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COUR D’APPEL
D’ANGERS
CHAMBRE A – COMMERCIALE
NR/IM
ARRET N°:
AFFAIRE N° RG 22/00143 – N° Portalis DBVP-V-B7G-E6I6
Jugement du 29 Décembre 2021
Tribunal de Commerce d’ANGERS
n° d’inscription au RG de première instance 2021006620
ARRET DU 06 JUIN 2023
APPELANTS :
Madame [L] [J] épouse [T]
née le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 6] ([Localité 6])
[Adresse 4]
[Localité 6]
Monsieur [N] [T]
né le [Date naissance 2] 1963 à [Localité 7]
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentés par Me Laurent POIRIER de la SELARL PRAXIS – SOCIETE D’AVOCATS, avocat au barreau d’ANGERS – N° du dossier 3981
INTIMES :
S.E.L.A.S. C.L.R ET ASSOCIES MANDATAIRES JUDICIAIRES prise en la personne de Maître [R] [B] agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société BHOL DIFFUSION
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Julien PIEDNOIR, avocat au barreau D’ANGERS
MINISTERE PUBLIC
Parquet Général – Cour d’Appel
Palais de Justice
[Localité 5]
Pris en la personne de Me DREVARD, avocat général
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue publiquement à l’audience du 11 Octobre 2022 à 14 H 00, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme CORBEL, présidente de chambre, et Mme ROBVEILLE, conseillère, qui a été préalablement entendue en son rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme CORBEL, présidente de chambre
Mme ROBVEILLE, conseillère
M. BENMIMOUNE, conseiller
Greffière lors des débats : Mme TAILLEBOIS
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 06 juin 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine CORBEL, présidente de chambre, et par Sophie TAILLEBOIS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE
La société (SARL) Bhol Diffusion créée en 2016 exerçait une activité de commerce de détail de tous produits destinés à l’équipement du foyer et de la vente de produits sur lieux d’exposition, foires et marchés.
Mme [L] [T] née [J], épouse de M. [N] [T] a été désignée en qualité de gérante de la société.
Une grande partie du chiffre d’affaires de la société Bhol Diffusion provenait des ventes de robots aspirateurs achetés auprès d’un fournisseur coréen.
Le 2 mai 2018, invoquant des difficultés financières liées à la perte de son fournisseur principal coréen, la SARL Bhol Diffusion a sollicité auprès du tribunal de commerce d’Angers son placement sous mesure de sauvegarde.
Par jugement du 16 mai 2018, le tribunal de commerce a ouvert une procédure de sauvegarde au bénéfice de la SARL Bhol Diffusion, désignant la société (SELAS) CLR et Associés, prise en la personne de Maître [R] [B], en qualité de mandataire judiciaire.
Le 1er octobre 2018, le mandataire judiciaire de la SARL Bhol Diffusion a sollicité la conversion de la sauvegarde en liquidation judiciaire.
Par jugement du 10 octobre 2018, le tribunal de commerce d’Angers a prononcé la liquidation judiciaire de ladite société, nommant la société (SELAS) CLR & Associés, prise en la personne de Maître [R] [B], en qualité de liquidateur judiciaire.
Par courrier du 24 janvier 2019, la SELAS CLR & Associés ès qualités, considérant que, faute pour la société Bhol Diffusion d’avoir eu une activité réelle durant la période d’observation, l’ensemble des opérations intervenues sur le compte bancaire de la société avaient été réalisées à des fins personnelles et en tout état de cause pour des motifs étrangers à l’intérêt de la société, a mis en demeure Mme [T] née [J] de lui reverser ès qualités, une somme de 37.384,51 euros
Le 30 avril 2019, les époux [T] ont réglé une somme de 5.102,99 euros à la SELAS CLR & Associés ès qualités.
Par courriel du 16 mai 2019, accusant réception de cette somme, la SELAS CLR & Associés ès qualités a proposé aux époux [T] un échéancier sur 10 mois pour le règlement de la somme de 32.281,52 euros.
Par acte d’huissier du 8 octobre 2021, la SELAS CLR & Associés, prise en la personne de Maître [B], en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Bhol Diffusion a fait assigner Mme [L] [T] née [J], en sa qualité de dirigeant de droit et M. [N] [T], pris en sa qualité de dirigeant de fait de la SARL Bhol Diffusion, devant le tribunal de commerce d’Angers, aux fins de les voir condamner à lui payer tout ou partie du passif de la société Bhol Diffusion et à tout le moins la somme de 32 384,51 euros.
