Designer : 18 janvier 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 19/04680

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Designer : 18 janvier 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 19/04680
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COUR D’APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE – SECTION A

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ARRÊT DU : 18 JANVIER 2023

PRUD’HOMMES

N° RG 19/04680 – N° Portalis DBVJ-V-B7D-LGIW

Madame [J] [U]

c/

SARL KAEROS anciennement dénommée SARL AECO Europe

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 juillet 2019 (R.G. n°F18/00706) par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d’appel du 19 août 2019,

APPELANTE :

Madame [J] [U]

née le 22 Juillet 1977 à [Localité 5] de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Magali BISIAU, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

SARL Kaeros anciennement dénommée Société Aeco Europe, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social

[Adresse 8]

N° SIRET : 493 589 055

représentée par Me Camille FONTAN, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistée de Me Elodie GERVAUD, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 novembre 2022 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Hylaire, présidente chargée d’instruire l’affaire et Madame Sylvie Tronche, conseillère

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 14 août 2014, un contrat de travail à durée indéterminée a été signé entre Madame

[J] [U], née en 1977, et la SARL AECO Europe, qui avait son siège social à [Localité 7] (91) et était gérée initialement par M. [Y] et M. [K] ; cette société a une activité de commercialisation inter-entreprises de composants et équipements électroniques.

Le contrat prévoyait que Mme [U] était engagée en qualité de responsable des achats, catégorie cadre de la convention collective de commerce de gros , niveau IX, échelon 1, moyennant une rémunération fixe de 4.720 euros, outre une prime de 13ème mois.

Il précisait que Mme [U] travaillerait à son domicile, alors situé à [Localité 3] (76), sa présence dans l’entreprise étant néanmoins requise de 1 à 3 fois par semaine et qu’un avenant précisant les conditions liées au télétravail serait établi.

Les parties sont en désaccord sur la date de prise d’effet de ce contrat : Mme [U] prétend que le contrat a pris effet immédiatement ainsi que prévu par son article 9 ; la société fixe la date du début de la relation effective de travail au 6 février 2015.

Le 13 septembre 2016, une société par actions simplifiées à associé unique, ayant son siège à Mérignac, pour objet social l’étude, le designer, l’industrialisation et la commercialisation de matériaux utilisés en électronique industrielle et, pour président, M. [Y], a été immatriculée au Registre du commerce et des sociétés de Bordeaux sous la dénomination SASU Kaeros.

Mme [U] a déménagé avec sa famille en région bordelaise en décembre 2016.

Le 12 décembre 2017, la société AECO Europe a fusionné avec la SASU Kaeros Kaeros, prenant alors la dénomination de la société absorbée, soit SARL Kaeros.

Les parties sont également en désaccord sur l’identité de la société qui employait en dernier lieu Mme [U] : celle-ci soutient qu’il s’agissait de la SASU Kaeros alors que la SARL Kaeros appelante, anciennement dénommée AECO Europe, prétend qu’elle est restée son employeur.

Par lettre datée du 29 novembre 2017 adressée par la SARL AECO Europe, Mme [U] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 8 décembre 2017.

Par lettre du 8 décembre 2017, la société AECO Europe indiquait à Mme [U] qu’elle envisageait son licenciement pour motif économique, compte tenu d’une part, de la baisse du chiffre d’affaires entre 2016 et 2017, le courrier détaillant les chiffres des quatre trimestres de ces deux exercices, d’autre part, de la suppression de son poste « d’assistante commerciale », enfin, de l’impossibilité de pourvoir à son reclassement. Le courrier rappelait les modalités du contrat de sécurisation professionnelle, précisant que le délai de réflexion expirait le 29 décembre 2017.

Mme [U] a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle, transmettant le dossier y afférent à ‘KAEROS-AECO’ par lettre recommandée avec demande d’avis de réception datée du 26 décembre 2017, reçue le 9 janvier 2018.

Dans l’intervalle, par lettre datée du 2 janvier 2018, la SARL Kaeros a notifié à Mme [U] son licenciement pour motif économique.

Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités outre des rappels de salaires, Mme [U] a saisi le 15 mai 2018 le conseil de prud’hommes de Bordeaux qui, par jugement rendu le 19 juillet 2019, l’a déboutée de l’intégralité de ses demandes, condamnée à verser à la société Kaeros la somme de 600 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Par déclaration du 19 août 2019, Mme [U] a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 19 janvier 2021, Mme [U] demande à la cour de :

– réformer le jugement dont appel en ce qu’il l’a :

* déboutée de l’intégralité de ses demandes,

* condamnée à verser à la société Kaeros, la somme de 600 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

* condamnée aux dépens ;

Et, statuant à nouveau, de :

A titre principal,

– condamner la société Kaeros à lui payer la somme de 23.000 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l’article L.1235-3 du code du travail,

Subsidiairement,

– condamner la société Kaeros à lui payer la somme de 23.000 euros à titre de dommages intérêts pour violation des critères d’ordre des licenciements,

En tout état de cause,

– dire qu’elle a subi un préjudice distinct résultant de la perte de droits à la retraite,

– condamner en conséquence la société Kaeros à lui payer la somme de 12.000 euros à

titre de dommages intérêts,

– condamner la société Kaeros à lui payer :

* au titre du salaire dû pour les mois de décembre 2014, janvier 2015 et du 1er au 5 février 2015, 11.098,04 euros outre 1.109,80 euros au titre des congés payés afférents,

