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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-2
ARRÊT DE JONCTION ET AU FOND
DU 29 JUIN 2023
N° 2023/227
Rôle N° RG 22/05690 – N° Portalis DBVB-V-B7G-BJH3V
JONCTION avec le N°RG 22/06606
[X] [T]
C/
S.E.L.A.R.L. [K] CONSTANT
[N] [U]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Jerry DESANGES
Me Charles TOLLINCHI
Me Jean-christophe MICHEL
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de FREJUS en date du 11 Avril 2022 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 2021002944.
APPELANT (dans le RG 22/05690)
ET INTIME (dans le RG 22/06606)
Monsieur [X] [T]
né le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 7], de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Jerry DESANGES de la SCP BARTHELEMY-DESANGES, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
PARTIE INTERVENANTE VOLONTAIRE (dans le RG 22/05690)
ET APPELANTE (dans le RG 22/06606)
Madame [N] [U]
née le [Date naissance 3] 1981 à [Localité 6], de nationalité française, demeurant [Adresse 5]
représentée par Me Jean-christophe MICHEL, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
INTIMEE
S.E.L.A.R.L. [K] CONSTANT
prise en la personne de Maître [D] [K] prise en sa qualité de mandataire liquidateur de la SAS AD4M, demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Charles TOLLINCHI de la SCP CHARLES TOLLINCHI – CORINNE PERRET-VIGNERON, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Emmanuel BONNEMAIN, avocat au barreau de DRAGUIGNAN, plaidant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 12 Avril 2023 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Madame Muriel VASSAIL, conseillèrea fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Gwenael KEROMES, Président de chambre
Madame Muriel VASSAIL, Conseiller
Madame Agnès VADROT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Chantal DESSI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 29 Juin 2023.
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l’affaire a été régulièrement communiquée.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 29 Juin 2023,
Signé par Madame Gwenael KEROMES, Président de chambre et Madame Chantal DESSI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS PROCEDURES ET PRETENTIONS DES PARTIES
La société AD4M, immatriculée depuis le 28 mars 2018, exerçait une activité de restaurant, brasserie, pizzeria, crêperie, salon de thé et glacier.
Elle avait pour présidente Mme [N] [U].
Le 1er octobre 2018, cette société a été placée en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de FREJUS sur déclaration de l’état de cessation des paiements de sa présidente et Mme [D] [K] a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.
Par jugement du 14 décembre 2020, le tribunal de commerce de FREJUS a prononcé une interdiction de gérer à l’encontre de Mme [U].
Par jugement du 11 avril 2022, rendu à la requête de la SELARL [K] CONSTANT, représentée par Mme [K], agissant en liquidateur judiciaire, le tribunal de commerce de FREJUS a :
-constaté que M. [X] [T] était dirigeant de fait aux côtés de Mme [U],
-retenu des fautes de gestion contre M. [T] et Mme [U],
-condamné solidairement M. [T] et Mme [U] à payer à Mme [K] ès qualités la somme forfaitaire de 100 000 euros au titre de l’insuffisance d’actif de la société AD4M,
-condamné M. [T] à payer à Mme [K] ès qualités la somme de 11 000 euros,
-condamné solidairement M. [T] et Mme [U] à payer 6 000 euros du chef de l’article 700 du code de procédure civile,
-condamné M. [T] et Mme [U] aux dépens.
La SELARL [K] CONSTANT ès qualités reprochait à Mme [U] et à M. [T] :
-des investissements ruineux,
-une dissimulation de l’actif de la personne morale,
-un détournement de fonds appartenant à la personne morale caractérisé par :
-la tenue d’une comptabilité volontairement irrégulière,
-des rémunération excessives.