Par jugement du 29 décembre 2021, le tribunal de commerce d’Angers a :
– dit que l’action en comblement de l’insuffisance d’actif à l’encontre de Mme [L] [T] née [J] et de M. [N] [T], introduite par la SELAS CLR & Associés prise en la personne de Maître [R] [B], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Bhol Diffusion, est recevable,
– dit que l’insuffisance d’actif de la société Bhol Diffusion est avérée et en a constaté le montant à hauteur de 360.747,54 euros,
– jugé que Mme [L] [T] née [J], en qualité de dirigeante de droit de la SARL Bhol Diffusion et M. [N] [T], dirigeant de fait de ladite société, ont commis plusieurs fautes de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif de la société Bhol Diffusion,
– condamné solidairement Mme [L] [T] née [J] et M. [N] [T] à payer à la SELAS CLR & Associés prise en la personne de Maître [R] [B], ès qualités de liquidateur de la société Bhol Diffusion, la somme de 30.000 euros au titre de l’insuffisance d’actif,
– condamné solidairement Mme [L] [T] née [J] et M. [N] [T] à payer à la SELAS CLR & Associés prise en la personne de Maître [R] [B], ès qualités de liquidateur de la société Bhol Diffusion, la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné les compensations et publicités légales,
– condamné solidairement Mme [L] [T] née [J] et M. [N] [T] aux entiers dépens, taxés et liquidés à la somme de 86,84 euros,
– ordonné l’exécution provisoire du présent jugement.
Par déclaration du 24 janvier 2022, Mme [L] [T] née [J] et M. [N] [T] ont relevé appel de ce jugement, en critiquant chacune de ses dispositions ; intimant la SELAS CLR & Associés ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL Bhol Diffusion et le Ministère public.
La SELAS CLR & Associés ès qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Bhol Diffusion a formé appel incident.
Mme [L] [T] née [J] et M. [N] [T], la SELAS CLR & Associés en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Bhol Diffusion, et le Ministère public, ont conclu.
Une ordonnance du 19 septembre 2022 a clôturé l’instruction de l’affaire.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du Code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement déposées au greffe :
– le 6 septembre 2022 pour Mme [L] [T] née [J] et M. [N] [T],
– le 6 septembre 2022 pour la SELAS CLR & Associés ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Bhol Diffusion,
– le 25 mars 2022 pour le Ministère public.
Mme [L] [T] née [J] et M. [N] [T] demandent à la cour de :
– dire et juger l’appel recevable et fondé ; y faisant droit,
– infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce d’Angers le 29 décembre 2021 en ce qu’il a :
* jugé que Mme [L] [T] née [J], en qualité de dirigeante de droit de la SARL Bhol Diffusion et M. [N] [T], dirigeant de fait de ladite société, ont commis plusieurs fautes de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif de la société Bhol Diffusion,
* condamné solidairement Mme [L] [T] née [J] et M. [N] [T] à payer à la SELAS CLR & Associés prise en la personne de Maître [R] [B], ès qualités de liquidateur de la société Bhol Diffusion, la somme de 30.000 euros au titre de l’insuffisance d’actif,
* condamné solidairement Mme [L] [T] née [J] et M. [N] [T] à payer à la SELAS CLR & Associés prise en la personne de Maître [R] [B], ès qualités de liquidateur de la société Bhol Diffusion, la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
* ordonné les compensations et publicités légales,
* condamné solidairement Mme [L] [T] née [J] et M. [N] [T] aux entiers dépens, taxés et liquidés à la somme de 86,84 euros,
statuant à nouveau,
à titre principal,
– dire et juger qu’en qualité de dirigeant de droit de la SARL Bhol Diffusion et de dirigeant de fait de la SARL Bhol Diffusion, ils n’ont commis aucune faute de gestion,
en conséquence,
– débouter purement et simplement la SELAS CLR & Associés, ès qualités de mandataire liquidateur ainsi que le Ministère public de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions à leur encontre,
– débouter la SELAS CLR & Associés, ès qualités de mandataire liquidateur de son appel incident à leur encontre,
– débouter la SELAS CLR & Associés, ès qualités de mandataire liquidateur de sa demande de règlement de tout ou partie du passif de ladite société et, à tout le moins, de la somme de 32.281,52 euros qu’elle leur réclame,
– débouter le Ministère public de sa demande de confirmation en toutes ses dispositions du jugement rendu le 29 décembre 2021 par le tribunal de commerce d’Angers,
à titre subsidiaire,
– dire et juger que la somme de 11.319,7 euros a d’ores et déjà été payée volontairement par eux à la SELAS CLR & Associés ès qualités de mandataire liquidateur,
– ramener le montant des condamnations solidaires prononcées à de plus justes proportions,
en tout état de cause,
– condamner la SELAS CLR & Associés ès qualités de mandataire liquidateur à leur payer la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la SELAS CLR & Associés ès qualités de mandataire liquidateur aux entiers dépens.
La SELAS CLR & Associés, prise en la personne de Maître [R] [B] agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Bhol Diffusion demande à la cour de :
– débouter Mme [L] [J] épouse [T], prise en sa qualité de dirigeant de droit de la SARL Bhol Diffusion, et M. [N] [T], pris en sa qualité de dirigeant de fait de la SARL Bhol Diffusion de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce d’Angers le 29 décembre 2021 sauf en ce qu’il a condamné Mme [L] [T] née [J] et M. [N] [T] à lui payer ès qualités la somme de 30.000 euros au titre de l’insuffisance d’actif,
et statuant à nouveau,
– condamner solidairement Mme [L] [J] épouse [T], prise en sa qualité de dirigeant de droit de la SARL Bhol Diffusion, et M. [N] [T], pris en sa qualité de dirigeant de fait de la SARL Bhol Diffusion, à payer tout ou partie du passif de la société Bhol Diffusion et à tout le moins, à régler la somme de 32.281,52 euros,
en tout état de cause,
– condamner Mme [L] [J] épouse [T], prise en sa qualité de dirigeant de droit de la SARL Bhol Diffusion, et M. [N] [T], pris en sa qualité de dirigeant de fait de la SARL Bhol Diffusion, à payer entre ses mains, ès qualités, la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Mme [L] [J] épouse [T], prise en sa qualité de dirigeant de droit de la SARL Bhol Diffusion, et M. [N] [T], pris en sa qualité de dirigeant de fait de la SARL Bhol Diffusion, aux entiers dépens.
Le Ministère public demande à la cour de :
vu les articles L. 651-1, L. 651-2, L. 653-3 et L. 653-8 du code de commerce,
– constater la recevabilité de l’appel formé par Mme [L] [T] et M. [N] [T],
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 29 décembre 2021 par le tribunal de commerce d’Angers,
– statuer sur les dépens.
MOTIFS DE LA DECISION
– Sur l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif
A titre principal, M. et Mme [T] soutiennent qu’aucune faute de gestion de la société Bhol Diffusion en lien avec l’insuffisance d’actif n’est caractérisée à leur encontre.
Ils affirment que la société Bhol Diffusion a eu une activité commerciale durant la période d’observation de la procédure de sauvegarde, attestée par l’encaissement de plusieurs chèques sur le compte bancaire de la société pendant cette période, celle-ci se trouvant néanmoins ralentie en l’absence d’approvisionnement des stocks, consécutive à la rupture des relations commerciales avec son fournisseur principal.
Ils indiquent avoir recherché un nouveau fournisseur afin de pouvoir poursuivre l’activité et avoir ainsi pris contact avec une société allemande en vue de la conclusion de la fourniture de robots aspirateurs, expliquant que le projet n’avait néanmoins pas abouti faute de trésorerie pour régler une commande d’un montant de 233 000 euros.
Ils font valoir que ces recherches caractérisent une activité entrant dans le cadre de l’objet social de la société Bhol Diffusion.
Ils font également valoir que la société devait continuer à régler les charges afférentes à son activité.
Ils soulignent qu’ils ont accepté de procéder au remboursement d’une partie des paiements effectués sur le compte de la société Bhol Diffusion ne correspondant pas à des dépenses professionnelles, à hauteur de la somme de 5 102,99 euros (factures entretien véhicule, remboursements de compte courant Mme [T] et frais de restaurant La Baule) et que la société IHL Diffusion a accepté de restituer la somme de 6 216,71 euros acquittée par la société Bhol Diffusion au titre d’une facture correspondant à des refacturations de frais d’autoroute pour la période du 1er mars 2017 au 31 mars 2018.
