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ARRÊT N°
BUL/SMG
COUR D’APPEL DE BESANÇON
ARRÊT DU 23 MAI 2023
CHAMBRE SOCIALE
Audience publique
du 14 mars 2023
N° de rôle : N° RG 22/00252 – N° Portalis DBVG-V-B7G-EPHJ
S/appel d’une décision
du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BESANCON
en date du 12 janvier 2022
Code affaire : 80P
Demande de paiement de créances salariales sans contestation du motif de la rupture du contrat de travail
APPELANT
Monsieur [I] [C], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Ludovic PAUTHIER, Postulant, avocat au barreau de BESANCON absent et substitué par Me Robert DUMONT, Postulant, avocat au barreau de BESANCON présent et par Me Floriane PETITJEAN, Plaidante, avocat au barreau de BESANCON, présente
INTIMEES
S.A.S. ARMIDE GROUPE TENOR, sise [Adresse 2]
représentée par Me Stéphane SOL, avocat au barreau de PARIS, présent
S.A. SOCIETE NOUVELLE ORDICARS, sise [Adresse 3]
représentée par Me Stéphane SOL, avocat au barreau de PARIS, présent
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats du 14 Mars 2023 :
Monsieur Christophe ESTEVE, Président de Chambre
Madame Bénédicte UGUEN-LAITHIER, Conseiller
Mme Florence DOMENEGO, Conseiller
qui en ont délibéré,
Mme MERSON GREDLER, Greffière lors des débats
Les parties ont été avisées de ce que l’arrêt sera rendu le 2 Mai 2023 par mise à disposition au greffe. A cette date la mise à disposition de l’arrêt a été prorogé au 9 mai 2023 puis au 23 mai 2023.
**************
FAITS ET PROCEDURE
M. [I] [C] a été engagé par la société ALIZEE INFORMATIQUE, suivant contrat de travail à durée indéterminée du 15 février 2015, en qualité de responsable commercial, statut cadre et ce, à compter du 24 février 2015.
En juillet 2017, suite à une fusion absorption entre la société MEDIAGRAPHIE et la société ALIZEE INFORMATIQUE, le contrat de travail a été poursuivi par la société ARMIDE (GROUPE TENOR).
Aux termes d’un contrat de travail du 2 janvier 2018, M. [I] [C] a été embauché, en lieu et place de la société ARMIDE (GROUPE TENOR) par la société SOCIETE NOUVELLE ORDICARS (SNO), en qualité de responsable compte client, statut cadre.
M. [I] [C] a fait l’objet d’un licenciement notifié par lettre du 12 avril 2019.
Estimant qu’il a, dès janvier 2016, cumulativement à son activité chez son employeur initial, piloté l’activité commerciale de la Société SNO sans que ces interventions n’aient fait l’objet d’une convention de mise à disposition et d’un contrat de travail antérieurement au contrat du 2 janvier 2018, M. [I] [C] a, par requête du 6 avril 2020, saisi le conseil de prud’hommes de Besançon afin de solliciter diverses sommes à titre de rappels de salaire et indemnités, en partie sous la condamnation solidaire de ses deux employeurs successifs.
Par jugement du 12 janvier 2022, ce conseil l’a débouté de ses entières demandes et condamné aux dépens, en rejetant la demande d’indemnité de procédure formée par les défenderesses.