Pour prendre leur décision, les premiers juges ont retenu que :
-M. [T], frappé d’une interdiction de gérer jusqu’au 1er octobre 2018, était directeur général de la société AD4M jusqu’au prononcé de sa liquidation judiciaire en date du 1er octobre 2018,
-au vu des éléments du dossier, M. [T] était bien dirigeant de fait,
-Mme [U] était présidente de la société AD4M et donc dirigeante de droit,
-l’achat de matériel de sonorisation, d’une télévision et d’un système de télésurveillance peuvent être considérés comme normaux et nécessaires dans un local de bar restaurant,
-les actifs mobiliers achetés par la société AD4M ont disparu,
-le montant moyen des salaires versés à Mme [U] et M. [T] apparaît élevé au regard des capacités de trésorerie de la société AD4M,
-la créance de l’ADAPT s’élève à 31 239, 39 euros,
-le montant des erreurs de caisse (34 405, 50 euros) et des produits offerts (25 124 euros) est très élevé de sorte qu’il apparaît une volonté de dissimuler des recettes,
-Mme [U] a fait preuve d’une totale incurie dans la surveillance de la gestion de sa société,
-les irrégularités constatées dans la caisse sont régulières,
-ces fautes de gestion ont contribué à placer la société AD4M en état de cessation des paiements et à augmenter son passif,
-les tribunal condamnera solidairement Mme [U] et M. [T] à payer la somme forfaitaire de 100 000 euros,
-M. [T] a acheté le véhicule Peugeot Expert de la société pour la somme de 11 000 euros et le même jour son propre compte courant a été crédité de la somme de 11 000 euros,
-cette irrégularité de comptabilité a été passée aux détriments de la société AD4M,
-M. [T] doit être condamné à payer la somme de 11 000 euros.
Le 15 avril 2022, M. [T] a fait appel de ce jugement et son appel a été enrôlé sous le numéro de RG 22-5690.
Le 5 mai 2022, Mme [U] a fait appel de ce jugement et son appel a été enrôlé sous le numéro de RG 22-6606.
Dans ses dernières conclusions, notifiées au RPVA le 22 juillet 2022 dans les deux dossiers, M. [T] demande à la cour de :
-juger son appel recevable,
-infirmer et réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 11 avril 2022 par le tribunal de commerce de FREJUS,
-débouter Mme [K] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
-débouter Mme [U] de sa demande visant à ventiler entre eux deux le montant de la condamnation,
-condamner Mme [K] aux dépens et à lui payer 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions d’intervention volontaire, déposées au RPVA le 16 juin 2022 dans le dossier RG 22-5690, Mme [U] demande au tribunal de juger un certain nombre de choses qui sont autant de moyens, d’infirmer le jugement frappé d’appel et :
A titre principal, de débouter Mme [K] de sa demande de condamnation,
A titre subsidiaire, de :
-ramener à de plus justes proportions le montant de la condamnation principale et celle au titre des frais irrépétibles,
-ventiler le montant de la condamnation entre elle et M. [T] à hauteur de 5% pour elle-même et de 95% pour M. [T],
En tout état de cause, de statuer ce que de droit sur les dépens.
Dans ses dernières conclusions communiquées au RPVA le 5 juillet 2022 dans le dossier RG 22-6606, Mme [U] présente les mêmes demandes à la cour.
Dans ses dernières conclusions, signifiées au RPVA le 11 juillet 2022 dans les deux dossiers, la SELARL [K] CONSTANT, prise en la personne de Mme [D] [K], en qualité de liquidateur judiciaire de la société AD4M, demande à la cour de :
-débouter M. [T] et Mme [U] de leur appel,
-confirmer en toutes ses dispositions le jugement frappé d’appel,
-condamner solidairement M. [T] et Mme [U] aux dépens avec distraction et à lui payer 4 000 euros du chef de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
Dans ses dernières réquisitions, déposées au RPVA le 7 mars 2023 dans les deux dossiers, le ministère public poursuit la confirmation du jugement frappé d’appel.
Les 15 juin et 30 août 2022, les parties ont été avisées de la fixation des dossiers à l’audience du 12 avril 2023.