* un rappel de salaire de 280 euros par mois, d’octobre 2016 jusqu’à la rupture du contrat de travail en décembre 2017, soit une somme de 3.920 euros outre 392 euros au titre des congés payés afférents,

* au titre des indemnités journalières reçues par subrogation la somme de 613,20 euros,

– dire que l’employeur n’a pas exécuté loyalement le contrat de travail de Mme [U] et lui a occasionné un préjudice,

– condamner en conséquence la société Kaeros à lui payer les sommes (sic) de 15.000 euros,

– condamner la société Kaeros à lui payer la somme de 3.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens d’instance et frais éventuels d’exécution,

– dire que les condamnations porteront intérêts à compter de la saisine du conseil,

– débouter la société Kaeros de l’ensemble de ses éventuelles demandes.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 6 octobre 2022, la société Kaeros demande à la cour de’:

– dire Mme [U] mal fondée en son appel,

– confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Bordeaux le 19 juillet 2019,

– débouter Mme [U] de l’ensemble de ses demandes,

A titre reconventionnel,

– condamner Mme [U] à lui verser la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Mme [U] aux dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 20 octobre 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 21 novembre 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ainsi qu’à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de rappel de salaire au titre de la période du 14 août 2014 au 5 février 2015

Mme [U], rappelant les termes de l’article 9 de son contrat de travail prévoyant la prise d’effet de ce contrat dès sa signature, soit le 14 août 2014, sollicite le paiement de la somme de 11.098,04 euros outre les congés payés afférents correspondant au salaire qui ne lui a pas été versé entre le 14 août 2014 et le 5 février 2015.

La société intimée conclut au rejet de cette demande, soutenant que bien qu’elle ait déclarée être libre de tout engagement dans le contrat, Mme [U] n’a en réalité débuté ses fonctions que le 6 février 2015 car elle occupait encore son emploi auprès de de son précédent employeur, la société Morpho.

***

Au soutien de ses prétentions, la société verse aux débats les pièces suivantes :

– 21 : constituée d’un courriel envoyé de la part de [J] [U] à « Morpho » ainsi rédigé : « Il est l’heure de vous quitter et de vous dire à bientôt. Après avoir passé quinze années très enrichissantes chez Morpho je garderai un excellent souvenir et j’ai vraiment apprécié de travailler avec chacun d’entre vous. A cette occasion je vous invite à faire un petit passage à mon bureau pour vous dire au revoir le Mercredi 03 Février. Un petit déjeuner vous attend à partir de 9H.» ;

– 10 constituée d’un courriel adressé par Mme [U] d’une adresse « morpho.com » qu’elle a envoyé le 4 février 2015 manifestement à ses anciens collègues au sein de Safran Morpho au regard du contenu de ce message : « A l’aube de mon départ de la société Morpho qui sera effectif demain soir, je tiens à vous remercier de l’accueil chaleureux que vous m’avez toujours réservé et de la qualité de nos échanges qui nous ont permis de construire une relation saine et pérenne depuis 15 ans. Je tiens à vous transmettre pour la suite mes plus sincères voeux de réussite et une bonne continuation avec Morpho. [J] [U], Acheteur Programme Transport suivi du logo Safran Morpho » ;

– 11: il s’agit de la demande d’allocation personnalisée destinée à Pôle Emploi, remplie à la main par Mme [J] [U] le 26 décembre 2017 dans laquelle, en page 2, elle a mentionné à la rubrique ‘Périodes d’emploi’ :

* dernier emploi : du 06.02.2014 au 29.12.2017 : KAEROS /AECO

* avant-dernier emploi : du 10.02.2000 au 05.02.2014 : SAFRAN MORPHO :

– 12 : page linkedin de Mme [U] précisant au titre de ses expériences : responsable achats Kaeros ‘févr.2015-aujourd’hui’ puis : ‘acheteur projets Safran janv.2000 – févr.2015′.

Ces pièces démontrent qu’au-delà des seuls termes du contrat de travail signé le 14 août 2014, Mme [U] n’a commencé à travailler pour le compte de la société intimée qu’à compter du 6 février 2015.

Le jugement déféré qui l’a déboutée de sa demande au titre des salaires pour la période antérieure sera donc confirmé.

Sur la détermination de l’identité de l’employeur de Mme [U]

Mme [U] prétend qu’elle a été mutée le 1er octobre 2016 au sein de la SAS Kaeros qui est ainsi devenue son employeur.

Elle se prévaut d’une lettre d’embauche datée du 22 juillet 2016 par la SAS Kaeros (sa pièce 5) signée par M. [Y] rédigée en ces termes :

« Suite aux différents entretiens que nous avons eus avec vous, nous avons le plaisir de vous confirmer que votre candidature a été retenue pour le poste de Responsable Achats Groupe. Votre date d’intégration est estimée pour le courant du mois d’octobre 2016.

