Designer : 10 mai 2022 Cour d’appel de Rennes RG n° 21/05443

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Designer : 10 mai 2022 Cour d’appel de Rennes RG n° 21/05443
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3ème Chambre Commerciale

ARRÊT N°282

N° RG 21/05443 – N° Portalis DBVL-V-B7F-R7AJ

Société WATER TECHNICAL ASSISTANCE (WTA)

C/

S.A.S. SCE

Copie exécutoire délivrée

le :

à : Me PALVADEAU

Me BOMMELAER

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 10 MAI 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère, rapporteur

Assesseur : Monsieur Dominique GARET, Conseiller,

GREFFIER :

Madame Frédérique HABARE, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 22 Mars 2022

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 10 Mai 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANTE :

Société WATER TECHNICAL ASSISTANCE (WTA), Société de droit laotien enregistrée au RDP LAO sous le numéro 01-00019538 451 6 (M/1), prise en la personne de son directeur général adjoint, Monsieur [X] [Y]

[Adresse 1]

[Adresse 1]/LAOS

Représentée par Me Fabienne PALVADEAU-ARQUE de la SCP CADORET-TOUSSAINT, DENIS & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de NANTES

Représentée par Me Louis THEVENOT de la SELARL SELARL LT AVOCAT, Plaidant, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMÉE :

S.A.S. SCE, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de NANTES sous le numéro 345 081 459, prise en la personne de son représentant légaldomicilié en cette qualité au siège,

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Benoît BOMMELAER de la SELARL CVS, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Marine SAVIN substituant Me Alexandre CORNET de la SELARL CVS, Plaidant, avocat au barreau de NANTES

La société WTA est une société de conseil, de droit laotien, spécialisée dans les domaines de l’eau et de l’ingénierie environnementale.

La société SCE est société française spécialisée dans l’ingénierie et les études techniques, qui accompagne les acteurs publics et privés dans leurs projets d’aménagement durable des territoires. `

Depuis 2012 les deux sociétés interviennent, ainsi, ponctuellement dans le cadre de divers appels d’offre au LAOS, ce qui a présidé à leur rapprochement.

En octobre 2017 , elles se sont regroupées pour former, avec une société tierce, la société CES CONSULTING ENGINEERS, un groupement d’entreprises dit « consortium », afin de répondre à un appel d’offre lancé par le Ministère Laotien des travaux publics et des transports. Le montant des prestations a été initialement fixé à 3.799.900 euros.

Après plusieurs réunions de négociations les différentes phases de travail ont été prévues pour un montant total de 3.801.000 euros.

Ce contrat a eu pour objet principal de confier au consortium SCE-WTA-CES, l’identification et la maîtrise d”uvrecomplète de systèmes d’approvisionnement en eau potable au Laos, ce projet allant de la réalisation des études de faisabilité jusqu’à la supervision des travaux et la réception des ouvrages.

L’Union Européenne, agence de financement, a confié la gestion d’une partie du partenariat à la Kreditanstalt FurWiederaufbau (KFW), de droit allemand.

Dans le cadre du consortium existant entre SCE, WTA et CES, les relations entre les parties auraient , pendant plus d’un an, été menées sur les fondements contractuels suivants :

– le Contrat principal du 6 juin 2018 pour ce qui concerne les relations entre le ministère des travaux publics et des transports et la joint-venture composée de SCE, WTA et CES,

– les accords de répartition des tâches et des rémunérations correspondantes, négociés en interne entre les membres de la joint-venture, et basés sur les propositions financières et techniques établies par le consortium lors de la passation du marché.

L’accord selon les échanges mails entre SCE et WTA aurait convenu que WTA percevrait 1.021.830 euros outre les frais accessoires 800.000 €, frais de logistique 269.900 euros dont 20.000 euros de réserve.

Malgré ces accords, les relations entre les parties auraient, pendant plus d’un an, été menées sans qu’un contrat de JVA (Joint-Venture Agreement) en bonne et due forme ne soit signé entre les parties.

La société WTA a estimé que les sociétés SCE et CES ne faisaient pas leur part.

Les différents constats quant aux retards et inexécution de certaines prestations ont conduit la banque KFW a menacer de rompre la contrat.

Après nombre d’échanges sur leur différend, s’est tenue le 31 juillet 2019 une réunion entre les parties aux termes de laquelle la société WTA a signé le contrat cadre de joint- venture afin de donner un cadre juridique aux prestations, mais n’aurait pas signé les annexes proposées par SCE, en vertu desquelles la somme globale hors accessoires devant lui revenir était minorée à 970.368,50 euros.

Le conflit perdurant entre parties, par mail et courrier en date des ler et 24 octobre 2019,la société SCE a proposé à la société WTA soit de mettre en ‘uvre les dispositions de la JVA et de ses annexes telles que transmises le 31 juillet 2019 soit de soumettre leur désaccord à l’arbitrage selon les règles de la Chambre de commerce internationale, tel que prévu audit Contrat.

Par courrier recommandé du 6 décembre 2019, la société SCE a notifié à la société WTA la résiliation immédiate du contrat de JVA du 31 juillet 2019 et la fin de ses missions au titre tant du contrat de JVA que du contrat principal.

Par courrier en réponse du 17 décembre 20l9,la société WTA a contesté le caractère fondé de cette résiliation et a informé la société SCE qu’elle suspendait immédiatement toutes ses actions liées au projet.

La société WTA a assigné la société SCE devant le juge des référés, par acte en date du 28 février 2020,afin que soit ordonnée, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, une expertise avant tout procès.

La mission demandée était la suivante :

DESIGNER pour y procéder M. [S] [E] ou tel expert qu’il plaira à Monsieur le Président de commettre, avec pour mission de :

– Se faire communiquer toutes les pièces utiles, et notamment l’intégralité des contrats, devis et factures relatifs aux prestations réalisées par les parties ;

– Evaluer le montant des prestations réalisées par la société WTA par rapport à la décomposition des inputs par poste et par phase tant au titre des prestations qui lui étaient initialement confiées qu’au titre des prestations qu’elle a dû effectuer en lieu et place de SCE ;

– Evaluer la qualité des études réalisées et fournies par WTA et dire, notamment si ses prestations ont permis de réaliser les phases suivantes, notamment la phase de détail design suite aux études de faisabilité techniques et la phase d’appel d’offre suite aux études de détail design ;

– Evaluer la bonne conduite du projet, la bonne coordination des différentes missions et l’engagement que ce soit humain, matériel et financier de WTA pour garantir les objectifs du projet ;

– Établir les comptes entre les parties sur la base du contrat du 6 juin 2018 et de ses annexes et des accords internes des partis des 26 et 27 septembre 2018 en tenant compte du travail effectivement réalisé par WTA ;

– Et généralement investiguer sur tous les points qui lui seraient signalés ou qui apparaîtraient au cours de ces opérations, et entendre au besoin tout sachant;

VOIR DIRE que l’expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 273 et suivants du Code de procédure civile, qu’en particulier, il pourra recueillir les déclarations de toute personne informée et s’adjoindre tout spécialiste de son choix pris sur la liste des experts près ce Tribunal’.

La société SCE s’est opposée à cette demande en soulevant in limine litis l’existence d’une clause compromissoire s’opposant à la compétence des juridictions judiciaires, au motif que la mission proposée conduirait dès à présent l’expert à trancher des points relevant du fond du litige, soit notamment les contrats applicables dans les relations entre les parties.

Par ordonnance du 29 juin 2021, le président du tribunal de commerce de Nantes a :

– jugé le tribunal compétent,

– débouté la société WTA de ses demandes,

– débouté la société SCE de ses demandes,

– condamné la société WTA au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société WTA aux dépens.

Appelante de cette ordonnance, la société WTA, par conclusions du 19 novembre 2021, a demandé que la Cour :

– confirme l’ordonnance rendue le 29 juin 2021 par M Le Président près du Tribunal de commerce de NANTES (RG n° 2020002249) en ce qu’elle a jugé le Tribunal de commerce de NANTES compétent pour connaitre du présent litige.

– déboute la société SCE de son exception d’incompétence,

– infirme pour le solde l’ordonnance déférée,

– ordonne une mesure d’expertise,

– désoigne pour y procéder M. [S] [E] ou tel expert qu’il plaira à la Cour d’appel de commettre, avec pour mission de :

– se faire communiquer toutes les pièces utiles, et notamment l’intégralité des contrats, devis et factures relatifs aux prestations réalisées par les parties ;

– évaluer le montant des prestations réalisées par la société WTA par rapport à la décomposition des inputs par poste et par phase tant au titre des prestations qui lui étaient initialement confiée qu’au titre des prestations qu’elle a dû effectuer en lieu et place de SCE,

– évaluer la qualité des études réalisées et fournies par WTA et dire, notamment si ses prestations ont permis de réaliser les phases suivantes ‘ notamment la phase de détail design suite aux études de faisabilité techniques et la phase d’appel d’offre suite aux études de detail design,

– évaluer la bonne conduite du projet, la bonne coordination des différentes missions et l’engagement que ce soit humain, matériel et financier de WTA pour garantir les objectifs du projet,

– établir les comptes entre les parties sur la base du contrat du 6 juin 2018 et de ses annexes et des accord internes des parties des 26 et 27 septembre 2018 en tenant compte du travail effectivement réalisé par WTA,

– et généralement, investiguer sur tous les points qui lui seraient signalés ou qui apparaîtraient au cours de ces opérations, et entendre au besoin tout sachant,

– dise que l’expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 273 et suivants du Code de procédure civile, qu’en particulier, il pourra recueillir les déclarations de toute personne informée et s’adjoindre tout spécialiste de son choix pris sur la liste des experts près ce tribunal,

– dise qu’il pourra, le cas échéant, recevoir la conciliation des parties et, dans ce cas, dressera procès-verbal, sinon déposera son rapport dans le délai qu’il plaira au Juge des référés de lui accorder à compter de la mise en ‘uvre de sa mission, qui interviendra par la transmission à l’expert d’une copie conforme de l’ordonnance à intervenir,

– dise qu’en cas de difficulté, l’expert saisira le Juge qui aura ordonné l’expertise ou le juge désigné par lui,

– ordonne que la consignation à valoir sur la rémunération de l’expert ainsi désigné sera supportée par la société SCE,

– autorise la société W.T.A. à se substituer à la société SCE dans le cas où elle ne consignerait pas la rémunération de l’expert ainsi désigné dans les délais requis,

– déboute la société SCE de l’ensemble de ses demandes,

– condamne la société SCE au versement de la somme de 5.000 euros à la société W.T.A. sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,

– réserve les dépens.

Par conclusions du 20 octobre 2021, la société SCE a demandé que la Cour:

In Limine Litis :

– infirme l’ordonnance de référé du 29 juin 2021 rendue par le Tribunal de commerce de Nantes en ce qu’il s’est déclaré compétent pour connaitre du présent litige,

– juge que la clause compromissoire contenue dans le Contrat de consortium est opposable à la société WTA,

– juge que la demande de désignation d’un expert formulée par la société WTA ne saurait relever de la compétence d’une juridiction étatique,

– se déclare incompétente pour connaître de la présente demande,

– renvoie la société WTA à mieux se pourvoir,

A titre principal :

– juge que la société WTA ne justifie pas d’un motif légitime à établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige,

– juge que la mesure d’instruction sollicitée ne présente pas d’utilité,

– confirme l’ordonnance de référé du 29 juin 2021 en ce qu’elle a jugé qu’un expert ne saurait être en mesure de vérifier la part incombant à chacune des parties,

– confirme l’ordonnance de référé du 29 juin 2021 rendue par le Tribunal de commerce de Nantes en ce qu’elle a déboutée la société WTA de sa demande d’expertise et en ce qu’elle l’a renvoyée à mieux se pourvoir au fond,

A titre subsidiaire :

– juge que doivent être supprimés de la mission de l’expert les chefs de

mission suivants :

« – Evaluer la bonne conduite du projet, la bonne coordination des différentes missions et l’engagement que ce soit humain, matériel et financier de WTA pour garantir les objectifs du projet,

– Etablir les comptes entre les parties sur la base du contrat du 6 juin

2018 et de ses annexes,

– Et généralement investiguer sur tous les points qui lui seraient signalés ou qui apparaitraient au cours de ces opérations, en entendre au besoin tout sachant ».

– évaluer le montant des prestations réalisées par la société WTA par

rapport à la décomposition des imputs par poste et par phase dans le cadre de la décomposition initiale des prestations,

– déterminer si les prestations fournies par WTA ont permis de réaliser

la phase de détail design,

– Ordonner que la consignation à valoir sur la rémunération de l’expert

soit supportée par la société WTA’

En tout état de cause,

– condamne la société WTA à payer à la société SCE, la somme de

10.000 euros au titre de l’article 700 CPC,

– condamne la même aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, la Cour renvoie aux conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Le contrat de consortium conclu entre les sociétés SCE et WTA contient un article 22 renvoyant à l’application du droit français et contenant une clause compromissoire rédigée comme suit :

‘tous les litiges découlant de ou en relation avec le présent contrat, y compris ceux résultant ou concernant son interprétation, invalidité, exécution ou résiliation, ainsi que les litiges pour combler les lacunes du présent contrat ou son adaptation à des faits nouvellement établis seront réglés à l’amiable entre les parties.

Si les parties ne parviennent pas à un accord amiable, leur différend sera

soumis pour règlement à la Chambre de Commerce Internationale conformément au Règlement de conciliation, par un ou plusieurs arbitres nommés conformément à ladite règle’.

Pour autant, les dispositions de l’article 1449 du code de procédure civile prévoient que l’existence d’une convention d’arbitrage ne fait pas obstacle, tant que le tribunal arbitral n’est pas constitué, à ce qu’une partie saisisse une juridiction de l’Etat aux fins d’obtenir une mesure d’instruction ou une mesure provisoire ou conservatoire.

S’agissant des mesures d’instructions, le président de la juridiction étatique statue dans les conditions de l’article 145 du code de procédure civile.

Selon ces dernières, s’il existe un motif légitime, avant tout procès, de conserver ou d’établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées.

Il est acquis que le tribunal arbitral n’est pas constitué, et dès lors, la société WTA est recevable à solliciter une mesure d’instruction sur le fondement des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile.

Pour autant, la mission qu’elle entend voir fixer à l’expert n’a pas pour objet la conservation ou l’établissement de la preuve de faits.

En effet, s’agissant de l’examen des prestations qu’elle a réalisées, et notamment des études qu’elle a rédigées, de sa bonne conduite du projet, de sa bonne coordination des différentes mission et de son engagement humain, matériel et financier, la société WTA n’explicite pas quelles preuves doivent être établies ou conservées, s’agissant d’éléments qu’elle détient nécessairement.

Elle entend en fait que l’expert se livre à un recollement de ses propres pièces d’exécution, qu’elle devrait être capable de justifier elle-même devant le tribunal arbitral, en en demandant une ‘évaluation’ au regard de dispositions contractuelles sur la valeur et la nature desquelles il est apparu que les parties ne s’accordent pas.

Une telle mission ne peut être confiée à aucun expert, s’agissant d’une appréciation réservée à la juridiction arbitrale.

La demande de la société WTA est rejetée et l’ordonnance déférée est confirmée dans toutes ses dispositions.

La société WTA, qui succombe, supportera la charge des dépens d’appel et paiera à la société SCE la somme de 5.000 euros au titre de ses frais irrépétibles d’appel.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Confirme l’ordonnance déférée.

Condamne la société WTA aux dépens d’appel.

Condamne la société WTA à payer à la société SCE la somme de 5.000 euros au titre de ses frais irrépétibles d’appel.

Le Greffier, Le Président,

 


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