Ils soutiennent que l’intégralité des autres règlements effectués pendant la période de sauvegarde correspondent au paiement de charges réelles liées à l’activité de la société Bhol Diffusion, à savoir les salaires de M. [N] [T] avec lequel cette dernière avait régularisé un contrat de travail le premier juillet 2016 et les salaires de trois personnes pour leur travail effectué pour la foire de [Localité 8] de mai 2018 (au total 12 787,42 euros), les cotisations sociales afférentes à ces salaires (7 146,45 euros), les cotisations sociales de la gérante (266 euros), une facture de prestation d’animation sur foire (2 408,80 euros), les loyers commerciaux en exécution du contrat de bail commercial conclu le 6 mai 2016 entre les époux [T], bailleurs, et la société Bhol Diffusion (6 000 euros), les frais postaux (665,27 euros), les honoraires du cabinet comptable et du cabinet de conseil juridiques et fiscaux (6 708,02 euros), le paiement des frais et honoraires liées à la procédure de sauvegarde et à celle de liquidation judiciaire (3 313,40 euros), l’assurance (675,28 euros), le remboursement d’une cliente (250 euros), les frais de téléphonie de la gérante (605,15 euros).
Selon eux, le maintien du bail commercial durant la période d’observation était nécessaire dans la mesure où le bureau et l’espace de stockage permettaient à la société Bohl Diffusion de continuer à exercer son activité.
Ils relèvent que M. [T], conscient des difficultés de la société Bohl Diffusion, avait accepté de voir réduire sa rémunération par avenant du 15 septembre 2017 et qu’un avenant au contrat de bail commercial du premier janvier 2017 a réduit le loyer à 1 500 euros.
Ils concluent que les dépenses critiquées étant justifiées par une origine professionnelle, elles ne sauraient caractériser des fautes de gestion de Mme [T] en qualité de représentant légal ou de M. [T] en qualité de gérant de fait et que tout au plus il pourrait leur être reproché une négligence dans la gestion de la société Bohl Diffusion en rappelant que la somme de 11 319,70 euros a été remboursée, mais qu’ils n’ont nullement eu la volonté de vider les comptes de la société et de s’enrichir à son détriment en lui faisant supporter indûment à la société des dépenses personnelles.
A titre subsidiaire, ils concluent au caractère disproportionné de la sanction au titre de l’action en comblement de passif qui leur a été appliqué, à savoir leur condamnation au paiement d’une somme de 30 000 euros, en faisant observer que dans son rapport le juge commissaire était d’avis de fixer le montant que les époux [T] devraient supporter au titre de l’insuffisance d’actif à la somme de 14 033,94 euros, en précisant que ladite somme ne tenait pas compte du paiement de la somme de 6 216,71 euros.
La SELAS CLR § Associés soutient que les fautes de gestion de Mme [T], en qualité de représentant légal de la société Bhol Diffusion et de M. [T], en qualité de gérant de fait, sont caractérisées en ce qu’il résulte selon elle des pièces produites qu’ils ont fait régler par la société Bhol Diffusion, des dépenses personnelles, donc contraires à son objet social, à de multiples reprises, telles des frais de restaurant, d’hôtel, d’entretien d’un véhicule personnel, de frais de téléphonie, ainsi que des dépenses hors de proportion avec l’activité réelle de la société et pour la plupart au profit des époux [T] (salaire M. [T], loyers commerciaux versés aux époux [T], bailleurs, refacturation de frais par la société IHL Diffusion dont M. [T] est le dirigeant), contribuant ainsi à l’insuffisance d’actif.
Elle fait valoir que le nombre de ces dépenses, leur nature, leur ampleur et leur récurrence démontrent qu’il ne s’agissait pas de simples négligences, mais d’un comportement d’habitude, en soulignant que sur une période de seulement cinq mois, les actifs de la société Bohl Diffusion sont passés de 38 008,61 euros à 624,10 euros au jour de l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire.
Elle souligne que les remboursements sont intervenus après que Mme [T] ait été interpellée par le liquidateur judiciaire et mise en demeure de rembourser les sommes apparaissant sur le compte bancaire de la société comme sans lien avec des dépenses dans l’intérêt social et qu’ils confirment que les époux [T] avaient bien entendu faire supporter indûment à la société des dépenses personnelles de ses dirigeants.