Les conditions d’embauche que nous vous proposons sont les suivantes :

– Contrat de travail à durée indéterminée

– Période d’essai : Aucune

– Convention Collective : Commerce de Gros

– Classification : Cadre (Echelon VII-2) [Responsable d’activités et d’équipe]

– Titre : Responsable des Achats

– Votre salaire mensuel bruts sera de 5000 € sur 13 mois, ce qui pour une année entière

correspond à un salaire annuel brut de 65.000 €, auquel s’ajouteront :

o Un bonus annuel, lié aux résultats de l’entreprise ainsi qu’aux performances

personnelles pourra être versé en fin d’année.

o La mise à disposition d’un mobile ainsi que d’un ordinateur portable ainsi

que tout moyen nécessaire à votre activité.

o La mise à disposition d’un véhicule (moins de 2.0 L de cylindrée) de fonction

dont le budget mensuel sera de l’ordre de 600 €

o La mise en place d’une mutuelle prise en charge à 100% par KAEROS SAS ainsi qu’une Prévoyance prise en charge à 100% par l’entreprise

– Congés : 5 semaines par an du 01/06 au 31/05

– Travaillant depuis votre domicile, il est convenu que vous viendrez au bureau de une à trois fois par semaine, selon les besoins, pour organiser et discuter des projets en cours.

Clauses particulières

– Confidentialité : Oui

– Non concurrence : non

Votre engagement sera toutefois subordonné au résultat de la visite médicale que vous passerez à une date à déterminer auprès du médecin du travail à notre siège social.

Dans l’attente de votre accord sur les termes de cette lettre, (…) ».

Mme [U] sollicite en outre le paiement du différentiel de salaire dû selon elle à compter du mois d’octobre 2016, soit 280 euros par mois et un total dû jusqu’en décembre 2017 de 3.920 euros outre les congés payés afférents.

Mme [U] produit également un courrier adressé le 6 septembre 2016 par la société AECO Europe ainsi rédigé :

« Suite à nos différents entretiens, nous avons le plaisir de vous confirmer notre accord pour votre mutation professionnelle.

Ainsi, à compter du 1er octobre 2016, 9 heures, vous exercerez votre activité de Responsable des Achats au sein de notre établissement secondaire à l’adresse ci-dessous :

KAEROS SAS

[Adresse 2]

[Localité 6].

(…) ».

La SARL Kaeros, anciennement AECO Europe, fait exposer qu’en mars 2016, son gérant, M. [Y], a envisagé la création d’une nouvelle structure et, qu’après discussion entre lui, Mme [U] et deux autres cadres de l’entreprise, ce dont ceux-ci attestent, le choix s’est porté sur la ville de [Localité 4] et des locaux ont été trouvés à [Localité 6].

Elle fait valoir que s’il a été proposé à Mme [U] de rejoindre la SAS Kaeros, aucune suite n’a été donnée à cette offre, ce dont témoigne d’ailleurs le courrier de ‘mutation’ du 5 septembre 2016, ajoutant que Mme [U] a continué d’être rémunérée par la société AECO Europe, à bénéficier du véhicule mis à sa disposition par celle-ci et qu’elle figurait toujours sur son registre du personnel.

***

La lettre d’embauche du 22 juillet 2016 s’analyse non en un contrat de travail mais en une promesse unilatérale de contrat.

Or, d’une part, il n’est pas établi qu’une suite a été donnée à cette promesse d’embauche par Mme [U] puisqu’au contraire, celle-ci demandait le 31 janvier 2017 à M. [Y] quand serait appliqué ‘le nouveau contrat’, ce à quoi celui-ci répondait que ce serait au moment de la scission.

Les échanges se poursuivaient et le 18 juillet 2017, M. [Y], questionné par Mme [U] au sujet de sa prime de déménagement [qui lui sera réglée par la société AECO Europe en août 2017], lui répondait : « Pour ce qui est du transfert des contrats vers Kaeros, cela ne se fera pas. En effet, même si AECO Europe sera transférée à partir du mois de septembre à [Localité 6], il est prévu de regrouper toutes les sociétés sous AECO avant de changer de nom. Les contrats de travail resteront donc AECO ».

D’autre part, la lettre du 5 septembre 2016 conforte le fait que Mme [U] est restée salariée de la société AECO Europe qui l’autorisait à travailler dans les locaux, présentés comme un établissement secondaire, à l’adresse de la SAS Kaeros.

Enfin, Mme [U] a continué à être rémunérée par la SARL AECO Europe ainsi qu’en témoignent ses bulletins de salaire, à bénéficier du véhicule mis à sa disposition par cette société et d’une adresse internet de cette dernière, le fait qu’elle ait participé à une réunion de la société Kaeros le 20 octobre 2016 et au cours du 2ème trimestre 2017 ou ait été qualifiée de ‘pilier de Kaeros’, ne pouvant être considéré comme la démonstration qu’elle était devenue salariée de la SAS Kaeros, placée dans un lien de subordination avec celle-ci.

Au surplus, même si l’on analyse la situation de Mme [U] au sein de la SAS Kaeros comme un prêt de main d’oeuvre, étant observé que l’appelante n’en déduit aucune conséquence juridique, d’une part, la société intimée justifie que ce prêt était à but non lucratif (pièce 28) et, d’autre part, la mise à disposition d’un salarié au service d’une autre entreprise ne fait pas disparaître le lien contractuel entre ce salarié et l’entreprise prêteuse.

Enfin, ainsi que le prétend Mme [U] qui estime qu’il y a eu un non-respect immédiat des stipulations contractuelles, la déclaration d’embauche a été effectuée par une société dénommée Equity FI le 10 février 2015. Cependant, cette déclaration mentionne bien un début de relation contractuelle au 6 février 2015 et la société intimée explique, sans être contredite sur ce point que la société Equity Fi était la société holding de la société AECO Europe avant que les deux sociétés fusionnent.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, il sera considéré qu’à la date de la rupture, Mme [U] était salariée de la société AECO Europe et qu’elle n’est pas fondée à se prévaloir de la rémunération stipulée dans la lettre d’embauche émanant de la SAS Kaeros depuis le mois d’octobre 2016.

Cependant, à la lecture des échanges de mails évoqués ci-dessus et notamment de la pièce 13 de Mme [U], il ressort que M. [Y] avait pris l’engagement de lui régler le nouveau salaire à partir du mois de juin 2017 (mail du 31 janvier 2017).

La demande en paiement d’un rappel de salaire sera donc partiellement accueillie pour la période de juin 2017 à décembre 2017, la société intimée étant ainsi condamnée au paiement à Mme [U] de la somme de 1.960 euros bruts outre 196 euros bruts pour les congés payés afférents.

Sur la rupture du contrat

Compte tenu de ce qui précède, Mme [U] sera déboutée de sa demande tendant à voir dire que son licenciement serait dépourvu de cause réelle et sérieuse comme n’ayant pas été mené par la SAS Kaeros mais par la SARL AECO Europe.

Au soutien de l’absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement, Mme [U] fait par ailleurs valoir que c’est la lettre du 8 décembre 2017 qui doit s’analyser en lettre de licenciement puisqu’elle en précise le motif économique.

Or, d’une part, dans ce courrier, a été visée la suppression du poste d’assistante commerciale alors qu’elle était responsable des achats, la société ne pouvant se fonder sur une erreur de plume.

D’autre part, le poste d’assistant commercial n’a pas été supprimé puisqu’il a été procédé à un recrutement pour un accroissement temporaire d’activité du 1er décembre 2017 au 1er janvier 2018, pas plus que celui de responsable des achats, Mme [X] [S], qui avait démissionné en avril 2017 de son poste d’acheteur en Malaisie, ayant été réembauchée pour prendre sa place en novembre 2017.

Mme [U] invoque également l’absence de difficultés économiques au sein du groupe, la société intimée se limitant à invoquer celles existantes au sein de la société AECO Europe alors que la SAS Kaeros affichait des résultats positifs comme l’exposait M. [Y] lors de la réunion du 2ème trimestre 2017, pour avoir en réalité capté l’activité de la société AECO Europe ainsi que l’avait d’ailleurs annoncé M. [Y] dès le mois de janvier 2017, indiquant dans un mail du 23 janvier : « (…) [B] [M. [K], ancien co-gérant de la SARL AECO Europe] m’a proposé de lui racheter ses parts pour un montant ridicule. Tellement ridicule, que l’opération se fera sur les deniers d’AECO directement. Au final, nous allons récupérer tout AECO et tout MPS. (…) ».

Cette absence de difficultés économiques serait corroborée par les embauches ci-dessus évoquées ainsi que par celles intervenues le 1er janvier 2018 d’un ingénieur technico-commercial, M. [D], qui avait quitté la société AECO Europe le 31 décembre 2016 dans le cadre d’une rupture conventionnelle, et de Mme [T] en qualité de responsable administrative et commerciale.

Enfin, Mme [U] soutient que l’employeur ne justifie d’aucun effort de formation et d’adaptation préalable au licenciement ni de l’impossibilité de son reclassement.

Elle précise que la société intimée ne produit aucun organigramme du groupe, qu’elle reste taisante sur l’effectif de la société Kaeros avant la fusion alors que Mme [A], qui y occupait un poste de coordinateur commercial, n’apparaît sur aucun registre du personnel.

Elle fait aussi exposer que son licenciement a en réalité été prononcé pour un motif personnel, M. [Y] évoquant dès le mois de juillet 2017 une dégradation de leurs relations de travail (mail du 18 juillet 2017-pièce 19) et terminant un échange du mois de novembre 2017 par : « Je pense donc que nous devons maintenant convenir de la meilleure manière de terminer notre coopération » (mail du 16 novembre 2017-pièce 19).

*

La société fait valoir que l’ensemble du groupe dont faisait alors partie la SARL AECO France rencontrait des difficultés économiques et que la situation de la société demeure fragile en 2020 .

Sont notamment versées aux débats les pièces suivantes :

– les bilans de la société AECO France au 31/12 des années 2014, 2015 et 2016 (pièces 6 à 8),

– un bilan établi au 31/12/2017 de la SARL Kaeros, tenant compte de la fusion avec la SARL AECO intervenue le 12 décembre 2017 (pièce 9),

– les bilans de la société MPS pour les exercices 2016 et 2017 et 2018 (pièces 24, 25 et 39) ainsi qu’un extrait du Registre du commerce faisant apparaître que la société a été placée en liquidation judiciaire le 1er février 2022 ( pièce 51),

– un tableau de trésorerie ‘Kaeros MPS’ pour l’année 2018, en deux parties l’une en anglais ‘avant nouvelle organisation’, l’autre en français ‘avec nouvelle organisation (pièce 15),

– la désignation d’un mandataire ad hoc pour la SARL Kaeros par décision rendue par le président du tribunal de commerce d’Evry le 13 mai 2019 dans le cadre des articles L. 611-3 et suivants du code de commerce, étant précisé que la société a déplacé son siège social à Paris en mars 2020 ;

– un plan d’apurement des dettes fiscales et sociales consenti par la DGFP de l’Essonne le 3 juin 2019, emportant rééchelonnement de la dette de 127.742,57 euros sur 18 mois (pièce 36).

S’agissant de l’intitulé de l’emploi, la société fait valoir que, malgré la coquille affectant la lettre du 8 décembre 2017, c’est bien le poste de responsable des achats qu’occupait Mme [U] qui a été supprimé et que les tâches de celle-ci ont été réparties entre les salariés et le gérant.

La société intimée soutient par ailleurs avoir respecté l’obligation de reclassement lui incombant dès lors qu’aucun poste n’était disponible ni en son sein, ni dans les autres entités du groupe, ce qui ressortirait très clairement des registres du personnel des trois sociétés le composant qui sont versés aux débats.

– Sur le motif économique du licenciement

Aux termes de l’article L. 1233-3 du code du travail, dans sa version applicable du 24 septembre 2017 au 22 décembre 2017, compte tenu de la date d’engagement de la procédure de licenciement de Mme [U], constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;

2° A des mutations technologiques ;

3° A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

4° A la cessation d’activité de l’entreprise.

La matérialité de la suppression, de la transformation d’emploi ou de la modification d’un élément essentiel du contrat de travail s’apprécie au niveau de l’entreprise.

Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécient au niveau de cette entreprise si elle n’appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d’activité commun au sien et à celui des entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national.

Pour l’application de ce texte, le groupe est défini, lorsque le siège social de l’entreprise dominante est situé sur le territoire français, conformément au I de l’article L. 2331-1 et, dans le cas contraire, comme constitué par l’ensemble des entreprises implantées sur le territoire français.

La société AECO France a versé aux débats les registres du personnel de :

– la société Kaeros listant les salariés entrés avant le 31 octobre 2018, soit après la fusion,

– la SAS Kaeros avant le 31 décembre 2017,

– la SARL Kaeros pour la période du 1er janvier 2020 au 30 juin 2020,

– la société MPS.

Il en résulte que la société AECO Europe employait moins de 11 salariés à la date de l’engagement de la procédure de licenciement de Mme [U].

Il ressort également des pièces produites que la société AECO Europe était dans un groupe comportant deux autres sociétés sur le territoire français, la SAS Kaeros et la société MPS, outre une filiale située en Malaisie.

Etant observé que les chiffres d’affaires trimestriels réalisés par la société AECO Europe en 2016 et 2017, tels que figurant dans la lettre du 8 décembre 2017, ne sont étayés par aucune pièce, il est justifié des résultats comptables suivants au niveau du groupe :

– la société AECO France :

* 2014 : résultat d’exploitation de – 2.146.667 euros pour un chiffre d’affaires net de 5.910.870 euros,

* 2015 : résultat d’exploitation de 344.074 euros pour un chiffre d’affaires net de 5.328.870 euros,

* 2016 : résultat d’exploitation de – 44.740 euros pour un chiffre d’affaires net de 4.765.086 euros ;

– au 31 décembre 2017, la SARL Kaeros (le bilan incluant, suite à la fusion, les résultats des deux sociétés, SARL AECO Europe et la SAS Kaeros,) avait un résultat d’exploitation de – 449.453 euros pour un chiffre d’affaires net de 4.437.464 euros et une perte de – 507.160 euros ;

– la société MPS :

* 2016 : résultat d’exploitation de – 109.452 euros pour un chiffre d’affaires net de 914.620 euros,

* 2017 : résultat d’exploitation de – 61.110 euros pour un chiffre d’affaires net de 911.232 euros,

* 2018 : résultat d’exploitation de – 199.808 euros pour un chiffre d’affaires net de 591.679 euros.

Ces chiffres témoignent de la réalité des difficultés économiques se traduisant à la fois par une baisse significative du chiffre d’affaires et une aggravation des pertes, tant au sein de la société AECO Europe que du groupe auquel elle appartenait et ne permettent pas de retenir que la SAS Kaeros avait absorbé l’intégralité de l’activité des sociétés du groupe et vidé la société AECO Europe de sa substance, ainsi que le prétend Mme [U].

S’agissant de la suppression du poste de Mme [U], au-delà de l’erreur affectant la mention figurant dans la lettre du 8 décembre 2017, la cour relève qu’à la date de l’engagement de la procédure de licenciement de la salariée, il n’existait pas de poste d’assistant commercial au sein de la société AECO Europe.

Au sein de la SAS Kaeros, Mme [A] a également été licenciée pour motif économique le 18 décembre 2017 et Mme [L] n’a été engagée qu’en septembre 2018.

Enfin, si Mme [S] atteste avoir exercé la fonction d’assistante commerciale, d’une part, elle indique que c’est au sein de la SAS Kaeros, d’autre part, son attestation ne précise ni quand elle a été engagée ni quant son contrat de travail a pris fin, élément de nature à expliquer que cette salariée ne figure pas sur le registre du personnel après la fusion ainsi qu’à corroborer l’indication donnée par la société Kaeros selon laquelle Mme [S] travaille pour le compte de la filiale malaisienne.

Par ailleurs, l’examen des registres du personnel démontre qu’aucun responsable des achats n’a été engagé après la rupture du contrat, seule une assistante commerciale ayant été recrutée en septembre 2018 dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée ayant pris fin en mars 2019, ce qui démontre que les tâches de Mme [U] ont été réparties entre les autres salariés, ainsi que le soutient la société intimée.

Il sera en conséquence considéré que le motif économique du licenciement de Mme [U] est établi et a constitué la cause déterminante de la rupture, même si la société faisait état, avant d’engager la procédure de licenciement, de relations dégradées avec la salariée et envisageait la rupture de la relation contractuelle.

– Sur le reclassement

Aux termes des dispositions de l’article L. 1233-4 du code du travail, dans sa version applicable au litige, le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Pour l’application de ce texte, le groupe est défini, lorsque le siège social de l’entreprise dominante est situé sur le territoire français, conformément au I de l’article L. 2331-1 et, dans le cas contraire, comme constitué par l’ensemble des entreprises implantées sur le territoire français.

Le reclassement du salarié s’effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, le reclassement s’effectue sur un emploi d’une catégorie inférieure.

L’employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l’ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret.

Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.

Il ressort de l’examen des registres du personnel et des pièces produites de part et d’autre, qu’à la date du licenciement de Mme [U], la société AECO Europe employait, outre cette dernière, Mme [R], responsable administrative, M. [E], ingénieur technico-commercial, M. [V] [H], ingénieur commercial et M. [G], responsable technique, tous ayant le statut de cadre.

M. [D], engagé du 6 juin 2016 au 31 décembre 2016 en qualité d’ingénieur technico- commercial au sein de la SAS Kaeros, a été réengagé par celle-ci en 2017 ainsi que ce salarié en atteste, ce qui résulte aussi du bulletin de paie produit par la société et a été transféré après la fusion au sein de la SARL Kaeros, de même que Mme [T], engagée le 5 mai 2017, en qualité de responsable administrative des ventes par la SAS Kaeros, ainsi qu’en témoignent son bulletin de paie versé aux débats par la société et les échanges de mails avec Mme [U].

La situation respective de ces deux salariés explique qu’ils apparaissent sur le registre du personnel de la société Kaeros après la fusion de celle-ci avec la société AECO Europe.

M. [I] [C] n’a été engagé en qualité d’assistant commercial par la SAS Kaeros que dans le cadre d’un contrat de mise à disposition par la société ADECCO, du 1er décembre 2017 au 1er janvier 2018, pour faire face à un accroissement d’activité, lié à la réorganisation du site suite à la fusion.

Ainsi qu’il l’a été retenu précédemment, Mme [A], salariée de la SAS Kaeros en qualité d’assistante commerciale depuis le 5 novembre 2016, a elle aussi fait l’objet d’un licenciement pour motif économique par lettre du 18 décembre 2017.

Quant à la situation de Mme [S], celle-ci était, au vu de son attestation, employée non par la société AECO Europe mais par la SAS Kaeros.

M. [Y] était le dirigeant des trois sociétés du groupe faisant partie du périmètre de reclassement, soit la SARL AECO Europe, la SAS Kaeros et la SARL MPS ; il avait nécessairement une connaissance précise des personnels employés au sein du groupe, compte tenu des effectifs réduits des sociétés le composant et il est justifié qu’aucune de ses entités ne disposait d’un poste de reclassement susceptible d’être proposé à Mme [U] à la date où la procédure de licenciement a été engagée.

C’est donc à juste titre que le conseil de prud’hommes a considéré que l’obligation de reclassement avait été respectée par la SARL AECO Europe devenue SARL Kaeros.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a considéré que le licenciement de Mme [U] reposait sur une cause réelle et sérieuse et a débouté celle-ci de l’ensemble de ses demandes à ce titre.

Sur les critères d’ordre des licenciements

A titre subsidiaire, Mme [U] sollicite la somme de 23.000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation des critères d’ordre des licenciements, soutenant que cette demande est recevable puisqu’elle avait été présentée en première instance.

Au fond, elle fait valoir que d’autres salariés appartenaient à la même catégorie professionnelle qu’elle et qu’ils bénéficiaient d’une ancienneté professionnelle moindre.

Elle soutient ainsi qu’elle aurait pu occuper le poste de Mme [T], engagée en mai 2017, ou celui de Mme [R], embauchée en septembre 2017, et, qu’à sa demande formulée le 19 janvier 2018, la société n’a pas précisé les critères d’ordre des licenciements qu’il avait retenus alors même que ces salariées appartenaient à la même catégorie professionnelle, soit celle de cadres.

La société, soutient que la demande de Mme [U] est une demande nouvelle en cause d’appel, et partant, irrecevable, au visa des articles 565 et 566 du code de procédure civile.

Elle fait valoir au fond qu’elle n’avait pas à établir de critères d’ordre des licenciements car Mme [U] occupait seule le poste de responsable des achats existant dans l’entreprise, activité très spécialisée, dont les missions ne correspondaient pas à celles exercée par ses collègues, bien qu’ils relèvent aussi de la catégorie cadres.

Elle ajoute que Mme [U], ne justifie pas du préjudice dont elle sollicite réparation, ayant retrouvé un emploi équivalent depuis le mois de mars 2018 au sein de la société Thales.

***

L’irrecevabilité de la demande de Mme [U] au titre de la violation des critères d’ordre des licenciements ne figure pas au dispositif des dernières écritures de la société.

Cette demande, écartée par le conseil de prud’hommes à raison de sa tardiveté, selon les conclusions de la société, comme étant apparue pour la première fois dans des écritures communiquées la veille de l’audience prévue devant le bureau de jugement, a cependant bien été formulée en première instance et figure comme telle dans le jugement déféré même si elle ne semble pas avoir été examinée.

Elle ne peut donc être considérée comme une demande nouvelle formulée en cause d’appel.

*

Aux termes des dispositions de l’article L.1233-5 du code du travail, dans sa version applicable au litige, lorsque l’employeur procède à un licenciement collectif pour motif économique et en l’absence de convention ou accord collectif de travail applicable, il définit les critères retenus pour fixer l’ordre des licenciements, après consultation du comité social et économique.

Ces critères prennent notamment en compte :

1° Les charges de famille, en particulier celles des parents isolés ;

2° L’ancienneté de service dans l’établissement ou l’entreprise ;

3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ;

4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie.

L’employeur peut privilégier un de ces critères, à condition de tenir compte de l’ensemble des autres critères prévus au présent article.

Le périmètre d’application des critères d’ordre des licenciements peut être fixé par un accord collectif.

En l’absence d’un tel accord, ce périmètre ne peut être inférieur à celui de chaque zone d’emploi dans laquelle sont situés un ou plusieurs établissements de l’entreprise concernés par les suppressions d’emploi.

L’établissement des critères d’ordre s’impose avant tout licenciement qu’il soit individuel ou collectif.

La société, que ce soit avant ou après la fusion, intervenue au cours de la procédure de licenciement, ne disposait que de postes de cadres, échelon 1, soit d’une classification équivalente à celle de Mme [U] et, au moins deux postes de nature ‘administrative’, celui de Mme [R] et de Mme [T].

En particulier, s’agissant de Mme [T], ses tâches, telles que définies par la société, consistaient dans le suivi de l’activité commerciale, l’organisation des méthodes de travail et la création des procédures internes pour optimiser les services, la mise en place et le suivi des indicateurs d’activité et la coordination des équipes françaises et malaisiennes.

Mme [T] n’ayant été recrutée qu’à compter du mois de mai 2017, Mme [U] était jusqu’alors nécessairement impliquée dans ces missions d’administration des ventes, ce que démontre d’ailleurs le message adressé par M. [Y] le 17 novembre 2017, qualifiant celle-ci de ‘pilier de Kaeros’ et ce dont témoigne aussi la ‘revue des clients’, figurant dans le compte rendu de la réunion du 2ème trimestre 2017.

Dès lors, la société aurait dû mettre en place des critères d’ordre des licenciements par lesquels elle aurait pu privilégier au titre des qualités professionnelles, la pratique courante de la langue anglaise, qu’elle évoque au sujet de Mme [T].

Il sera donc considéré que l’employeur n’a pas respecté les obligations lui incombant en application de l’article L. 1233-5 du code du travail.

*

En cas d’inobservation des règles relatives à l’ordre des licenciements, le salarié doit être indemnisé du préjudice subi.

Ainsi que le fait valoir la société intimée, il ressort du curriculum vitae qu’elle verse aux débats que Mme [U] a retrouvé un emploi en mars 2018.

Le préjudice subi, résultant de la perte de chance de conserver son emploi ainsi que de la diminution des droits à la retraite, sera réparé par l’allocation d’une somme de 4.000 euros.

Sur la demande au titre des indemnités journalières

Cette demande est explicitée au sujet des manquements de l’employeur à son obligation d’exécution loyale du contrat, Mme [U], exposant qu’elle a été placée en arrêt de travail pour maladie du 15 décembre 2017 au 16 janvier 2018 et que l’employeur, bien qu’ayant perçu les indemnités journalières, ne les lui a pas reversées.

La société explique qu’elle a été amenée à rembourser à la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) la somme versée pour la période postérieure à la rupture.

***

Il ressort du mail adressé le 1er mars 2018 par la CPAM à Mme [U] (dernières pages de sa pièce 30) que la régularisation des indemnités journalières a été effectuée sur le compte de la salariée, en sorte que sa demande en paiement est dépourvue de tout fondement et a été à juste titre rejetée par le jugement déféré.

Sur la demande indemnitaire au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail

Mme [U] sollicite la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des manquements de son employeur à son obligation d’exécution déloyale du contrat invoquant :

– le défaut d’établissement d’un avenant relatif aux conditions de télétravail,

– le non-versement de son salaire d’août 2014 jusqu’en février 2015,

– le défaut de mise en oeuvre des conditions de sa mutation en août 2016 [en réalité en décembre 2016], intervenue à la demande de son employeur,

– le caractère illicite de sa mise à disposition qui ne respectait pas les dispositions de l’article L. 8241-2 du code du travail,

– le fait de ne pas l’avoir informée de la fermeture du site,

– le fait qu’elle aurait été écartée des missions inhérentes à son poste avant d’être licenciée,

– les difficultés rencontrées du fait des carences de l’employeur qui a perçu les indemnités journalières à sa place et ne les lui a pas reversées,

– le fait que la société a tardé à lui remettre son salaire de décembre et le solde de tout compte ainsi qu’à transmettre à Pôle Emploi son dossier au titre du contrat de sécurisation professionnelle et n’a pas transmis les documents nécessaires à l’organisme de prévoyance et de mutuelle afin qu’elle puisse bénéficier de ses droits à portabilité et la régularisation est intervenue très tardivement,

– l’obligation dans laquelle elle s’est trouvée de rester à son domicile pour la restitution du matériel et du véhicule mis à sa disposition.

Elle expose ainsi avoir subi un préjudice financier et moral alors qu’elle était fragilisée par son licenciement et placée en arrêt de travail pour maladie.

***

Il n’est pas contestable qu’aucun avenant aux conditions relatives au télétravail n’a été signé, contrairement à l’article 9 du contrat et ce, même si cette situation de télétravail avait été en partie choisie par la salariée.

La cour relève néanmoins qu’aucune demande d’indemnisation n’est formée au titre des dépenses supportées par la salariée à ce titre contre la société, alors tenue à cette prise en charge en vertu des dispositions de l’article 1222-10 du code du travail dans sa version applicable au litige.

La société ne peut pas non plus sérieusement soutenir que les conditions de la mise à disposition de certains des salariés de la SARL AECO Europe au profit de la SAS Kaeros respectaient les dispositions de l’article L. 8241-2 du code du travail et notamment celle de la signature par les salariés concernés d’un avenant au contrat de travail.

S’agissant du salaire dû pour les mois d’août 2014 à février 2015, cette demande a été rejetée ci-avant pour des motifs qui caractérisent plutôt une certaine mauvaise foi de l’appelante que celle de la société intimée.

Le défaut de mise en oeuvre des conditions de sa mutation ne saurait non plus être retenu comme une exécution déloyale du contrat de travail, dès lors qu’il a été considéré que la lettre d’embauche de Mme [U] s’analysait en une promesse de contrat qui n’avait pas été suivie d’effet et qu’il ne résulte d’aucune pièce que Mme [U] a déménagé en région bordelaise à la demande de son employeur, d’autres salariés étant restés dans les locaux de la région parisienne, tels M. [W] ou Mme [R] qui en attestent, cette dernière précisant que Mme [U] était ‘comblée’ par la perspective d’une nouvelle vie à [Localité 4].

Il a en revanche été retenu qu’un rappel de salaire était dû à Mme [U] pour les mois de juin à décembre 2017 compte tenu des engagements pris par M. [Y].

S’agissant du défaut de versement des indemnités journalières, il ne saurait être reproché à la société d’avoir sollicité la subrogation à une date où Mme [U] était encore salariée et la poursuite du versement de ces indemnités, après la rupture du contrat par la CPAM, ne lui est pas imputable, étant relevé que celle-ci a régularisé la situation.

Concernant la fermeture du site, Mme [U] en a au moins été avisée le 10 novembre 2017 et la société justifie de la location de nouveaux locaux au Teich, soit à une distance moindre du domicile de la salariée (une dizaine de kilomètres au lieu de 65).

Quant au fait que Mme [U] aurait été évincée de ses missions, la pièce 42 visée soit un mail de M. [I] [C], engagé en qualité d’intérimaire, daté du 4 décembre 2017, est dépourvue de tout caractère probant.

Concernant la portabilité de la mutuelle, la société justifie par l’attestation de son comptable d’une radiation survenue par erreur imputable à l’organisme de prévoyance et de mutuelle ayant entraîné des difficultés pour tous les salariés concernés.

S’agissant des documents de fin de contrat et de la transmission à Pôle Emploi du dossier du contrat de sécurisation professionnelle, il sera rappelé qu’il appartient au salarié de venir récupérer les documents de fin de contrat dans les locaux de l’entreprise.

Ces documents lui ont été adressés par courrier du 24 janvier 2018 et le dossier du contrat de sécurisation a été transmis à même date à Pôle Emploi, l’erreur relative à la prime de déménagement ayant été rectifiée.

Au demeurant, il n’est justifié d’aucun retard dans la prise en charge de Mme [U] par Pôle Emploi, effective au 30 janvier 2018, compte tenu de son arrêt de travail pour maladie et du solde de congés payés dont elle disposait à la date de la rupture du contrat.

Concernant enfin la restitution des matériels, à réaliser en principe dans les locaux de l’entreprise, si Mme [U] se plaint d’un rendez-vous manqué pour le véhicule avec le transporteur le 19 mars 2018, la société n’est pas responsable de cette difficulté, la cour relevant en outre que le véhicule avait été restitué le 13 mars 2018 au vu de la pièce que produit Mme [U].

En considération de l’ensemble de ces éléments et des manquements retenus à l’encontre de la société, le préjudice subi par Mme [U] sera réparé par l’allocation d’une somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur les autres demandes

Il n’y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil en application desquelles les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

La société, condamnée en paiement, supportera les dépens de l’instance et sera condamnée à payer à Mme [U] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement déféré en ce qu’il a débouté Mme [U] de ses demandes en paiement d’un rappel de salaire pour la période du 14 août 2014 au 5 février 2015 et pour la période d’octobre 2016 à mai 2017, de remboursement des indemnités journalières ainsi que de ses prétentions au titre de l’absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement,

Infirme le jugement déféré pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la SARL Kaeros, anciennement dénommée AECO Europe, à payer à Mme [U] les sommes suivantes :

– 1.960 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période de juin 2017 à décembre 2017 outre 196 euros bruts pour les congés payés afférents,

– 4.000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect des règles relatives aux critères d’ordre de licenciement,

– 500 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat,

– 3.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés,

Rappelle que les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant,

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,

Condamne la SARL Kaeros, anciennement dénommée AECO Europe, aux dépens.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire

 


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