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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 10
ARRÊT DU 16 NOVEMBRE 2023
(n° , 18 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/07583 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CB4MF
Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Janvier 2020 – Tribunal judiciaire de PARIS RG n° 18/10835
APPELANTE
SARL B. [N], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Marie-Catherine VIGNES de la SCP GRV ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010
Assistée à l’audience de Me Olivier DE BAECQUE de l’AARPI DE BAECQUE FAURE BELLEC, avocat au barreau de PARIS, toque : E0218
INTIMÉS
Monsieur [E] [W]
né le 15 Octobre 1956 à [Localité 7]
[Adresse 2]
[Localité 9]
Représenté par Me Stéphane JEAMBON, avocat au barreau de PARIS, toque : A0314
Assisté à l’audience de Me Marie-Christine CAPIA de la SELARL LESTRADE-CAPIA, avocat au barreau de NICE, toque : 194
Madame [R] [T]
née le 07 Août 1940 à [Localité 8]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée et assistée à l’audience de Me Anne-Marie BELLENGER de la SELARL BELLENGER BLANDIN AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0226
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été plaidée le 28 Septembre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Florence PAPIN, Présidente
Mme Valérie MORLET, Conseillère
Madame Anne ZYSMAN , Conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame [S] [M] dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Ekaterina RAZMAKHNINA
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Florence PAPIN, Présidente et par Ekaterina RAZMAKHNINA, greffier, présent lors de la mise à disposition.
***
Faits et procédure
Monsieur [E] [W], brocanteur et en possession d’une table, a sollicité son avis à Madame [R] [T], fille de [O] [T] (architecte et designer, 1902/1984), sur la paternité de celle-ci. Madame [T], au dos d’une photographie de ladite table, a le 19 octobre 2011 indiqué qu’elle la reconnaissait « comme étant l”uvre de [son] père, antérieure à 1931 ».
Monsieur [W] a quatre ans plus tard, le 17 octobre 2015, vendu la table à la SARL B. [N], exploitant une galerie d’art située [Adresse 1]), pour un prix de 180.000 euros.
La galerie [N] a au mois de février 2016, via la galerie [V] [L], confié la table à la maison de vente Phillips, spécialisée dans la création artistique des XXème et XXIème siècles, pour une mise aux enchères lors de la Design Master Sale de New-York du 28 avril 2016, avec un prix minimum garanti de 600.000 livres sterling.
Cependant, avant cette vente et par courrier du 16 mars 2016, le conseil de Madame [T] a indiqué à Monsieur [W] que sa cliente avait été « amenée à procéder à de nouvelles investigations sur l’authenticité de cette ‘uvre » qui l’ont amenée « à reconsidérer sa position initiale » (caractères gras du courrier). Madame [T] a elle-même de son côté, par courrier du 17 mars 2016, précisé à la galerie [N] avoir mené des « investigations complémentaires auprès de spécialistes » l’amenant à « reconsidérer [sa] position initiale ».
La galerie [N] a alors par courrier recommandé du 21 avril 2016 mis en demeure Monsieur [W] d’annuler la vente et de lui en restituer le prix, courrier suivi par une lettre du conseil de la galerie du 16 juin 2016.
La table a été retirée du catalogue de vente de la maison Phillips.
La galerie [N] a ensuite par actes des 4 et 6 juillet 2016 assigné Monsieur [W] et Madame [T] devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris aux fins d’expertise judiciaire. Monsieur [P] [C] a été désigné en qualité d’expert par ordonnance du 12 octobre 2016.
L’expert a clos et déposé son rapport le 7 février 2018 sans pouvoir conclure de façon formelle à la paternité de la table et ajoutant que rien ne s’opposait « indubitablement à ce qu’elle ait été réalisée par J. [T] dans sa période pré-industrielle » et « qu’il s’agirait alors d’une pièce unique non référencée ».
Au vu de ce rapport et en l’absence de toute solution amiable, la galerie [N] a par actes des 28 août et 11 septembre 2018 assigné Monsieur [W] et Madame [T] devant le tribunal de grande instance de Paris en annulation de la vente de la table, responsabilité et indemnisation.
*
Le tribunal, devenu tribunal judiciaire, par jugement du 30 janvier 2020, a :
– débouté la société [N] de son action en nullité pour erreur de la vente intervenue le 17 octobre 2015 et de ses demandes en découlant de condamnation de Monsieur [W] en restitution du prix de vente, de restitution de la table et de condamnation de Madame [T] à la garantir de la restitution du prix de vente,
– débouté la société [N] de ses demandes de dommages et intérêts formées à l’encontre de Madame [T],
– débouté Monsieur [W] de sa demande de dommages et intérêts formée à l’encontre de Madame [T],
– condamné la société [N] à payer à Monsieur [W] la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société [N] à payer à Madame [T] la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société [N] aux dépens de la présente instance, incluant les frais d’expertise judiciaire,
– débouté les parties de toutes demandes contraires ou plus amples.
La société [N] a par acte du 18 juin 2020 interjeté appel de ce jugement, intimant Monsieur [W] et Madame [T] devant la Cour.
*
La société [N], exploitant de la galerie d’art et acquéreur de la table, dans ses dernières conclusions signifiées le 8 mars 2021, demande à la Cour de :
– réformer le jugement,
– la déclarer recevable en son appel et bien fondée en ses demandes,
Et statuant à nouveau,
– condamner Monsieur [W] à lui verser la somme de 180.000 euros en restitution du prix de vente, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 21 avril 2016 et capitalisation des intérêts,
– ordonner la restitution de la table entre ses mains à compter du jour du paiement des condamnations ordonnées,
– condamner Madame [T] à lui garantir le remboursement du prix pour 180.000 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 21 avril 2016 et capitalisation des intérêts,
– condamner Madame [T] à lui payer la somme de 495.000 euros au titre du préjudice matériel,
– condamner solidairement Madame [T] et Monsieur [W] à lui verser la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner solidairement Madame [T] et Monsieur [W] au remboursement des frais d’expertise qu’elle a avancés, soit 5.978,40 euros,
– condamner solidairement Madame [T] et Monsieur [W] aux entiers dépens de première instance et d’appel, avec distraction au profit de l’AARPI de Baecque Faure Bellec.