Par déclaration du 11 février 2022, M. [I] [C] a relevé appel de cette décision et selon dernières conclusions du 11 mai 2022, demande à la cour de :
– infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré
I- Sur le rappel de commissions
A titre principal :
– condamner solidairement la société ARMIDE (Groupe TENOR) et la société SNO à lui verser les sommes de 22 774,50 € bruts au titre des rappels de salaire, 2 774,50 € bruts au titre des congés payés et 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect du versement de la rémunération variable et exécution déloyale du contrat de travail
A titre subsidiaire :
– condamner la société ARMIDE (Groupe TENOR) à lui verser les mêmes sommes
A titre infiniment subsidiaire :
– condamner la société ARMIDE (Groupe TENOR) à lui verser la sommes de 30 714 € à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé et à défaut, s’il était débouté de sa demande de rappels de salaires au titre des heures supplémentaires, la condamner à lui verser la somme de 23 837 € à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé
II – Sur le rappel d’heures supplémentaires :
– condamner la société ARMIDE (Groupe TENOR) à lui verser les sommes de 12 513,38 € bruts au titre des heures supplémentaires pour l’année 2017, 1 251,33 € bruts au titre des congés payés afférents et 2 711,18 € à titre de dommages-intérêts pour non-respect de la contrepartie obligatoire en repos
III- Sur le travail dissimulé en lien avec les heures supplémentaires :
– condamner la société ARMIDE (Groupe TENOR) à lui verser la somme de 30 714 € à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé en tenant compte dans le salaire de la référence des rappels de salaire au titre des commissions de 2017 et, à défaut, s’il était débouté de sa demande de rappels de salaires au titre des commissions de 2017, la condamner à lui verser la somme de 43 488 € à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé
En tout état de cause :
– condamner la société ARMIDE (Groupe TENOR) à lui payer la somme de 5 000 € à titre de préjudice moral pour atteinte à la vie privée et 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile en sus des dépens
Par conclusions du 5 juillet 2022, la société ARMIDE (Groupe TENOR) et la société SNO demandent à la cour de :
– dire irrecevable l’intervention forcée de la société SNO et la mettre hors de cause
– dire M. [I] [C] irrecevable et subsidiairement mal fondé en l’ensemble de ses demandes
En toute hypothèse,
– confirmer la décision entreprise et débouter M. [I] [C] de l’intégralité de ses demandes
– le condamner au paiement d’une indemnité de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens
Pour l’exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux dernières conclusions précédemment visées en application de l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 2 février 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
I- Sur la recevabilité de la mise en cause de la société SNO
Les intimées soulèvent l’irrégularité de la mise en cause de la société SNO devant la juridiction prud’homale, au motif qu’elle n’aurait pas été convoquée par requête distincte ni bénéficié du préalable d’ordre public de la conciliation.
Elles estiment par conséquent cette intervention forcée irrecevable et sollicitent la mise hors de cause de la société SNO.
M. [I] [C] n’a pas répliqué sur ce moyen.
Il résulte des articles R.1452-1 et 2 du code du travail que la saisine du conseil de prud’hommes prend la forme d’une requête faite, remise ou adressée au greffe du conseil de prud’hommes, qui comporte les mentions prescrites à peine de nullité à l’article 57 du code de procédure civile. En outre, elle contient un exposé sommaire des motifs de la demande et mentionne chacun des chefs de celle-ci. Elle est accompagnée des pièces que le demandeur souhaite invoquer à l’appui de ses prétentions, énumérées sur un bordereau qui lui est annexé.
Au cas présent, s’il est établi que la société SNO a été attraite devant la juridiction prud’homale à la suite d’une demande de convocation adressée au greffe le 18 janvier 2021 émanant du conseil de M. [I] [C], en raison de l’argumentation développée par son contradicteur, la société ARMIDE (GROUPE TENOR), il n’est pas contestable, nonobstant le fait qu’il n’y soit pas fait expressément référence dans le jugement déféré, que la société SNO a été convoquée en qualité de partie intervenante à une audience de tentative de conciliation le 3 mars 2021, ainsi qu’en atteste la pièce n°56 des intimées.
Dans ces conditions, l’exigence d’une tentative de conciliation préalable, qui constitue une formalité substantielle prescrite à peine de nullité, sanction dont les intimées ne sollicitent au demeurant pas le prononcé à hauteur d’appel, a été satisfaite en l’espèce.
En revanche, si conformément aux dispositions de l’article 68 alinéa 2 du code de procédure civile, elle aurait dû prendre la forme soit d’une requête suivie d’une convocation par le greffe par lettre recommandée avec avis de réception soit d’une signification par huissier, il est établi que cette intervention forcée a été sollicitée aux termes d’une lettre recommandée avec avis de réception adressée au greffe en vue de la convocation, qui, si elle précise bien la dénomination et le siège social de l’intervenante forcée, n’indique ni l’exposé sommaire des motifs de la demande ni chacun des chefs de celles-ci pas plus qu’elle ne mentionne les pièces sur lesquelles la demande d’intervention forcée est fondée comme l’exige l’article R.1452-2, qui renvoie à l’article 57 du code de procédure civile.
Pour autant la sanction de nullité prévue par l’article 57 susvisé ne vient sanctionner qu’un vice de forme, de sorte que celui qui s’en prévaut doit, pour obtenir son prononcé, prouver le grief qui lui a été ainsi causé en application de l’article 114 du code de procédure civile.
En l’espèce, si les intimées ne se prévalent pas de la nullité de l’acte de saisine puisqu’elles ont fait le choix procédural d’invoquer l’irrecevabilité de l’intervention forcée, il n’en demeure pas moins que la cour relève que si la ‘requête’ ne contient aucun exposé sommaire des motifs ni des chefs de celle-ci, il n’est pas contestable que la société SNO, dont la proximité juridique avec la société ARMIDE est évidente, dès lors qu’elles ont le même dirigeant, a été en mesure d’apprécier la portée des prétentions formées à son encontre et de se défendre lors de la procédure de conciliation puis devant le bureau de jugement.
Si, enfin, la requête était dépourvue de la mention des pièces que le demandeur souhaitait invoquer à l’appui de ses prétentions, il n’est pas contestable qu’elle a pu en prendre connaissance, et y répondre utilement dans le cours de la procédure.
En conséquence, la cour, ajoutant au jugement, considère qu’en l’absence de grief démontré ni même invoqué par l’intervenante volontaire, la nullité de la requête en intervention forcée n’est pas encourue, de sorte que le moyen tiré de l’irrecevabilité de l’intervention forcée sera écarté.
II- Sur la demande en paiement de commissions sur l’année 2017
M. [I] [C] fait valoir à l’appui de sa demande de condamnation solidaire des deux intimées à lui payer la somme de 22 774,50 euros au titre de commissions non réglées pour l’année 2017, qu’il a, dès janvier 2016, piloté l’activité commerciale de la société SNO cumulativement à ses missions exercées au sein de la société ARMIDE, à la demande de M. [R] [Z], dirigeant de ces deux sociétés.
Il explique en outre que la part variable de sa rémunération a été supprimée sans son accord dès mai 2017 et remplacée par une prime fixe de 1 250 euros au mépris de la prohibition de la modification unilatérale d’éléments essentiels du contrat et qu’il a donc été privé des commissions dues pour les ventes effectuées pour le compte de la société SNO, à la disposition de laquelle il avait été mis, sans convention ni avenant.
Il déduit de la situation ainsi décrite que la part variable prévue à son contrat initial a vocation à s’appliquer à la société SNO, en sorte que sa demande de condamnation solidaire des deux sociétés, moyennant l’application d’une commission de 15% sur les marges de vente réalisées pour la société SNO, est légitime.
Les intimées concluent à la confirmation du jugement querellé sur ce point, invoquant tout d’abord la prescription de la demande formée contre la société SNO comme correspondant à une période antérieure au 3 février 2018 et subsidiairement au rejet de la demande de condamnation solidaire en l’absence de co-emploi démontré.
Elles considèrent en outre cette demande en paiement de commissions, à la supposer non prescrite, mal fondée puisqu’elle est formée contre la société ARMIDE pour des ventes réalisées pour le compte de la société SNO, eu égard à la relativité des contrats, étant précisé que le salarié a perçu des commissions jusqu’en avril 2017 et qu’ensuite la société ARMIDE lui a versé une commission fixe de 1 250 euros, du fait du déclin de son activité commerciale, le remplissant de ses droits à ce titre.