Les deux procédures ont été clôturées le 16 mars 2023 avec rappel de la date de fixation.
Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il conviendra de se référer aux écritures des parties pour l’exposé de leurs moyens de fait et de droit.
MOTIFS DE LA DECISION
1)Ses qualités et intérêts à agir n’étant pas remis en cause, Mme [U] sera reçue en son intervention volontaire dans le dossier RG 22-5690.
2)Considérant l’identité de cause et de parties, il procède d’une bonne administration de la justice d’ordonner la jonction des dossiers RG 22-5690 et RG 22-6606 sous le numéro de rôle unique 22-5690.
3)Conformément à l’accord des parties formalisé à l’audience, il conviendra de considérer que constituent de simples erreurs matérielles le fait que :
-Mme [U] adresse ses conclusions d’intervention volontaire au tribunal,
-M. [T] et Mme [U] visent Mme [K] et non la SELARL [K] CONSTANT dans leurs écritures.
4)Comme le rappelle l’article L651-2 du code de commerce, le tribunal de commerce peut condamner à supporter l’insuffisance d’actif d’une société placée en liquidation judiciaire tout dirigeant de droit ou de fait responsable d’une faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif.
Pour que l’action initiée par la SELARL [K] CONSTANT ès qualités puisse prospérer il faut donc que soient établis :
-une insuffisance d’actif,
-une ou plusieurs fautes de gestion imputables à Mme [U] en qualité de gérant de droit et à M. [T] en qualité de gérant de fait,
-un lien de causalité entre la ou les fautes commises et l’insuffisance d’actif.
5)Les premiers juges n’ont pas arrêté l’insuffisance d’actif de la société AD4M.
Mme [U] ne conteste pas l’insuffisance d’actif revendiquée par la SELARL [K] CONSTANT ès qualités à hauteur de 199 500 euros.
M.[T] estime que cette insuffisance d’actif est moindre aux motifs que :
-le passif n’a pas été vérifié,
-la dette de redevance de la location-gérance, principale dette de la société AD4M, est de 31 971 euros et non de 113 568, 84 euros telle que déclarée par la société ADAPT.
L’actif de la société AD4M n’est pas discuté, il s’élève à 2 640, 28 euros.
S’agissant de la dette de redevance de location-gérance, ainsi que le fait valoir la SELARL [K] CONSTANT, représentée par Mme [K], la créance de la société ADAPT doit être arrêtée ainsi qu’il suit :
-sommes dues au titre de l’ordonnance de référé du 7 septembre 2018 qui n’a pas résilié le contrat de location-gérance :
-43 442, 58 euros (redevances et charges impayées au 6 août 2018),
-2 000 euros (article 700 du code de procédure civile),
-797, 31 euros (frais de procédure et d’exécution),
Total : 46 239, 89 euros
-redevances dues jusqu’au 31 décembre 2018, date du terme du contrat de location-gérance : 60 000 euros (15 000 X 4),
-stocks facturés au 28 février 2018 : 7 328, 95 euros.
Total de la créance de la société ADAPT : 46 239, 89 + 60 000 + 7 328, 95 = 113 568, 84 ‘ 15 000 (dépôt de garantie) = 98 568, 84 euros.
Le reste du passif n’étant pas remis en cause, au jour où elle statue, la cour est en mesure d’arrêter l’insuffisance d’actif de la société AD4M à la somme de 199 500 euros telle que revendiquée par la SELARL [K] CONSTANT.
Le jugement frappé d’appel sera complété sur ce point.
6)M.[T] conteste la qualité de gérant de fait qui lui a été reconnue par le tribunal de commerce de FREJUS en faisant valoir que :
-la motivation des premiers juges est inexistante,
-les éléments qui lui sont opposés par le liquidateur judiciaire sont insuffisants pour caractériser une gérance de fait.
Il est exact que les premiers juges n’ont pas caractérisé les éléments de gérance de fait à retenir à l’encontre de M. [T].
Pour autant, comme elle le souligne, la SELARL [K] CONSTANT produit des éléments qui, contrairement à ce qui est soutenu, pris dans leur ensemble démontrent que M. [T] exerçait au sein de la société AD4M une activité positive de direction et de contrôle accomplie en toute liberté et indépendance. En effet ;
-les statuts de la société AD4M sont paraphés exclusivement des initiales DM dont M. [T], qui a admis qu’il en détenait 90% du capital, ne conteste pas que ce sont ses initiales (pièce 3 de l’intimée),
-les fournisseurs ont attesté avoir pour principal interlocuteur M. [T] pour passer les commandes et régler les factures et que ce dernier établissait les chèques (pièces 17 et 18 de l’intimée),
-c’est M. [T] qui a réglé par chèque signé de sa main le contrat de mise à disposition de terrasse conclu avec la société France Boissons pour un montant de 6 000 euros (pièce 19 de l’intimée),
-c’est M. [T] qui a reçu M. [F], ancien salarié, pour son entretien d’embauche (pièce 20 de l’intimée),
-le propriétaire du fonds de commerce réclamait le paiement des redevances de location-gérance par courriels adressés indifféremment aux deux associés (pièce 23 de l’intimée).
Contrairement à ce que plaide M. [T], ces éléments pris dans leur ensemble démontrent qu’en réalité il outrepassait sa fonction de directeur général et gérait la société AD4M en toute liberté.
Cette analyse s’impose d’autant que :
-la cour relève qu’il ne pouvait être dirigeant de droit de la société AD4M lorsqu’elle a été créée pour avoir été frappé d’une interdiction de gérer de 8 ans,
-il n’est pas remis en cause que M. [T] percevait une rémunération supérieure à celle de Mme [U], sa compagne de l’époque,
-cette gérance de fait est admise par Mme [U] en page 3 de ses écritures : « Avec le recul nécessaire, Mme [U] a bien conscience aujourd’hui qu’elle n’aurait point dû accepter la gérance qui lui a été confiée pour une période qui aurait dû se terminer en novembre 2018, date à laquelle M. [T] aurait été rétabli dans ses droits de gérer.
Bien que physiquement présente, Mme [U] n’a pas pu instaurer l’autorité suffisante à M. [T] pour gérer seule l’affaire. ».
En conséquence, le jugement frappé d’appel sera confirmé en ce qu’il a retenu que la responsabilité pour insuffisance d’actif pouvait être engagée à l’encontre de M. [T] en qualité de gérant de fait de la société AD4M.
7)La responsabilité de Mme [U] est, quant à elle, engagée de plein droit en qualité de dirigeante de droit de la société AD4M.
8)La SELARL [K] CONSTANT reproche à Mme [U] et à M. [T]:
-des investissement ruineux,
-une dissimulation de l’actif de la personne morale,
-un détournement de l’actif de la personne morale,
-la tenue d’une comptabilité volontairement irrégulière,
-des rémunérations excessives.
Il n’est pas remis en cause qu’il s’agit de fautes susceptibles d’être sanctionnées au sens de l’article L 651-2 du code de commerce sus-visé.
9)S’agissant des investissements ruineux, la SELARL [K] CONSTANT reproche aux deux dirigeants de la société AD4M des achats pour un montant total de 25 000 euros qui auraient été inutiles en ce que :
-le fonds donné en location-gérance comprenait tout le matériel nécessaire à son exploitation immédiate,
-le contrat de location-gérance avait une durée de 10 mois.
Alors qu’il ressort des documents qu’elle produit (ses pièces 7 et 12 inventaire du contrat de location-gérance et état des immobilisations) que les éléments achetés (table DJ, système d’alarme, véhicule Peugeot Partner, TV avec support mural, mobilier de restauration essentiellement composé de tables « mange debout ») ne faisaient pas partie des biens donnés à bail avec le fonds de commerce, la SELARL [K] CONSTANT ne rapporte pas la preuve des investissements ruineux qu’elle allègue.
En effet ;
-comme les premiers juges l’ont relevé, ce matériel pouvait s’avérer nécessaire au développement de l’activité de la société AD4M,
-en tout état de cause, ce matériel constituait un actif pour la société AD4M qu’elle aurait pu valoriser à la fin du contrat de location-gérance.
Cette faute de gestion sera donc écartée et, dans la mesure où il est difficile de déterminer si les premiers juges l’ont retenue, le jugement frappé d’appel sera complété.
10)Sur la dissimulation de l’actif de la personne morale, la SELARL [K] CONSTANT reproche aux deux dirigeants le fait que les biens qu’elle a acquis au début de la location-gérance (sono, TV, système d’alarme télésurveillance) n’aient pas été au sein de la société AD4M lorsque l’huissier désigné à cet effet a procédé à l’inventaire.
Elle démontre, sa pièce 9 à l’appui, que l’huissier instrumentaire n’a retrouvé qu’un stock et des boissons pour une valeur de prisée de 2 000 euros et que le garage loué par la société AD4M avait été vidé de tout actif (ses pièces 10, 10 bis et 11).
Mme [U] ne s’explique pas sur ce point.
M.[T] expose que n’étant pas le dirigeant de la société il ignore tout du sort de ce mobilier.
Pour autant, sa qualité de gérant de fait a été retenue aux termes des développements précédents et il ne peut sérieusement être discuté qu’il incombe à tout dirigeant, qu’il soit de droit ou de fait, de s’assurer du devenir de l’actif de sa société et de le remettre aux organes de sa procédure collective dans l’intérêt commun de tous ses créanciers.
Il en résulte que les premiers juges doivent être approuvés en ce qu’ils ont retenu contre Mme [U] et M. [T] la faute de gestion de dissimulation de l’actif de la société. Le jugement frappé d’appel sera donc confirmé de ce chef.
11)Sur le détournement des fonds de la personne morale
Mme [U] et M. [T] contestent formellement tout détournement de fonds. Ils affirment que les appels téléphoniques passés à la société TOP CAISSE avaient uniquement pour but de comprendre le fonctionnement mal maîtrisé d’une caisse pour corriger les erreurs.
M. [T] reproche également aux premiers juges d’avoir retenu cette faute alors que la seule attestation produite par la SELARL [K] CONSTANT, qui plus est non contradictoire, est insuffisante pour démontrer un quelconque détournement.
La SELARL [K] CONSTANT verse aux débats ses pièces 16 et 24 (grands livres des comptes généraux et tickets de caisse) qui mettent en évidence :
-diverses annulations (articles, tickets et tables) et des « offerts » pour la somme globale de 62 254, 50 euros,
-plusieurs réintégrations d’espèces toutes réalisées vers 3h 30 du matin.
Par le nombre et la multiplicité des opérations, ces éléments confortent le témoignage de M. [O] [E] (pièce 15 de l’intimée), qui n’est ni une expertise ni une mesure d’investigation et que les appelants ont pu critiquer librement, attestant du fait qu’à la demande de Mme [U] et de M. [T] il s’est déplacé plusieurs fois au sein de la société AD4M car ces derniers souhaitaient qu’il leur explique comment procéder à des annulations sans laisser de trace dans la caisse.
Dans la mesure où il n’est pas contesté que cette caisse a été manipulée exclusivement par Mme [U] et M. [T] au moment des annulations, il importe peu qu’elle ait ou non appartenu à la société AD4M.
La cour estime donc que, contrairement à ce que soutiennent les appelantes, la SELARL [K] CONSTANT produit des documents qui rapportent la preuve les détournements de fonds par dissimulation de recettes qu’elle impute aux deux dirigeants de la société AD4M.
En conséquence, le jugement frappé d’appel sera confirmé en ce que les premiers juges ont retenu cette faute à leur encontre.
12)Au vu des développements précédents et des détournements de recettes qui leur sont imputables, il ne peut être sérieusement contesté que Mme [U] et M. [T], qui ne s’expliquent pas formellement sur ce point, ont volontairement tenu une comptabilité irrégulière de la société AD4M.
Le jugement frappé d’appel sera confirmé de ce chef.
13)Mme [U] et M. [T] contestent toute rémunération excessive, faisant observer qu’ils travaillaient pour la société AD4M sept jours sur sept avec une grande amplitude horaire.
Selon les dires de la SELARL [K] CONSTANT, entre avril et juillet 2018 les rémunérations mensuelles moyennes de Mme [U] et de M. [T] s’établissent ainsi qu’il suit :
Mme [U] : 2 593, 97 euros (1 846, 74 + 3 509, 71 + 3 009, 71 + 2 009, 71 : 4)
M. [T] : 3 093, 97 euros (1 846, 74 + 5 000 + 3 019, 42 + 2 509, 71 : 4)
Il n’est allégué aucun salaire pour les mois d’août et septembre 2018 alors que la déclaration de l’état de cessation des paiements de la société a été effectuée le 17 septembre 2018 et que la liquidation judiciaire a été ouverte le 1er octobre 2018.
Par ailleurs, le liquidateur judiciaire ne conteste pas que M. [T] ait animé les soirées de la société AD4M.
Dans ces conditions, contrairement à ce qu’ont décidé les premiers juges, la cour estime que la SELARL [K] CONSTANT ne rapporte pas la preuve des rémunérations excessives que les gérants de la société AD4M se seraient versées.
Le jugement frappé d’appel sera infirmé de ce chef.
14)Enfin, la SELARL [K] CONSTANT reproche à M. [T] de s’être approprié gratuitement le véhicule Peugeot Partner acquis par la société AD4M.
Il n’est pas contesté et résulte des pièces versées aux débats de part et d’autre que :
-le 1er août 2018, M. [T] a acheté, moyennant le prix de 11 000 euros, le véhicule Peugeot Partner précédemment acquis par la société AD4M pour la même somme,
-le jour de l’achat, M. [T] a versé la somme de 11 000 euros sur le compte bancaire de l’entreprise,
-le même jour, cette même somme a été inscrite au compte courant d’associé de M. [T].
Faisant valoir qu’il n’a jamais déclaré de créance sur la société AD4M au titre de son compte courant d’associé, M. [T] prétend que c’est le comptable qui a commis une erreur d’écriture.
Ainsi qu’il le souligne, la SELARL [K] CONSTANT ne produit aucun élément pour établir le contraire.
Il s’ensuit que le jugement frappé d’appel doit être infirmé en ce qu’il a retenu à l’encontre de M. [T] la faute de détournement d’un véhicule.
15)Ainsi que les appelants le font observer, la redevance mensuelle de la location-gérance (plus de 9 000 euros HT et non 15 000 euros HT) était très élevée même en tenant compte de la situation géographique de l’établissement. Ajoutée au loyer des murs (3 160, 48 euros HT), elle constituait une charge importante pour la société AD4M.
Il ne peut donc être exclu que ces charges locatives, qui représentent la moitié du passif déclaré, sont pour partie à l’origine de la déconfiture de la société AD4M.
Cependant, aux termes des développements précédents, il a été mis en évidence que les fautes de gestion commises par Mme [U] et M. [T] ont aggravé le passif de l’entreprise à hauteur de 3 790 euros concernant la dissimulation d’actif et de 62 254, 50 euros au titre des détournements de fonds.
La cour dispose donc d’éléments suffisants pour considérer que les fautes de gestions imputables aux appelants sont directement à l’origine de 66 044 euros du passif de la société AD4M.
En conséquence, ces fautes étant communes aux deux dirigeants de l’entreprise, le jugement frappé d’appel sera infirmé en ce qu’il a condamné solidairement Mme [U] et M. [T] à payer à la SELARL [K] CONSTANT la somme de 100 000 euros au titre de l’insuffisance d’actif de la société AD4M et les intéressés seront solidairement condamnés à payer à ce titre au liquidateur judiciaire de la société AD4M la somme de 66 044 euros.
En effet, bien qu’elle s’en défende, en sa qualité de dirigeante de droit, Mme [U] est responsable de l’ensemble des fautes commises durant la gestion de la société AD4M et ne démontre pas que sa responsabilité puisse être limitée à 5% de l’aggravation du passif.
16)Considérant les fautes de gestion dont les appelants se sont rendus coupables, le jugement rendu le 11 avril 2022 par le tribunal de commerce de FREJUS sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
Pour la même raison, Mme [U] et M. [T] seront solidairement condamnés aux dépens d’appel. M. [T] se trouve, ainsi, infondé en ses prétentions au titre des frais irrépétibles.
Il serait inéquitable de laisser la SELARL [K] CONSTANT ès qualités supporter les frais qu’elle a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens.
Mme [U] et M. [T] seront solidairement condamnés à lui payer 3 000 euros du chef de l’article 700 du code de procédure civile.
La distraction des dépens sera autorisée pour le conseil de la SELARL [K] CONSTANT ès qualités.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, après débats publics et par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe ;
Reçoit en son intervention volontaire Mme [U] dans le dossier RG 22-5690 ;
Ordonne la jonction des dossiers RG 22-5690 et RG 22-6606 sous le numéro de rôle unique RG 22-5690;
Confirme en toutes ses dispositions, en ce compris celles relatives aux dépens et aux frais irrépétibles, le jugement rendu le 11 avril 2022 par le tribunal de commerce de FREJUS sauf en ce qu’il a :
-retenu à l’encontre de Mme [U] et de M. [T] la faute de gestion consistant à se verser des rémunérations excessives,
-retenu à l’encontre de M. [T] la faute de gestion de détournement du véhicule Peugeot Partner de la société AD4M,
-condamné solidairement Mme [U] et M. [T] à payer à la SELARL [K] CONSTANT ès qualités la somme de 100 000 euros au titre de l’insuffisance d’actif de la société AD4M,
-condamné M. [T] à payer à la SELARL [K] CONSTANT ès qualités la somme de 11 000 euros au titre de l’insuffisance d’actif de la société AD4M,
Statuant à nouveau des chefs d’infirmation, complétant le jugement frappé d’appel et y ajoutant :
Arrête l’insuffisance d’actif de la société AD4M à la somme de 199 500 euros ;
Déboute la SELARL [K] CONSTANT de ses demandes au titre :
-de la faute de rémunération excessive,
-du détournement du véhicule Peugeot Partner,
Retient à l’encontre de Mme [U] et de M. [T] les fautes de gestion suivantes :
-dissimulation de l’actif de la personne morale,
-détournement de fonds de la personne morale,
-tenue d’une comptabilité volontairement irrégulière,
Condamne solidairement Mme [U] et M. [T] à payer à la SELARL [K] CONSTANT ès qualités la somme de 66 044 euros au titre de leur participation à l’insuffisance d’actif de la société AD4M ;
Déclare M. [T] infondé en ses prétentions au titre des frais irrépétibles ;
Condamne solidairement Mme [U] et M. [T] à payer à la SELARL [K] CONSTANT ès qualités 3 000 euros du chef de l’article 700 du code de procédure civile ;
Autorise l’application de l’article 699 du code de procédure civile au bénéfice du conseil de la SELARL [K] CONSTANT ès qualités ;
Condamne Mme [U] et M. [T] aux dépens d’appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE