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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 2-4
ARRÊT AU FOND
DU 29 NOVEMBRE 2023
N° 2023/184
Rôle N° RG 21/01724 – N° Portalis DBVB-V-B7F-BG4VP
[K] [N] épouse [D]
[T] [B] veuve [N]
C/
[W] [L]-[N]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Maud DAVAL-GUEDJ
Me Layla TEBIEL
Décision déférée à la Cour :
Jugement du tribunal judiciaire de DRAGUIGNAN en date du 13 Janvier 2021 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 18/05924.
APPELANTES
Madame [K] [N] épouse [D]
née le [Date naissance 3] 1968 à [Localité 17], demeurant [Adresse 5]
représentée par Me Maud DAVAL-GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ – MONTERO – DAVAL GUEDJ, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE (avocat postulant) et par Me Frédérique GARNIER avocat au barreau de DRAGUIGNAN (avocat plaidant)
Madame [T] [B] veuve [N]
née le [Date naissance 4] 1940 à [Localité 13], demeurant [Adresse 9]
représentée par Me Maud DAVAL-GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ – MONTERO – DAVAL GUEDJ, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE (avocat postulant) et par Me Frédérique GARNIER avocat au barreau de DRAGUIGNAN (avocat plaidant)
INTIMEE
Madame [W] [L]-[N]
née le [Date naissance 1] 1994 à [Localité 19], demeurant [Adresse 7]
représentée par Me Layla TEBIEL, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE (avocat postulant) substituée par Me Laure ATIAS, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE et par Me Anne BAZELA avocat au barreau de LILLE (avocat plaidant)
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 08 Novembre 2023 en audience publique devant la cour composée de :
Madame Michèle JAILLET, Présidente
Madame Nathalie BOUTARD, Conseillère
Mme Pascale BOYER, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Fabienne NIETO.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 29 Novembre 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 29 Novembre 2023,
Signé par Madame Michèle JAILLET, Présidente et Mme Fabienne NIETO, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [U] [N], né le [Date naissance 8] 1942 à [Localité 18], a épousé le [Date naissance 2] 1964 à [Localité 17] (Nord), Mme [T] [B], née le [Date naissance 4] 1940 à [Localité 13] (Pas-de-Calais), après contrat de la communauté réduite aux acquêts reçu le 12 juin 1964 par Maître [Z], notaire à [Localité 17].
De l’union de M. [N] et Mme [B] est issue Mme [K] [N], née le [Date naissance 3] 1968 à [Localité 17].
Par acte notarié du 10 octobre 1986, M. [U] [N] a consenti à son épouse Mme [T] [B] épouse [N] une donation des quotités prévues par l’article 1094-1 du code civil, à savoir une option entre un usufruit universel, le quart en pleine propriété et les trois-quarts en usufruit ou la quotité disponible ordinaire.
M. [U] [N] est décédé le [Date décès 6] 2013 à [Localité 14] (Var).
Le 4 juin 2013, Mme [T] [B] veuve [N] a opté pour l’usufruit de la succession de son époux.
Par courrier du 7 octobre 2013, Maître [Y] [S], notaire à [Localité 17], a informé sa consoeur Maître [R] [M], de l’existence de Mme [W] [L], née le [Date naissance 10] 1994 à [Localité 19] (Nord). Mme [W] [L] s’avère être la fille de M. [U] [N] issue de sa relation avec Mme [J] [L], née le [Date naissance 11] 1961 à [Localité 16] (Isère). M. [N] a reconnu Mme [W] [L] le 13 août 1998.
Par actes d’huissier des 31 juillet 2018 et 8 août 2018, Mme [W] [L]-[N] a assigné Mme [T] [N] et Mme [K] [N] épouse [D] devant le tribunal de grande instance de Draguignan aux fins de voir reconnaître à son détriment un recel successoral par dissimulation d’héritier.