II-1 sur la prescription
En vertu de l’article L.3245-1 du code du travail ‘l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat’.
La date de saisine du conseil des prud’hommes, lorsque celle-ci intervient par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, est celle d’envoi de la lettre (Cass, 19 novembre 2014, n°13-22.360 ; Cass, 5 février 2020, n°18-23.085), soit en l’espèce le 18 janvier 2021, de sorte que le salarié est recevable à agir en paiement de sommes au titre de rappels de salaire à l’encontre la société SNO pour des périodes postérieures au 18 janvier 2018.
Ainsi, sans qu’il soit besoin d’examiner le surplus des moyens et a fortiori le bien fondé de la demande de condamnation solidaire formée par M. [I] [C] à l’encontre de la société SNO, aux côtés de la société ARMIDE (GROUPE TENOR), la cour ne peut, à la suite des premiers juges, que la dire prescrite, dans la mesure où sa demande porte sur le paiement de commissions prétendument dues pour l’année 2017.
De la même manière, dès lors que M. [I] [C] a saisi la juridiction prud’homale, à l’encontre de la société ARMIDE (GROUPE TENOR), suivant requête du 6 avril 2020, c’est à bon droit que les premiers juges ont retenu que le salarié n’est recevable à poursuivre le paiement de commissions que pour la période postérieure au 5 avril 2017, compte tenu de la prescription affectant toute prétention de même nature sur la période antérieure.
Ajoutant au jugement, il sera dit que M. [I] [C] est irrecevable en sa demande à ce titre pour la période antérieure au 6 avril 2017.
II-2 sur le bien fondé de la demande au titre des commissions du 6 avril au 31 décembre 2017 à l’encontre de la société ARMIDE (GROUPE TENOR)
M. [I] [C] fait grief aux premiers juges de l’avoir estimé rempli de ses droits au regard des commissions dont il réclame le paiement à l’encontre de son employeur au motif qu’il a bénéficié à compter de mai 2017 d’une prime fixe de 1 250 euros mensuels pouvant se substituer aux commissions réclamées.
Estimant que le mode de calcul de la rémunération est un élément du contrat de travail non susceptible d’être unilatéralement modifié par l’employeur et nécessite l’accord exprès du salarié, l’appelant soutient être légitime à solliciter l’application des modalités contractuelles de calcul de sa part de rémunération variable, qui n’ont jamais fait l’objet d’une quelconque modification.
C’est ainsi que pour aboutir à une prétention s’élevant à 22 774,50 euros, il explique avoir appliqué le mode de calcul contractuellement fixé, savoir 15% sur les marges de ventes réalisées pour le compte de la société SNO, dans le cadre de sa mise à disposition au cours de l’année 2017.
La société ARMIDE (GROUPE TENOR) estime au contraire que son salarié a été entièrement rempli de ses droits à ce titre, et expose que, compte tenu du déclin de son activité commerciale, ainsi qu’en atteste le montant des commissions versées de janvier à avril 2017 inclus, respectivement de 1 497 euros, 4 137 euros, 1 075 euros et 405 euros, il a été négocié entre les parties la substitution d’une prime fixe de 1 250 euros jusqu’à la fin de l’année 2017 aux lieu et place de la commission variable de 15% dont le versement devenait très aléatoire.
Elle estime donc que, sauf à obtenir un enrichissement sans cause, le salarié ne peut en outre être gratifié d’une commission de 15% sur les ventes qu’il prétend avoir réalisées pour le compte de la société SNO et fait observer surabondamment que les devis qu’il communique à l’appui de sa demande sont inopérants puisqu’ils n’établissent pas la réalisation de ventes par son entremise, seules à même de justifier une commission.
En vertu de l’article 6 de son contrat de travail du 15 février 2015, M. [I] [C] bénéficiait d’une rémunération fixe minimale mensuelle de 2 500 euros brut sur douze mois et d’une rémunération variable correspondant à 15% de la marge générée sur les affaires qu’il signait et sous réserve de l’encaissement effectif de la totalité de la facturation.
La partie intimée justifie par la production des bulletins de salaire correspondants qu’en vertu de ces dispositions conventionnelles, son salarié a perçu sur le premier quadrimestre de 2017 les sommes suivantes à titre de ‘commissions’ :
– janvier : 1 497 euros
– février : 4 137 euros
– mars : 1 075 euros
– avril : 405 euros,
et qu’il lui a été versé de mai à décembre 2017 une somme mensuelle de 1 250 euros à titre de ‘prime exceptionnelle’.
En revanche, si elle fait état dans ses écritures d’une négociation entre elle-même et son salarié ayant abouti à un accord sur une substitution de la part variable de sa rémunération par cette prime exceptionnelle fixe, elle ne communique aucun élément objectif propre à étayer son propos, alors que dans le même temps M. [I] [C] conteste tout modification du contrat dûment acceptée par lui sur ce point.
Le seul constat d’une tendance globalement baissière du montant alloué au titre des commissions sur le premier quadrimestre précité est insuffisant à justifier d’un tel accord, de même que la poursuite du contrat aux nouvelles conditions de rémunération non contestée par le salarié.
Pour autant, il doit être considéré que pour le mois d’avril 2017, l’appelant a été rempli de ses droits à ce titre puisqu’une commission lui a bien été servie, dont il ne remet pas en cause le quantum.
S’agissant de la période écoulée entre mai et décembre 2017, c’est à juste titre que l’appelant fait valoir qu’aucun avenant ou accord dûment signé par les deux parties substitue la prime exceptionnelle aux commissions précédemment allouées comme le soutient l’employeur et que ce dernier ne peut valablement modifier unilatéralement un élément essentiel de la relation contractuelle.
De même, la société ARMIDE (GROUPE TENOR) ne peut sérieusement lui opposer que les devis qu’il communique (pièces 7 à 24) sont établis à l’en-tête de la société SNO et non pas pour son compte dès lors qu’elle a elle-même mis son salarié à la disposition de cette société, sans satisfaire au surplus à son obligation de formaliser un tel prêt de main d’oeuvre.
Enfin, si M.[I] [C] produit 32 devis établis par ses soins pour le compte de la société SNO sur la période considérée pour un montant total ht de 151 119,50 euros, l’intimée ne peut davantage se prévaloir du fait qu’il ne justifie pas de leur facturation effective, dès lors qu’il lui incombait de contredire les éléments de fait ainsi produits par son contradicteur, par ses propres éléments, De nature à établir que ces devis n’avaient pas été convertis en facture, ou répondre à la sommation de communiquer que l’appelant, sans être contredit, indique avoir décerné vainement à son employeur.
Dans ces conditions, la cour considère qu’en l’absence d’éléments contraires, M. [I] [C] apporte la preuve du bien fondé, en son principe, de sa demande en paiement de commissions. Pour autant, il ne peut appliquer le taux de commissionnement au montant global des devis, dès lors que la prime contractuellement fixée s’élève à 15% de la marge réalisée sur les ventes facturées.
En considération de ces éléments, il sera fait droit à la demande de rappel de commissions formée par M. [I] [C] à hauteur de la somme de 5 600 euros, outre 560 euros au titre des congés payés afférents.
Il s’ensuit que le jugement déféré, qui l’a débouté de sa demande sur ce point et sur celle portant sur les congés payés afférents, sera infirmé de ce chef.
III- Sur la demande subsidiaire d’indemnité au titre du travail dissimulé
M. [I] [C] expose qu’il a travaillé pour le compte de la société SNO dès janvier 2016 sans convention de mise à disposition ni avenant à son contrat ni déclaration préalable d’embauche par cette société et en déduit que le travail dissimulé est caractérisé.
Les sociétés intimées réfutent toute dissimulation puisque le salarié a toujours été déclaré chez l’une ou l’autre et soulignent qu’aucune volonté de frauder n’est établie.
Aux termes de l’article L.8221-5 du code du travail, ‘est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;
2° soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales. ‘
En cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire, en application de l’article L 8223-1 du code du travail
Il ressort des productions que M. [I] [C] alors salarié de la société ARMIDE (GROUPE TENOR) a été mis à la disposition de la société SNO à compter de mai 2017 et non de janvier 2016 comme il l’allègue, sans cependant faire l’objet d’une convention de mise à disposition comme l’exigent effectivement les dispositions de l’article L.8243-1 du code du travail invoquées par l’appelant, avant d’être engagé par cette société suivant contrat de travail du 2 janvier 2018 avec reprise intégrale d’ancienneté, ce qui fait dire aux intimées que ce positionnement au sein d’une société dont le gérant était le même, M. [R] [Z], consistait en un ‘tuilage’ au bénéfice de M. [I] [C].
Si l’employeur de l’intéressé n’a pas observé le formalisme exigé par le texte précité préalablement à cette mise à disposition ou prêt de main d’oeuvre, il n’en demeure pas moins que M. [I] [C], toujours salarié de la société ARMIDE (GROUPE TENOR), disposait de bulletins de salaire, avait fait l’objet d’une déclaration préalable à l’embauche et était déclaré aux organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales, la mise à disposition n’exigeant aucune déclaration préalable par l’entreprise bénéficiaire.
Il suit de là que le dispositif ainsi décrit exclut toute dissimulation d’emploi, de sorte que le jugement querellé sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de dommages-intérêts formée par M. [I] [C] sur ce fondement.
IV – Sur les heures supplémentaires pour le compte de la société ARMIDE et le travail dissimulé correspondant
M. [I] [C] estime présenter des éléments suffisamment précis quant aux heures supplémentaires accomplies à compter du 6 avril 2017 (hors prescription) et soutient que sa qualité de cadre et son autonomie d’organisation ne dispensaient pas l’employeur de contrôler sa durée de travail.
A l’appui de sa demande il verse aux débats un tableau correspondant aux heures supplémentaires qu’il dit avoir effectuées sans être rémunéré à ce titre, qu’il estime à 35 heures hebdomadaires.
La société ARMIDE (GROUPE TENOR) soutient n’avoir jamais demandé à son salarié d’effectuer des heures supplémentaires, que ce dernier n’en a jamais évoqué l’existence et que le tableau produit l’est pour les besoins de la cause.
Elle ajoute que le salarié entretenait le plus grand flou sur son activité, dont il établissait des rapports incomplets ou erronés, et occupait une partie de son temps à résoudre des problèmes familiaux comme en attestent les courriels communiqués.
Selon l’article L.3121-28 du code du travail, toute heure accomplie au delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent.
Il est de jurisprudence constante que le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l’accord de l’employeur, soit s’il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées et que l’absence de revendications préalables portant sur le paiement d’heures supplémentaires par le salarié ne lui interdit pas d’en revendiquer ultérieurement le paiement dans la limite des délais de la prescription.
Aux termes de l’article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence et au nombre d’heures effectuées, l’employeur doit fournir au juge des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toute mesure d’instruction qu’il estime utile.
En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient donc au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
M. [I] [C] produit (pièce 25) un tableau récapitulant ses horaires journaliers et les heures supplémentaires qu’il allègue avoir accomplis de la semaine 7 à la semaine 39 de l’année 2017, soit 290,5 heures au total mais seulement 206 heures pour la période non atteinte par la prescription, lequel constitue un élément suffisamment précis, permettant à l’employeur d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments (Soc. 8 juillet 2020, n°18-26385).