Monsieur [W], antiquaire vendeur de la table, dans ses dernières conclusions signifiées le 12 mars 2021, demande à la Cour de :
– réformer partiellement le jugement,
Sur l’absence d’erreur ayant vicié le consentement,
– constater que l’expert n’a pas écarté l’authenticité de la table et a considéré qu’elle pouvait être un objet unique,
– dire qu’au regard de ses compétences professionnelles et de son expérience, la société [N], galeriste réputé et connaisseur de l”uvre de [O] [T], s’est nécessairement s’attachée aux caractéristiques de l”uvre et à ses qualités intrinsèques,
– constater que l’expertise judicaire n’a pas permis de révéler un élément nouveau qui n’aurait pas été appréhendé par l’acheteur professionnel et expérimenté qu’est la galerie [N],
– dire qu’il ne peut y avoir eu distorsion entre la conviction de l’acheteur professionnel nécessairement averti et la réalité,
– dire que la société [N] ne pouvait ignorer que l’attestation de l’héritière ne pouvait avoir la force d’un « certificat d’authenticité » établi par des experts spécialistes,
– dire qu’en faisant reposer son consentement sur la seule attestation de Madame [T] tout en sachant que celle-ci ne pouvait valoir certification d’authenticité, la société [N] a fait entrer cet aléa dans le champ contractuel, le doute dont elle se prévaut aujourd’hui ne pouvant, dans tous les cas, entrainer l’annulation de la vente,
– réformer la décision du tribunal en ce qu’il a considéré que l’erreur sur la substance était établie et qu’en l’état d’un doute sur l’authenticité, le consentement de la société [N] avait été vicié par l’erreur,
Statuant à nouveau,
– dire que la société [N] a accepté l’aléa quant à l’authenticité de la table,
– débouter la société [N] de ses demandes tendant à voir juger que son consentement aurait été vicié par l’erreur,
Sur l’erreur inexcusable,
– dire que la société [N] ne démontre pas l’existence d’une erreur, qui plus est inexcusable, ayant vicié son consentement,
– confirmer la décision du tribunal en ce qu’il a jugé que la société [N] avait commis une faute rendant son erreur inexcusable l’empêchant de solliciter l’annulation de la vente pour errer,
– débouter la société [N] de sa demande en nullité de la vente et de toutes ses demandes à son encontre,
Sur la condamnation de Madame [T] à indemniser le préjudice qu’il a subi par du fait de sa légèreté blâmable,
– dire que le tribunal a commis une erreur de droit et n’a pas répondu à ses moyens,
– réformer la décision en ce qu’elle l’a débouté de sa demande de condamnation de Madame [T],
Statuant à nouveau,
– dire qu’en tout état de cause, Madame [T] a commis une faute engageant sa responsabilité à son égard en délivrant dans un premier temps une attestation, puis en se rétractant sans fondement,
– condamner, quelle que soit la solution du litige, Madame [T] à lui payer la somme de 50.000 euros en réparation de son préjudice moral,
Subsidiairement, si la Cour devait prononcer l’annulation de la vente,
– condamner Madame [T] à le relever et garantir de la restitution du prix de vente,
– condamner Madame [T] à lui payer la somme de 180.000 euros en réparation de son préjudice financier,
En tout état de cause,
– débouter la société [N] de sa demande en nullité de la vente et de toutes ses demandes formulées à son encontre,
– débouter Madame [T] de toutes ses demandes,
– condamner in solidum la société [N] et Madame [T] « à la somme de 20.000 » au [titre] de l’article 700 du « CPC » ainsi qu’aux entiers dépens, incluant les frais d’expertise, et ce en sus des sommes déjà allouées en première instance.
Madame [T]-[F], dans ses dernières conclusions signifiées le 10 mai 2021, demande à la Cour de :
– la recevoir en ses conclusions et l’y déclarée bien fondée,
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement,
En conséquence,
– débouter la société [N] de l’intégralité de ses demandes,
– débouter Monsieur [W] de l’intégralité de ses demandes,
Si la Cour décidait d’infirmer le jugement entrepris, en tout état de cause,
– condamner Monsieur [W] à la garantir intégralement de toutes condamnations qui pourraient être éventuellement prononcées à son encontre,
En tout état de cause,
– condamner la société [N] au paiement de la somme de 15.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société [N] aux entiers dépens de première instance et d’appel, incluant les frais d’expertise, avec distraction au profit de Maître Anne-Marie Bellenger.
*
La clôture de la mise en état du dossier a été ordonnée le 21 juin 2023, l’affaire plaidée le 28 septembre 2023 et mise en délibéré au 16 novembre 2023.
Motifs
La vente litigieuse étant intervenue le 17 octobre 2015, le code civil en sa version antérieure au 1er octobre 2016, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations, est seul applicable.
Sur la responsabilité de la galerie [N] et la validité de la vente de la table
Les premiers juges ont estimé que l’authenticité de la table litigieuse constituait une qualité substantielle au moins tacitement reconnue par les parties. Au regard de la reconsidération par Madame [T] de sa position initiale et des conclusions de l’expert judiciaire soulevant des incohérences et restant dans l’impossibilité de conclure de façon formelle sur l’attribution de la table, les magistrats ont considéré qu’il existait un doute quant à la paternité de [O] [T], de sorte que la galerie [N], convaincue d’acheter une table dudit designer, avait ainsi commis une erreur. Ils ont cependant estimé qu’en se contentant de l’attestation du 19 octobre 2011 de Madame [T] et de sa réitération par téléphone lors de sa vente sans prendre davantage de précautions, le galeriste avait lui-même commis une faute, rendant son erreur inexcusable l’empêchant de solliciter l’annulation de la vente de la table.
La galerie [N] estime qu’en statuant ainsi, en retenant qu’elle aurait dû se renseigner plus avant sur la provenance de la table litigieuse, argument qui n’était pas dans les débats, le tribunal a porté atteinte au principe du contradictoire. Elle affirme que se reposer sur un certificat d’authenticité caractérise une diligence rendant l’erreur excusable, qu’il est accepté dans le marché de l’art de garder les provenances confidentielles et qu’elle ne s’est en tout état de cause pas « contentée » du certificat de Madame [T] mais a effectué un examen visuel de l”uvre. Elle conclut à titre principal à la nullité de la vente pour erreur sur la substance, affirmant que l’authenticité de la table constituait une qualité déterminante du consentement lors de la vente et estimant n’avoir commis qu’une erreur excusable, alors qu’elle a effectué les diligences pour s’assurer de ladite authenticité et a obtenu des garanties de Madame [T] (attestation sans réserve).
Monsieur [W] considère que la galerie [N] ne démontre pas l’existence d’une erreur excusable de sa part. Il conclut au rejet de la demande d’annulation de la vente, faisant en premier lieu valoir l’absence d’erreur sur la substance ayant déterminé le consentement (estimant qu’il convient sur ce point de confronter la réalité à la conviction de l’acheteur) : il compare la réalité (qualité et aspect de la table) et la conviction de l’acquéreur averti, puis rappelle les termes de l’attestation de Madame [T] et soutient l’acceptation par l’acquéreur d’un aléa quant à l’authenticité de l”uvre. Il se prévaut ensuite du caractère inexcusable de l’erreur de la galerie d’art, qui ne pouvait ignorer que l’attestation de Madame [T] ne constituait pas un certificat d’authenticité et n’a pas procédé à des vérifications suffisantes, erreur l’empêchant de solliciter l’annulation de la vente.
