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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 1
ARRET DU 18 JANVIER 2023
(n° 006/2023, 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 21/08640 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDTWT
Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Avril 2021 rendu par le Tribunal Judiciaire de Paris – 3ème chambre – 3ème section – RG n° 19/04409
APPELANTE
Madame [G] [F]
Née le 11 Février 1966 à [Localité 6] (Allemagne)
De nationalité britannique
Styliste
Exploitant sous la dénomination ‘THE JACKSONS,’
[Adresse 2]
[Localité 5]
GRANDE BRETAGNE
Représentée par Me Jean-Didier MEYNARD de la SCP BRODU – CICUREL – MEYNARD – GAUTHIER – MARIE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0240
Assistée de Me Philippe BESSIS, avocat au barreau de PARIS, toque : E0804
INTIMEE
SAS EUROLINE
Société au capital de 100 000 euros
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de BOBIGNY sous le numéro 440 380 566
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliès ès qualités audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me François TEYTAUD de l’AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125
Assistée de Me Roland LIENHARDT, avocat au barreau de PARIS, toque : E0974
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Isabelle DOUILLET, présidente chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.
Cette magistrate a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre,
Mme Françoise BARUTEL, conseillère,
Mme Déborah BOHEE, conseillère.
Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON
ARRÊT :
Contradictoire
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
Mme [G] [F] se présente comme une styliste britannique exerçant depuis 1998 son activité en Grande Bretagne dans le domaine de la création, la fabrication et la commercialisation de produits de mode, vêtements et accessoires qu’elle exporte dans le monde entier, notamment en France, sous le nom commercial ‘THE JACKSONS’.
Elle indique avoir créé de nombreux sacs, dont le cabas ‘Amour’ en 2014, sur lequel elle revendique la protection des droits d’auteur.
Elle expose que ce sac, fabriqué par une coopérative de femmes du Sud-Ouest du Bangladesh, selon ses instructions, divulgué le 21 avril 2015 et commercialisé dès la collection printemps/été 2015 par l’intermédiaire de la société THE [F] TWINS LLP dont elle était gérante, a rencontré un vif succès et que cette initiative permet à 1000 femmes défavorisées d’échapper à une extrême pauvreté et de pouvoir scolariser leurs enfants.
Mme [F] indique avoir constaté, en mars 2019, la vente de sacs présentant, selon elle, les mêmes caractéristiques que le cabas ‘Amour’ par la société française EUROLINE, laquelle possède un établissement secondaire à l’enseigne ‘AUREN’, au marché CIFA à [Localité 4].
Mme [F] a procédé à l’achat du modèle litigieux auprès du magasin à l’enseigne ‘AUREN’ le 5 mars 2019, puis, après y avoir été autorisée par ordonnance sur requête du 28 mars 2019, a fait procéder à une saisie-contrefaçon au sein de ce même magasin, suivant procès-verbal du 2 avril 2019.
Le 3 avril 2019, elle a fait adresser à la société EUROLINE une lettre de mise en demeure, puis l’a fait assigner, par acte du 9 avril 2019, devant le tribunal de grande instance de Paris, en contrefaçon de droits d’auteur et subsidiairement en concurrence déloyale.
Par jugement rendu le 13 avril 2021, le tribunal – devenu tribunal judiciaire – de Paris a :
– déclaré Mme [F] recevable à agir au titre de la contrefaçon de droit d’auteur,
– débouté Mme [F] de ses prétentions au titre du droit d’auteur,
– débouté Mme [F] de sa demande subsidiaire en concurrence déloyale et parasitaire,
– condamné Mme [F] aux dépens, dont distraction au profit de Me DIEZ, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, et à payer à la société EUROLINE la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné l’exécution provisoire.
Le 5 mai 2021, Mme [F] a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions récapitulatives numérotées 4, transmises le 3 novembre 2022, Mme [F] demande à la cour :
– de confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré Mme [F] recevable à agir au titre de la contrefaçon de droit d’auteur,
– d’infirmer le jugement en ce qu’il a :
– débouté Mme [F] de ses prétentions au titre du droit d’auteur,
– débouté Mme [F] de sa demande en contrefaçon de droit d’auteur,
– débouté Mme [F] de sa demande subsidiaire en concurrence déloyale et parasitaire,
– condamné Mme [F] aux dépens et à payer à la société EUROLINE la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– statuant à nouveau :
– de juger que la société EUROLINE, exploitant sous la dénomination « AUREN », en commercialisant le cabas litigieux « Amour » décliné en plusieurs couleurs et plusieurs tailles identiques à celles de la concluante, s’est rendue coupable de contrefaçon de droits d’auteur dont est titulaire Mme [F],
– de juger que Mme [F] a fait sommation à la société EUROLINE, par l’assignation puis par voie de conclusions, d’avoir à communiquer dans le cadre de la présente instance, l’ensemble des éléments comptables, certifiés par son expert-comptable ou commissaire aux comptes, permettant d’établir de manière exhaustive les quantités commandées et vendues du cabas litigieux, ainsi que les quantités actuellement en stock et de tirer toutes conséquences du défaut de réponse de la société EUROLINE,
– en tout état de cause :
– d’interdire à la société EUROLINE, exploitant sous la dénomination « AUREN », sous astreinte définitive de 1 500 € par infraction constatée, de détenir, d’offrir, vendre le cabas « Amour » contrefaisant et de les reproduire sur tous supports,
– d’ordonner la saisie et la destruction de tous produits, documents, ou supports contrefaisants appartenant à la société EUROLINE, exploitant sous la dénomination AUREN et ce, en tous lieux où ils se trouveraient,
– en conséquence :
– de condamner la société EUROLINE, exploitant sous la dénomination « AUREN », à la somme de 128 997 euros à titre de dommages et intérêts selon décompte, au bénéfice de Mme [F] du fait de l’atteinte à ses droits d’auteur, constitutive de contrefaçon se décomposant ainsi :
– 97 790 euros au titre du manque à gagner,
– 20 000 euros au titre du préjudice moral,
– 11 206 euros au titre des bénéfices réalisés par le contrefacteur,
– à titre infiniment subsidiaire, et au cas où la cour estimerait que les faits ci-dessus ne constituent pas des actes de contrefaçon, et compte-tenu notamment du risque de confusion et de la copie servile, de juger qu’à tout le moins, ces actes constituent des agissements de concurrence déloyale et/ou parasitaire sur le fondement de l’article 1240 du code civil, et de condamner l’intimée aux sommes ci-dessus indiquées, sur ce fondement, soit 128 997 euros,
– d’ordonner, à titre de supplément de dommages et intérêts, la parution de l’arrêt à intervenir dans 3 journaux au choix de la concluante et aux frais avancés de l’intimée, dans une limite de 5 000 € HT maximum par insertion,
– d’ordonner le remboursement par la société EUROLINE de la somme de 5000 euros réglée par Mme [F] au titre des frais irrépétibles de première instance,
– en tout état de cause :
– de débouter la société EUROLINE de l’intégralité de ses conclusions, et notamment de son appel incident en dommages et intérêts pour prétendue procédure abusive, frais irrépétibles et dépens,
– de condamner la société EUROLINE au paiement :
– de la somme de 15 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile
pour la première instance,
– des frais de saisie-contrefaçon diligentée par Me [P] le 2 avril 2019 également, en ce compris les honoraires des huissiers (pièce 18),
– des frais de traduction réglés au cabinet BONNEFOUS à hauteur de 1 566, 24 €,
– des dépens de la première instance,
– de la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel,
– des dépens de l’appel.
Dans ses dernières conclusions en réponse, numérotées 3, transmises le 19 octobre 2022, la société EUROLINE demande à la cour :
– à titre principal :
– d’écarter des débats les pièces n° 3, 14, 16 à 20, 33, 47 à 52 de l’appelante,
– de débouter Mme [F] de la totalité de ses demandes,
– de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [F] de l’intégralité de ses demandes,
– à titre subsidiaire, d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a considéré Mme [F] recevable à agir,
– reconventionnellement, de condamner Mme [F] à payer à la société EUROLINE la somme de 25 000 euros au titre de cette procédure abusive,
– en tout état de cause, de condamner Mme [F] à rembourser à la société EUROLINE, au titre de l’article 700 code de procédure civile, les honoraires et frais d’avocats que celle-ci a dû débourser pour se défendre, soit la somme de 10 000 €, ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de Me François TEYTAUD, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 8 novembre 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande de la société EUROLINE de rejet de pièces de Mme [F]
La société EUROLINE demande le rejet des pièces de l’appelante n° 3, 14, 16 à 20, 33, 47 à 52, s’agissant soit de pièces rédigées en anglais avec une ‘traduction libre’ réalisée par un logiciel de traduction en libre-service sur internet dépourvue de toute fiabilité, soit d’attestations ne respectant pas les dispositions des articles 200 à 203 du code de procédure civile, soit de la requête aux fins de saisie-contrefaçon comportant notamment la pièce 3 qui est une attestation devant être écartée faute de respecter l’article 201 du code de procédure civile, de l’ordonnance autorisant la saisie-contrefaçon rendue sur cette requête le 28 mars 2019 et des pièces subséquentes (pièces 13 et 14, 17 et 18).
Mme [F] répond qu’elle a fait traduire ses pièces en langue anglaise et que les dispositions de l’article 202 ne sont pas prescrites à peine de nullité, le juge devant en apprécier souverainement la valeur probante.
La cour observe en premier lieu qu’en application de l’alinéa 3 de l’article 954 du code de procédure civile (‘La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif (…)’), elle n’est pas saisie d’une demande de rejet des pièces 13, 45 et 46 de l’appelante qui sont mentionnées dans le corps des écritures de la société intimée mais non reprises dans son dispositif.
En deuxième lieu, la cour rappelle que l’article 111 de l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, qui impose que les pièces de procédure soient libellées en langue française, de même que la loi dite “loi Toubon”, ne visent pas les pièces soumises au juge comme éléments de preuve et qu’il appartient à celui-ci, dans l’exercice de son pouvoir souverain, d’apprécier s’il convient d’écarter un document écrit en langue étrangère, même non accompagné de traduction, dès lors qu’il est en mesure, comme les parties, d’en comprendre le sens. En l’espèce, alors que la traduction par un traducteur assermenté n’est pas nécessairement requise, les pièces 16, 19, 20, 33, 48 et 49 en anglais sont fournies avec une traduction en français émanant d’un traducteur près la cour d’appel de Pau dont l’intimée n’explique pas en quoi elle serait critiquable.
En troisième lieu, le fait que des attestations ne répondent pas aux prescriptions de l’article 202 du code de procédure civile, ne doit pas conduire à les écarter a priori, ces dispositions n’étant pas prescrites à peine de nullité. Il appartiendra, le cas échéant, à la cour d’apprécier le caractère probant des témoignages concernés dans le cadre de l’examen des pièces au fond. L’attestation fournie en pièce 52 n’est critiquée que quant à sa valeur probante, laquelle sera donc examinée, le cas échéant, dans le cadre de l’examen des pièces au fond.