Il incombe dans ces conditions à l’employeur de démontrer que les horaires effectués par son salarié n’étaient pas ceux qu’il allègue sur la période concernée et qu’aucune heure supplémentaire ne doit lui être rémunérée, ainsi qu’il le soutient, étant observé qu’aucune heure supplémentaire n’apparaît sur les bulletins de salaire des mois correspondants, soit avril à septembre 2017, versés aux débats.
Or, la société ARMIDE (GROUPE TENOR) s’abstient néanmoins de justifier des heures réellement effectuées par celui-ci, et ne peut tirer prétexte de l’imprécision des rapports hebdomadaires d’activité transmis par son salarié, quand bien même elle l’aurait à plusieurs reprises invité à corriger sa façon de procéder à ce titre.
De même, la relative autonomie de son salarié dans l’organisation de son travail ne la dispensait pas de contrôler ses horaires de travail.
La cour relève en tout état de cause de la comparaison entre le tableau produit en pièce n°25 par l’appelant et les rapports d’activité communiqués par la partie adverse, aucune incohérence flagrante susceptible de mettre en doute la valeur dudit tableau.
Enfin, si l’employeur tire argument des échanges électroniques entretenus de façon certes soutenue avec une dénommée [B] [N] qu’il communique en pièces n°20 à 53 correspondant pour partie seulement à la période concernée par les heures supplémentaires invoquées, que l’appelant passait énormément d’heures sur son temps de travail à résoudre des difficultés d’ordre purement personnel, ce fait, certes objectif ne peut être pris en compte que de façon marginale.
Il résulte en conséquence des développements qui précèdent que la cour dispose des éléments suffisants pour allouer à l’intéressé, sur la base d’un taux horaire de 16,4832 euros majoré de 25%, la somme de 4 100 euros en paiement des heures supplémentaires effectuées de février à septembre 2017 inclus, outre 410 euros au titre des congés payés afférents.
Dans ces conditions, c’est à tort que les premiers juges ont rejeté purement et simplement la demande de M. [I] [C] au titre des heures supplémentaires et congés payés afférents et le jugement querellé sera donc infirmé de ce chef.
En revanche, il ne résulte pas des productions que les heures supplémentaires effectuées par le salarié ont excédé le contingent d’heures supplémentaires ouvrant droit à une contrepartie obligatoire en repos. Sur ce point le jugement querellé sera donc confirmé en ce qu’il a débouté M. [I] [C].
S’agissant enfin de la demande de l’appelant correspondant à six mois de salaire correspondant à l’indemnité pour travail dissimulé prévu à l’article L.8223-1 du code du travail, il doit être rappelé que la dissimulation d’emploi salarié prévue par ce textes n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle et que cette intention ne peut se déduire de la seule omission de mentionner les heures supplémentaires sur les bulletins de salaire et de les payer.
L’appelant échouant à caractériser le caractère intentionnel imputable à la société ARMIDE (GROUPE TENOR), le jugement déféré ne peut qu’être confirmé en ce qu’il a rejeté cette prétention.
V – Sur l’atteinte à la vie privée
M. [I] [C] déplore que son employeur ait détaillé le contenu de ses correspondances privées de 2015 à 2018 pour tenter de s’opposer à la réalité d’heures supplémentaires sollicitées uniquement sur l’année 2017 et invoque avoir subi un préjudice distinct à ce titre.
La société ARMIDE (GROUPE TENOR) rappelle qu’aucune mention ne signalait le caractère privé des correspondances et que la proportion (20% de l’ensemble de ses courriels) et leur nombre justifiaient qu’ils soient produits pour s’opposer à la demande au titre des heures supplémentaires afin d’en atténuer l’ampleur invoquée.
La cour relève en effet que l’employeur n’est pas formellement contesté lorsqu’il affirme que lesdits échanges via sa boîte électronique professionnelle n’étaient pas identifiés comme étant des échanges de nature personnelle, ce que confirme la lecture de ceux-ci, de sorte qu’il ne peut lui être fait grief d’y avoir eu accès.
En outre, il est admis que le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit nécessaire à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi (Soc. 9 novembre 2016, pourvoi n° 15-10.203).
Il incombe alors au juge d’apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. Dans ces conditions, il est retenu que l’illicéité du moyen de preuve ne justifie pas nécessairement qu’il soit écarté des débats (Soc 25 novembre 2020 n°17-19523).
Au cas présent les pièces litigieuses sont pour l’employeur de nature à établir que M. [I] [C] procédait sur son temps de travail à des échanges privés soutenus avec transmission de pièces jointes. Dans ces conditions, la production de ces éléments communiqués en défense à l’effet de s’opposer à la demande adverse relative au paiement d’heures supplémentaires pour un total de l’ordre de 12 513 euros, hors congés payés, apparaît proportionnée au but poursuivi.
En outre, leur usage et leur publicité, circonscrits au présent litige, s’avèrent particulièrement limité, comme l’ont retenu pertinemment les premiers juges, de sorte que le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande indemnitaire sur ce fondement.
VI – Sur les demandes accessoires
Il résulte des développements qui précèdent que M. [I] [C] échoue à administrer la preuve d’une exécution déloyale du contrat de travail à son détriment, quand bien même sa mise à disposition présenterait une irrégularité formelle en ce qu’elle n’a pas été formalisée par un avenant ou une convention de mise à disposition. Sa demande de dommages-intérêts à hauteur de 5 000 euros, formée pour la première fois devant la cour, doit être écartée.
Le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens.
L’issue du présent litige commande de débouter les intimées de leur demande d’indemnité de procédure et de condamner la société ARMIDE (GROUPE TENOR) à verser à M. [I] [C] la somme de 2 500 euros en vertu de l’article 700 du code de procédure civile.
Les dépens de première instance et d’appel seront mis à la charge de la société ARMIDE (GROUPE TENOR).
PAR CES MOTIFS
La cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
ECARTE le moyen tiré de l’irrecevabilité de l’intervention forcée de la SA SOCIETE NOUVELLE ORDICARS.
CONFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu’il rejette la demande en paiement d’heures supplémentaires et congés payés afférents, la demande de rappel de commissions et congés payés afférents et statue sur les frais irrépétibles et dépens.
L’INFIRME de ces chefs, statuant à nouveau et y ajoutant,
DIT M. [I] [C] irrecevable en ses demandes en paiement pour la période antérieure au 6 avril 2017 à l’encontre de la SAS ARMIDE (GROUPE TENOR).
CONDAMNE la SAS ARMIDE (GROUPE TENOR) à payer à M. [I] [C] la somme de 4 100 euros au titre des heures supplémentaires effectuées de février à septembre 2017, outre 410 euros au titre des congés payés afférents.
CONDAMNE la SAS ARMIDE (GROUPE TENOR) à payer à M. [I] [C] la somme de 5 600 euros au titre du rappel de commissions sur la période de mai à décembre 2017, outre celle de 560 euros au titre des congés payés afférents.
REJETTE la demande de dommages-intérêts au titre de l’exécution déloyale du contrat.
DEBOUTE la SAS ARMIDE (GROUPE TENOR) et la SA SOCIETE NOUVELLE ORDICARS de leur demande au titre des frais irrépétibles.
CONDAMNE la SAS ARMIDE (GROUPE TENOR) à payer à M. [I] [C] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
CONDAMNE la SAS ARMIDE (GROUPE TENOR) aux dépens de première instance et d’appel.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le vingt-trois mai deux mille vingt trois et signé par Christophe ESTEVE, Président de chambre, et Mme MERSON GREDLER, Greffière.
LA GREFFIÈRE, LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE,