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AFFAIRE : N° RG 21/00892
N° Portalis DBVC-V-B7F-GW7F
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Pôle social du Tribunal Judiciaire de CAEN en date du 09 Mars 2021 – RG n° 19/01192
COUR D’APPEL DE CAEN
2ème chambre sociale
ARRÊT DU 25 MAI 2023
APPELANTE :
[3] venant aux droits de la SA [10]
[Adresse 6]
[Adresse 6]
Représentée par Me Bruno FIESCHI, avocat au barreau de PARIS
INTIMES :
FONDS D’INDEMNISATION DES VICTIMES DE L’AMIANTE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Me Emmanuel GALISTIN, substitué par Me CHABOUNI, avocats au barreau de PARIS
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DU CALVADOS
[Adresse 2]
[Adresse 5]
Représentée par M. [E], mandaté
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme CHAUX, Président de chambre,
M. LE BOURVELLEC, Conseiller,
M. GANCE, Conseiller,
DEBATS : A l’audience publique du 16 mars 2023
GREFFIER : Mme GOULARD
ARRÊT prononcé publiquement le 25 mai 2023 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier
La cour statue sur l’appel régulièrement interjeté par la société [3] d’un jugement rendu le 9 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Caen dans un litige l’opposant au fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (Fiva) et à la caisse primaire d’assurance maladie du Calvados (la caisse).
FAITS et PROCEDURE
M. [B] [R] a été salarié de la société [7] ([7]) devenue [11], puis [10], aux droits de laquelle vient la société [3], en qualité de :
– aide mécanicien du 1er septembre 1958 au 24 août 1961
– mécanicien du 5 octobre 1961 au 21 novembre 1984
– ajusteur du 12 décembre 1984 au 31 mai 1993.
Il a été placé en congé longue durée à compter du 1er juin 1993, puis en cessation anticipée d’activité à compter du 11 décembre 1996.
M. [R] a établi une déclaration de maladie professionnelle le 30 avril 2017 au titre d’un ‘Carcinome bronchique tableau 30 bis’.
Le certificat médical initial du 3 avril 2017 indique que M. [R] est atteint d’une maladie relevant du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles.
Par décision du 6 octobre 2017, la caisse a pris en charge cette maladie au titre de la législation professionnelle.
Selon décision du 16 novembre 2017, la caisse a alloué à M. [R] une rente annuelle d’un montant de 30 886,93 euros.
M. [R] est décédé le 19 juillet 2018, laissant pour lui succéder son épouse [M] [H] et ses deux enfants, [U] [R] et [A] [R].
Par décision du 12 septembre 2018, la caisse a reconnu l’imputabilité du décès de M. [R] à la maladie professionnelle déclarée le 30 avril 2017.
Aux termes d’une décision du 14 septembre 2018, la caisse a alloué à la veuve de M. [R] une rente annuelle de 18717,48 euros, en sa qualité de conjoint survivant.
Les ayants-droit de M. [R] ont saisi le Fiva aux fins d’indemnisation des préjudices subis par M. [B] [R] et de leurs propres préjudices.
Le Fiva a formulé les offres suivantes qui ont été acceptées par les ayants-droit ([A] [R] et [M] [H]) le 26 novembre 2018 :
– préjudices subis par M. [B] [R] :
* souffrances morales : 47 100 euros
* souffrances physiques : 15 200 euros
* préjudice d’agrément : 15 200 euros
total : 77 500 euros
– préjudices moraux et d’accompagnement des ayants-droit :
* [M] [R] : 32 600 euros
* [A] [C] : 8 700 euros
total : 41 300 euros.
Selon courrier du 19 septembre 2019, le Fiva a saisi la caisse aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de la société [3].
Par courrier expédié le 15 novembre 2019, le Fiva a saisi le tribunal judiciaire de Caen afin de faire reconnaître la faute inexcusable de l’employeur, la société [3] venant aux droits de la société [10], elle-même venant aux droits de la société [11], elle-même venant aux droits de la [7].