Enfin, l’intimée argue que l’ordonnance autorisant la saisie-contrefaçon a été rendue sur la base d’une attestation établie par Mme [F] elle-même (pièce 3), ne répondant donc pas à la condition requise par l’article 201 du code de procédure civile (‘Les attestations doivent être établies par des personnes qui remplissent les conditions requises pour être entendues comme témoin’) et encourant par conséquent la nullité, pour demander le retrait de cette pièce 3 et des pièces relatives à la saisie-contrefaçon (14, 17, 18). Mais la requête présentée au juge délégué par le premier président comportait 12 pièces, dont l’attestation de Mme [F] (pièce 3) décrivant le sac ‘Amour’ et la démarche de la créatrice dans la réalisation de ce sac, qui ne saurait encourir la nullité de ce fait et vicier la requête, ni les opérations de saisie et les pièces subséquentes (email de l’huissier instrumentaire et factures remises à ce dernier par le saisi).
La demande tendant à voir écarter les pièces sera donc rejetée.
Sur les demandes de Mme [F] en contrefaçon de droits d’auteur
Sur la recevabilité de l’action : la titularité des droits
La société EUROLINE soutient que Mme [F], qui ne démontre pas avoir personnellement créé le sac revendiqué, ne peut, en tant que personne physique, invoquer une présomption de titularité ; que contrairement à ce que le tribunal a retenu, les pièces aux débats montrent la divulgation du cabas, non par Mme [F] à titre personnel, mais par la société THE JACKSONS TWINS créée entre Mme [G] [F] et sa soeur [W] [F].
En réponse, la société appelante prétend avoir démontré sa qualité de créatrice du cabas et la diffusion de ce cabas sous son nom « THE JACKSONS » et sous cette griffe.
En application des dispositions de l’article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle, « La qualité d’auteur appartient sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l”uvre est divulguée ».
En l’absence de revendication du ou des auteurs, l’exploitation de l’oeuvre par une personne physique ou morale sous son nom fait présumer, à l’égard des tiers recherchés pour contrefaçon, que cette personne est titulaire sur l’oeuvre du droit de propriété incorporelle de l’auteur.
En l’espèce, Mme [G] [F] peut se prévaloir du bénéfice de cette présomption légale dès lors, d’une part, qu’elle justifie être à l’origine de la création du sac ‘Amour’ en produisant notamment des échanges en juin et juillet 2014 avec la société bangladaise RISHILPI HANDICRAFT à laquelle elle a donné des instructions (pièce 31) et une facture de cette dernière du 6 décembre 2014 concernant une commande du 9 août 2014 portant notamment sur un produit dénommé ‘Amour’ (pièce 21), d’autre part, qu’elle fournit plusieurs pièces montrant la divulgation du sac sous la griffe ‘THE [F]’ mais avec la mention de [G] [F] désignée comme créatrice ou designer (extraits des sites www.galeries-lafayette.com, www.[07].co.uk, www.bleue.co.uk, www.boutiquelesfleurs.com, www.theslowmode.com, catalogues THE JACKSONS 2017, 2018, 2019) (pièces 6.2, 6.3, 7, 23, 27 à 30), enfin, qu’elle verse l’attestation, régulière en la forme et dont le caractère probant n’est pas utilement contesté par la société EUROLINE au seul motif qu’il contiendrait ‘un avis de nature juridique’, de sa soeur, Mme [J] ([W]) [M], laquelle indique que le sac ‘Amour’ a été créé par sa soeur, [G] [F], styliste, ‘laquelle détient les droits de propriété intellectuelle sur [cette] création en qualité d’auteur’ et précise qu’à la dissolution de la société THE [F] TWINS LLP, le 15 janvier 2019, son patrimoine est resté la propriété de Mme [G] [F], ce qui est corroboré par l’attestation de M. [I], avocat anglais, qui témoigne de ce que [G] [F] était la seule créatrice au sein de la société THE [F] TWINS LLP, sa soeur étant responsable de la gestion, sans aucun rôle créateur (pièce 51).
Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu’il a déclaré Mme [G] [F] recevable à agir au titre de la contrefaçon de droit d’auteur.
Sur l’originalité du cabas ‘Amour’
Mme [F] soutient que le cabas ‘Amour’ est original et présente ainsi qu’il suit la combinaison des caractéristiques arbitraires du cabas :
‘- Modèle 100% jute de forme rectangulaire ;
– Décliné en deux tailles : petit modèle d’environ 43cm x 33cm ; grand modèle d’environ 44cm x 42cm ;
– Comportant :
– un tissage particulier tressé de façon ajourée, avec quatre pétales reliés les uns aux autres par un n’ud de jute, ce motif se répétant à l’identique sur toute la surface du cabas à l’avant et arrière de façon uniforme ;
– un arrondi à sa base ;
– dans sa partie supérieure, quatre bandes horizontales de jute tressée, superposées les unes sur les autres, mesurant un total de deux centimètres environ et situé sur tout le pourtour du cabas, à l’avant et à l’arrière ;
– deux anses avec un tressage serré horizontal, lequel est encadré de deux tressages serrés verticaux figurant sur l’entier pourtour de chaque anse ;
– le mot « Amour » apparaît en lettres stylisées, minuscules, exceptée la première lettre A en majuscule, et très apparentes, contrastant avec le fond ficelle ajouré du cabas. Les lettres sont très visibles et sont disposées selon un agencement particulier : sur toute la longueur et centré au milieu du cabas’.
Mme [F] complète cette description par une attestation dans laquelle elle précise sa démarche comme suit : ‘J’ai voulu créer un modèle de cabas à la fois élégant et pratique. Il s’agit d’un cabas liant un aspect bohème/hippie chic à un esprit résolument moderne compte tenu du choix des mots associés à une forme et une matière particulière et peu commune en jute brut tressé comme indiqué ci-dessus. Cette inscription visible au niveau du cabas constitue une interpellation des autres par rapport au message véhiculé, ce cabas incarnant la liberté de la femme qui le porte. J’ai voulu créer un contraste entre la matière utilisée et les inscriptions très visibles à l’instar de graffitis urbains, ce qui tranche également avec l’aspect cabas que j’ai voulu donner. Cette combinaison de caractéristiques donne à ce cabas un aspect décontracté, féminin et esthétique. J’ai prévu que ce cabas pouvait être décliné en plusieurs tailles et plusieurs coloris’.
Mme [F] critique le jugement en ce qu’il a dénié l’originalité du cabas ‘Amour’ alors que n’a pas été établie l’existence d’un sac antérieur reprenant la combinaison des caractéristiques revendiquées et que la combinaison revendiquée n’est nullement nécessaire.
La société EUROLINE conteste toute originalité au cabas ‘Amour’, arguant que tous les éléments revendiqués sont des caractéristiques techniques qui, même combinés, ne peuvent constituer une création susceptible de donner prise à des droits d’auteur, Mme [F] reconnaissant dans son témoignage que le cabas résulte de l’association d’un mot (en l’occurrence ‘Amour’) à ‘une forme et une matière peu commune’, en réalité un sac cabas en jute tressée fabriqué par une coopérative de femmes au Bangladesh, Mme [F] ayant seulement donné pour instruction à ladite coopérative de faire figurer sur le sac l’inscription du mot ‘Amour’ ; que le fait d’inscrire des mots sur des sacs, ou des vêtements, est une pratique courante depuis des années relevant d’une simple idée.
Ceci étant exposé, l’article L.111-l du code de la propriété intellectuelle dispose que l’auteur d’une ‘uvre de l’esprit jouit sur cette ‘uvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial. En application de l’article L.112-l du même code, ce droit appartient à l’auteur de toute oeuvre de l’esprit, quels qu’en soit le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination. Selon l’article L.112-2-14°, les créations des industries saisonnières de l’habillement et de la parure sont considérées comme oeuvres de l’esprit.
Il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d’une ‘uvre sans formalité et du seul fait de la création d’une forme originale. Néanmoins, lorsque l’originalité d’une ‘uvre de l’esprit est contestée, il appartient à celui qui revendique la protection au titre du droit d’auteur d’identifier ce qui caractérise cette originalité.
En l’espèce, c’est pour des motifs exacts et pertinents, que la cour adopte, que les premiers juges ont dénié l’originalité du cabas ‘Amour’, retenant notamment que l’intégralité des caractéristiques revendiquées quant à la forme du sac appartient au fonds commun du sac cabas, sans agencement particulier inhabituel, que la matière du cabas – à savoir un tissage en jute en macramé – est issue d’une technique ancestrale des femmes bengali relevant également d’un fonds commun (pièce 8 concernant un procès-verbal de constat sur le site www.maisonbengal.co.uk), que l’inscription d’un mot sur les faces du sac constitue un élément décoratif habituel (pièces 1 et 2 produites en appel par l’intimée concernant des modèles français déposés en 2006 et 2008 ; pièce 24 relative à un article du Figaro du 30 août 2017 montrant le sac en osier ‘La Vita è Bella !’ de Mme [D] [B] ; pièce 9 concernant un cabas MAKE EVERY DAY HAPPY avec la date de juin 2008 montrant la préexistence d’inscriptions sur des sacs de type cabas), le mot ‘Amour’ étant à lui seul impropre à conférer à l’ensemble l’empreinte de la personnalité d’un auteur.
Il sera ajouté que si, comme le relève Mme [F], l’originalité peut résulter de la combinaison particulière d’éléments connus, la notion d’antériorité est indifférente en droit d’auteur et il appartient à la personne qui se prévaut de cette protection de justifier de ce que l’oeuvre revendiquée présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l’empreinte de sa personnalité. Or, en l’espèce, la combinaison revendiquée d’éléments connus – soit l’apposition du mot ‘Amour’, dans une police sans originalité particulière, sur un sac cabas de forme classique, réalisé selon une technique ancestrale du Bengladesh -, est insuffisante, quelle que soit, comme souligné par le tribunal, la noblesse de l’entreprise poursuivie par Mme [F], pour traduire une démarche créatrice marquée par la personnalité d’un auteur.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté Mme [F] de ses demandes au titre du droit d’auteur, faute d’originalité du sac ‘Amour’.
Sur la demande subsidiaire de Mme [F] en concurrence déloyale et parasitaire
L’appelante soutient qu’à tout le moins, la copie servile du cabas ‘Amour’ et de ses déclinaisons constitue une concurrence déloyale du fait du risque de confusion évident pour le consommateur compte tenu des ressemblances flagrantes entre les produits qui ne sauraient être le fruit du hasard, de leur commercialisation dans le même type de boutiques, de la reprise de sa gamme de couleurs et de la déclinaison de sacs avec des mots différents à l’instar de ce qu’elle-même propose. Elle ajoute que la société EUROLINE se rend également coupable de concurrence parasitaire, en commercialisant des cabas de couleur beige, rouge, noir et kaki, ce qui correspond à la gamme de couleurs qu’elle-même offre à la vente depuis plusieurs saisons, et en tirant profit de ses efforts, notamment financiers, et du succès de ses cabas tout en vendant les produits litigieux à un prix bien inférieur. Elle fait valoir que ces faits lui sont grandement préjudiciables compte tenu notamment de la copie servile et de la mauvaise qualité des sacs litigieux.
La société EUROLINE répond que le sac cabas “Amour” ne constituant pas une ‘uvre bénéficiant de la protection du droit d’auteur mais appartenant à un fonds commun, sa reproduction, même servile, ne peut constituer un acte de concurrence déloyale, et qu’il n’est pas établi que ce sac représente une valeur économique particulière qu’elle aurait pillée et détournée. Elle ajoute que l’allégation de concurrence déloyale et de parasitisme est fondée sur les mêmes faits que ceux invoqués au titre de la contrefaçon, et non sur des faits distincts, à l’exception du fait que les sacs cabas litigieux sont vendus à un prix moindre que ceux de Mme [F], mais qu’il ne s’agit pas là d’une faute, la différence de prix pouvant s’expliquer notamment par l’origine ou la qualité des produits, ceux de la société EUROLINE étant importés d’Inde où ils sont fabriqués.