Par jugement contradictoire du 13 janvier 2021, auquel il convient de se référer pour plus ample exposé des faits et des prétentions des parties, le tribunal de grande instance de Grasse a :
– Déclaré les demandes de recel successoral formées par [W] [L] irrecevables à l’encontre de [T] [N],
– Ordonné l’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de l’indivision successorale existant entre [W] [L] et [K] [D] suite au décès de [U] [N],
– Désigné Maître [R] [M], notaire à [Localité 15], pour y procéder et rectifier les actes établis par ses soins les 4 juin 2013 (acte de notoriété), 12 juin 2013 (attestation immobilière) et 12 juillet 2013 (déclaration de succession),
– Dit que Mme [K] [D] a commis un recel de succession au détriment de [W] [L] portant sur la somme de 107.875,45 euros correspondant à la part réservataire légale en nue-propriété de cette dernière,
– Dit qu’il convient d’appliquer les peines du recel sur cette somme,
– Fixé l’indemnité de réduction à la charge de [K] [D] suite à la donation du 29 septembre 2011, à la somme de 60.892,33 euros,
– Condamné Mme [K] [D] à payer à [W] [L] la somme de 8.000 euros à titre de dommages et intérêts,
– Condamné Mme [K] [D] à payer à [W] [L] la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamné Mme [K] [D] aux dépens de l’instance lesquels seront distraits au profit des avocats en ayant fait la demande conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
– Rejeté le surplus des demandes,
– Ordonné l’exécution provisoire de la décision.
Par déclaration reçue au greffe le 4 février 2021, Mme [K] [N] épouse [D] et Mme [T] [B] veuve [N] ont interjeté appel de cette décision.
Par exploit extrajudiciaire du 13 août 2021, les appelantes ont fait assigner l’intimée devant le premier président de la cour d’appel afin de solliciter l’arrêt de l’exécution provisoire de la décision attaquée et, à titre subsidiaire, de solliciter la constitution à leur profit d’une garantie personnelle ou réelle contre Mme [L], et enfin à titre encore plus subsidiaire aux fins de consignation d’un montant des condamnations prononcées en première instance.
Par ordonnance de référé du 12 novembre 2021, le premier président de la cour d’appel d’Aix-en-Provence a écarté tous les chefs de demande de Mme [T] [B] veuve [N] et de Mme [K] [N] épouse [D] et condamné celles-ci aux dépens de l’instance ainsi qu’à une somme de 1.000 euros au profit de Mme [W] [L]-[N].
Par premières conclusions déposées le 30 avril 2021, les appelantes ont demandé à la cour de:
Vu l’article 778 du Code Civil,
Prononcer l’irrecevabilité de la demande
Vu les articles 12 et 56 du Code de Procédure Civile,
Subsidiairement si elle était accueillie,
Infirmer la décision de première instance en ce qu’elle a condamné Madame [K] [D] aux peines du recel successoral, celui-ci n’étant pas caractérisé ni prouvé par la demanderesse,
Plus subsidiairement, si la Cour retenait l’existence d’un recel d’héritier, infirmer le jugement du 13 janvier 2021 à raison du fait que les défenderesses s’en sont repenties, Mesdames [D] et [N] s’étant accordées pour allotir [W] [L] de ses droits légaux le 30 mars 2016, dès avant la délivrance de l’assignation introductive (31 juillet 2018 pour Madame [D] et 8 août 2018 pour Madame [N]) ;
Plus subsidiairement encore, si d’aventure la Cour entendait appliquer aux concluantes les peines du recel, fixer la valeur recelée à 107.875,45 €, montant de la part réservataire légale en nue-propriété de [W] [L] (à défaut d’indivision sur l’usufruit du conjoint survivant, il ne peut être taxé de recel à concurrence de ce droit de propriété démembré)
S’il échet, confirmer :
– la désignation de Maître [R] [M], Notaire associé à [Localité 15] afin de rectifier les actes successoraux, ou tout autre Notaire qu’il plaira , – l’indemnité de réduction à charge de [K] [D] à la somme de 60.892,23 €, à défaut de sanction des peines du recel
Infirmer la décision de première instance quant à l’allocation de dommages et intérêts, le préjudice n’étant pas caractérisé.