Selon jugement du 9 mars 2021, le tribunal judiciaire de Caen a :
– débouté la société [3] de sa fin de non-recevoir
– déclaré recevable l’action du Fiva
– dit que la prise en charge de la maladie professionnelle du 3 avril 2017 de M. [B] [R] décidée par la caisse le 6 octobre 2017 au titre de la pathologie du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles est justifiée
– dit que cette maladie professionnelle a pour cause la faute inexcusable de la société [3]
– alloué à la succession de M. [R] l’indemnité forfaitaire prévue à l’article L. 452-3 alinéa 1er du code de la sécurité sociale, soit 18 336, 64 euros à payer par la caisse
– fixé au maximum légal la majoration de la rente allouée au conjoint survivant de M. [R]
– dit que cette majoration devra être versée par la caisse à Mme [M] [R]
– débouté le Fiva de sa demande de fixation d’un préjudice d’agrément
– fixé à 25 000 euros le préjudice moral et à 13 000 euros les souffrances physiques de M. [R]
– fixé le préjudice moral des ayants-droit de M. [B] [R] à 30 000 euros pour [M] [R] et 8000 euros pour [A] [R]
– dit que la caisse devra rembourser au Fiva la somme de 76 000 euros au titre des préjudices extra patrimoniaux de M. [B] [R] et de ses ayants-droit
– dit que la société [3] sera tenue envers la caisse du remboursement des préjudices réparés en application de l’article L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale
– rappelé que la fermeture de l’établissement de la [9] ayant appartenu à la société [3] ne permet pas d’impacter son taux de cotisation AT/MP
– condamné la société [3] à payer au Fiva la somme de 300 euros au titre de l’article 700 du code de la sécurité sociale.
Par déclaration expédiée le 25 mars 2021, la société [3] a formé appel de ce jugement.
Aux termes de ses conclusions reçues au greffe le 27 décembre 2021 soutenues oralement à l’audience, la société [3] demande à la cour de :
à titre principal,
– dire le Fiva irrecevable comme prescrit
– dire que la preuve de la maladie désignée au tableau n° 30 bis n’est pas établie
– dire que le Fiva ne rapporte pas la preuve du caractère professionnel de la maladie en l’absence de caractérisation de la condition tenant à la liste limitative des travaux prévus au tableau n° 30 bis
– subsidiairement, désigner un CRRMP pour avis sur l’origine professionnelle ou non de la maladie de M. [R]
– dire que la preuve de la faute inexcusable de la société [3] n’est pas rapportée par le Fiva
en conséquence,
– débouter le Fiva de son action et de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions
subsidiairement,
– débouter le Fiva de ses demandes en indemnisation des souffrances physiques et morales de M. [R]
– ramener à de plus justes proportions les indemnisations allouées par le Fiva
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté le Fiva de sa demande au titre du préjudice d’agrément
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rappelé que la fermeture de l’établissement de la [9] ayant appartenu à la société [3] ne permet pas d’impacter son taux de cotisation AT/MP
– dire qu’en l’état de la fermeture du site de [Localité 8], seuls les préjudices complémentaires pourront être récupérés par la caisse en application des dispositions de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale
– débouter la caisse pour le surplus de ses demandes
en tous les cas,
– condamner toute partie succombante à payer à la société [3] la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Suivant conclusions reçues au greffe le 6 septembre 2022 soutenues oralement à l’audience, le Fiva demande à la cour de :
– déclarer l’appel recevable, mais mal fondé
– confirmer le jugement entrepris
y ajoutant,
– condamner la société [3] à payer au Fiva la somme de 2000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile
– condamner la partie succombante aux dépens.
Aux termes de conclusions déposées et soutenues oralement à l’audience, la caisse demande à la cour de :
– confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et notamment en ce qu’il a fait droit à son action récursoire au titre de l’article L. 453-1 du code de la sécurité sociale
si le jugement devait être infirmé,
– la caisse s’en rapporte à justice tant sur la prescription que sur la reconnaissance de la faute inexcusable
– lui accorder le bénéfice de l’action récursoire pour l’ensemble des sommes qui viendraient à être avancées par la caisse, si une telle faute venait à être reconnue à l’encontre de la société [3].