Madame [T] ne critique pas le jugement qui a retenu l’absence de diligence de la galerie [N] pour certifier la provenance de la table, point évoqué dès les opérations d’expertise, ajoutant qu’il n’est fondé ni en droit ni en fait d’affirmer qu’il serait usuel de garder la provenance des ‘uvres secrète. Elle rappelle ensuite n’être intervenue qu’en sa qualité de gérante de la société civile d’exploitation – SCE – [O] [T], non en cause en l’espèce. Elle argue de l’absence de nullité de la vente du fait du caractère inexcusable de la faute de la galerie [N]. Elle fait sur ce point état de l’absence de tout certificat d’authenticité (selon des critères tant de fond que de forme) et d’un exercice de son droit moral, d’une part, puis de la négligence fautive d’un professionnel averti (par l’absence de diligences suffisantes et sa connaissance de l”uvre de [O] [T]).
Sur ce,
Le consentement de la partie qui s’oblige est, aux termes de l’article 1108 ancien du code civil, l’une des quatre conditions essentielles de la validité d’une convention. Il ressort ensuite de l’article 1109 du même code qu’il n’y a point de consentement valable, si celui-ci n’a été donné que par erreur. L’article 1110 alinéa 1er suivant dispose enfin que l’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet.
1. sur l’erreur
Les termes de la mise en vente de la table litigieuse ne sont pas établis devant la Cour.
A été remis à la galerie [N], le jour de la vente de la table litigieuse le 17 octobre 2015, un document émanant de Madame [T], fille de [O] [T], comprenant une photographie de la table et un texte rédigé au dos de celle-ci en ces termes :
Je soussignée, [R] [T], fille de [O] [T] et gérante de la SCE [O] [T],
reconnaît cette table comme étant l”uvre de mon père, antérieure à 1931.
Cette table comporte :
– 3 pieds en métal
. un ovale
. deux circulaires dont un portant la signature J. [T]
– un plateau légèrement asymétrique en bois.
– dimensions : ép. 6 cm
L. 248 cm
l. 114 cm
H. 74 cm
Pour faire valoir ce que de droit.
Paris le 19.10 11
Pour la SCE [O] [T],
(signature)
Ce document ne porte pas le titre d’un « certificat » et encore moins d’un « certificat d’authenticité ». Aucune loi cependant ne définit les attestations et certificats en matière d”uvres d’art.
Le document rédigé par Madame [T], fille et héritière de l’artiste [O] [T], mentionne le nom de l’artiste sans aucune réserve, est adossé à une photographie de l”uvre, décrit cette ‘uvre par sa composition et ses matières, ses formes et dimensions, rappelle la signature de l’artiste sur l’un des pieds de la table, se prononce sur la date de l”uvre, est elle-même datée et porte la mention « Pour faire valoir ce que de droit » laissant apparaître que son auteur avait conscience des conséquences juridiques attachées à sa signature. Madame [T] ne peut soutenir qu’elle n’a pas, dans ce document, reconnu la table – l”uvre – comme étant « de son père », alors même que ce sont les termes exacts qu’elle a utilisés. Ce document peut en conséquence, ainsi que l’ont justement retenu les premiers juges, constituer un certificat d’authenticité, sans qu’il puisse alors être reproché à la galerie [N] de n’avoir pas procédé à une expertise de la table. Si par ailleurs Monsieur [W] affirme que l’attestation de Madame [T] ne vaut pas « certificat d’authenticité » (sans explication plus avant) et si Madame [T] elle-même soutient qu’un tel certificat doit être attaché à une vente particulière (ce qui n’est pas établi, alors qu’un certificat reste valable tant qu’il n’est pas remis en cause), force est d’observer que la confirmation orale des termes de ce document par l’intéressée, sur un appel du vendeur devant l’acquéreur le jour de la vente, conversation téléphonique que les trois parties reconnaissent, est venue conforter les termes de l’attestation de 2011 spécialement pour la vente du 17 octobre 2015.
Monsieur [W] ne saurait en conséquence tirer de la communication du document signé par Madame [T] à la galerie [N] lors de la vente une acceptation par celle-ci d’un aléa quant à son authenticité.
Dans son attestation de vente du 17 octobre 2015, Monsieur [W] déclare avoir vendu à la galerie [N] :
1 Table portant la signature J. [T]
3 Pieds en métal (1 ovale et 2 circulaires)
Signé sur 1 pied circulaire. dim. 249 X 114 cm
hauteur 74 cm certifié par Mme [R] [T] SCE
Gérante et jointe ce jour par téléphone
pour confirmation du certificat établi le 19 10 2011
La vente a été conclue pour un prix de 180.000 euros et Madame [T] ne peut soutenir qu’il s’agit d’un prix modique alors qu’en dehors de certaines ventes prestigieuses mais exceptionnelles, il n’est pas établi que le mobilier de [O] [T] atteigne ce prix de manière récurrente (le site internet de la maison Barnie’s, citée par les parties, indique lui-même que « le prix d’une table créée par [O] [T] s’évalue à partir de 800 euros et peut atteindre le million d’euros pour des modèles exceptionnels comme certaines tables SAM et Centrale »). La Cour retient donc qu’il s’agit d’un prix élevé.
Les termes de l’attestation de vente faisant état de la signature de [O] [T] et d’une certification, voire d’un « certificat » de Madame [T], fille de [O] [T], et sa confirmation par téléphone ainsi que le prix élevé de la vente témoignent de ce que la certitude de la paternité de [O] [T] sur la table était entrée dans le champ contractuel et constituait pour le vendeur et l’acquéreur une qualité substantielle du bien, ce qu’ont justement retenu les premiers juges.
La présence de rouille sur les pieds métalliques d’une table de 80 ans (le jour de la vente, la table est montée et la rouille sur le haut des pied n’était pas visible) et la qualité des mortaises, dont seul l’expert judiciaire a pu relever un défaut d’origine, ne sont pas de nature à avoir introduit un doute sur la paternité de l”uvre, confirmée par une signature sur l’un des pieds de table (sans que l’incohérence de ce point ne soit patente au premier regard) et par une authentification par la fille de [O] [T], réitérée oralement. L’absence de traçabilité de la table a été couverte par l’attestation du 19 octobre 2011 de Madame [T] évoquant une ‘uvre de son père « antérieure à 1931 » (première période, antérieure à la création des « Ateliers [O] [T] »).
Ainsi, la galerie [N] a le 17 octobre 2015 acquis une table signée, accompagnée d’une attestation de Madame [T], avec la conviction et la certitude qu’elle avait été réalisée par [O] [T].
