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République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 8 SECTION 4
ARRÊT DU 25/05/2023
N° de MINUTE : 23504
N° RG 21/00686 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TNPG
Jugement (N° 51-18-0001) rendu le 15 Décembre 2020 par le Tribunal paritaire des baux ruraux de Calais
APPELANTS
Monsieur [W] [S]
de nationalité Française
[Adresse 12]
[Localité 15]
Comparant, assisté par Me Philippe Meillier, avocat au barreau d’Arras
GAEC [S]
[Adresse 1]
[Localité 15]
Comparante par [W] [S], assisté par Me Philippe Meillier, avocat au barreau d’Arras
INTIMÉS
Monsieur [M] [E] [N]
de nationalité Française
[Adresse 10]
[Localité 4]
Comparant en personne, assisté par Me Jean Chevrollier, avocat au barreau d’Angers substituant Me Sébastien Naudin, avocat au barreau d’Angers
Monsieur [A] [X]
né le 22 Mars 1964 à [Localité 14] (Maroc) – de nationalité Française
[Adresse 11]
[Localité 15]
Madame [O] [R] épouse [X]
née le 21 Janvier 1966 à [Localité 13] – de nationalité Française
[Adresse 11]
[Localité 15]
Représentés par Me Hervé Leclercq, avocat au barreau de Boulogne sur Mer
DÉBATS à l’audience publique du 16 mars 2023 tenue par Véronique Dellelis et Emmanuelle Boutié magistrates chargées d’instruire le dossier qui, après rapport oral de l’affaire, ont entendu les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS :Ismérie Capiez
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Véronique Dellelis, président de chambre
Emmanuelle Boutié, conseiller
Catherine Ménegaire, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 25 mai 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Véronique Dellelis, président et Ismérie Capiez, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
Par acte sous seing privé en date du 22 juillet 2000, M. [C] [N] a donné à bail rural pour une durée de neuf années à M. [W] [S] deux parcelles à usage de pâture situées à [Localité 15] cadastrées AM [Cadastre 6] et AM [Cadastre 7], la parcelle cadastrée AM [Cadastre 6] étant d’une superficie de 1 ha 98 a 60 ca et la parcelle AM [Cadastre 7] étant d’une superficie de 1 ha 54 a 40 ca soit une superficie pour les deux parcelles de 3,53 hectares.
M. [W] [S] a mis ces deux parcelles à la disposition du GAEC [S].
L’accès aux parcelles louées s’effectuait par un chemin depuis la voie publique traversant les parcelles AM [Cadastre 2], AM [Cadastre 8] et AM [Cadastre 9] dont M. [N] était également propriétaire, ce chemin rectiligne donnant accès en fonds de la parcelle AM [Cadastre 8] à la première parcelle à savoir la parcelle AM [Cadastre 7] puis par cette dernière à la parcelle AM [Cadastre 6].
Le 25 février 2012, M. [N] a fait donation à sa fille, Mme [F] [N], des parcelles AM [Cadastre 2], AM [Cadastre 8] et AM [Cadastre 9] comprenant deux maisons d’habitation et un jardin.
Par acte authentique en date du 23 février 2013, M. [A] [X] et Mme [O] [R] épouse [X] ont fait l’acquisition des parcelles AM [Cadastre 2], AM [Cadastre 8] et AM [Cadastre 9].
L’acte d’acquisition, auquel M. [C] [N] est intervenu, comportait une servitude conventionnelle de passage au profit de M. [M] [E] [N] et de son preneur, M. [W] [S], à la charge des acquéreurs, permettant l’accès aux deux parcelles à usage de pâture, servitude conventionnelle pour laquelle il sera revenu ci-après pour ce qui concerne sa rédaction. Il sera simplement précisé à ce stade qu’il était prévu un passage par les parcelles AM [Cadastre 2] et AM [Cadastre 9] pour un accès à la parcelle AM [Cadastre 6] et à partir de cette dernière à la parcelle AM [Cadastre 7].
Par courrier en date du 25 février 2013, M. [C] [N] a informé M. [W] [S] et le GAEC [S] de la vente de la maison, de la poursuite de l’accès aux parcelles AM [Cadastre 6] et AM[Cadastre 7] en passant par les trois parcelles AM[Cadastre 2], AM [Cadastre 9] et AM [Cadastre 8] comme cela était fait jusqu’à présent et ce dès lors que selon lui les époux [X] n’envisageaient pas d’aménager un passage par les seules parcelles AM [Cadastre 2] et AM [Cadastre 9].
Par courrier en date du 3 décembre 2014, M. [M] [E] [N] a écrit aux époux [K] pour s’informer sur la nature des travaux qu’ils envisageaient de réaliser sur la parcelle AM [Cadastre 9] pour coordonner les travaux avec ceux qu’il pouvait faire lui-même sur la parcelle AM [Cadastre 6].
Se plaignant de ce qu’ils ne pouvaient plus avoir accès aux parcelles par le chemin que les époux [X] prétendaient leur imposer et passant par les seules parcelles AM [Cadastre 2] et AM [Cadastre 9], M. [W] [S] et le GAEC [S] ont fait assigner en référé les époux [X] aux fins d’entendre ordonner une mesure d’expertise judiciaire et ordonner aux époux [X] de laisser l’accès aux parcelles par le chemin passant par les parcelles AM [Cadastre 2], AM [Cadastre 9] et AM [Cadastre 8]. Par ordonnance commune à M. [N], le juge des référés du tribunal de grande instance de Boulogne-sur-mer a fait droit à ces demandes.
Par requête en date du 4 janvier 2018, M. [S] et le GAEC [S] ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Calais aux fins de voir :
– condamner M. [N] à leur payer la somme de 13 260 euros à titre de préjudice, (actualisé à 25 245 euros au jour de l’audience) ;
– condamner M. [N] à leur rembourser le coût des constats d’Huissiers, soit une somme globale de 612,13 euros ,
– condamner M. [N] à leur rembourser le coût de l’expertise, soit 2 000 euros,
– leur donner acte qu’ils ressaisiront chaque année le tribunal paritaire d’une demande d’indemnisation du préjudice subi, à défaut d’initiative de M. [N] pour voir assurer la desserte du bien loué,
– condamner M. [N] à leur payer la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par requête en date du 6 décembre 2018, M. [N] a également saisi la juridiction paritaire aux fins d’appeler M. et Mme [X] à le garantir de toutes condamnations pouvant être mises à sa charge et a sollicité la jonction avec l’affaire 51-18-01 pendante devant la juridiction.
La jonction des affaires répertoriées sous les numéros 51-18-0001 et 51-18-0004 a été ordonnée.
Par jugement en date du 15 décembre 2020, jugement auquel il est expressément renvoyé pour un exposé complet de la procédure antérieure au jugement et du dernier état des demandes et moyens des parties, le tribunal paritaire des baux ruraux de Calais a :
– constaté la responsabilité de M. [C] [N] .
– condamné M. [C] [N] à payer à M. [W] [S] et au GAEC [S] une somme de 7 370 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leurs préjudice pour les années 2015 à 2019 incluse, avec intérêt à taux légal à compter de la signification du jugement.
– condamné M. [C] [N] à payer à M. [S] et au GAEC [S] une somme de 1200 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [C] [N] à payer à M. et Mme [X] une somme de 1000 euros en application des dispositions de l’article 700 euros du code de procédure civile,
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
– condamné M. [N] aux dépens de l’instance, à l’exclusion du coût de
l’expertise confiée par le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer à M. [I] par ordonnance en date du 25 mai 2016.
Monsieur [S] et la GAEC [S] ont interjeté appel de la décision, par courrier électronique adressé au secrétariat-greffe le 28 janvier 2021, appel limité aux dispositions du jugement entrepris en ce qu’elles ont limité les dommages et intérêts alloués à la seule somme de 7370 euros et débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires.
Les parties ont été régulièrement convoquées devant cette cour par lettres recommandées avec accusé de réception.
L’affaire a été retenue lors de l’audience du 16 mars 2023.
********
Lors de l’audience, M. [S] et le GAEC [S], comparant assistés par leur conseil, soutiennent les conclusions déposées lors de l’audience et dûment visées par le greffe par lesquelles ils demandent à cette cour de :
Au visa des articles 1719 du code civil et des articles 564 et 887 du code de procédure civile,
-constater le désistement d’instance de M. [W] [S] et du GAEC [S] à l’encontre des époux [X] ;
-déclarer M. [N] irrecevable en ses demandes nouvelles en condamnation de M. [S] au titre des arriérés de fermages ;
-débouter M. [N] de son appel incident ;
-infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a limité le montant des dommages et intérêts mis à la charge de M. [N] au profit de M. [W] [S] et du GAEC [S] à la somme de 7370 euros ;
Statuant à nouveau,
-condamner M. [N] à payer à M. [W] [S] et au GAEC [S] la somme de 41 816 euros en indemnisation du préjudice subi pour les années 2014 à 2022 ;
-confirmer le jugement entrepris pour le surplus ;
-donner acte à M. [N] et au GAEC [S] qu’ils ressaisiront le tribunal paritaire des baux ruraux de Calais chaque année d’une demande d’indemnisation du préjudice subi pour assurer la desserte du bien loué ;
-condamner M. [M] [N] à payer à M. [W] [S] et au GAEC [S] la somme de 4000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure
civile ;
-condamner M. [N] aux dépens de la procédure.