Pour l’exposé complet des moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé à leurs écritures conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
A titre liminaire, il convient de rappeler que conformément à l’article 53-VI de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000, le Fiva ‘est subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède le demandeur contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes ou organismes tenus à un titre quelconque d’en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge desdites personnes. (..) La reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, à l’occasion de l’action à laquelle le fonds est partie, ouvre droit à la majoration des indemnités versées à la victime ou à ses ayants droit en application de la législation de sécurité sociale. L’indemnisation à la charge du fonds est alors révisée en conséquence. ‘
Il en résulte que le Fiva est régulièrement subrogé dans les droits des ayants-droit de M. [B] [R] pour exercer l’action en reconnaissance de la faute inexcusable à l’encontre de son employeur et voir fixer le montant des préjudices consécutifs indemnisables devant la juridiction de sécurité sociale dans la limite des sommes versées. En outre, le Fiva est recevable à solliciter l’allocation de l’indemnité forfaitaire prévue à l’article L. 452-3 au profit de la succession de M. [R] ainsi que la majoration de la rente du conjoint survivant.
I / Sur la prescription de l’action aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable
Il résulte des dispositions des articles L. 431-2, L. 461-1 et L. 461-5 du code de la sécurité sociale que l’action du salarié aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur se prescrit par deux ans à compter, soit de la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et son activité professionnelle, soit de la cessation du travail en raison de la maladie constatée, soit de la cessation du paiement des indemnités journalières, soit encore de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie.
La date la plus favorable à la victime doit être retenue.
En outre, l’action en reconnaissance de la faute inexcusable a pour effet d’interrompre la prescription à l’égard de toute autre action procédant du même fait dommageable.
Enfin, la requête du Fiva subrogé dans les droits de la victime ou de ses ayants-droit, adressée à la caisse, tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable équivaut à la demande en justice visée à l’article 2241 du code civil et interrompt la prescription biennale. Le délai de prescription est suspendu tant que l’organisme social n’a pas fait connaître au Fiva le résultat de la tentative de la conciliation. Un nouveau délai de deux ans commence à courir à compter de la notification de ce résultat.
En l’espèce, la société [3] soutient que l’action du Fiva est irrecevable comme étant prescrite.
La date de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de M. [B] [R] doit être fixée au 6 octobre 2017, puisque c’est à cette date que la caisse a rendu sa décision de prise en charge de la maladie déclarée le 30 avril 2017 au titre de la législation professionnelle.
Il est démontré que le Fiva subrogé dans les droits des ayants-droits, a saisi la caisse aux fins de tentative de conciliation afin de faire reconnaître la faute inexcusable par courrier du 19 septembre 2019.
On ignore la date d’expédition de ce courrier, mais il est établi qu’il a été reçu par la caisse le 23 septembre 2019 (date à laquelle l’accusé de réception a été signé). La date d’expédition est nécessairement comprise entre le 19 et le 23 septembre 2019.
La saisine de la caisse aux fins de tentative de conciliation afin de voir reconnaître la faute inexcusable de la société [3], est intervenue moins de deux ans après la date à laquelle le caractère professionnel de la maladie déclarée par M. [R] le 30 avril 2017, a été reconnue.
Cette saisine de la caisse a valablement interrompu le délai de prescription biennale comme le prétend le Fiva, peu importe que la procédure de conciliation n’ait eu aucune suite.
Le Fiva a saisi le tribunal judiciaire aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de la société [3] par courrier expédié le 15 novembre 2019, soit avant que le nouveau délai de prescription biennale ne soit expiré.
L’action du Fiva aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de la société [3] est donc recevable au regard de la prescription.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
II / Sur le caractère professionnel de la maladie de M. [R]
Compte tenu de l’indépendance des rapports entre la caisse et l’assuré d’une part, et l’employeur et l’assuré d’autre part, il est admis que l’employeur peut, en défense à l’action en reconnaissance de la faute inexcusable initiée par le salarié ou l’organisme subrogé, contester le caractère professionnel de la maladie.
L’article L 461-1 du code de la sécurité sociale dispose que :
‘Les dispositions du présent livre sont applicables aux maladies d’origine professionnelle sous réserve des dispositions du présent titre. En ce qui concerne les maladies professionnelles, la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle est assimilée à la date de l’accident.’
(…)
‘Est présumée d’origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau des maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées dans ce tableau.
Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée de l’exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu’elle est désignée dans un tableau de maladie professionnelle peut être reconnue d’origine professionnelle lorsqu’il est établi qu’elle est directement causée par le travail habituel de la victime.