Elle fait également observer que la poursuite d’activité de la société Bhol Diffusion alléguée n’est pas plus démontrée en appel qu’en première instance, en relevant que les seules pièces versées aux débats à ce titre concernent l’année 2017.
Elle indique que l’insuffisance d’actif de la société Bohl Diffusion, qui n’aura eu au final que deux ans d’existence, s’établit à la somme de 360 747,54 euros et soutient que les fautes de gestions des époux [T] y ont contribué en aggravant le passif de la société Bohl Diffusion.
Au regard de la gravité de ces fautes de gestion, elle sollicite la condamnation solidaire de Mme [L] [J] épouse [T], prise en sa qualité de dirigeant de droit de la SARL Bhol Diffusion, et M. [N] [T], pris en sa qualité de dirigeant de fait de la SARL Bhol Diffusion, à payer tout ou partie du passif de la société Bhol Diffusion et, à tout le moins, à régler la somme de 32.281,52 euros.
Le Ministère Public conclut à la confirmation du jugement du tribunal de commerce d’Angers du 29 décembre 2021, soutenant que les fautes de gestion de Mme [T], dirigeante de droit, et de M. [T], dirigeant de fait, sont caractérisées en ce qu’ils ont puisé à de nombreuses reprises dans le compte bancaire de la société Bhol Diffusion pour régler des dépenses personnelles, ce qu’ils ont d’ailleurs admis en remboursant, après avoir été interpellés à plusieurs reprises par le liquidateur judiciaire à propos de dépenses non justifiées par l’intérêt social, la somme de 5 102,99 euros, tandis que M. [T] a également admis que la société IHL Diffusion dont il est le dirigeant a indûment reçu de la société Bhol Diffusion la somme de 6 216,71 euros.
Il ajoute qu’aucune preuve d’une activité de la société Bhol Diffusion durant la période d’observation n’est rapportée par les époux [T].
Il conclut que ces fautes de gestion ont contribué à aggraver le passif de la société Bhol Diffusion, de sorte que les époux [T] peuvent être condamnés, en application de l’article L 651-2 du code de commerce, à supporter partie de l’insuffisance d’actif, ladite partie ayant été selon lui justement appréciée par le tribunal à la somme de 30 000 euros.
Sur ce :
Aux termes de l’article L651-2 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 applicable aux instances en cours, ‘lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion.
En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables.
Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée».
Il en résulte que pour pouvoir mettre en oeuvre la responsabilité d’une personne pour insuffisance d’actif, les conditions suivantes doivent être réunies:
– une personne morale en liquidation judiciaire,
– une insuffisance d’actif,
– la qualité de dirigeant de droit ou de fait de la personne dont la responsabilité entend être engagée,
– une faute de gestion du dirigeant de droit ou de fait qui ne soit pas une simple négligence,
– un lien de causalité entre la faute de gestion du dirigeant et l’insuffisance d’actif.
Il appartient au mandataire de démontrer l’existence d’une insuffisance d’actif, la commission par le dirigeant d’une faute de gestion, et que celle-ci a contribué à l’insuffisance d’actif.
* sur l’insuffisance d’actif :
L’insuffisance d’actif s’apprécie au jour où le juge statue.
En l’espèce, il résulte de l’état du passif déposé par le liquidateur le 6 mai 2019 en application de l’article L 624-1 du code de commerce, un passif définitif échu de 373 829,54 euros, outre un passif non définitif au titre d’une créance fiscale de 5 000 euros indiquée comme faisant l’objet d’une contestation.
Le liquidateur n’a pu recouvrer qu’une somme totale de 12 457,90 euros, en ce compris les versements opérés par les époux [T] et par la société IHL Diffusion, dont un solde disponible suivant compte de répartition après règlement des frais de greffe, honoraires du commissaire priseur, honoraires du liquidateur et d’avocat, de 9 458,26 euros.
Il en résulte une insuffisance d’actif de 364 371,28 euros.
* sur la qualité de dirigeant de droit ou de fait des personnes dont la responsabilité entend être engagée
Mme [L] [J] épouse [T] est la gérante de droit de la société Bhol Diffusion.
M. [N] [T] ne conteste pas sa qualité de gérant de fait de la société Bhol Diffusion, de surcroît établie par les pièces produites qui démontrent qu’il a reconnu lui même être le véritable animateur de la société et représenté la société dans ses activités en signant notamment des contrats pour le compte de celle-ci (réservation d’un stand dans un parc d’exposition et son annulation), tandis que son épouse Mme [L] [T] exerçait une activité salariée dans une société tierce.
* sur les fautes de gestion :
M. et Mme [T] qui avaient connaissance des difficultés financières de la société Bhol Diffusion consécutives à la perte de leur principal fournisseur corréen de robots aspirateurs dont les ventes représentaient une partie très importante de son chiffre d’affaires puisque Mme [T] avait sollicité en sa qualité de représentante légale auprès du tribunal de commerce d’Angers le placement sous mesure de sauvegarde de la société et que M. [T] était chargé de développer le chiffre d’affaires de la société qu’il gérait de fait, se devaient non seulement de poursuivre les démarches pour vendre les marchandises encore en stock et les recherches pour trouver un nouveau partenaire commercial en capacité de leur fournir le même type de marchandises ou pour diversifier l’activité de la société quant aux produits commercialisés, afin de renouveler les stocks, mais également de gérer la société en évitant toute dépense superflue pour ne pas aggraver l’état de trésorerie et en cherchant à réaliser des économies, en prenant toute mesures propres à adapter le niveau des charges de la société à son niveau réel d’activité.
L’examen des relevés du compte bancaire de la société Bohl Diffusion durant la période d’observation révèle l’encaissement de chèques et de virements pour un montant global de 19 750,08 euros, étant précisé que certaines sommes correspondent à des versements de l’assureur (106,82 euros) ou d’un organisme de crédit (2 267 euros) et surtout que sur un total de 29 chèques remis à l’encaissement, 17 l’ont été durant le premier mois pour un montant total de 13 872 euros, 5 le second pour un total de 2 337,26 euros, 2 le troisième pour un total de 605 euros, 1 le quatrième de 200 euros et 4 le cinquième mois pour 370 euros, ce dont il résulte que si l’activité de la société Bohl Diffusion n’a pas été totalement inexistante sur toute la période concernant les ventes, celle-ci a surtout été concentrée au tout début de la période d’observation, ce qui s’explique par la participation de la société à une foire exposition de [Localité 8] et par l’existence probable de marchandises encore en stock dont le contenu et l’ampleur ne sont cependant pas justifiés et que celle-ci a décru très rapidement et dans des proportions alarmantes, jusqu’à devenir quasiment nulle à la date de la requête en ouverture de la liquidation judiciaire.
L’examen de ces relevés révèle également qu’au 24 mai 2018, le compte présentait un solde créditeur de 38 008,61 euros et qu’au 17 octobre 2018, celui-ci n’était plus que de 624,10 euros.
Interpellés par le liquidateur judiciaire dès janvier 2019 quant à l’ampleur des dépenses sur le compte dont les libellés laissaient à penser que nombre d’entre elles se rapportaient à des dépenses personnelles de M. [T] ou de Mme [T] ou au profit de sociétés dans lesquelles ils étaient intéressés, les époux [T] ont fait répondre par leur cabinet comptable qu’il s’agissait de dépenses d’ordre professionnel exposées essentiellement par M. [T] dans le cadre de l’exercice de son activité ‘d’agent commercial’ de la société Bhol Diffusion, en joignant les factures ou justificatifs correspondant.
Ils ont également fait état d’une facture émise par la société IHL Diffusion à l’égard de la société Bhol Diffusion au titre de la ‘refacturation par celle-ci de frais d’autoroute’ et pour le reste, ils ont indiqué que les débits correspondaient au paiement de charges de la société au titre en particulier des salaires et cotisations sociales afférents de M. [T] jusqu’en septembre 2018 et de trois salariés en juin 2018, d’une facture de mai 2018 d’un prestataire, des loyers commerciaux, des factures pour les honoraires du cabinet comptable, d’un cabinet conseil, les frais postaux, de frais d’assurance, d’un remboursement client, de frais de greffe et des honoraires du mandataire judiciaire.
Cependant, en excluant les débits sur le compte qui peuvent être rattachés au paiement des salaires et cotisations sociales de trois personnes qui ont travaillé sur la foire exposition qui s’est tenue fin mai 2018 à [Localité 8], du prestataire qui est également intervenu pour l’animation à cette foire pour le compte de la société Bhol Diffusion, des cotisations pour la gérante, des frais de poste pour l’expédition et la distribution de colis à la clientèle essentiellement en début de période d’observation, en concordance avec les paiements reçus par la société, des frais d’assurance obligatoire, des salaires de M. [T] avec lequel la société avait signé un contrat de travail, des loyers commerciaux jusqu’en septembre 2018, des honoraires du cabinet comptable, du conseil, du mandataire judiciaire, des frais de greffe, les débits s’élèvent encore à 16 613 euros, dont 6 216, 71 euros au profit de la seule société IHL Diffusion.
L’examen des pièces justificatives révèlent des tickets de caisse ou factures correspondant à des dépenses de restaurants, hôtels, carburants, entretien d’un véhicule, alors que leur localisation sont sans lien établi avec l’activité décrite par les dirigeants de la société Bhol Diffusion comme étant la vente de robots aspirateurs sur des foires et salon, étant précisé qu’il n’est produit aucune réservation sur des événements autres que la foire exposition de [Localité 8] qui s’est tenue en mai 2018, ni devis, ni bons de commandes, bons de livraison, ni preuves de rendez-vous commerciaux extérieurs.
En outre, les époux [T] ne sauraient prétendre de bonne foi que les recherches effectuées durant la période d’observation, d’un nouveau fournisseur afin de pouvoir poursuivre l’activité, caractérisent une activité entrant dans le cadre de l’objet social de la société Bhol Diffusion, de nature à justifier les frais exposés durant cette période, alors qu’un nombre important de dépenses concerne des frais d’hôtels et de restaurants exposés sur des sites des côtes bretonnes, vendéennes ou de Loire Atlantique, que le seul contact qu’ils citent est une société dont le siège se trouve en Allemagne et que les seuls échanges dont il est justifié se sont déroulés entre mai 2017 et septembre 2017.
Les époux [T] ont d’ailleurs accepté de régler au liquidateur judiciaire ès qualités la somme de 5 102,99 euros, admettant dans la lettre qu’ils ont fait adresser par leur cabinet comptable à celui-ci le bien fondé, au moins à hauteur dudit montant, de son analyse quant au caractère personnel des dépenses correspondantes, contraires à l’intérêt social.
S’agissant de la somme de 6 216,71 euros payée au total par la société Bhol Diffusion à la société IHL Diffusion dont il convient de souligner que M. [T] en est le dirigeant, sans qu’il s’explique sur l’objet social de celle-ci et sur ses relations avec la société Bhol Diffusion, en particulier sur les raisons pour lesquelles elle aurait pu être amenée à faire l’avance pour le compte de la société Bhol Diffusion de frais incombant à celle-ci, ou celles qui pourraient justifier que la société Bhol Diffusion prenne en charge des dépenses incombant à la société IHL Diffusion, il y a lieu de considérer qu’au vu des pièces justificatives, à savoir une facture datée du 3 mai 2018 au titre d’une ‘facturation de frais d’autoroute pour la période du 1er mars 2017 au 31 mars 2018″, qui comporte juste l’indication du montant de 8 797,90 euros TTC, sans aucun détail quant aux trajets effectués, leurs dates, leurs objets ou leurs auteurs, son rapport avec des dépenses exposées dans l’intérêt social de la société Bhol Diffusion n’est pas établi.
La société IHL Diffusion représentée par M. [N] [T] a d’ailleurs accepté de régler au liquidateur judiciaire, ès qualités, la somme de 6 216,71 euros, admettant de ce fait que ladite somme ne correspondait pas au paiement d’une obligation contractée par la société Bhol Diffusion à l’égard de la société IHL Diffusion, en contrepartie d’une prestation réalisée à son profit par cette dernière.
En leurs qualités respectivement de dirigeant de droit et de fait de la société Bhol Diffusion, Mme [L] [T] et M. [N] [T] ne pouvaient ignorer qu’il ne leur était pas possible de faire prendre en charge par la société qu’ils dirigeaient, de dépenses leur incombant personnellement ou incombant à une autre société dirigée par l’un d’eux.
La simple négligence dans la gestion de la société ne saurait dès lors être retenue et c’est à juste titre que le tribunal dans sa décision critiquée a retenu qu’en faisant supporter à la société Bhol Diffusion des dépenses contraires à son objet social, M. [N] [T] et Mme [L] [T] ont volontairement commis des fautes graves de gestion.
Par ailleurs, alors que la société Bhol Diffusion n’avait plus qu’une activité de vente de marchandises à partir de juillet 2018 très résiduelle et qu’il n’a été justifié, malgré les demandes qui ont été faites par le liquidateur dès avant l’engagement de la procédure, d’aucunes démarches réelles effectuées à cette période en vue de retrouver un fournisseur ou des fournisseurs de marchandises pour poursuivre l’activité de ventes sur foires, salons ou autres manifestations de ce type, des dépenses grevant lourdement la trésorerie de la société sous procédure de sauvegarde ont été maintenues.
Le salaire de M. [N] [T], associé de la société Bhol Diffusion et gérant de fait, a été maintenu en intégralité jusqu’en septembre 2018 (2 000 euros nets mensuel).
Les loyers des locaux du siège social appartenant aux époux [T] et leur revenant en leur qualité de bailleur ont également été réglés jusqu’en septembre 2018 dans leur intégralité.
Mme [L] [T] s’est vue rembourser son compte courant à hauteur de la somme totale de 3 162,27 euros.
C’est donc à juste titre que le tribunal a également retenu que M. [N] [T] et Mme [L] [T] ont commis des fautes de gestion en faisant volontairement supporter par la société Bhol Diffusion des dépenses hors de proportion avec son activité économique réelle, sans chercher à prendre les mesures propres à adapter le niveau des charges de la société à son niveau réel d’activité, les fonds concernés étant de surcroît versés au profit des époux [T].
Ces fautes de gestion imputables à Mme [L] [T], gérante de droit, et à M. [N] [T], gérant de fait, ont contribué à l’insuffisance d’actif dés lors qu’elles ont privé la société Bhol Diffusion de sommes qui auraient pu être utilisées pour améliorer sa trésorerie afin de relancer une activité, ou pour acquitter le passif, étant précisé que les sommes acquittées par les époux [T] et par la société IHL Diffusion suite à l’interpellation du liquidateur judiciaire et relances de celui-ci, sont largement en deçà du montant des seules dépenses contraires à son objet social évaluées, tel que cela résulte de ce qui précède, au vu des relevés de compte et pièces justificatives produits, à 16 613 euros.
Elles sont susceptibles de donner lieu à condamnation solidaire de Mme [L] [T], gérante de droit, et de M. [N] [T], gérant de fait, au titre de l’article L 651-2 du code de commerce.
* Sur le montant de la condamnation:
La condamnation au paiement de l’insuffisance d’actif peut être totale ou partielle suivant l’appréciation souveraine des juges du fond, dans le respect du principe de proportionnalité. Elle peut être également totalement écartée.
En l’espèce, il ne peut être affirmé que les fautes de gestion commises par M. et Mme [T] ont causé l’intégralité de l’insuffisance d’actif.
Compte tenu de la gravité des fautes retenues à l’encontre de M. et Mme [T], du montant de l’insuffisance d’actif, (étant rappelé que la société n’a eu au final que deux ans d’existence) et en l’absence d’éléments sur la situation personnelle et financière des époux [T], il convient de considérer que le tribunal de commerce d’Angers a justement apprécié le montant d’insuffisance d’actif que les époux [T] devront solidairement supporter en fixant son montant à la somme de 30 000 euros.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a condamné solidairement Mme [L] [T] née [J] et M. [N] [T] à payer à la SELAS CLR & Associés prise en la personne de Maître [R] [B], ès qualités de liquidateur de la société Bhol Diffusion, la somme de 30.000 euros au titre de l’insuffisance d’actif
– Sur les demandes accessoires
Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles.
Partie perdante, M. [N] [T] et Mme [L] [J] épouse [T] seront condamnés in solidum aux dépens d’appel et seront déboutés de leur demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Partie perdante, M. [N] [T] et Mme [L] [J] épouse [T] seront en outre condamnés à payer à la SELAS C.L.R. et Associés ès qualités la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant par arrêt contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe,
– CONFIRME le jugement rendu le 29 décembre 2021par le tribunal de commerce d’Angers ;
y ajoutant,
– CONDAMNE M. [N] [T] et Mme [L] [J] épouse [T] in solidum aux dépens d’appel ;
– CONDAMNE M. [N] [T] et Mme [L] [J] épouse [T] à payer à la SELAS C.L.R. et Associés ès qualités la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
S. TAILLEBOIS C. CORBEL