Condamner Mademoiselle [L] aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL-GUEDJ, Avocat, aux offres de droit
La condamner au paiement de la somme de 6.000 € par application de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Par conclusions d’incident en date du 27 juillet 2021, l’intimée demandait au magistrat chargé de la mise en état de :
– D’ORDONNER la radiation de l’appel inscrit par Madame [T] [N] et Madame [K] [D] et dire qu’il ne pourra être réinscrit que sur justification de l’exécution de la décision attaquée, sauf l’hypothèse d’une péremption survenue dans l’intervalle ;
– CONDAMNER Madame [T] [N] et Madame [K] [D] aux entiers dépens ainsi qu’au paiement d’une indemnité de 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par premières conclusions notifiées le 27 juillet 2021, l’intimée a sollicité de la cour de :
Vu les articles 778 et suivant du Code Civil, Vu les article 840 et suivants du Code civil, Vu les articles 565 et 1360 du code de procédure civil, Vu les articles 757 et 919-2 du Code Civil, Vu l’article 922 et suivants du Code civil, Vu l’article 1240 du Code Civil, Vu les pièces versées au débat, Vu la jurisprudence, Vu le jugement en date du 13 janvier 2021,
CONFIRMER le jugement du 13 janvier 2021 en ce qu’il a :
– DECLARE les demandes de recel successoral formées par [W] [L] irrecevables à l’encontre de [T] [N] ,
– ORDONNE l’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de l’indivision successorale existant entre [W] [L] et [K] [N] suite au décès de [U] [N],
– DIT que Madame [K] [D] a commis un recel de succession au détriment de [W] [L],
– DIT qu’il convient d’appliquer les peines du recel sur la somme recelée ,
– CONDAMNE [K] [D] à payer à [W] [L] la somme de 2000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
INFIRMER ledit jugement en ce qu’il a :
– EVALUE à la somme de 107 875,45 euros la part réservataire légale en nue-propriété de Madame [W] [L].
– FIXE l’indemnité de réduction à la charge de [K] [D] suite à la donation du 29 septembre 2011 à la somme de 60 892,33 euros.
– CONDAMNE [K] [D] à payer à [W] [L] la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts
– DESIGNE Maître [R] [M], notaire à [Localité 15] pour procéder et rectifier les actes établis par ses soins les 4 juin 2013 (acte de notoriété), 12 juin 2013 (Attestation immobilière) et 12 juillet 213 (déclaration de succession).
EN statuant de nouveau :
A titre principal :
– FIXER la valeur recelée à la somme de 213 698,34 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de l’ouverture de la succession.
A titre subsidiaire :
– FIXER la valeur recelée à la somme de 175 388,84 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de l’ouverture de la succession.
En tout état de cause :
– DIRE qu’il convient d’appliquer les peines du recel la somme recelée ;
– FIXER l’indemnité de réduction à la charge de [K] [D] suite à la donation du 29 septembre 2011 à la somme de 82 611.19 €.
– DESIGNER Maître [C] [Z], notaire associé au sein de la SCP [12] pour procéder aux opérations de succession et rectifier les actes établis par Maître [M] les 4 juin 2013 (acte de notoriété), 12 juin 2013 (attestation immobilière) et 12 juillet 2013 (déclaration de succession).
– CONDAMNER solidairement Madame [T] [N] et Madame [K] [D] à payer à Madame [W] [L] la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi
– CONDAMNER Madame [T] [N] et Madame [K] [D] aux entiers dépens
– LES CONDAMNER solidairement au paiement de la somme de 6000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions transmises le 27 octobre 2021, les appelantes demandent désormais à la cour de :
Vu l’article 778 du Code Civil,
Prononcer l’irrecevabilité de la demande et réformer le jugement entrepris sur ce point,
Vu les articles 12 et 56 du Code de Procédure Civile,
Subsidiairement si elle était accueillie,
Confirmer la décision de première instance en ce qu’elle a déclaré irrecevables les demandes de recel successoral à l’encontre de Madame Veuve [N]
Infirmer la décision de première instance en ce qu’elle a condamné Madame [K] [D] aux peines du recel successoral, celui-ci n’étant pas caractérisé ni prouvé par la demanderesse ,
Plus subsidiairement, si la Cour retenait l’existence d’un recel d’héritier, infirmer le jugement du 13 janvier 2021 à raison du fait que les défenderesses s’en sont repenties, Mesdames [D] et [N] s’étant accordées pour allotir [W] [L] de ses droits légaux le 30 mars 2016, dès avant la délivrance de l’assignation introductive (31 juillet 2018 pour Madame [D] et 8 août 2018 pour Madame [N]),
Plus subsidiairement encore, si d’aventure la Cour entendait appliquer aux concluantes les peines du recel, fixer la valeur recelée à 107.875,45 €, montant de la part réservataire légale en nue-propriété de [W] [L] (à défaut d’indivision sur l’usufruit du conjoint survivant, il ne peut être taxé de recel à concurrence de ce droit de propriété démembré),
À défaut renvoyer les parties devant Notaire pour en effectuer le calcul,
Débouter Mademoiselle [L] de toute demande de relèvement de cette valeur,
S’il échet, confirmer :
– la désignation de Maître [R] [M], Notaire associé à [Localité 15] afin de rectifier les actes successoraux, ou tout autre Notaire qu’il plaira ,
– la fixation de l’indemnité de réduction à charge de [K] [D] à la somme de 60.892,23 euros, à défaut de sanction de peines du recel ; et à défaut renvoyer devant le notaire désigné pour son calcul,
Débouter Mademoiselle [L] de sa demande de rehaussement à la somme de 175.388,84 euros,
Infirmer la décision de première instance quant à l’allocation de dommages et intérêts, le préjudice n’étant pas caractérisé et l’allocation de la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 CPC.
Débouter Madame [L] de sa demande de dommages et intérêts à l’encontre de Madame Veuve [N] ,
Condamner Mademoiselle [L] aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL-GUEDJ, Avocat, aux offres de droit ,
La condamner au paiement de la somme de 6.000 € par application de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Aux termes de ses dernières conclusions d’incident du 23 novembre 2021, l’intimée maintenait ses demandes formulées devant le conseiller de la mise en état.
Par courrier du 25 avril 2022, le conseil de l’intimée a indiqué au conseiller de la mise en état l’incident aux fins de radiation n’avait plus d’objet, en raison de l’exécution par les appelantes des causes du jugement.
Par ordonnance du 04 mai 2022, le conseiller de la mise en état a constaté le désistement d’incident formé par Mme [W] [L] le 25 avril 2022 et dit que les dépens de l’incident suivront le sort de ceux de l’instance principale.
Par avis du 14 décembre 2022, le magistrat chargé de la mise en état a informé les parties que l’affaire était fixée à l’audience du 8 novembre 2023.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 4 octobre 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l’étendue de la saisine de la cour
Il convient de rappeler qu’en application de l’article 954 du code de procédure civile, la cour ne doit statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif.
Les demandes de “donner acte” sont dépourvues de tout enjeu juridique et ne constituent pas des prétentions au succès desquels les parties pourraient avoir un intérêt légitime à agir au sens de l’article 4 du code de procédure civile.
Ne constituent pas par conséquent des prétentions au sens de l’article sus-cité du code de procédure civile les demandes des parties tendant à voir “constater” ou “donner acte” ou encore à “prendre acte” de sorte que la cour n’a pas à y répondre.
Il n’y a donc pas lieu de reprendre ni d’écarter dans le dispositif du présent arrêt les demandes tendant à “constater que” ou “dire que ” telles que figurant dans le dispositif des conclusions des parties, lesquelles portent sur des moyens ou éléments de fait relevant des motifs et non des chefs de décision devant figurer dans la partie exécutoire de l’arrêt.
L’article 9 du code de procédure civile dispose qu’”il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention” et que l’article 954 du même code, dans son alinéa 1er, impose notamment aux parties de formuler expressément ses prétentions et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune des prétentions est fondée “avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et leur numérotation”.
Par ailleurs l’effet dévolutif de l’appel implique que la cour connaisse des faits survenus au cours de l’instance d’appel et depuis le jugement déféré et statue sur tous les éléments qui lui sont produits même s’ils ne se sont révélés à la connaissance des parties qu’en cours d’instance d’appel.
Sur le principe de concentration temporelle des prétentions
L’article 910-4 du code de procédure civile dispose que “A peine d’irrecevabilité, relevée d’office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond. L’irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.
Néanmoins, et sans préjudice de l’alinéa 2 de l’article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l’intervention d’un tiers ou de la survenance ou de la révélation d’un fait”.
Les appelantes ont ajouté les demandes suivantes dans leurs dernières conclusions transmises le 27 octobre 2021 :
‘ Prononcer l’irrecevabilité de la demande et réformer le jugement entrepris sur ce point,
‘ À défaut renvoyer les parties devant Notaire pour en effectuer le calcul
‘ Infirmer la décision de première instance quant à l’allocation de la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 CPC.
Ces prétentions n’ayant pas été formées dans les premières conclusions des appelantes, et ne constituant pas une réponse aux écritures de l’intimée, il convient de les déclarer irrecevables.
Sur la recevabilité de l’action
Les appelantes sollicitent l’infirmation du jugement attaqué pour prononcer l’irrecevabilité de la demande de Mme [W] [L]-[N] et réformer le jugement entrepris sur ce point. Elles exposent, en substance que :
– le recel successoral est une peine civile du partage successoral, laquelle suppose une demande en partage.
– L’assignation est rédigée au seul visa de l’article 778 du code civil et les premières conclusions sollicitaient en première instance seulement “la réouverture des opérations de succession”. La liquidation n’est pas le partage au sens de l’article 815 du code civil.
– La demande de Madame [L] ne peut pas être reçue puisqu’elle n’est pas liée au partage. De manière surabondante, Mme [T] [B] veuve [N] étant usufruitière de tout le patrimoine, elle n’est pas en indivision avec les deux filles de son époux.
L’intimée explique avoir saisi les premiers juges d’une demande en partage judiciaire. Elle avance faire état dans son assignation des diligences entreprises pour parvenir à un partage amiable et présente un descriptif sommaire du patrimoine à partager.
À titre subsidiaire, elle indique reporter ce chef en appel lequel ne pourrait être une demande nouvelle et ajoute, à titre très subsidiaire, que les appelantes ne demandent pas précisément l’infirmation de ce chef.
Le jugement attaqué a considéré que l’action en recel successoral de Mme [W] [L] est irrecevable à l’égard de Mme [T] [B] veuve [N] qui est seulement usufruitière de la succession.
Les premiers juges ont encore considéré que la demanderesse justifie des diligences pour parvenir à un partage amiable ‘ notamment le projet établi en 2015 par Maître [R] [M] ‘ imposant de commencer les opérations judiciaires pour partager l’indivision née du décès de M. [U] [N].
Le tribunal a donc ouvert les opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de M. [U] [N].
La cour remarque que, si dans la déclaration d’appel, le chef du jugement ayant ouvert les mêmes opérations est bien visé par les appelantes, il a été abandonné dans leurs premières conclusions. La mention de la réformation est toutefois présente dans les dernières conclusions de celles-ci tel qu’il résulte de l’exposé des faits du présent arrêt.
Cet ajout contrevient aux dispositions de l’article 910-4 du code de procédure civile comme énoncé précédemment.
La cour n’est donc pas saisie de la demande, faute d’effet dévolutif sur ce point.
À titre surabondant, il sera noté qu’en cause d’appel, l’intimée a bien inséré un chef spécifique sur la confirmation du jugement ayant ordonné l’ouverture desdites opérations rendant inopérantes les critiques des appelantes.
Il sera également rappelé que les conclusions de Mme [L]-[N] en première instance sollicitait “la réouverture des opérations de succession” imposant l’inclusion nécessaire du chef “d’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage”.
Sur la caractérisation du recel successoral pour dissimulation d’héritier
L’article 778 du code civil dispose que “Sans préjudice de dommages et intérêts, l’héritier qui a recelé des biens ou des droits d’une succession ou dissimulé l’existence d’un cohéritier est réputé accepter purement et simplement la succession, nonobstant toute renonciation ou acceptation à concurrence de l’actif net, sans pouvoir prétendre à aucune part dans les biens ou les droits détournés ou recelés. Les droits revenant à l’héritier dissimulé et qui ont ou auraient pu augmenter ceux de l’auteur de la dissimulation sont réputés avoir été recelés par ce dernier.
Lorsque le recel a porté sur une donation rapportable ou réductible, l’héritier doit le rapport ou la réduction de cette donation sans pouvoir y prétendre à aucune part.
L’héritier receleur est tenu de rendre tous les fruits et revenus produits par les biens recelés dont il a eu la jouissance depuis l’ouverture de la succession”.
Il est de jurisprudence constante que c’est au demandeur à l’action en recel successoral pour omission d’héritier de démontrer que le receleur a volontairement dissimulé un héritier dans le partage et ce afin de rompre l’égalité de celui-ci.
Le recel pour omission d’héritier suppose la réunion d’un élément matériel (un héritier omis) et d’un élément moral (l’intention d’écarter ledit héritier afin de rompre l’égalité du partage).
Les appelantes avancent que les éléments du recel successoral ne sont pas constitués en l’espèce. Elles soutiennent que :
– il appartient à Madame [L], demanderesse, d’apporter la preuve de ce qu’au moment du règlement de la succession de M. [U] [N], les appelantes connaissaient son existence, sa qualité et qu’elles auraient volontairement caché au notaire son identité.
– Tous les courriers produits par la demanderesse, intimée en cause d’appel, n’établissent pas que les appelantes aient eu connaissance de l’existence de Mme [W] [L]. Il ne s’agirait que de suppositions de Mme [L].
– Les attestations versées aux débats, dont l’une émane de la mère de l’intimée, n’apporteraient pas la preuve nécessaire pour caractériser un recel successoral. Le défunt a été capable de dissimuler pendant dix-huit ans une double vie à sa famille légitime.
– Le jugement attaqué serait critiquable dans la mesure où les documents retenus seraient insuffisants pour prouver le recel successoral pour omission volontaire d’héritier. En tout état de cause, les appelantes indiquent qu’elles sont en mesure de justifier qu’elles se sont accordées, à partir du moment où elles ont connaissance de l’existence de Mme [L], pour délivrer à cette dernière sa part successorale.
– Mme [K] [N] épouse [D] vivait de manière éloignée de ses parents, ce qui rendrait la thèse d’une dissimulation volontaire d’un héritier peu crédible.
L’intimée sollicite la confirmation du jugement entrepris sur la caractérisation du recel successoral pour dissimulation d’héritier. Elle fait valoir notamment que :
– l’histoire entre la mère de l’intimée et le défunt ayant duré 18 années, il ne pourrait pas être valablement argué que les appelantes n’avaient pas connaissance de l’existence de Mme [W] [L]-[N].
– Le couple officiel était séparé de fait sans être divorcé, ce qui explique la double vie que M. [U] [N] a pu mener pendant ces années.
– Tout l’entourage de M. [U] [N] serait au courant de la relation extraconjugale en question, ce qui est étayé par une série d’attestations.
– Mme [W] [L] n’aurait été au courant du décès de son père qu’après avoir traversé la France pour se rendre dans les locaux de la maison médicalisée où celui-ci a été pris en charge en raison d’une maladie dégénérative en fin de vie. Elle allègue l’existence d’une dissimulation volontaire du décès de son père par les appelantes qui auraient intimé l’ordre à la maison médicalisée de ne pas lui parler.
Rapportant d’après ses conclusions des éléments graves, précis et concordants permettant de prouver la connaissance de son existence par les appelantes, Mme [L] estime que la confirmation du jugement s’imposerait à la cour.
Le tribunal a relevé que :
– il ressort des différentes attestations produites par Mme [W] [L] ainsi que des photographies versées aux débats que M. [U] [N] a entretenu une relation suivie avec la mère de la demanderesse entre 1990 et 2008, cohabitant et partageant une vie familiale avec leur fille [W] née le [Date naissance 10] 1994 et reconnue par la suite en 1998.
– Si Mme [A] [N], soeur du défunt, déclare ne pas avoir eu connaissance de Mme [L], il résulte de la déclaration de la mère de l’héritière omise, qui a été la compagne de M. [N], que cette dernière avait informé Mme [K] [N] en 1998 de la naissance de sa soeur. Mme [W] [L] avait contacté sa soeur en 2012, selon la même attestation, pour avoir des nouvelles de son père qui avait été admis dans une maison médicalisée.
– Il ressort de la déclaration de M. [H] [X], ami du défunt, que ce dernier s’inquiétait pour Mme [W] [L] et ce en raison de son épouse légitime qui aurait été mise au courant de la situation et de l’existence de sa fille née hors mariage.
Le jugement a tiré de ces éléments que Mme [K] [N] avait eu connaissance de la double-vie de son père et de l’existence de Mme [W] [L]. En omettant de mentionner l’existence de sa demi-soeur lors des opérations de liquidation de la succession de son père, M. [U] [N], les premiers juges ont considéré que Mme [K] [N] épouse [D] a ainsi intentionnellement dissimulé un héritier pour le priver de ses droits.
Le tribunal a donc appliqué les sanctions de l’article 778 du code civil.
En cause d’appel, la cour rappelle que c’est à Mme [W] [L] de prouver l’élément matériel et l’élément moral afin de caractériser le recel successoral qu’elle allègue.
Mme [W] [L]-[N] utilise, dans ses conclusions, les pièces suivantes pour démontrer sa prétention :
– la pièce n°26 qui est une lettre de rupture de trois pages en majorité caviardée, établissant qu’une relation a existé pendant onze ans entre M. [U] [N] et Mme [J] [L], fait constant de la cause qu’aucune partie ne remet en question ;
– la pièce n°1 permettant de démontrer que Mme [W] [L] a été reconnue par son père le 13 août 1998, fait non discuté ;
– les pièces n°16 et 24 qui sont des séries de photographies démontrant l’existence d’une relation père / fille entre M. [U] [N] et Mme [W] [L]-[N] ;
– les pièces n°28 à 30 qui attestent de temps de vie partagés pendant plusieurs années entre M. [U] [N], Mme [J] [L] et Mme [W] [L] ;
– les pièces n°18 et 19 qui émanent d’amis ayant côtoyé ces derniers
– la pièce n°20 qui est une attestation de M. [H] [X] qui relate que le défunt “avait indiqué son inquiétude quant à l’avenir de cette enfant vis-à-bis de son épouse légitime auprès de qui il avait expliqué la situation et l’existence de sa fille”. Cette attestation ne suffit pas à elle-seule à démontrer la prétention de Mme [W] [L] selon laquelle les appelantes auraient volontairement dissimulé celle-ci à la succession.
– la pièce n°17 qui montre que M. [U] [N] a été placé dans une maison médicalisée ainsi que les pièces n°4 à 9 démontrant que Mme [J] [L] a essayé de rentrer en contact avec M. [N] pendant sa maladie en fin de vie. L’attestation de Mme [J] [L] n’a aucune autre force probatoire certaine s’agissant d’une attestation provenant de la mère de l’intimée.
Aucun de ces documents n’établissent la connaissance par les appelantes de l’existence et de la situation de Mme [W] [L].
Aucune de ces pièces ne permet à la cour de s’assurer que Mme [T] [B] veuve [N] et Mme [K] [N] savaient que M. [U] [N] avait une fille hors mariage.
Le raisonnement de l’intimée ne procède que par voie d’hypothèses, notamment en raison de la séparation de fait actée entre Mme [T] [B] veuve [N] et M. [U] [N].
Aucune pièce ne permet de démontrer un recel successoral et à rapporter la preuve que Mme [K] [N] ait caché intentionnellement Mme [L] afin de rompre l’égalité du partage de la succession de M. [U] [N].
Le recel successoral n’est donc pas constitué sur le fondement de l’article 778 du code civil.
Il convient d’infirmer le jugement en ce qu’il a :
– Dit que Mme [K] [D] a commis un recel de succession au détriment de [W] [L] portant sur la somme de 107.875,45 euros correspondant à la part réservataire légale en nue-propriété de cette dernière
– Dit qu’il convient d’appliquer les peines du recel sur cette somme
– Fixé l’indemnité de réduction à la charge de [K] [D] suite à la donation du 29 septembre 2011, à la somme de 60.892,33 euros
– Condamné Mme [K] [D] à payer à [W] [L] la somme de 8.000 euros à titre de dommages et intérêts
– Condamné Mme [K] [D] à payer à [W] [L] la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile
– Condamné Mme [K] [D] aux dépens de l’instance lesquels seront distraits au profit des avocats en ayant fait la demande conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Mme [W] [L] doit être déboutée de sa demande de recel successoral et de toutes ses prétentions en découlant.
Toutes les autres demandes sont donc sans objet.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le jugement entrepris sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles de première instance. Mme [L] doit être condamnée aux dépens de première instance qui pourront être recouvrés par Me Garnier. Il n’y a pas lieu d’appliquer les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en première instance.
Mme [W] [L] supportera les dépens d’appel, avec possibilité de recouvrement direct au profit de la SCP Cohen-Guedj Montero Daval-Guedj conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Les appelantes ont exposé des frais de défense en cause d’appel ; Mme [L] sera condamnée à leur verser une indemnité globale de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Déclare irrecevables les prétentions suivantes des appelantes :
‘ Prononcer l’irrecevabilité de la demande et réformer le jugement entrepris sur ce point,
‘ À défaut renvoyer les parties devant Notaire pour en effectuer le calcul
‘ Infirmer la décision de première instance quant à l’allocation de la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 CPC.
Infirme le jugement rendu le 13 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Grasse en ce qu’il a:
– Dit que Mme [K] [D] a commis un recel de succession au détriment de [W] [L] portant sur la somme de 107.875,45 euros correspondant à la part réservataire légale en nue-propriété de cette dernière
– Dit qu’il convient d’appliquer les peines du recel sur cette somme
– Fixé l’indemnité de réduction à la charge de [K] [D] suite à la donation du 29 septembre 2011, à la somme de 60.892,33 euros
– Condamné Mme [K] [D] à payer à [W] [L] la somme de 8.000 euros à titre de dommages et intérêts
– Condamné Mme [K] [D] à payer à [W] [L] la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile
– Condamné Mme [K] [D] aux dépens de l’instance lesquels seront distraits au profit des avocats en ayant fait la demande conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Statuant de nouveau sur les chefs de jugement infirmés,
Déboute Mme [W] [L] de sa demande tendant à juger que Mme [K] [N] épouse [D] a commis un recel successoral et de toutes ses prétentions en découlant,
Condamne Mme [W] [L] aux dépens de première instance qui pourront être recouvrés directement par Me Garnier, avocat,
Dit n’y avoir lieu d’appliquer les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en première instance,
Le confirme pour le surplus,
Y ajoutant,
Condamne Mme [W] [L] aux dépens d’appel avec possibilité de recouvrement direct au profit de la SCP Cohen Guedj Montero Daval-Guedj,
Condamne Mme [W] [L] à verser à Mme [K] [N] épouse [D] et Mme [T] [B] veuve [N] la somme globale de 3.000 euros au titre de l’article 700 en cause d’appel,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
Signé par Madame Michèle Jaillet, présidente, et par Madame Fabienne Nieto, greffière, auxquelles la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
la greffière la présidente