Peut être également reconnue d’origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu’il est établi qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu’elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d’un taux évalué dans les conditions de l’article L 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé.
Dans les cas mentionnés aux deux alinéas précédents, la caisse primaire reconnaît l’origine professionnelle de la maladie après avis motivé d’un comité régional de reconnaissance de maladie professionnelle. ‘
Le tableau n° 30 bis des maladies professionnelles vise le ‘cancer broncho-pulmonaire primitif’. Le délai de prise en charge est de 40 ans, sous réserve d’une durée d’exposition de 10 ans. Enfin, ce tableau prévoit une liste limitative de travaux susceptibles de provoquer la maladie.
En l’espèce, M. [R] a établi une déclaration de maladie professionnelle le 30 avril 2017 au titre d’un ‘Carcinome bronchique tableau 30 bis’.
Considérant que les conditions du tableau n° 30 bis étaient remplies, y compris celle relative à la liste limitative des travaux, la caisse a pris en charge cette maladie au titre de la législation professionnelle.
En premier lieu, le certificat médical initial mentionne que M. [R] était atteint de la maladie mentionnée au tableau n° 30 bis des maladies professionnelles.
Ce tableau ne comporte qu’une seule maladie, le carcinome broncho-pulmonaire.
Le docteur [J] qui a rédigé le certificat médical initial a pour spécialité : ‘les maladies et allergies des voies respiratoires’.
Ainsi, lorsqu’il affirme dans le certificat médical du 3 avril 2017 que M. [R] est atteint de la maladie mentionnée au tableau n° 30 bis, il vise nécessairement le cancer broncho-pulmonaire primitif.
Contrairement à ce qu’affirme la société [3], la condition tenant à la désignation de la maladie prévue au tableau n° 30 bis est remplie.
En deuxième lieu, la liste limitative des travaux susceptibles de provoquer la maladie du tableau n° 30 bis est la suivante :
‘Travaux directement associés à la production des matériaux contenant de l’amiante.
Travaux nécessitant l’utilisation d’amiante en vrac.
Travaux d’isolation utilisant des matériaux contenant de l’amiante.
Travaux de retrait d’amiante.
Travaux de pose et de dépose de matériaux isolants à base d’amiante.
Travaux de construction et de réparation navale.
Travaux d’usinage, de découpe et de ponçage de matériaux contenant de l’amiante.
Fabrication de matériels de friction contenant de l’amiante.
Travaux d’entretien ou de maintenance effectués sur des équipements contenant des matériaux à base d’amiante.’
Le Fiva indique que la [7], qui avait pour activité la production d’acier, utilisait massivement de l’amiante, précisant que ‘l’ensemble des matériels utilisés pour chauffer et refroidir les matières premières et l’acier nécessitait le recours en quantité importante de produits à base d’amiante, compte tenu des remarquables propriétés de ce matériau (isolation thermique, résistance thermique)’.
Le Fiva ajoute qu’en 1999, chaque mois, environ une tonne de produits amiantés était livrée au magasin général d’approvisionnement de l’entreprise, indiquant que ‘toutes les installations de l’entreprise étaient calorifugées avec de l’amiante’.
Il conclut qu’il ‘est incontestable que les ouvriers de la société [7] ont travaillé dans des conditions de forte exposition à l’amiante, sans aucune protection quelconque tant individuelle que collective’.
Dans le cadre de l’enquête de la caisse, M. [R] a précisé qu’il avait pour mission de remettre en état des appareils extracteurs de gaz, et que dans ce cadre, il a absorbé du gaz, de la naphtaline, de l’ammoniaque et du goudron. Il a en outre indiqué qu’il pensait que sa maladie était due aux produits suivants : ‘gaz, amiante, goudron’.
Le Fiva produit trois attestations de collègues de travail de M. [R].
M. [O] [S] affirme avoir travaillé pour la société [7] de 1969 à 1987 au service Laminor.
Il précise qu’il n’a pas travaillé dans le même service que M. [R], mais qu’ils étaient exposés aux mêmes conditions de travail et qu’à ce titre il a été amené à manipuler des plaques d’amiante et de l’amiante en vrac.
M. [X] [K] a travaillé pour la société [11] de 1964 à 1995 comme électromécanicien et agent de maîtrise, comme le démontre le certificat de travail produit.
Il précise avoir travaillé avec M. [R] de 1986 à 1993. Il affirme que M. [R] travaillait ‘comme ouvrier d’entretien au service Four à Coke’ et était amené ‘à manipuler de l’amiante sous toutes ses formes : cordons, plaques, tresse etc..’
M. [Z] a travaillé pour la société [11] de 1958 à 1999, comme chaudronnier, puis agent de maîtrise, comme le démontre le certificat de travail produit.
Il atteste avoir travaillé avec M. [R] de 1961 à 1993 dans l’atelier maintenance. Il indique : ‘dans l’atelier maintenance, on manipulait de l’amiante en plaques pour faire des joints également des cordonnets d’amiante de différents diamètres. Tous les employés de ce secteur étaient à un moment ou un autre contraints d’utiliser ce matériau pour l’exécution de joints. Dés l’instant où on découpait des joints, obligatoirement des poussières volaient dans l’atelier’.
Compte tenu de ces observations et en particulier des trois témoignages précis et circonstanciés des collègues de travail de M. [R], il est établi que dans le cadre de ses fonctions, celui-ci a réalisé entre 1961 et 1993 des travaux de découpe de matériaux contenant de l’amiante ainsi que des travaux d’entretien ou de maintenance effectués sur des équipements contenant des matériaux à base d’amiante.
M. [R] a donc réalisé entre 1961 et 1993 au sein de la société [7] puis [11], des travaux relevant de la liste du tableau n°30 bis.
En troisième lieu, il résulte des observations précédentes que M. [R] a été exposé au risque d’inhalation de poussières d’amiante pendant une période allant de 1961 à 1993, soit pendant plus de 10 ans.
De même, la condition tenant au délai de prise en charge (40 ans) a été respectée, puisque M. [R] a cessé d’être exposé au risque à compter du 1er juin 1993 et que la première constatation médicale de la maladie et sa première prise en charge date du 29 juillet 2016.
Ainsi, il est établi que toutes les conditions prévues au tableau n° 30 bis sont remplies.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a dit que la prise en charge de la maladie du 3 avril 2017 de M. [R], au titre de la législation professionnelle, est justifiée.
III / Sur la faute inexcusable
Le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Il appartient au salarié de justifier que son employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé et démontrer qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
La conscience du danger doit être appréciée objectivement par rapport à la connaissance de ses devoirs et obligations que doit avoir un employeur dans son secteur d’activité.
En l’espèce, le Fiva affirme qu’en plus des maladies comme l’asbestose spécifiquement liée à l’amiante (le mot anglais ‘asbestos’ signifiant amiante en français), la littérature scientifique établit un lien entre le cancer du poumon et l’amiante depuis les années 1950, se référant à une étude de [N] [L] de 1955 reprise en France dans des publications comme La Presse Médicale en 1958 et les Archives d’anatomie en 1962. Il ajoute qu’en 1964, fut organisé à [Localité 4], un congrès international relatif aux risques professionnels liés à l’amiante par la chambre du syndicat de l’amiante.
Par ailleurs, il rappelle que l’ordonnance n° 45-1724 du 2 août 1945 a inscrit au tableau n°25 des maladies professionnelles, la fibrose pulmonaire consécutive à l’inhalation de poussières renfermant de l’amiante.
Le Fiva mentionne aussi que par la suite, le tableau n° 30 des maladies professionnelles consacré à l’asbestose professionnelle fut créé par décret n° 50 -1082 du 31 août 1950.
Il résulte de ces éléments que l’employeur de M. [R] ne pouvait ignorer les risques professionnels (maladies affectant les voies respiratoires en lien avec l’inhalation des poussières d’amiante) auquels étaient exposés les salariés amenés à manipuler l’amiante.
Or, M. [K], qui a travaillé avec M. [R] de 1986 à 1993, affirme que ce dernier manipulait de l’amiante au sein du service d’entretien du Four à Coke, ‘sous toutes ses formes : cordon, plaques, tresse etc.. sans aucune protection (..) pas de masque, pas d’aspiration des poussières dans l’atelier.’
De même, M. [Z], qui a travaillé avec M. [R] de 1961 à 1993 au sein de l’atelier maintenance, atteste que tous les employés de l’atelier étaient à un moment ou un autre contraints d’utiliser de l’amiante pour l’exécution des joints et que lors de la découpe des joints, des poussières volaient dans l’atelier. Il précise : ‘on travaillait cette amiante sans aucune protection respiratoire, la société métallurgique ne nous avait pas informés des danger de l’amiante’.
Compte tenu de ces observations, il est établi que la société [7], puis [11] (aux droits desquelles vient la société [3]) ne pouvaient ignorer le risque auquel M. [R] était exposé au sein de l’atelier maintenance et qu’elles n’ont pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a dit que la maladie professionnelle de M. [R] est due à la faute inexcusable de la société [3] (venant aux droits de [10], elle-même venant aux droits de la société [11], elle-même venant aux droits de la société [7]).
IV/ Sur les conséquences de la reconnaissance de la faute inexcusable
Dans l’hypothèse où la faute inexcusable serait reconnue, ‘subsidiairement sur les conséquences de la faute inexcusable’, la société sollicite le rejet des demandes au titre des souffrances physiques et morales de M. [R] et la réduction des indemnisations allouées par le Fiva.
Elle demande en outre qu’il soit dit qu’en l’état de la fermeture du site de [Localité 8], seuls les préjudices complémentaires pourront être récupérés par la caisse en application de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale et que la caisse soit déboutée du surplus de ses demandes.
En revanche, dans l’hypothèse où la faute inexcusable serait reconnue, aucune des parties ne sollicite l’infirmation du jugement en ce qu’il a :
– alloué à la succession de M. [R] la somme de 18336, 64 euros au titre de l’indemnité forfaitaire prévue à l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale à payer par la caisse
– fixé au maximum légal la majoration de la rente revenant à l’épouse de M. [R]
– dit que cette majoration sera versée par la caisse à Mme [M] [R]
– débouté le Fiva de sa demande de fixation d’un préjudice d’agrément de M. [R]
– rappelé que la fermeture de l’établissement de la [9] ayant appartenu à la société [3] ne permet pas d’impacter son taux de cotisation AT/MP.
Le jugement déféré sera donc confirmé de ces chefs.
1 / Sur la liquidation des préjudices contestés
L’article L 452-3 du code de la sécurité sociale dispose que :
‘Indépendamment de la majoration de rente qu’elle reçoit en vertu de l’article précédent, la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Si la victime est atteinte d’un taux d’incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.
De même, en cas d’accident suivi de mort, les ayants droit de la victime mentionnés aux articles L. 434-7 et suivants ainsi que les ascendants et descendants qui n’ont pas droit à une rente en vertu desdits articles, peuvent demander à l’employeur réparation du préjudice moral devant la juridiction précitée.
La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l’employeur’.
– Sur les souffrances physiques et morales de M. [B] [R]
La société considère que la preuve de souffrances physiques et morales distinctes de celles indemnisées par la rente et sa majoration n’est pas rapportée.
Elle affirme que les souffrances physiques et morales indemnisées par le déficit fonctionnel permanent sont prises en charge par la rente, ce qui oblige à distinguer les souffrances physiques et morales antérieures à la consolidation et celles postérieures à la consolidation qui font partie du déficit fonctionnel permanent et ne sont pas indemnisables au titre de la faute inexcusable.
Il est exact que le déficit fonctionnel permanent indemnise les souffrances physiques et morales après consolidation.
Pour justifier que la rente indemnise le déficit fonctionnel permanent, la société se réfère à différentes décisions de la Cour de cassation.
Cependant, la Cour de cassation a opéré un revirement sur ce point considérant désormais que la rente accident du travail n’indemnise plus le déficit fonctionnel permanent (Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 20-23.673 et pourvoi n° n° 21-23.947)
La rente a en effet pour objet de compenser une perte de revenus et non un préjudice extra patrimonial.
En conséquence, les souffrances physiques et morales de la victime antérieures et postérieures à la consolidation sont indemnisables au titre de la faute inexcusable.
Le Fiva indique que M. [R] a appris qu’il était atteint d’un cancer broncho-pulmonaire le 3 avril 2017 alors qu’il était âgé de 75 ans. Il est décédé des suites de cette maladie le 19 juillet 2017.
Le Fiva rappelle que les chances de survie des personnes atteintes de cancers broncho-pulmonaires cinq ans après le diagnostic, s’élèvent à 45 %.
L’état d’avancement de la maladie de M. [R] n’a pas permis de l’opérer.
Le choc psychologique constitué par l’annonce de la maladie ainsi que les souffrances psychologiques liées à la dégradation progressive de son état de santé, justifient d’évaluer les souffrances morales de M. [R] à la somme de 25 000 euros.
De même, l’atteinte aux fonctions respiratoires et les douleurs consécutives pendant les mois ayant précédé son décès justifient d’évaluer les souffrances physiques de M. [R] à la somme de 13 000 euros.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a fixé le préjudice moral de M. [R] à 25000 euros et son préjudice de souffrances physiques à 13 000 euros.
– Sur le préjudice moral des ayants-droit
Mme [M] [R] née [H] était mariée à [B] [R] depuis 55 ans au moment de l’annonce de sa maladie.
Elle a subi un préjudice d’affection lié au décès de son époux auquel il convient d’ajouter un préjudice de souffrances psychologiques lié à l’accompagnement de celui-ci au cours des mois précédant son décès.
Le préjudice moral de Mme [M] [R] sera évalué à la somme globale de 30 000 euros, le jugement étant confirmé sur ce point.
De même, la fille de M. [B] [R] a subi un préjudice d’affection lié au décès de son père auquel il faut ajouter les souffrances psychologiques afférentes à l’accompagnement de celui-ci au cours des derniers mois de sa vie.
Le préjudice moral de Mme [A] [C] sera évalué à la somme globale de 8000 euros, le jugement étant confirmé sur ce point.
En outre, le jugement sera confirmé en ce qu’il a dit que la caisse devra rembourser au Fiva la somme de 76 000 euros au titre des préjudices extra-patrimoniaux susvisés (soit 25 000 euros + 13 000 euros + 30 000 euros + 8 000 euros).
2 / Sur l’action récursoire de la caisse
La société ne conteste pas le principe de l’action récursoire de la caisse, mais son étendue, soutenant que cette action est limitée aux préjudices visés à l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, à l’exclusion de la majoration de la rente, au motif que le site de [Localité 8] est désormais fermé.
Il est en effet exact que les cotisations d’accident du travail ou de maladies professionnelles sont déterminées par établissement, de sorte qu’en cas de fermeture de l’établissement dans lequel a été contractée la maladie professionnelle due à la faute inexcusable de l’employeur, aucune cotisation complémentaire ne peut être imposée à la société. Ainsi, les dépenses de la caisse primaire d’assurance maladie doivent en ce cas être inscrites au compte spécial.
Il est constant que l’établissement dans lequel M. [R] a contracté sa maladie, c’est à dire le site de [Localité 8], est fermé.
En conséquence, la majoration de la rente doit être exclue de l’action récursoire de la caisse.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il a dit que la société [3] devra rembourser au Fiva les préjudices réparés en application de l’article L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale qui vise les sommes versées en application des articles L. 452-1 à L. 452-3 et donc y compris la majoration de la rente (qui est prévue à l’article L. 452-2).
Statuant à nouveau, il convient donc de dire que :
– la caisse pourra recouvrer à l’encontre de la société [3] au titre de son action récursoire, les sommes dont elle tenue de faire l’avance au titre de la faute inexcusable à l’exclusion de la majoration de la rente
– la majoration de la rente sera inscrite au compte spécial.
V / Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le jugement étant confirmé sur le principal, il sera aussi confirmé sur les dépens et sur les frais irrépétibles.
Succombant, la société sera condamnée aux dépens d’appel et déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.
Enfin, il est équitable de condamner la société à payer au Fiva la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a dit que la société [3] sera tenue envers la caisse primaire d’assurance maladie du Calvados au remboursement de tous les préjudices réparés en application de l’article L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale ;
L’infirme de ce chef;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que la caisse primaire d’assurance maladie du Calvados pourra recouvrer à l’encontre de la société [3] au titre de son action récursoire, les sommes dont elle est tenue de faire l’avance au titre de la faute inexcusable à l’exclusion de la majoration de la rente ;
Dit que la majoration de la rente sera inscrite au compte spécial ;
Condamne la société [3] aux dépens d’appel ;
Condamne la société [3] à payer au fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la société [3] de sa demande au titre des frais irrépétibles.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
E. GOULARD C. CHAUX