Aussi, lorsque le conseil de Madame [T], dans un courrier adressé le 16 mars 2016 à Monsieur [W], ou Madame [T] elle-même, dans un courrier adressé le 17 mars 2016 à la galerie [N], ont révélé que celle-ci reconsidérait sa « position initiale » quant à l’attribution de la table à son père, un doute est né quant à la certitude de la paternité de [O] [T] sur la table litigieuse.
L’expert judiciaire a regretté l’absence d’informations concernant la provenance de la table pourtant demandées à Monsieur [W], d’une part, et relatives aux avis d’experts ayant amené Madame [T] à changer de position, d’autre part. Mais il a pu examiner la table de manière approfondie. Il remarqué des éléments de belle facture pouvant faire penser à une table du designer antérieure à la création de ses ateliers en 1931, mais également quelques imperfections et incohérence techniques et n’a en conséquence pas pu conclure « de façon formelle à la paternité de la table », ajoutant cependant que « rien ne s’oppose à ce qu’elle ait été réalisée par J. [T] dans sa période pré industrielle » et qu’il « s’agirait alors d’une pièce unique, non référencée ». L’expert n’est donc pas formel sur l’inauthenticité de la table : la paternité de [O] [T] n’est pas écartée, seul un doute est opposé.
Il est ainsi apparu, avec le changement de position de Madame [T], que le consentement de la galerie [N] lors de la vente avait été vicié, qu’une erreur existait sur une qualité substantielle de la chose vendue, c’est-à-dire sur la certitude de la paternité de [O] [T] sur la table en cause, doute confirmé par l’expert. Monsieur [W] ne peut donc arguer de l’inexistence d’une erreur.
Cette erreur est susceptible d’entraîner la nullité de la vente seulement si elle est excusable, point qui a d’ailleurs été confirmé par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations, créant en ce sens le nouvel article 1132 du code civil.
2. sur le caractère excusable de l’erreur
L’erreur, et son caractère excusable ou non, est considérée au jour de la vente.
La galerie [N] a démarré son activité au mois d’août 2012. Si la galerie expose et vend du mobilier et des ‘uvres d’art des XXème et XXIème siècles, Monsieur [W] ne démontre pas qu’elle en était alors un « spécialiste ». La galerie est dirigée par Monsieur [N], né en 1988 et qui était lors de la vente litigieuse du 17 octobre 2015 âgé de 27 ans. Galeriste, Monsieur [N] n’était en outre cependant pas « expert ». Il n’est en l’espèce pas établi que la galerie ait été, à l’époque de la vente, le « représentant » de la société Barnie’s, qui se présente sur son site internet comme le « premier interlocuteur en Europe pour l’achat comptant d”uvres d’art et de pièces de collection » et qui propose un service d’expertise des ‘uvres. L’attestation de vente de la table mentionne certes une vente faite à la « SARL B. [N] / Barnie’s France », mais ce document n’est pas contractuel et n’engage que son rédacteur, Monsieur [W]. Seule la société Barnie’s, en tout état de cause, peut être considérée comme experte.
Monsieur [W], né en 1956, a exercé à [Localité 9] entre le 9 septembre 2008 et jusqu’au mois de septembre 2014 (avant la vente litigieuse) une activité d’« antiquité brocante sur internet et marchés. Ambulant et sédentaire » sous le nom commercial [Y], selon l’extrait Kbis du registre du commerce et des sociétés le concernant. L’intéressé, qui a ainsi déclaré une activité d’antiquaire et rédigeait ses e-mails sous l’adresse « [Courriel 6] » ne peut se prévaloir d’une seule qualité de brocanteur, voire de simple « chineur ». Né en 1956, il avait 59 ans lors de la vente.
Cependant, si, contrairement aux affirmations contraires de la galerie [N], la provenance d’une ‘uvre d’art est un élément essentiel (notamment de valorisation), il ne peut être reproché à la galerie d’art de ne pas avoir interrogé Monsieur [W] plus avant sur la provenance de la table litigieuse, alors que l’obligation de spécifier l’origine de l”uvre est imposée dans les seules ventes publiques aux enchères (article 1er du décret n°81-255 du 3 mars 1981 sur la répression des fraudes en matière de transactions d”uvres d’art et d’objets de collection, dit « décret Marcus »), d’une part, et que l’expert n’a lui-même pas pu obtenir cette information, d’autre part (le conseil de Monsieur [W], auquel l’expert judiciaire n’a pas réclamé l’historique complet de la table, mais seulement la facture d’achat ou encore le livre de police – dont l’absence de tenue constitue une infraction pénalement sanctionnée par l’article 321-7 du code pénal que le vendeur fût chineur, brocanteur ou antiquaire, s’étant contenté d’indiquer que « la provenance n’a pas changé depuis 2011 » et qu’elle n’avait « pas soucié Mme. [R] [T] en 2011 »).
Le jour de la vente, Monsieur [N], pour sa galerie, a pu voir et inspecter la table et constater ses dimensions ainsi que la présence de trois pieds métalliques (l’un ovale d’un côté et deux circulaires de l’autre côté), description exacte et reprise dans l’attestation de vente du 17 octobre 2015 de Monsieur [W]. Madame [T] reconnaît elle-même dans ses écritures qu’en 2011 l’aspect général de la table lui est apparu de bonne facture, que le pied oblong et le plateau de la table correspondaient aux caractéristiques du travail de [O] [T] (selon notamment le catalogue raisonné de [A] [Z]) et qu’un trait vertical sur le pied oblong était caractéristique de la tôle pliée constante dans l”uvre de son père.
L’attestation de vente précise en outre que l’un des pieds de table porte la signature de [O] [T], indication vérifiée et qui, sans réserve expresse contraire au moment de la vente, entraîne la garantie que l’artiste mentionné en est effectivement l’auteur selon les termes de l’article 3 du décret précité du 3 mars 1981.
L’attestation de vente fait en outre référence au « certificat » du 19 octobre 2011 délivré « pour faire valoir ce que de droit » par Madame [T], fille de [O] [T], et mentionne l’appel de Monsieur [W] à celle-ci, « ce jour par téléphone », qui a confirmé les termes de son attestation, ainsi que cela est rappelé sur le document.
L’autorité, l’expérience et l’expertise de Monsieur [W], antiquaire, et la filiation de Madame [T], qui n’en fait certes pas de facto une experte mais certainement une connaisseuse et une autorité de fait, ont nécessairement eu une influence, un ascendant, sur la galerie, alors dirigée par un jeune homme, qui a légitimement pu dispenser celle-ci de recherches plus approfondies sur la paternité de la table.