M. [M] [N], comparant assisté de son conseil, soutient les conclusions déposées lors de l’audience et dûment visées par le greffe et par lesquels il demande à cette cour de :
Vu les articles 1719 et 1725 du code civil,
A titre principal,
-infirmer le jugement en date du 15 décembre 2020 en ce qu’il a constaté la responsabilité de M. [N] et l’a condamné à payer des dommages et
intérêts ;
-débouter M. [S] et le GAEC [S] de l’ensemble de leurs demandes ;
A titre subsidiaire,
-constater que le GAEC [S] et M. [S] ne justifient pas de leur préjudice ;
-débouter le GAEC [S] et Monsieur [S] de leurs demandes indemnitaires ;
A défaut,
-condamner M. [N] à payer la somme de 4 025 euros aux demandeurs au titre du manque à gagner à laquelle il convient de retrancher les indemnités perçues par la PAC;
-débouter Monsieur [S] et le GAEC [S] de leur demande d’indemnité au titre du fauchage inutile, ou à tout le moins condamner Monsieur [N] à payer la somme de 3.500 euros ;
-débouter M. [S] et le GAEC [S] de leurs demandes plus amples ou contraires;
Au surplus,
-condamner le GAEC [S] à verser la somme de 5759 euros à M. [N] au titre des fermages impayés et au besoin ordonner la compensation des créances ;
-condamner solidairement M. [S] et le GAEC [S] à verser à M. [N] la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens d’instance.
M. [A] [X] et Mme [O] [R] épouse [X], représentés par leur conseil, soutiennent les conclusions déposées lors de l’audience et dûment visées par le greffe par lesquelles ils demandent à cette cour de :
-constater le désistement d’instance de M. [S] et du GAEC [S] à leur
endroit ;
-constater l’absence de demande contre les époux [X] ;
-constater leur acceptation au titre du désistement d’instance et le déclarer
parfait ;
-condamner solidairement M. [S] et le GAEC [S] aux dépens.
Il est renvoyé aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des moyens des parties en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur le désistement de M. [S] et du GAEC [S] à l’encontre des époux [X]
M. [S] et le GAEC [S] se sont désistés de tout appel à l’encontre des époux [X] et ce dès lors que ces derniers ne peuvent être attraits devant la juridiction paritaire.
Il convient de constater ce désistement.
Sur la demande de dommages et intérêts présentée par M. [S] et le GAEC [S] :
Sur la responsabilité du bailleur :
L’article 1719 du code civil dispose que :
Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière :
1° De délivrer au preneur la chose louée et, s’il s’agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d’habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l’expulsion de l’occupant ;
2° D’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été
louée ;
3° D’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ;
4° D’assurer également la permanence et la qualité des plantations.
M. [S] et le GAEC [S], au profit duquel les terres ont été mises à disposition du preneur, fondent leur action contre M. [N] sur les dispositions précitées et plus précisément sur l’obligation d’assurer au preneur une jouissance paisible et utile des parcelles données à bail. Il s’ensuit, alors que le bail liant les parties ne porte que sur les seules parcelles AM n°[Cadastre 6] et n°[Cadastre 7] que les appelants ne peuvent en tout état de cause solliciter une indemnisation au titre de la privation de la jouissance de la parcelle AM n°[Cadastre 5], qui appartient à la commune de [Localité 15], et ce quand bien même le défaut de possibilité d’accès à ladite parcelle découlerait de l’impossibilité d’accès aux parcelles [Cadastre 6] et [Cadastre 7] et les trois parcelles en cause formeraient ensemble un bloc cultural. En effet, par définition le bailleur n’a pris aucun engagement au titre de ladite parcelle.
M. [S] et le GAEC [S] faisant grief à M. [N] de ne pas tout mettre en oeuvre, en sa qualité de bailleur et de propriétaire du fonds dominant, pour faire respecter la servitude de passage conventionnelle qui assure le désenclavement des parcelles affermées, il y a lieu de rappeler que ladite servitude conventionnelle est ainsi rédigée :
Il a été stipulé dans l’acte de donation-partage ci-après visé, l’ensemble immobilier, objet des présentes est grevé d’une servitude de passage au profit de M. et Mme [N], propriétaire du fonds dominant au profit de M. [W] [S] actuel titulaire d’un bail à ferme sur lesdites parcelles dont copie ci-jointe et littéralement rapportée :
Constitution de servitude :
Fonds dominant
Fonds dominant : AM [Cadastre 6] et AM [Cadastre 7]
Fonds servant :
Fond servant : AM [Cadastre 2] et AM [Cadastre 9]
Les donataires aux présentes restent propriétaires des parcelles litigieuses préalablement données sur la commune de [Localité 15].
Il s’agit des parcelles cadastrées section AM [Cadastre 6] et [Cadastre 7] qui s’accèdent exclusivement par les parcelles AM [Cadastre 2] et [Cadastre 9] objet de la présente donation-partage.
En conséquence, fin de continuer à desservir les parcelles [Cadastre 6] et [Cadastre 7] tant qu’elles ne peuvent être desservies par une autre voie, les soussignés constituent au bénéfice de ces deux parcelles, une servitude de passage à tous usages
Sur l’ensemble de la parcelle AM [Cadastre 2]
Et sur une largeur de 4 mètres le long de la limite Sud de la parcelle AM [Cadastre 9] afin de desservir la parcelle AM [Cadastre 6] puis, depuis cette dernière, la parcelle AM [Cadastre 7].
Il est précisé ici que cette servitude a été créée pour que M. [S] et ses éventuels successeurs puissent accéder aux parcelles section AM n°[Cadastre 6] et [Cadastre 7]. Toutefois, à ce jour, l’aménagement de la limite sud de la parcelle cadastrée section AM n°[Cadastre 9] n’a pas été réalisé pour permettre le passage d’engins agricoles.
M. [S] utilise actuellement le chemin traversant la propriété (y compris la parcelle AM[Cadastre 8])
L’acquéreur reconnaît être informé de cette situation et déclare en faire son affaire personnelle à charge pour lui s’il le désire d’aménager la limite sud de la parcelle section AM n°[Cadastre 9]”.
Il apparaît ainsi que, nonobstant certaines maladresses dans sa rédaction, ladite servitude conventionnelle a pour objet de permettre à M. [S] et ses éventuels successeurs d’avoir accès aux parcelles exploitées par le chemin en ligne droite traversant les parcelles AM [Cadastre 2], AM [Cadastre 8] et AM [Cadastre 9] tant qu’une parcelle d’une largeur de 4 mètres mais permettant effectivement le passage d’engins agricoles en limite de la parcelle AM [Cadastre 9] et une exploitation normale des parcelles en cause n’est pas aménagée.
A cet égard, force est de constater qu’il s’évince des constatations de l’expert [I] qu’un tel aménagement n’existe pas en l’état. L’expertise a ainsi mis en évidence qu’il était impossible d’accéder à la parcelle AM n° [Cadastre 6] par la parcelle AM n°[Cadastre 9] par l’accès que les époux [X] prétendent avoir aménagé, la manoeuvre n’étant pas réalisable avec un tracteur attelé d’une faucheuse ou d’une remorque pour transporter les foins, à savoir dans des conditions normales d’exploitation d’une parcelle agricole.
Il apparaît en outre qu’aucun engin d’un certain poids ne peut entrer dans la parcelle louée à l’endroit où débouche le nouvel accès compte tenu de son humidité une bonne partie de l’année notamment en automne, en fin d’hiver ou au printemps aux moments où doivent être épandus les engrais et les traitements.
Il s’évince enfin de ce rapport que la recherche de la solution permettant un passage adapté par les seules parcelles AM [Cadastre 2] et AM [Cadastre 9] s’est heurtée soit à des impossibilités techniques soit au refus des époux [X].
M. [I] a en conséquence conclu que le seul passage adapté était le passage en ligne droite tel qu’il était initialement exercé, ledit passage passant en AM [Cadastre 2] puis en AM [Cadastre 9] puis en AM [Cadastre 8] pour rejoindre la parcelle AM [Cadastre 7] et par cette dernière à la parcelle AM [Cadastre 6], ce chemin étant parfaitement matérialisé sur les photographies produites aux débats ou jointes aux constats d’huissier.
Ces points ayant été précisés, il appartient à la cour de déterminer si le refus opposé par les époux [X] de permettre l’accès à M. [S] par l’ancien passage rectiligne est de nature à pouvoir entraîner la responsabilité du bailleur des parcelles en cause, bailleur propriétaire du fonds dominant.
Si l’article 1725 du Code civil énonce que le bailleur n’est pas tenu de garantir le preneur du trouble que des tiers apportent par voies de fait à sa jouissance, il résulte des termes de l’article 1727 du même code, que « si ceux qui ont commis les voies de fait, prétendent avoir quelque droit sur la chose louée, ou si le preneur est lui-même cité en justice pour se voir condamner au délaissement de la totalité ou de partie de cette chose, ou à souffrir l’exercice de quelque servitude, il doit appeler le bailleur en garantie, et doit être mis hors d’instance, s’il l’exige, en nommant le bailleur pour lequel il possède ».
Il s’ensuit que la responsabilité du bailleur n’est pas la même selon que le trouble causé par un tiers est le résultat d’une pure voie de fait ou selon que le trouble causé par le tiers correspond également à un trouble de droit avec risque d’éviction.
En l’espèce, il résulte des éléments de la cause que les relations entre M. [S] et les époux [X] se sont dégradées pendant le cours de l’année 2014 en raison de la pose d’un portail verrouillé à l’entrée de la parcelle AM [Cadastre 9].
Par la suite, les époux [X] ont aménagé ce qu’ils estimaient être un passage suffisant par les parcelles AM [Cadastre 2] et A [Cadastre 3].
Au détour de ces différents événements, M. [S] et le GAEC [S] ont assigné les époux [X], en appelant par ailleurs M. [N] en la cause, devant le juge des référés du tribunal paritaire des baux ruraux de Calais lequel s’est déclaré incompétent au profit du juge des référés du tribunal de grande instance de Boulogne. Devant ce dernier, ils ont demandé d’une part l’instauration d’une mesure d’expertise au visa de l’article 145 du code de procédure civile et d’autre part qu’il soit enjoint aux époux [X] de laisser libre l’accès à la parcelle AM n°[Cadastre 7] au travers des parcelles AM n°[Cadastre 8] et [Cadastre 9] et section AM n°[Cadastre 2] (soit conformément au passage originaire) et donc à laisser ouvert le portail clôturant la parcelle section AM n°[Cadastre 9] situé à l’extrémité de la voie d’accès reliant la parcelle à la voie publique et subsidiairement que les époux [X] [R] leur remettent la clé du cadenas ou de la serrure équipant ledit portail dans le délai de huit jours. Dans le cadre de cette audience, les époux [X] ont essentiellement indiqué qu’un accord était intervenu pour installer un cadenas et éviter des intrusions et qu’il n’avaient jamais voulu interdire l’accès par M. [S].
Au terme de cette première procédure, le juge des référés a rendu une ordonnance le 25 mai 2016 par laquelle d’une part il confiait une expertise à M. [I], expert judiciaire, expertise dont les conclusions ont été résumées ci-dessus, et a d’autre part, condamné M. [A] [X] et Mme [O] [R] épouse [X] à laisser libre d’accès à la parcelle section AM n° [Cadastre 7] au travers des parcelles AM [Cadastre 8] et [Cadastre 9] et AM n°[Cadastre 2] et donc à laisser ouvert le portail clôturant la parcelle section AM n° [Cadastre 9] situé à l’extrémité de la voie d’accès reliant ladite parcelle à la voie publique.
Il résulte en conséquence de ces éléments que pour la période concernée, les époux [X] ne s’étaient rendus auteurs que d’une simple voie de fait. Par ailleurs, le juge des référés par ladite ordonnance a reconnu que le refus par les époux [X] de permettre l’accès à la parcelle AM n° [Cadastre 7] par l’ancien passage passant notamment par la parcelle AM [Cadastre 8] correspondait à un trouble manifestement illicite et a condamné les époux [X] à laisser cet accès. Il était ainsi possible pour M. [S] et le GAEC [S] de procéder à l’exécution de cette ordonnance de référé. Certes, la décision n’assortissait pas la condamnation d’une astreinte mais il était loisible au preneur de solliciter une telle astreinte devant le juge de l’exécution en application des dispositions de l’article L.131-1 du code des procédures civiles d’exécution lesquelles énoncent que le juge de l’exécution peut assortir d’une astreinte une décision rendue par un autre juge si les circonstances en font apparaître la nécessité.
En tout état de cause, les éléments de la cause ne traduisent pas de la part du bailleur l’existence d’un manquement à ses obligations.
Les événements ultérieurs ont par la suite mis en évidence une évolution nette de la situation des parties.
Non seulement les époux [X] n’ont pas exécuté l’ordonnance de référé mais la situation s’est encore aggravée des lors que les intéressés ont fait édifier une terrasse à l’avant d’un immeuble jouxtant l’ancien passage, réduisant la largeur de ce dernier et compromettant davantage les possibilités de passage par l’ancien passage rectiligne passant par la parcelle AM [Cadastre 8] en parfaite contrariété avec les termes de l’ordonnance du 25 mai 2016, la terrasse ainsi édifiée étant parfaitement visible sur les photographies produites aux débats.
Dès lors, M. [S] et le GAEC [S] ont saisi à nouveau le juge des référés pour demander à la fois la condamnation des époux [X] [R] au paiement d’une indemnité provisionnelle d’un montant de 13 259 euros en se basant sur l’évaluation de leur préjudice telle que proposée par le rapport [I] et pour demander la condamnation des époux [X] à laisser libre de toute construction, de tout aménagement, plantation et plus généralement de tous mobiliers de nature à entraver son assiette une servitude de 4 mètres dans le prolongement de la parcelle AM[Cadastre 2] et sur les parcelles AM [Cadastre 8] et [Cadastre 9].
Les époux [X] ont cependant soulevé dans le cadre de cette seconde procédure de référé à titre de moyen de contestation sérieuse le fait que M. [S] et le GAEC [S] ne pouvaient soutenir que la servitude conventionnelle de passage telle qu’elle était prévue dans leur acte d’acquisition ne pouvait leur permettre de passer par le chemin rectiligne passant par les parcelles AM [Cadastre 2], AM [Cadastre 9]et [Cadastre 8].
Le juge des référés a retenu ce moyen de contestation sérieuse notamment par les motifs suivants : ‘la demande de M. [W] [S] aux fins de laisser libre de toute construction, aménagement, plantation et plus généralement de tous mobiliers de nature à entraver son assiette une servitude de 4 mètres dans le prolongement de la parcelle AM [Cadastre 2] sur les parcelles AM [Cadastre 8] et AM [Cadastre 9] ne saurait être accueillie puisque la servitude litigieuse ne concerne pas la parcelle AM [Cadastre 8] et qu’il existe une contestation sérieuse ‘, disant en conséquence que les demandes de M. [S] et le GAEC [S] étaient irrecevables, soit disant en réalité qu’il n’y avait pas lieu à référé.
Cette ordonnance de référé du 18 octobre 2017 a deux conséquences. D’une part, à compter de ladite ordonnance, M. [N] présent à la procédure apprend nécessairement que les époux [X] émettent une contestation en droit à l’égard de l’assiette de la servitude conventionnelle et que les contestations des époux [X] correspondent à un véritable trouble de droit avec risque potentiel d’éviction, son locataire se voyant ainsi refuser le droit de passer par l’ancien chemin évoqué dans l’acte de vente, et donc par la parcelle AM [Cadastre 8] et ne disposant par ailleurs d’aucun accès suffisant par le second passage en limite de la parcelle AM [Cadastre 9].
D’autre part, à compter de cette seconde ordonnance de référé, M. [S] et le GAEC [S] ne peuvent plus agir en exécution de la première ordonnance de référé, y compris en sollicitant du juge de l’exécution une astreinte, alors que la seconde ordonnance de référé rapporte nécessairement ce qui a été décidé dans le cadre de la première.
Au regard de ces éléments, du trouble de droit apporté par les époux [X] à la jouissance normale des parcelles et de l’impossibilité de M. [S] d’avoir accès aux parcelles dans des conditions normales, M. [N] se devait de ne pas rester inactif et de saisir la juridiction compétente pour voir fixer l’assiette de la servitude conventionnelle de passage devant permettre le passage des engins agricoles et en tout cas de faire fixer l’assiette d’une servitude utile permettant à son locataire d’avoir accès aux parcelles enclavées. Lui seul avait qualité pour ce faire.
L’inaction de M. [N] a été à cet égard fautive.
Par contre, la cour ne retiendra pas comme fautive à la différence du premier juge, le défaut d’empierrement de la parcelle AM [Cadastre 6] dès lors d’une part qu’il n’apparaît pas que M. [S] ait spécialement sollicité son bailleur de ce chef et que d’autre part, la question essentielle liée à l’entrée dans la parcelle AM[Cadastre 6] par la parcelle AM [Cadastre 9] est celle de l’angle droit empêchant la manoeuvre des engins agricoles et notamment ceux équipés de remorques qui doivent venir récolter le foin.
Au regard de la chronologie des événements et ce qui a été dit plus haut, la cour ne retiendra la responsabilité du bailleur que postérieurement à l’ordonnance du 18 octobre 2017, à la suite de laquelle son preneur s’est trouvé face à une forme d’impasse, soit sensiblement à compter de l’année 2018 incluse et jusqu’à l’année 2022 incluse, la situation n’ayant guère évolué ensuite.
Sur l’indemnisation du préjudice subi par M. [S] et le GAEC [S] :
L’expert commis par l’ordonnance du 25 mai 2016 a proposé la base d’évaluation du préjudice annuel subi par M. [S] et le GAEC [S]. Il n’avait pas reçu mission du juge des référés à ce titre, mais cette extension de sa mission a eu lieu avec l’accord de toutes les parties.
Il sera observé que M. [S] et la GAEC [S] ont produit aux débats un constat d’huissier en date du 8 novembre 2019, constat établi par Maître [T] [Y], huissier de justice à [Localité 13] faisant apparaître que les parcelles ne sont plus fauchées.
S’agissant de l’ancien passage (ligne AM [Cadastre 2] AM [Cadastre 9] et AM[Cadastre 9]),pour laquelle les époux [X] refusent en tout état de cause l’accès, elle est bloquée à la fois par l’édification de la terrasse déjà évoquée puis par une barrière végétale apparaissant sur les constats.
Il sera précisé par ailleurs que M. [N] évoque la possibilité alternative qui serait selon lui offerte à M. [S] et au GAEC [S] de réserver les parcelles en cause au pacage de bovins plutôt que de consacrer ces parcelles à la récolte des foins. Toutefois, aucune remarque particulière n’a été faite sur ce point devant l’expert judiciaire alors que M. [S] et le GAEC [S] font valoir que les parcelles sont trop éloignées du siège de l’exploitation et que la voie publique à partir de laquelle se fait l’accès aux parcelles est une voie à trop grande circulation pour y faire passer des bovins.
L’expert [I] pour le surplus a chiffré le préjudice subi par l’exploitant par référence au rendement en foin d’une parcelle à savoir un rendement de 10 tonnes à l’hectare sachant que la valeur du foin est de 11 euros à la tonne soit une somme de 1100 euros à la tonne. Il sera précisé que les calculs de l’expert sont intervenus au titre des années 2015 et 2016 mais que les bases du calcul demeurent pertinentes pour les années ultérieures. L’expert précise qu’il convient de déduire les charges liées aux travaux qui n’ont pas été faits par l’exploitation pour assurer le fauchage des foins à savoir une somme de 200 euros par tonne correspondant à un fauchage, deux passages de faneuse, un passage d’endaineur, un pressage et le transport, le tout pour une somme de 200 euros l’hectare ainsi que la charge financière liée à l’amélioration de la terre en engrais soit 150 euros par hectare. Le préjudice annuel à l’hectare est annuellement de 1100- (200+150) = 750 euros l’hectare.
Le préjudice annuel est donc pour toute la surface concernée de 750 euros par hectare x 3, 53 = 2 648 euros en arrondissant.
Il n’y a pas lieu de déduire de cette somme les primes reçues de la PAC contrairement à ce que soutient M. [N].
Il convient donc pour les cinq années, à savoir les années 2018 à 2022, pour lesquelles la cour reconnaît le droit à indemnisation de M. [S] et du GAEC [S] de fixer le préjudice subi à la somme de 5x 2648 = 13 240 euros, somme pour laquelle il convient de condamner M. [N].
M. [S] et le GAEC [S] font encore état de ce qu’ils subissent un préjudice accessoire chiffré à la somme de 1020 euros à l’année par l’expert pour les trois parcelles AM [Cadastre 5], AM [Cadastre 6] et AM[Cadastre 7] soit à la somme de 1020 x 3,53 = 706 euros pour les deux parcelles AM43 et AM [Cadastre 7], cette charge correspondant à la nécessité de faucher le couvert végétal non récolté qui n’est plus consommable par les bovins.
Cependant la cour estime que cette charge s’équilibre par le fait que M. [S] et le GAEC [S] n’ont pas eu à supporter le montant du fermage pendant les années considérées.
Cette demande complémentaire sera donc rejetée.
Sur la demande de M. [N] tendant à la condamnation à des fermages impayés :
En cause d’appel , M. [N] demande la condamnation de M. [W] [S] au paiement de la somme de 5 759 euros au titre des fermages impayés. M. [S] et le GAEC [S] concluent à l’irrecevabilité d’une telle demande au visa des dispositions de l’article 564 du code de procédure civile.
Cependant, en application des dispositions de l’article 567 du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles sont recevables en cause d’appel. Il s’ensuit que la demande reconventionnelle de M. [N] tendant à la condamnation de M. [S] au paiement des loyers impayés est recevable en cause d’appel, pourvu qu’elle satisfasse aux conditions posées par ailleurs par l’article 70 du code de procédure civile, à savoir qu’elle se ratttache aux prétentions originaires des parties par un lien suffisant. Or, en l’espèce, les loyers réclamés par M. [N] sont la contrepartie de l’obligation du bailleur d’assurer au preneur la jouissance des parcelles données à bail, obligation sur laquelle M. [S] et le GAEC [S] fondent leur demande principale, ce qui caractérise l’existence de ce lien suffisant. De surcroît, il est de principe que devant la juridiction paritaire, les demandes incidentes ne sont pas soumises à la tentative préalable de conciliation obligatoire.
Dès lors, il convient d’écarter les fins de non-recevoir liées à l’irrecevabilité des demandes nouvelles en cause d’appel ainsi qu’au défaut de conciliation obligatoire.
Cependant, M. [S] soulève encore la prescription quinquennale afférente aux fermages.
Alors qu’il est constant que la demande n’a été formée que devant cette cour, il y a lieu conformément à la demande de M. [S] de déclarer irrecevable comme étant prescrite la demande en paiement des fermages impayés pour la période antérieure au 1er octobre 2017.
S’agissant du fond de la demande en paiement, M. [S] oppose à cette dernière une exception d’inexécution.
L’exception d’inexécution peut être retenue en matière locative en cas d’impossibilité totale de jouir de la chose donnée à bail. Ce qui a été décrit plus haut caractérise une telle impossibilité dès lors que M. [S] n’a plus un accès normal aux parcelles en cause.
Il convient dès lors pour la cour, faisant droit à l’exception d’inexécution, de rejeter la demande de M. [N] de ce chef.
Sur la demande de donner acte :
Il n’y a pas lieu de donner acte à M. [S] et au GAEC [S] de ce qu’ils ressaisiront le tribunal paritaire des baux ruraux régulièrement pour solliciter l’indemnisation de leur nouveau préjudice tant que la situation ne sera pas réglée. En effet , un ‘donner acte ‘ est insusceptible de préjudicier aux droits des parties ou au contraire de créer des droits au profit de ces mêmes parties.
Sur les dépens et sur l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
Le sort des dépens et l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance ont été exactement réglés par les premiers juges, étant précisé que les parties ne font valoir aucune contestation particulière de ce chef.
M. [N] sera condamné aux dépens d’appel.
Il sera fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile comme indiqué au présent dispositif.
PAR CES MOTIFS
Constate le désistement d’appel de M. [W] [S] et le GAEC [S] à l’égard des époux [X] ;
Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a retenu la responsabilité de M. [N] en qualité de bailleur mais seulement à compter de l’année 2018
incluse ;
Réformant le jugement entrepris du chef du quantum des dommages et intérêts alloués ;
Statuant à nouveau,
Condamne M. [M] [N] à payer à M. [B] [L] [S] et au GAEC [S] la somme de 13240 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice subi pour les années 2018 incluse à 2022 incluse ;
Ajoutant au jugement entrepris,
Ecarte les fins de non-recevoir invoquées par M. [B] [L] [S] et le GAEC [S] et liées au caractère nouveau de la demande en paiement des fermages en cause d’appel et à l’absence de tentative de conciliation du chef de cette
demande ;
Déclare la demande en paiement de fermages impayés présentée par M. [M] [N] irrecevable comme prescrite pour la période antérieure au 1er octobre 2017 ;
La rejette pour le surplus comme étant non fondée ;
Dit n’y avoir lieu à procéder à des ‘donner acte’ ;
Confirme le jugement entrepris du chef des dépens de première instance et de l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance ;
Condamne M. [M] [N] aux dépens d’appel ;
Le condamne à payer à M. [W] [S] et le GAEC [S] la somme de 2000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires.
Le greffier
Ismérie CAPIEZ
Le président
Véronique DELLELIS