuelle du docteur [L] et son étendue dans les ruptures et dévissages d’implants allégués,
– mettre à la charge de la SCP [L], défaillante dans la preuve qui lui incombe, toute provision à valoir sur la rémunération de l’expert et les frais d’expertise,
en tout état de cause,
– en raison de la transaction intervenue le 21 juillet 2010 (pièces adverses n° 8 et 9), débouter la SCP [L] de toute demande relative à des incidents antérieurs à celle-ci.
La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 décembre 2019.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande visant à écarter des débats les pièces n°167 à 213 de la SCP [L]
La société Dentsply relève que son adversaire a communiqué le 9 décembre 2019, en l’état d’une clôture fixée au 12 décembre 2019, 47 nouvelles pièces comportant au total
238 pages. Elle soutient n’avoir pu prendre connaissance, en temps utile et afin d’y répliquer, de l’intégralité de cette communication, en déduisant une atteinte au principe du contradictoire.
***
En application de l’article 16 du code de procédure civile, le juge ne peut retenir dans sa décision les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.
Il résulte de l’article 135 du même code que le juge peut écarter du débat les pièces non communiquées en temps utile.
La SCP [L] a communiqué le 9 décembre 2019, trois jours avant la date fixée pour le prononcé de la clôture dont elle avait été préalablement informée ainsi qu’en témoignent le calendrier adressé aux conseils des parties le 2 juillet 2019 et la mention de la date de clôture figurant sur ses écritures, 47 nouvelles pièces. Celles-ci constituent pour l’essentiel des fiches implantaires de patients, comportant chacune plusieurs pages, et des correspondances concernant des patients, comportant également chacune plusieurs pages.
Compte tenu de leur nombre, de leur volume et de leur aspect technique, ces pièces nécessitaient un délai plus important pour permettre à la société Dentsply de les examiner dans leur intégralité et d’y répliquer. N’ayant pas été communiquées en temps utile, elles seront écartées des débats.
Sur la prescription
La SCP [L] fait valoir que l’arrêt mixte du 15 mars 2018 est pourvu de l’autorité de la chose jugée en ses dispositions relatives à la prescription.
Indiquant que le pourvoi formé par elle contre cet arrêt a été déclaré irrecevable au motif qu’il ne tranchait pas une partie du principal, la société Dentsply en déduit avoir intérêt à maintenir le moyen tiré de la prescription de l’article 1648 du code civil. Elle prétend que la SCP [L] a eu connaissance du défaut critiqué depuis 2008 (page 5 de ses conclusions) ou 2009 (page 7) et que s’agissant d’un vice sériel, le point de départ de l’action en garantie des vices cachés est la date à laquelle l’acquéreur a pris connaissance des premiers désordres de sorte que l’action est prescrite dans son intégralité.
***
La chose jugée constitue, en application de l’article 122 du code de procédure civile, une fin de non-recevoir. Il en est de même de la prescription.
Aux termes de l’article 480 du code de procédure civile, le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l’autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu’il tranche.
L’arrêt du 15 mars 2018 a, dans son dispositif, dit la prescription acquise pour les implants ayant connu des incidents antérieurement au 25 février 2012 et déclaré la demande recevable en ce qui concerne les 29 incidents constatés entre les 6 mars 2012 et 31 août 2017, après avoir retenu dans ses motifs qu’était seulement maintenu le moyen tiré de la garantie des vices cachés, que la prescription devait s’apprécier à la date à laquelle le désordre est survenu sur chaque implant et qu’elle était acquise pour les implants fracturés ou dévissés avant le 25 février 2012, mais pour eux seuls. Ce faisant, l’arrêt a statué dans son dispositif sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription, l’accueillant pour une partie des implants litigieux et l’écartant pour les autres incidents.
Les dispositions concernées de l’arrêt ayant autorité de chose jugée, la demande de la société Dentsply visant à juger prescrites les prétentions de la SCP [L] est irrecevable, peu important à cet égard que le pourvoi formé par la société Dentsply contre l’arrêt du 15 mars 2018 ait été déclaré irrecevable en application des articles 606 et suivants du code de procédure civile.
Sur l’existence d’un vice caché
La SCP [L] soutient que les incidents sont imputables à la société Dentsply puisque de l’avis des experts, les ruptures sont liées au dessin des piliers qui caractérise un défaut de conception des matériels implantaires alors que de tels dispositifs sont soumis à une obligation de résultat. Elle estime que leur constat selon lequel la conception de ces matériels les rend sensibles à l’apparition de phénomènes de fatigue expliquant les ruptures observées suffit à engager la responsabilité de la société Dentsply. Elle conteste le taux de sinistralité invoqué à l’encontre du docteur [L] et prétend que les incidents sont étrangers à la pratique clinique des praticiens impliqués puisque le changement des piliers défectueux par d’autres piliers avec modification du design a permis de ne plus en connaître. Elle en déduit une présomption d’imputabilité à la défectuosité des piliers. Elle s’explique sur les dossiers écartés par les experts en raison d’une composante occlusive et pour défaut de suivi, considérant qu’ils doivent être pour la plupart retenus dans l’évaluation des préjudices. Elle s’oppose à la nouvelle expertise sollicitée au motif qu’elle vise à juger des compétences du praticien, ce qui revient à inverser la cause du procès.
La société Dentsply conteste l’existence d’une obligation de résultat pesant sur le fabricant et argue que les incidents résultent à l’évidence des choix thérapeutiques de l’opérateur. Elle critique le rapport d’expertise faute pour les experts de s’être fait communiquer les dossiers complets des patients de sorte qu’ils n’auraient pu se prononcer sur la pratique implantaire du docteur [L]. Elle souligne cependant que les experts ont écarté plusieurs dossiers pour fautes ou négligences du praticien et que les 9 cas restants révèlent des incohérences ou une pratique déficiente. Elle fait valoir que l’implantologie est une technique complexe où l’échec est toujours possible, même en l’absence de négligence ou défaut. Elle conteste l’existence d’un vice caché dès lors que les experts ont noté l’absence de défaut au regard des normes applicables, que leur conclusion est formulée sous forme de supposition, non étayée scientifiquement car basée sur un schéma, en dehors de tout test mécanique, et sur des affirmations non vérifiées du docteur [L] quant à l’absence d’incidents à la suite du remplacements des piliers. A titre subsidiaire, elle sollicite une nouvelle expertise.
***
L’action en indemnisation liée à la garantie des vices cachés suppose la preuve d’un vice caché au sens de l’article 1641 du code civil, soit d’un défaut inhérent à la chose, rendant la chose impropre à l’usage auquel on la destine ou diminuant tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas aquise ou n’en aurait donné qu’un moindre prix s’il l’avait connu, antérieur à la vente, et d’un lien de causalité entre les vice allégué et le préjudice. La charge de la preuve incombe à l’acquéreur.
Au terme de leur mission destinée à déterminer l’existence de défauts affectant les implants ayant connu des incidents et d’exclure l’imputabilité de ces incidents à une mauvaise utilisation par le praticien, les experts ont conclu à l’absence de défaut des matériels au sens des normes applicables en notant, sur la base d’examens métallurgiques, que le matériau utilisé est conforme, que la matière des piliers est saine et que les éléments ne présentent pas de défauts de surface. Cette conclusion n’est pas remise en cause.
En revanche, ils ont relevé que les ruptures constatées sont toutes des ruptures de fatigue, survenant à la base du filetage de la vis, et que la conception des matériels les rend sensibles à l’apparition de phénomènes de fatigue expliquant ces incidents.
Pour conclure ainsi à une erreur de conception, les experts ont fondé leur avis sur le dessin des piliers. Ils observent que celui-ci fait jouer un rôle essentiel pour la bonne tenue mécanique à la qualité de la connexion entre les deux cônes emboités présents sur le pilier et l’implant, que la connexion doit être intime pour que les efforts axiaux et transverses exercés sur la partie supérieure de la prothèse soient correctement transmis à l’implant et à l’os et qu’il suffit qu’elle ne le soit plus, à raison d’un léger desserrage ou dévissage, pour que les efforts ne transitent plus par le double cône et portent directement sur la vis qui se rompt.
Mais, ni dans le corps de leur rapport, ni dans leur réponse aux dires, les experts ne caractérisent précisément en quoi le dessin litigieux, notamment au niveau de la ‘connexion’ et du ‘cône’ ci-dessus évoqués, présenterait des zones de fragilité et favoriserait l’apparition de phénomènes de fatigue, sauf à l’affirmer.
En outre, comme le relève à juste titre la société Dentsply, cet avis n’est étayé par aucun test mécanique ou de résistance. Il ne s’appuie pas davantage sur des considérations scientifiques portant sur l’exercice des ‘efforts’ en présence au regard de la configuration en cause.
Par ailleurs, les experts soulignent que dans la quasi-totalité des cas litigieux, la fracture résulte à l’origine d’un desserrement et relèvent qu’outre le design prothétique pouvant présenter des points de faiblesse, plusieurs paramètres peuvent intervenir dans le processus de desserrage : les parafonctions, en particulier le bruxisme, les surcharges occlusales dues à une mauvaise répartition des forces, l’anatomie proprement dite de la prothèse sur implants, une force de serrage initiale trop ou pas assez importante, l’absence de contrôle occlusal dans le temps, l’implantation non optimale. Autrement dit, selon les experts eux-mêmes, d’autres causes que l’erreur de conception envisagée peuvent être à l’origine des fractures constatées.
Or, la société Denstply se prévaut précisément de causes étrangères tenant à la pratique de l’opérateur et les experts ont du reste écarté 18 dossiers pour de tels motifs. En effet, l’expert clinicien indique n’avoir pu se prononcer de façon formelle sur un certain nombre d’incidents : ‘9 dossiers patient laissent apparaître une insuffisance de prise en compte du contexte occlusal et 9 autres ne pouvent justifier un contrôle clinique régulier des restaurations prothétiques sur implants, ce qui pourrait expliquer la survenue des incidents’. Il ne retient in fine que 9 dossiers dans lesquels il n’a constaté aucun paramètre clinique et/ou choix thérapeutique ayant pu en être la cause.
S’agissant des 18 dossiers écartés par les experts, les éléments se rapportant à chaque patient invoqués par la SCP [L] ne sont pas susceptibles de remettre en cause l’avis des experts puisqu’ils n’ont pas modifié leur réponse à la suite de ses dires en faisant état.
S’agissant des 9 autres dossiers, il convient de souligner que l’expert clinicien précise n’avoir relevé aucun paramètre clinique et/ou choix thérapeutique pouvant intervenir de façon ‘iatrogène’ sur les dispositifs médicaux mis en cause, ‘en fonction des éléments communiqués’. Les experts concluent que dans ces 9 cas, ‘il n’est pas exclu que la conception fragile du pilier soit le paramètre essentiel responsable des dévissages et des fractures’.
Mais outre que, comme le fait valoir la société Dentsply, cette formulation constitue celle d’une hypothèse, non d’une certitude, force est de constater que les experts se sont prononcés sur la base des dossiers communiqués par la SCP [L] dont ils ont admis, dans la réponse aux dires de la société Dentsply, qu’ils n’étaient pas exhaustifs. S’ils ont ajouté que le biais partiel pouvant en résulter est compensé par le nombre important de dossiers cliniques communiqués en rapport avec les incidents, ce raisonnement ne peut être suivi dès lors que 9 dossiers seulement ont été en définitive retenus par les experts et qu’ils ont eux-mêmes souligné l’importance des facteurs propres à chaque patient et à chaque traitement dans la survenue des incidents. Le caractère incomplet des dossiers, dont la société Dentsply a déploré en particulier qu’ils ne comprennent pas de radiographie 3D et de photographies du contexte occlusal permettant d’évaluer le volume osseux du patient, prive de pertinence les conclusions des experts s’agissant de ces 9 dossiers, d’autant qu’ils n’ont pas répondu aux observations de la société Dentsply faisant valoir de manière détaillée pour plusieurs de ces patients des incohérences, négligences ou pratique défaillante au vu des dossiers même incomplets. Il s’ensuit que rien n’exclut que les incidents constatés dans ces dossiers soient imputables à des causes autres qu’un vice de conception.
En définitive, les experts se bornent à relever une confirmation indirecte de leur diagnostic par deux éléments : la modification apportée à son dessin par le concepteur en introduisant à la base du cône du pilier une petite partie cylindrique visant, selon eux, à assurer un meilleur maintien de la transmission des efforts entre le pilier et l’implant et l’absence de description de problèmes de devissage dans les dossiers des patients à la suite du remplacement des piliers litigieux par le nouveau modèle.
Mais cet avis sur le nouveau dessin n’est pas davantage étayé par des considérations scientifiques précises ou des tests des experts, lesquels disent d’ailleurs que cette modification ‘laisse à penser que des progrès étaient souhaitables’, ce qui ne traduit pas l’expression d’une certitude.
La société Dentsply conteste pour sa part toute modification en raison d’une résistance insuffisante du modèle en cause et produit un rapport sur des tests de fatigue du 6 mars 2008 selon lequel le pilier litigieux est nettement plus résistant que le précédent dont le docteur [L] ne s’est jamais plaint.
La résistance insuffisante du modèle litigieux ne saurait être établie par les courriels ou rapport provenant de quatre praticiens produits par la SCP [L] évoquant les mêmes difficultés que celles dénoncées par elle. En effet, la société Dentsply fournit quant à elle un courriel et une lettre émanant de deux autres praticiens, dont l’un est titulaire de D.U. d’implantologie et de chirurgie pré et péri-implantaire, enseignant à l’université, disant au contraire avoir fait nombre de poses du dispositif litigieux sans avoir rencontré de fractures, sauf une fois en raison d’une perte osseuse. Il n’y a pas lieu d’écarter ces éléments au motif des liens unissant lesdits praticiens à la société Dentsply dans la mesure où la SCP [L] ne justifie pas de la nature précise de ces liens en l’état des pièces communiquées par elle et non écartées des débats. Surtout, le rapport d’expertise établit que les fractures peuvent en tout état de cause avoir d’autres origines qu’une erreur de conception, notamment des manquements des praticiens.
Quant à l’absence de survenue de nouveaux incidents à la suite du remplacement des piliers litigieux par le nouveau modèle relevée par les experts dans les dossiers, elle est insuffisante à justifier du défaut de conception allégué du modèle litigieux au regard du faible nombre de dossiers finalement retenus par les experts, de leur caractère incomplet et des autres paramètres pouvant expliquer les devissages initiaux.
L’existence du vice caché allégué, soit d’un défaut de conception des matériels à l’origine des incidents non concernés par la prescription, n’est ainsi démontrée ni par le rapport d’expertise, ni par les pièces produites. La SCP [L] sera déboutée de ses demandes d’indemnisation au titre des divers préjudices invoqués, sans qu’il y ait lieu d’ordonner une nouvelle expertise dès lors qu’une mesure d’instruction ne peut être ordonnée pour suppléer la carence des parties dans l’administration de la preuve et qu’il incombait à la SCP [L] de communiquer des dossiers de patients complets. Elle sera aussi déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive, les énonciations précédentes démontrant que la société Dentsply s’est justement opposée à son action.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
La SCP [L] sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel, dont les frais d’expertise judiciaire, déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamnée sur ce fondement à payer la somme de 6 000 euros à la société Dentsply.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement :
Ecarte des débats les pièces n° 167 à 213 communiquées par la SCP [L] ;
Déclare la société Dentsply irrecevable en sa demande visant à juger prescrites les demandes de la SCP [L] ;
Déboute la SCP [L] de toutes ses demandes ;
Condamne la SCP [L] à payer à la société Dentsply la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SCP [L] aux dépens de première instance et d’appel, dont les frais d’expertise judiciaire, lesquels dépens pourront être recouvrés suivant les modalités prévues à l’article 699 du code de procédure civile.
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Marie-José BOU, Président et par Madame AUBERT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,Le président,