L’expert judiciaire fait d’ailleurs à ce sujet remarquer « que la maison de vente Phillips, professionnel reconnu du marché de l’art, agit de la même manière que M. [N] en s’adressant à Mme [R] [T] en 2016 », laissant apparaître l’ascendant de Mme [T] sur celle-ci également. L’éminente maison de vente, notamment spécialisée en art et design contemporains, n’a en effet sollicité aucune autre information à la galerie [N] que l’attestation de Madame [T] du 19 octobre 2011 pour lui garantir qu’elle recevrait « au minimum 600.000 livres sterling » (« Phillips garantees that you shall receive at least £600,000 in respect of the Property (the Garanteed Minimum) », selon les termes du « CONSIGNMENT AGREEMENT » signé le 16 février 2016 entre la galerie [L] et la maison de vente Phillips.
Suite à l’acquisition de la table, Monsieur [N] a par e-mail du 25 février 2016 indiqué à Madame [T] que la maison de vente new-yorkaise souhaitait une confirmation orale de sa part au sujet de son « certificat » (par référence à son attestation du 19 octobre 2011). Madame [T] a par e-mail du 26 février 2016 accepté que Monsieur [N] transmette ses coordonnées à la maison Phillips, « mais » indiqué qu’elle pensait « que le certificat qui a été fait devrait suffire ».
Dans un e-mail du 14 mars 2016, Monsieur [D] [B], « Senior International Specialist, Design » de la maison de vente Phillips, évoque avec Monsieur [N] une conversation tenue avec Madame [T] (« a very friendly and productive chat with Madame [T] ») ainsi qu’une demande faite à l’intéressée – mais refusée – de rédiger une brève déclaration ou un court texte pour le catalogue (« a short statement or essay to the catalogue ») et affirme à la fin de son message que le certificat de l’intéressée « est toujours valable » (« Her certificate still stands »), toujours par référence au document de 2011. La maison de vente, qui avait accepté de mettre en vente la table au seul vu de l’attestation de Madame [T], ne l’a retirée de son catalogue de vente qu’après le changement de position de Madame [T] quant à sa paternité.
La cour observe que Madame [T] et la maison de vente Phillips font état du document signé en 2011 comme étant un « certificat ».
***
Il résulte de l’ensemble de ces développements que la galerie [N] a disposé, pour consentir à la vente du 17 octobre 2015, d’un document sans réserves émanant de Madame [T], fille et héritière de [O] [T], forgé à partir d’éléments concrets (style, technique et caractéristiques de la table), confirmé oralement le jour de la vente par son auteur et constituant un certificat d’authenticité qui a légitimement pu lui faire accroire la paternité certaine de celui-ci sur la table, de première part, qu’elle a pu vérifier les éléments constitutifs de la table et, notamment, constater la présence d’une signature portée sur l’un de ses pieds, de deuxième part, et que ces points ont ensuite suffi à la maison de vente Phillips pour se voir confier la table aux fins de vente aux enchères moyennant un prix bien supérieur à son prix d’achat, de troisième part, de sorte que l’erreur sur la substance de la chose vendue, révélée postérieurement, est excusable.
Aucune négligence ne saurait être imputée à la galerie d’art, alors dirigée par un jeune homme, alors que Monsieur [W], antiquaire, Madame [T], réputée connaître l”uvre de son père, et la prestigieuse maison de vente Phillips, spécialisée dans les ‘uvres du XXème siècle et pourvue d’experts, ont également considéré la table comme étant une ‘uvre de [O] [T].
Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu’il a retenu une négligence de la galerie [N] et, par voie de conséquence, une erreur inexcusable de sa part, l’empêchant de solliciter l’annulation de la vente.
Statuant à nouveau, la Cour fera droit aux demandes de la galerie [N] et prononcera la nullité de la vente pour erreur sur une qualité substantielle de la chose vendue. En conséquence de cette nullité, la Cour condamnera Monsieur [W] à payer à la galerie d’art la somme de 180.000 euros en restitution du prix de vente, avec intérêts au taux légal à compter du 28 août 2018, date de l’assignation en nullité de la vente valant sommation en application de l’article 1236-6 nouveau (article 1153 ancien) du code civil (la galerie d’art ne justifiant pas de l’envoi effectif de sa mise en demeure du 21 avril 2016) et ordonnera à la galerie d’art de restituer la table à son vendeur.
Sur la responsabilité de Madame [T]
Les premiers juges ont constaté que Madame [T] avait signé son attestation du 19 octobre 2011 « pour la SCE [O] [T] », en sa qualité de gérante de ladite société, et ont considéré que la responsabilité de l’intéressée ne pouvait être recherchée en son nom personnel pour l’établissement de ce certificat et son changement d’avis ensuite. Ils ont ensuite observé que Madame [T] avait refusé de communiquer à l’expert judiciaire l’identité des spécialistes qu’elle avait consultés, mais ont relevé que les doutes de l’expert sur l’authenticité de la table ne résultaient pas de cette absence de communication seulement, mais également de l’absence de justification par Monsieur [W], antiquaire, de la provenance de la table et, surtout, des incohérences techniques observées sur l”uvre. Ils n’ont donc pas retenu la responsabilité de Madame [T].
La galerie [N] critique le jugement sur ce point, concluant également à titre principal à la responsabilité personnelle de Madame [T]. Elle soutient que celle-ci a été payée pour son expertise, qu’elle a fait montre d’une négligence fautive caractérisée engageant sa responsabilité personnelle alors qu’elle a en 2011 authentifié sans réserves ni diligences la table comme étant l”uvre de son père, puis a changé d’avis et refusé de révéler à l’expert judiciaire les raisons de ce changement d’avis. Elle sollicite en conséquence la condamnation de Madame [T] à lui garantir le remboursement du prix de 180.000 euros.
Monsieur [W] estime qu’en statuant ainsi, le tribunal a commis une erreur de droit et n’a pas répondu à ses moyens. Il estime que la responsabilité personnelle de Madame [T] peut être engagée du fait d’un comportement fautif alors qu’elle est revenue sur son attestation du 19 octobre 2011, ce qui selon lui constitue bien un revirement, et sollicite sa garantie s’il devait supporter une part de responsabilité.
Madame [T] conclut à l’absence de toute faute personnelle de sa part, affirmant qu’elle n’a pas été rémunérée pour son attestation, que celle-ci ne constitue pas un certificat d’authenticité sans réserves, et exposant les raisons légitimes de son attestation de 2011 puis les raisons l’ayant conduite à revenir sur les termes de celle-ci (recrudescence des affaires de « faux [T] », vente aux enchères prochaine, attitude fuyante de Monsieur [W], doutes de spécialistes sur la paternité de la table). Selon elle, la solution quant à l’authenticité de la table n’était pas évidente et le doute était légitime, de sorte qu’aucune faute ne peut lui être reprochée. Elle fait ensuite état d’une absence de lien de causalité, ou, plutôt, des propres manquements de la galerie [N] constituant une négligence fautive de sa part. Elle sollicite enfin, si sa responsabilité devait être retenue, la garantie de Monsieur [W].
Sur ce,
Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer (article 1382 ancien – 1240 nouveau – du code civil).
L’attestation du 11 octobre 2011 signée « pour la SCE [O] [T] » et les statuts de ladite SCE étaient produits aux débats en première instance, de sorte que les premiers juges ont légitimement soulevé la question de la qualité de Madame [T], telle qu’attraite en la cause. Quand bien même l’attestation du 19 octobre 2011 a été signée par Madame [T] « pour la SCE [O] [T] », celle-ci s’est engagée non seulement en sa qualité de gérante de ladite société civile, mais également en son nom personnel, en sa qualité de « fille de [O] [T] », ainsi rappelé en tête du document. Il est ajouté que Monsieur [W] et la galerie [N] s’accordent pour indiquer qu’avant la conclusion de la vente le 17 octobre 2015, le premier a appelé Madame [T], qui lui a personnellement confirmé les termes du document signé en 2011, ce que l’intéressée ne conteste pas. La galerie [N], ensuite, a par e-mails des 25 et 26 février 2016 évoqué le document de 2011 directement avec Madame [T]. Dans son courrier adressé le 17 mars 2016 à la galerie [N], enfin, Madame [T] signe certes « pour la SCE [O] [T] », mais écrit à la première personne du singulier.
Il résulte de ces éléments que la galerie [N] est fondée à rechercher la responsabilité personnelle de Madame [T], sans qu’il y ait lieu en l’espèce de se référer aux statuts de la société civile dont elle est la gérante, qui n’est pas partie en la cause.
1. sur la faute de Madame [T]
(1) sur le paiement de Madame [T] pour son attestation
Monsieur [W] affirme que Madame [T] a, à l’occasion de la vente de la table, soit en 2015, « perçu la somme de 14 000 € en règlement du droit de suite », somme que l’intéressée admet avoir reçue. Si cette somme dépasse le montant du droit de suite, de 4% pour la première tranche de 50.000 euros du prix de vente (soit 2.000 euros) et de 3% pour la tranche du prix de vente comprise entre 50.000,01 et 200.000 euros (soit en l’espèce 3.900 euros) conformément aux termes des articles L122-8 et R122-6 du code de la propriété intellectuelle, aucun élément du dossier ne permet de conclure qu’elle ait, au moins pour partie, constitué une rémunération de Madame [T] pour son attestation délivrée quatre ans avant la vente. Il n’est justifié d’aucun paiement à cette époque, en 2011. Madame [T] a d’ailleurs, par l’intermédiaire de son conseil, adressé le 27 mai 2016 à Monsieur [W] un chèque CARPA d’un montant de 14.000 euros. Les raisons du remboursement de la somme de 14.000 euros par Madame [T] à Monsieur [W] ne sont pas explicitées en l’espèce et peuvent traduire la conscience de l’intéressée de la nullité de la vente basée sur son attestation désormais contestée, alors que la fille de [O] [T] et son conseil indiquent y procéder « au titre de la restitution du droit de suite [qui lui a été réglé par l’intéressé] ».
Le paiement de Madame [T] pour délivrer son attestation de 2011 n’est ainsi pas établi et est en tout état de cause sans emport en l’espèce.
(2) sur la négligence de Madame [T]
Signant le 19 octobre 2011 une attestation par laquelle elle reconnaissait la table litigieuse comme « étant l”uvre de son père » et l’assortissant de la mention « Pour faire valoir ce que de droit », Madame [T] avait nécessairement conscience de la valeur que pouvait donner ce document au bien en cause, alors en possession de Monsieur [W], brocanteur-antiquaire et, par voie de conséquence, destiné à être vendu. Confirmant ensuite le 17 octobre 2015, à la demande du vendeur par téléphone, les termes de son attestation, Madame [T] savait que celle-ci servait dans le cadre d’une vente, ce qui a par ailleurs été corroboré lorsque, avertie par e-mail du 25 février 2016 de la galerie [N] de l’imminence d’une revente de la table par la maison de vente Phillips à New-York au mois d’avril 2016, elle a estimé que, par référence à son attestation de 2011, « le certificat qui a été fait devrait suffire » (ce qui a permis, dans un e-mail du 11 mars 2016 à Monsieur [Y] [I], directeur du design de la maison de vente new-yorkaise, de certifier à Monsieur [D] [B], « Senior International Specialist, Design » de la même maison, que l’attestation de Madame [T] restait « valable » – « still stands »).
Dans le cadre d’une première vente au mois d’octobre 2015 et d’une revente prévue au mois d’avril 2016 dont elle a eu connaissance au mois de février 2016, corroborant les termes d’une attestation valant, bien qu’elle s’en défende, certificat d’authenticité, Madame [T] ne peut affirmer avoir seulement entendu « exercer son droit moral ». Elle n’a par ailleurs pas refusé à la maison de vente Phillips de dresser un certificat d’authenticité de la table, estimant qu’elle disposait déjà d’un tel document, mais seulement de rédiger une « brève déclaration ou un court texte » qui lui étaient seuls demandés (« a short statement or essay », e-mail précité de Monsieur [I] du 11 mars 2016), déclaration qui aurait enrichi le catalogue de vente mais dont l’absence n’a pas fait perdre de valeur à son attestation de 2011.
Ce faisant en connaissance de cause, Madame [T] a fait preuve d’une certaine légèreté et d’imprudence alors qu’elle ne justifie d’aucune diligence particulière permettant de confirmer la paternité de l”uvre, par un examen personnel et approfondi de la table ou par une consultation dès 2011 et au plus tard au mois d’octobre 2015 d’un expert du design et du travail de [O] [T].
Cette légèreté et cette imprudence sont d’autant plus blâmables que, sachant le 27 octobre 2015 qu’il lui était demandé de sécuriser la vente de la table pour un prix de 180.000 euros, elle n’a émis aucune réserve, alors qu’il lui était loisible de préciser qu’elle n’avait pas examiné elle-même ni fait examiner la table, d’indiquer qu’elle n’était pas experte ni même spécialiste du travail de son père ou encore d’être moins affirmative quant à la paternité de la table et d’indiquer qu’elle « pourrait », seulement, correspondre à l’une de ces ‘uvres : elle ne peut se défendre en affirmant qu’elle « ne pouvait que confirmer » les termes de son attestation de 2011 alors qu’elle n’y était nullement obligée. Madame [T] ne peut pas, a posteriori, rappeler qu’elle n’est pas experte alors qu’il lui appartenait, si elle n’en avait pas les compétences, de ne pas délivrer l’attestation de 2011 et de ne pas la confirmer en 2015 puis en 2016. Elle ne peut pas non plus, dans ses écritures, affirmer que l’authenticité de l”uvre n’était pas évidente et qu’un doute était légitime, alors qu’elle n’a aux mois d’octobre 2011, octobre 2015 et février 2016 exprimé aucun doute sur cette authenticité.
Madame [T] a exprimé ce doute, par un refus de position ou le rappel qu’elle n’était pas experte, seulement après avoir été alertée par Monsieur [I], de la maison Phillips, de la présence de rouille sur le haut des pieds non exposés aux intempéries lorsque la table est montée, laissant entendre que les pieds avaient été conservés sans être attachés au plateau, ainsi que cela résulte des termes de l’e-mail du 11 mars 2016, précité, adressé par le directeur du design de la maison de vente new-yorkaise à Monsieur [B]. Il apparaît ainsi qu’elle n’avait pas lors de son attestation du 19 octobre 2011 ni lors de la confirmation orale de ses termes le 17 octobre 2015, procédé à un examen attentif de la table et avait trop rapidement émis son avis.
Madame [T] ensuite, sachant que la galerie [N] avait acquis la table pour un prix de 180.000 euros pour être remise en vente par la maison Phillips qui garantissait un prix minimum de 600.000 livres sterling, a par courrier du 17 mars 2016 indiqué à la première que « des investigations complémentaires (‘) menées auprès de spécialistes de l”uvre de [O] [T] » l’amenaient « à reconsidérer sa position initiale », ne pouvant alors plus « attester ni dans un sens, dans un autre, l’attribution de cette table à [O] [T] ». Reconsidérant sa position initiale qui tendait à affirmer la paternité de son père sur la table, Madame [T] a bien ainsi, malgré ses dénégations, opéré un « revirement ». Ce courrier, adressé à la galerie d’art un mois après que la table eût été envoyée à New-York (ce dont Madame [T] avait connaissance ainsi qu’en attestent les e-mails précités du mois de février 2016) et un mois avant sa mise en vente aux enchères, relève également d’une légèreté blâmable alors qu’aucune explication ni précision n’est donnée concernant l’identité et l’avis des « spécialistes » consultés. Ces explications n’ont pas plus été données à l’expert judiciaire, Madame [T] expliquant que les personnes interrogées ne souhaitaient pas voir leurs noms mentionnés en justice. Une « dissimulation » fautive de ces informations n’est pas caractérisée et est en tout état de cause sans emport, alors que l’expert doit être en mesure de mener personnellement ses investigations sans l’avis de tiers. Mais Madame [T], qui a indiqué à l’expert avoir obtenu de manière informelle des « avis » de personnes connaissant l”uvre de son père qui lui « ont amicalement confié leurs doutes » apparaît ainsi être revenue sur sa position initiale sur la base d’éléments peu solides et non d’une expertise sérieuse. Ce revirement confirme plus avant la légèreté dont Madame [T] a pu faire preuve en signant son attestation le 10 octobre 2011 et en confirmant les termes de celle-ci le 17 octobre 2015.
Elle ne peut affirmer avoir changé d’avis au regard de la recrudescence des affaires de faux mobiliers de [O] [T], alors qu’elle fait état d’un arrêt du 8 janvier 2015 de la Cour d’appel de Bordeaux (troisième chambre correctionnelle, statuant en qualité de juridiction interrégionale spécialisée), antérieur à la confirmation au mois d’octobre 2015 de son attestation de 2011, d’une part, et d’un article du Figaro du 30 mars 2017 évoquant une instruction en cours concernant la vente de faux meubles de [O] [T] sur des accusations portées « depuis neuf ans » et qui n’étaient donc pas nouvelles au mois de mars 2016, d’autre part. Madame [T] ne peut non plus soutenir que son revirement s’explique par l’augmentation très importante de la valeur du mobilier [O] [T], évoquant une seule vente publique d’une table pour un prix record de 1.241.300 euros (ainsi que d’une paire de fauteuils pour un prix de 63.800 euros et d’un fauteuil pivotant pour un prix de 85.815 euros), intervenue chez Artcurial le 19 mai 2014, plus d’un an avant qu’elle ne confirme en 2015 son attestation de 2011.
La légèreté et l’imprudence de Madame [T] lors de la rédaction de son attestation du 19 octobre 2011 et de la confirmation orale des termes de celle-ci le 17 octobre 2015 dans le cadre de la vente de la table, reconnaissant l”uvre de son père sans examen approfondi ni aucune réserve et déterminant Monsieur [N] à acquérir le bien avec la conviction qu’il s’agissait d’un meuble [O] [T], est donc en lien direct avec l’erreur substantielle révélée ensuite par l’émission d’un doute sur la paternité de l”uvre, erreur justifiant l’annulation de la vente.
Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu’il a écarté la responsabilité délictuelle de Madame [T] à l’encontre de la galerie [N].
Statuant à nouveau, la Cour retient cette responsabilité et, statuant à nouveau, estime que Madame [T] doit être condamnée à réparer le préjudice subi par la galerie [N], pour autant que celui-ci et son imputabilité à l’intéressée soient démontrés.
2. sur la réparation du préjudice
L’annulation de la vente entraîne l’obligation pour Monsieur [W] d’en restituer le prix, de sorte que la galerie ne subit aucun préjudice lié à l’annulation de la vente.
Madame [T] peut se voir condamnée à garantir cette restitution du prix par le vendeur uniquement s’il est avéré que celui-ci serait dans l’impossibilité de restituer la somme de 180.000 euros.
Or si Monsieur [W] a vendu une propriété située à [Localité 9] courant 2006, il n’est aucunement établi que ce fût son seul bien. Il a cessé son activité d’antiquité brocante depuis le 30 septembre 2014 et est désormais à la retraite, sans qu’il soit démontré qu’il soit insolvable. Il n’est pas plus certain qu’il ait disposé du prix de vente de la table litigieuse de 180.000 euros perçu au mois d’octobre 2015.
L’insolvabilité de Monsieur [W] n’étant pas établie, la galerie [N] sera en conséquence déboutée de sa demande tendant à voir Madame [T] condamnée à lui garantir le remboursement du prix de vente auquel est tenu le vendeur.
En outre, quand bien même le changement de position de Madame [T] au mois de mars 2016 concernant la paternité de la table est apparu léger, sa seule faute à l’origine de l’annulation de la vente et du préjudice de la galerie [N] est d’avoir avec imprudence, sans vérifications ni réserves, signé son attestation du 19 octobre 2011 et d’en avoir confirmé les termes oralement le jour de la vente le 17 octobre 2015. Or, si à cette dernière date, Madame [T] avait bien conscience de la vente de la table de Monsieur [W] à la galerie [N], elle n’avait aucune connaissance de la volonté de la galerie d’art de présenter la table à une vente ultérieure organisée par la maison Phillips. La Cour ne dispose en outre d’aucun élément sur les raisons exactes du retrait de la table du catalogue de vente de ladite maison de vente. Le conseil de Madame [T] et celle-ci elle-même, par deux courriers des 16 et 17 mars 2016, ont signalé le changement de position quant à la paternité de la table à Monsieur [W] et à la galerie [N], mais non à la maison de vente Phillips, qui a pu se faire sa propre opinion de la table après l’avoir montrée à ses experts (après avoir, notamment, noté la présence de rouille sur le sommet des pieds, incohérence exprimée le 11 mars 2016 avant le revirement de Madame [T] dont l’attestation était estimée encore valable).
Il n’est donc aucunement établi que le retrait de la table du catalogue de la vente prévue le 28 avril 2016 à New-York et l’absence de vente subséquente puissent être imputés à Madame [T].
La galerie [N] ne justifiant pas d’un lien de causalité entre la faute de Madame [T] et la perte d’un prix garanti de 600.000 livres sterling (soit 675.000 euros), ni même d’une perte de chance de revendre la table et d’en obtenir un gain par rapport à son prix d’achat, sera en conséquence déboutée de sa demande de dommages et intérêts présentée à hauteur de 675.000 – 180.000 = 495.000 euros, sans qu’il n’y ait lieu de se prononcer sur l’existence d’une perte de bénéfice ou seulement d’une perte de chance.
3. sur les recours entre les parties
Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer (article 1240 nouveau – 1382 ancien – du code civil).
Aucune condamnation n’étant prononcée à l’encontre de Madame [T] au profit de la galerie [N], son recours en garantie contre Monsieur [W] est sans objet.
D’un autre côté, l’attestation imprudente de Madame [T] du 19 octobre 2011 a pu convaincre non seulement la galerie [N] mais également, avant elle, Monsieur [W], de la paternité certaine de [O] [T] sur la table litigieuse, caractérisant ainsi une faute de la fille du designer à l’égard du vendeur.
Celui-ci, cependant, disposait d’éléments dont il n’a fait état ni devant Madame [T] en 2011 ni devant l’expert judiciaire concernant la provenance de la table (date et lieu d’acquisition, identité du vendeur). S’il a été retenu que cet élément a pu, pour la galerie d’art, être couvert par l’autorité de l’attestation de 2011 de Madame [T], et si la nullité de la vente est prononcée en dehors de toute faute du vendeur, il n’en demeure pas moins que le comportement de celui-ci à l’égard de la fille du designer n’est pas irréprochable, se contentant devant elle d’évoquer une « découverte » sans plus d’éléments, connus de lui seul.
Les responsabilités étant partagées, Madame [T] sera en conséquence condamnée à relever et garantir Monsieur [W] des conséquences de l’annulation de la vente et de sa condamnation à restituer le prix de celle-ci à la galerie [N] à hauteur de la seule somme de 90.000 euros, correspondant à la moitié du prix de vente.
Sur la demande de dommages et intérêts de Monsieur [W]
Les premiers juges, considérant que Monsieur [W] échouait à rapporter la preuve d’une faute de Madame [T], l’ont débouté de sa demande de dommages et intérêts présentée à son encontre.
Monsieur [W] critique le jugement de ce chef et expose avoir subi, du seul fait du comportement de Madame [T], les « affres d’un contentieux lourd et une souffrance morale qui doit être réparée ».
Madame [T] s’oppose à cette demande, arguant de l’absence de comportement fautif de sa part et de l’absence de tout commencement de preuve de la réalité d’un préjudice moral.
Sur ce,
Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer (article 1240 nouveau – 1382 ancien – du code civil).
Si le comportement de Madame [T], en signant son attestation du 19 octobre 2011 avec une certaine légèreté et en confirmant les termes de celle-ci le 17 octobre 2015 avec la même imprudence, constitue une faute à l’égard de la galerie [N], qui l’a amenée à conclure la vente de la table avec la conviction de la paternité de [O] [T] sur celle-ci, il constitue également une faute à l’égard de Monsieur [W], qui a pu conclure la vente avec cette même certitude pour la voir annuler ensuite.
Cette faute de Madame [T] est cependant déjà réparée par sa condamnation à relever et garantir Monsieur [W], à hauteur de la somme de 90.000 euros, de la condamnation à restitution prononcée contre lui, et l’intéressé ne justifie d’aucun autre préjudice, distinct de celui qui lui a été causé par la nécessité de se défendre en justice examiné sur un autre fondement. Il sera en conséquence débouté de sa demande de dommages et intérêts présentée à l’encontre de Madame [T].
Sur les dépens et frais irrépétibles
Le sens de l’arrêt conduit à l’infirmation du jugement en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance, mis à la charge de la galerie [N].
Statuant à nouveau et ajoutant au jugement, Monsieur [W] et Madame [T], qui succombent devant les demandes de la galerie [N], seront condamnés in solidum aux dépens de première instance, incluant les frais d’expertise judiciaire, et d’appel, avec distraction au profit du conseil de la galerie d’art qui l’a réclamée, en application des articles 696 et suivants du code de procédure civile.
Tenus aux dépens, Monsieur [W] et Madame [T] seront condamnés in solidum à payer à la galerie [N] la somme équitable de 8.000 euros en indemnisation des frais exposés en première instance et en cause d’appel et non compris dans les dépens, conformément aux dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs,
La Cour,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Annule la vente intervenue le 17 octobre 2015 entre Monsieur [E] [W] et la SARL B. [N],
Condamne Monsieur [E] [W] à payer à la SARL B. [N] la somme de 180.000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 28 août 2018 et capitalisation desdits intérêts, au titre de la restitution du prix de vente de la table acquise le 17 octobre 2015,
Ordonne à la SARL B. [N] de restituer la table acquise le 17 octobre 2015 à Monsieur [E] [W] en contrepartie du remboursement du prix de sa vente,
Déboute la SARL B. [N] de sa demande tendant à voir condamner Madame [R] [T] à la garantir du remboursement du prix de vente de la table,
Condamne Madame [R] [T] à relever et garantir Monsieur [E] [W] de la condamnation à restituer le prix de vente de la table à hauteur de la somme de 90.000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 28 août 2018 et capitalisation desdits intérêts,
Déboute la SARL B. [N] de sa demande de dommages et intérêts présentée à hauteur de 495.000 euros contre Madame [R] [T],
Dit sans objet le recours en garantie de Madame [R] [T] à l’encontre de Monsieur [E] [W],
Déboute Monsieur [E] [W] de sa demande de dommages et intérêts présentée à hauteur de 50.000 euros contre Madame [R] [T],
Condamne in solidum Monsieur [E] [W] et Madame [R] [T] aux dépens de première instance, incluant les frais d’expertise judiciaire, et d’appel, avec distraction au profit de l’AARPI De Baecque Faure Bellec,
Condamne in solidum Monsieur [E] [W] et Madame [R] [T] à payer la somme de 8.000 euros à la SARL B. [N] en indemnisation de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,