Ceci étant exposé, la cour rappelle que la concurrence déloyale et le parasitisme sont pareillement fondés sur l’article 1240 du code civil, selon lequel’Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer’, mais sont caractérisés par application de critères distincts, la concurrence déloyale l’étant au regard du risque de confusion, considération étrangère au parasitisme qui requiert la circonstance qu’à titre lucratif et de façon injustifiée, une personne morale ou physique copie une valeur économique d’autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements.
Ces deux notions doivent être appréciées au regard du principe de la liberté du commerce et de l’industrie qui implique qu’un produit qui ne fait pas l’objet d’un droit de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l’absence de faute par la création d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit ou par l’existence d’une captation parasitaire, circonstances attentatoires à l’exercice paisible et loyal du commerce.
Mme [F], qui ne se voit pas reconnaître de droits privatifs d’auteur sur le sac ‘Amour’ faute de démonstration de l’originalité dudit sac, peut invoquer à l’appui de sa demande en concurrence déloyale et parasitaire les mêmes faits que ceux qu’elle invoque au soutien de ses demandes en contrefaçon, en l’occurrence la reprise des caractéristiques du sac ‘Amour’, source, selon elle, de la création ou de la recherche d’un risque de confusion constitutif d’un comportement fautif au sens de l’article 1240 du code civil.
L’appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d’une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment, le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l’imitation, l’ancienneté de l’usage, l’originalité, la notoriété du produit copié.
Il incombe à celui qui se prétend victime d’actes de concurrence déloyale ou de parasitisme d’en rapporter la preuve et de démontrer que les éléments constitutifs de ces comportements répréhensibles sont réunis.
En l’espèce, alors que, comme il a été dit, les caractéristiques revendiquées du cabas ‘Amour’ (forme, matière, décoration par l’apposition d’un mot) relèvent de fonds communs, de nombreux sacs du même genre étant proposés à la vente (MAISON BENGAL, MONOPRIX) et qu’ en l’absence de droits privatifs sur une création, le fait de commercialiser un produit qui en constitue l’imitation ou la reproduction, même servile, n’est pas, en soi, constitutif d’un acte de concurrence déloyale mais procède du principe de la liberté du commerce et de la libre concurrence, la cour, qui a pu examiner les sacs en litige qui lui ont été remis, constate que le sac incriminé se différencie par sa longueur notablement plus grande, son tissage beaucoup plus ajouré et le fait que le mot ‘Amour’, inscrit dans une calligraphie différente de celle adoptée par Mme [F], est dans la même couleur, ton sur ton, que le sac lui-même, sans l’effet de contraste généré par les lettres rouges sur fond beige / ficelle du sac revendiqué et qu’il n’est apposé que sur l’une des faces du sac.
La déclinaison du sac litigieux dans plusieurs couleurs usuelles en matière de sacs (beige, rouge, noir et kaki) et avec une série de mots autres qu’ ‘Amour’ (qui ne sont toutefois pas précisés dans le constat de saisie-contrefaçon), comme Mme [F] qui diffuse son sac avec diverses inscriptions (‘Smile’, ‘Yes’, ‘Holiday’, ‘Summer’, ‘La Dolce Vita’…) mais à l’instar également d’autres opérateurs ainsi qu’en justifie l’intimée (ses pièces 1, 2, 9 et 24 précitées), ne peut suffire à établir le comportement fautif dénoncé. Le risque de confusion allégué ne se trouve donc pas démontré.
Au titre du parasitisme, Mme [F] fait état de dépenses qui sont toutefois insuffisamment établies quant au sac ‘Amour’ au regard de l’attestation de son comptable (sa pièce 34) qui indique que depuis 2014, les coûts de conception, d’organisation de la fourniture de sacs en jute et de leur promotion sont estimés à environ 502 948 £, dont 25 % concernent les modèles ‘Bonjour’, ‘Holidays’, ‘Amour’. Et si le sac ‘Amour’ est effectivement présent sur Internet, sur des sites rédactionnels ou marchands, son succès, qui permettrait à l’appelante de se prévaloir de l’existence d’une valeur économique individualisée, n’est pas réellement établi. Enfin, la mauvaise qualité des sacs litigieux fabriqués en Inde n’est pas démontrée et leur prix (21 € HT), s’il est inférieur à celui du cabas revendiqué, n’est pas vil et ne peut caractériser une faute, la différence de prix pouvant s’expliquer par l’origine ou la qualité du produit.
Pour l’ensemble de ces raisons, le jugement sera également confirmé en ce qu’il a débouté Mme [F] de sa demande subsidiaire en concurrence déloyale et parasitaire.
Sur la demande pour procédure abusive de la société EUROLINE
Au soutien de sa demande, la société EUROLINE fait valoir que par la présente procédure dirigée contre une petite société française, Mme [F] cherche de toute évidence à obtenir un monopole indu sur le produit qu’elle revendique ‘pour s’en faire un titre auprès de fabricants indiens’ ; qu’en effet, son propre fournisseur, la société indienne FASHION FOLIO, est parfaitement connue de l’appelante qui expose dans les mêmes salons professionnels, commelors du salon ‘Who’s next’ 2018 où Mme [F] aurait eu tout loisir de faire constater à l’égard du fabricant lui-même les actes dont elle se plaint ; qu’ainsi, Mme [F] ne peut ignorer l’existence des modèles commercialisés par la société FASHION FOLIO et le fait que de très nombreux fabricants indiens (notamment la société MAISON BENGAL) commercialisent depuis longtemps des cabas en toile de jute reprenant la forme et le tissage de celui revendiqué, à l’exception des inscriptions.
Mme [F] conteste le caractère abusif de son action, indiquant notamment qu’elle ne connaît pas la société FASHION FOLIO et qu’il n’est pas démontré que les sacs litigieux aient été présents sur le stand de cette société lors du salon cité par l’intimée.
La cour rappelle que l’exercice d’une action en justice ou d’une voie de recours légalement ouverte constitue, en principe, un droit, et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d’absence manifeste de tout fondement à l’action intentée.
En l’espèce, alors qu’il n’est nullement démontré que le cabas litigieux aurait été présenté sur un salon auquel auraient participé en même temps Mme [F] et le fabricant indien de la société intimée, et que les cabas de la MAISON BENGAL, comme l’admet l’intimée, ne comportent pas d”accroches écrites’, les choix procéduraux de Mme [F] ne montrent pas qu’elle a agi avec une évidente mauvaise foi, ou une absence de tout fondement ou de façon malveillante avec une intention de nuire, de manière à faire dégénérer en abus son action en justice, de sorte que la demande de la société EUROLINE sera rejetée.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Mme [F], partie perdante, sera condamnée aux dépens d’appel, dont distraction au profit de Me TEYTAUD, avocat, dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile, et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu’elle a exposés à l’occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.
La somme qui doit être mise à la charge de Mme [F] au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la société EUROLINE peut être équitablement fixée à 4 000 €, cette somme complétant celle allouée en première instance.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Rejette la demande de la société EUROLINE tendant au rejet des pièces n° 3, 14, 16 à 20, 33, 47 à 52 de Mme [F],
Rejette la demande de la société EUROLINE pour procédure abusive,
Condamne Mme [F] aux dépens d’appel, dont distraction au profit de Me TEYTAUD, avocat, dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile, ainsi qu’au paiement à la société EUROLINE de la somme de 4 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE