Gérant de fait : 6 juillet 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 21/00786

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Gérant de fait : 6 juillet 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 21/00786
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RUL/CH

S.A.S. EMPIRE

C/

[M] [A]

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 06 JUILLET 2023

MINUTE N°

N° RG 21/00786 – N° Portalis DBVF-V-B7F-F2LU

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DIJON, section Commerce, décision attaquée en date du 28 Octobre 2021, enregistrée sous le n° 20/00184

APPELANTE :

S.A.S. EMPIRE

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me François-Xavier BERNARD de la SELARL CABINET D’AVOCATS PORTALIS ASSOCIES – CAPA, avocat au barreau de DIJON

INTIMÉ :

[M] [A]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Jean-Philippe SCHMITT, avocat au barreau de DIJON substitué par Me Florence DELHAYE, avocat au barreau de DIJON

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 25 Mai 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller chargé d’instruire l’affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :

Olivier MANSION, Président de chambre,

Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,

Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

M. [M] [A] a saisi le conseil de prud’hommes de Dijon par requête du 12 mai 2020 afin de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail au tort de l’employeur, en l’occurrence la société EMPIRE, et la condamnation de celui-ci à lui payer diverses sommes à titre de rappel de salaire, d’indemnités de repas, de majorations de nuit, de chômage partiel ainsi qu’à des dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail et travail dissimulé, outre les conséquences indemnitaires afférentes à la rupture.

Par jugement du 28 octobre 2021, le conseil de prud’hommes de Dijon a accueilli les demandes du salarié.

Par déclaration formée le 29 novembre 2021, la société EMPIRE a relevé appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières écritures du 24 février 2022, l’appelante demande de :

– réformer le jugement déféré,

– débouter M. [A] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– le condamner à lui payer la somme de 1 000 “e” au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières écritures du 3 mai 2022, M. [A] demande de :

– confirmer le jugement déféré sauf à rectifier le montant du rappel de salaires sur la période du 25 octobre 2019 au 7 mars 2020,

– prononcer la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur à la date de dépôt de la

requête prud’homale, ou à tout le moins au 1er juillet 2020,

– dire que cette résiliation s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– condamner la société EMPIRE à lui payer les sommes suivantes :

* 8 581,23 euros bruts de rappel de salaires sur la période du 25 octobre 2019 au 7 mars 2020, dont à déduire 2 671,26 euros nets, outre 858,12 euros bruts au titre des congés payés afférents,

* 110,91 euros bruts d’indemnités de repas,

* 374,27 euros bruts de majoration de nuit, outre 37,43 euros bruts au titre des congés payés afférents,

* 1 796,02 euros bruts de salaires au titre du chômage partiel,

* 256,57 euros bruts de congés payés afférents,

* 2 500 euros nets de dommages-intérêts pour exécution fautive de contrat,

* 9 236,70 euros nets d’indemnité pour travail dissimulé,

* 1 539,45 euros bruts d’indemnité de préavis, outre 153,94 euros bruts au titre des congés payés afférents,

* 1 539,45 euros nets de CSG et CRDS de dommages-intérêts pour rupture abusive,

* 511,71 euros bruts d’indemnité compensatrice de congés payés,

* 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile de 1ère instance,

* 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile d’appel,

– ordonner à la société EMPIRE de lui remettre les documents légaux suivants, et ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la notification du “jugement à intervenir” : bulletins de paie, certificat de travail et attestation Pôle Emploi,

– dire que le “conseil de prud’hommes de Dijon” se réservera le droit de liquider l’astreinte,

– dire que les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter du dépôt de la requête prud’homale,

– condamner la société EMPIRE aux dépens d’instance.

Pour l’exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I – Sur la qualité de salarié de M. [A] et les rappels de salaire afférents :

Le contrat de travail implique une prestation de travail fournie pour autrui en contrepartie d’une rémunération et la soumission à une subordination juridique à la personne pour le compte de laquelle cette prestation est fournie.

Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

L’existence d’une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité.

C’est à celui qui se prévaut d’un contrat de travail d’en établir l’existence. À l’inverse, en présence d’un contrat de travail apparent, il incombe à celui qui invoque son caractère fictif d’en apporter la preuve.

M. [A] soutient que dans le courant de l’été 2019, les frères [N] et [O] [SJ] ont créé la société EMPIRE afin d’exploiter un bar sous l’enseigne “L’ALPHA” à [Localité 3] et qu’il a été sollicité par eux pour préparer l’ouverture puis y travailler. Dans ce cadre, il affirme avoir participé à quelques travaux et réalisé des supports publicitaires et marketing, notamment des flyers et cartes de cocktails.

Il ajoute qu’après l’ouverture du bar le 25 octobre 2019, il a exercé les fonctions de chef barman sous la direction de [O] [SJ], gérant de fait, contre la promesse de 1 600 euros nets mensuels. Le bar était ouvert du mardi au samedi de 18h00 à 2h00 du matin mais il lui arrivait d’être présent jusqu’à 3h du matin pour faire le ménage en fin de service.

Il soutient à cet égard que :

– il n’a signé aucun contrat de travail, n’a pas été déclaré ni soumis à une visite médicale et n’a reçu aucun bulletin de paye, ce en dépit de ses relances, et n’a perçu qu’un virement de 1 200 euros le 11 décembre 2019 et un autre de 800 euros le 6 janvier 2020,

– le 3 mars 2020 à 23h30, pendant le service, M. [N] [SJ] lui a soumis un contrat à signer en lui disant qu’il devait le régulariser sur le champ, sans quoi il ne pourrait pas être payé. Ce n’est qu’ensuite qu’il a découvert que le contrat était à temps partiel (75,84 heures par mois avec 3,5 heures de travail par jour), à effet au 1er décembre 2019 et que la classification retenue était employé polyvalent, niveau I, échelon B avec un salaire mensuel de 760,57 euros,

– le 6 mars 2020, il a reçu un chèque de 671,26 euros,

– il a été placé en arrêt de travail du 11 au 20 mars 2020 et malgré le confinement du 16 mars 2020, la société EMPIRE n’a fait aucune démarche de prise en charge de l’arrêt de travail puis de chômage partiel,

– le 27 mars 2020, il a mis en demeure son employeur de régulariser au plus vite sa situation de salarié depuis octobre 2019. Le 24 avril suivant, l’avocat de la société EMPIRE lui a répondu qu’il disposait d’un contrat de travail, qu’il avait été réglé de ses salaires et ajoutait qu’il avait été surpris en train de voler des espèces dans la caisse et des bouteilles d’alcool et qu’il avait abandonné son poste le 6 mars 2020, le menaçant d’une procédure de licenciement pour faute lourde,

– le 5 mai 2020, il a reçu un bulletin de paye négatif pour le mois de mars 2020 faisant état d’un acompte de 300 euros et d’une absence injustifiée du 21 au 31 mars 2020.

Il sollicite en conséquence un rappel de salaire du 25 octobre 2019 au 7 mars 2020, outre les majorations de nuit et les indemnités de repas, un rappel d’indemnité de chômage partiel à hauteur de 70% du salaire brut du 21 mars au 10 mai 2020 et congés payés afférents à la période.

La société EMPIRE oppose que M. [A] ne démontre pas avoir travaillé antérieurement à la date du contrat de travail et que les attestations de “piliers de bar” qu’il produit sont de pure complaisance et sans valeur légale pour avoir été rédigées en violation des dispositions de l’article 202 du code de procédure civile.

Elle ajoute que :

– la signature du contrat de travail est intervenue le 1er décembre 2019 et l’ajout, postérieurement à la signature, de la date du 3 mars est sans emport, le salarié ayant en toute hypothèse ratifié son contrat quant à la date effective de sa prise de fonction,

– préalablement à l’ouverture du bar au mois d’octobre 2019, M. [A] et sa compagne Mme [V], lesquels exercent par ailleurs une activité d’auto-entrepreneurs, ne sont jamais intervenus dans le cadre d’un contrat de travail mais dans le cadre d’une prestation de services sans aucun lien de subordination pour apporter leur concours à la formation du personnel préalablement à l’ouverture et dans le cadre également de démarches marketing et commerciales, ce qu’ils ont admis dans un article du BIEN PUBLIC du 8 septembre 2019.

A titre liminaire, la cour relève qu’un contrat de travail daté du 1er décembre 2019 a été régularisé mais que sa date est contestée, de sorte que plusieurs périodes doivent être distinguées pour déterminer à la fois la durée d’exécution du contrat et la durée contractuelle de travail au cours de chacune d’elles.

Par ailleurs, les prétentions de M. [A] ne portant que sur la période postérieure à l’ouverture du bar le 25 octobre 2019, il ne sera pas statué sur son statut pendant la période antérieure de “préparation à l’ouverture”, la cour n’étant saisie d’aucune demande à cet égard.

a – Sur la période du 25 octobre au 1er décembre 2019 :

Durant cette période, M. [A] soutient avoir travaillé comme chef barman à temps complet pour la société EMPIRE sans contrat ni rémunération.

En l’absence de contrat de travail, c’est au salarié qui s’en prévaut d’en établir l’existence.

Au titre de la charge de la preuve qui lui incombe, M. [A] produit les éléments suivants :

– un extrait du site internet du bar faisant mention des horaires d’ouverture (pièce n° 2),

– un contrat de travail à temps partiel daté du 1er décembre 2019 (pièce n° 8),

– un relevé de ses heures quotidiennes de travail du 25 octobre 2019 au 7 mars 2020, y compris les heures supplémentaires (pièce n° 15),

– une attestation de M. [B] [U] indiquant s’être rendu à plusieurs reprises dans l’établissement depuis la soirée d’ouverture du 25 octobre 2019 en tant que correspondant local de presse pour le journal Bien Public / rubrique photos des soirées dijonnaises et confirmant “avoir vu à chacune de mes venues la présence de [I] [V] et [M] [A] en train de travailler au bar” (pièce n° 17),

– une attestation de M. [T] [P] indiquant “j’atteste ayant assisté à plusieurs ouvertures et fermetures que les horaires des concernés étaient bien de 18h à 2h/3h du matin et ceci du mardi au samedi. J’atteste aussi avoir déjà entendu [O] [F] et [N] [F] donner des ordres aux concernés” (pièce n° 18),

– une attestation de M. [S] [E] indiquant “avoir pu constater que les horaires des deux personnes sus-mentionnées étaient bien de 18 heures à 2/3 heures du matin du mardi au samedi” (pièce n° 19),

– une attestation de M. [VP] [Y] indiquant de “Mr [A] [M] et Mme [V] [I] travaillaient de 18h à 2h du matin chaque fois que je suis allé au bar l’Alpha” et “avoir déjà entendu [N] [F] donner des directives à Mr [A] [M]” (pièce n° 20),

– un extrait de compte portant notamment la mention d’un virement de 1 200 euros le 11 décembre 2019 avec la mention “EMPIRE” (pièce n° 23)

– une attestation de Mme [L] [YN] indiquant que depuis le 29 novembre 2019, “je suis allée dans ce bar assez régulièrement. j’ai toujours vu [I] [V] et [M] [A] travailler dans ce bar, pensant même que c’était les patrons […]” » (pièce n° 21),

– une attestation de Mme [K] [H] indiquant “avoir vu Monsieur [A] [M] et Mademoiselle [V] [I] travailler du mois d’octobre 2019 au mois de mars 2020 de 18h à 2h du matin […] dans l’établissement “l’ALPHA” […] sous les ordres de Messieurs [F] [N] et [O]” (pièce n° 25),

– une attestation de Mme [HR] [ZP] indiquant “s’être rendue plusieurs fois entre le 25 octobre 2019 et mars 2020 à l’Apha à des jours de semaines et des heures différentes. Je certifie avoir à chaque fois vu M. [A] [M] et Mlle [V] [I], accueillir les clients, et travailler au bar de l’Alpha. Ils étaient seuls, à faire des cocktails, seuls à servir tous les clients” (pièce n° 28),

– une attestation de M. [R] [D] indiquant être le propriétaire du commerce voisin de l’Alpha et que “Madame [I] [V] et [M] [A] sont venu dans mon commerce à nombreuse reprise pour acheter des produits manquant au bar et ce depuis fin octobre 2020. Je les ai aussi trouvé à travailler derrière le bar dès 18h jusqu’à 2h du matin. Ils m’ont servi de nombreuses fois” (pièce n° 29),

– une attestation de M. [C] [X] mentionnant avoir “plusieurs fois eu l’occasion de voir Mlle [V] et M. [A] exercer leur métier de barman barmaid au sein de l’établissement cité ci-dessous” (pièce n° 31),

– une attestation de M. [W] [J] indiquant “avoir vu travailler les dénommés [V] [I] et [A] [M] au bar l’Alpha situé [Adresse 1]. J’ai pu les voir à chacune de mes visites dans l’établissement depuis l’ouverture du 25 octobre 2019, du mardi au samedi, et ce jusqu’à début mars 2020” (pièce n° 32),

– une attestation de M. [Z] [G] indiquant “avoir vu Mr [A] [M] et [V] [I] travailler au bar l’alpha […] du mardi au samedi du 25 octobre 2019 a début mars 2020” (pièce n° 33),

– différentes photos portant la mention “@alphadijon” datées du 25 octobre 2019 au 28 février 2020 (pièce n° 27),

– divers échanges de SMS entre “[O]”, “[N]” et un interlocuteur non identifié à compter du 23 octobre 2019 (pièce n° 34).

Etant rappelé que la cour conserve sur les attestations produites un pouvoir d’appréciation nonobstant d’éventuelles irrégularités formelles, il résulte des éléments ci-dessus rappelés la démonstration suffisante que dès le 25 octobre 2019, et en tout cas avant le 1er décembre 2019, M. [A] a accompli, au sein de l’établissement “l’ALPHA”, une prestation de travail sous la direction de MM. [N] et [O] [F] et ce en contrepartie d’une rémunération, le paiement le 11 décembre 2019 d’une somme de 1 200 euros ne trouvant à cet égard aucune autre explication.

A l’inverse, les quelques attestations de clients produites par la société EMPIRE affirmant qu’ils ont été servi par MM. [N] et [O] [F] plutôt que par Mme [V] ou se bornant à remettre en cause la qualité de leur travail voire leur intégrité ne sont aucunement de nature à remettre en cause la pertinence des éléments concordants produits par le salarié.

Enfin, il ne saurait être tiré de conclusion d’un article de presse s’agissant d’une retranscription par un journaliste d’informations dont il ne maîtrise pas la teneur.

Il s’en déduit qu’il y a lieu de considérer qu’un contrat de travail verbal, donc réputé à durée indéterminée, liait les parties à partir du 25 octobre 2019 et ce jusqu’à sa rupture.

Par ailleurs, sur cette période le contrat est réputé à temps complet conformément aux dispositions des articles L.1242-12 et L. 3123-6 du code du travail, la société EMPIRE ne justifiant à cet égard d’aucun élément de nature à établir que le salarié a effectivement travaillé pour une durée contractuellement convenue et qu’il n’a pas été placé dans une situation de mise à disposition permanente à son profit.

b – Sur la période du 1er décembre 2019 au 7 mars 2020 :

Il ressort des développements qui précèdent que le contrat de travail initial, de fait à durée indéterminée, couvre l’ensemble de la relation contractuelle, de sorte que seule la durée du travail sera ici examinée, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur la date dudit contrat, le 1er décembre 2019 tel que mentionné selon l’employeur, ou le 3 mars 2020 selon le salarié, la réponse étant sans emport sur la solution du litige.

Aux termes de l’article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l’article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l’employeur tient à la disposition de l’inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

En l’espèce, M. [A] soutient qu’en tant que seul salarié, avec sa compagne Mme [V], il assumait avec cette dernière tous les horaires d’ouverture de l’établissement du mardi au samedi chaque semaine, de sorte qu’il a travaillé sur cette période à temps complet et non à temps partiel comme indiqué sur son contrat de travail.

Il produit à l’appui de son affirmation un décompte de son temps de travail.

La cour considère que ces éléments, pris dans leur ensemble, sont suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

En l’espèce, nonobstant le fait que M. [A] ne saurait se baser sur les seuls horaires d’ouverture du bar pour déterminer ses horaires de travail effectif, lesquels peuvent être différents, la société EMPIRE ne produit aucun élément utile de nature à contredire le décompte du salarié ou seulement de déterminer les heures de travail effectuées par lui.

Elle ne justifie, pas plus que précédemment, d’aucun élément de nature à établir que le salarié a effectivement travaillé pour la durée contractuellement convenue et qu’il n’a pas été placé dans une situation de mise à disposition permanente à son profit.

A cet égard, les attestations de clients produites sont imprécises quant aux horaires de travail du salarié, voire pour la plupart sans rapport avec l’objet du litige.

Il se déduit donc des développements qui précèdent que le bien fondé des prétentions du salarié à titre de rappel de salaire pour la période du 25 octobre 2019 au 7 mars 2020 est démontré par les éléments qu’il produit aux débats, étant par ailleurs relevé que l’employeur, sur qui pèse la charge de démontrer le paiement du salaire, ne justifie pas de la réalité des acomptes mentionnés dans les quelques bulletins de paye tardivement remis et dont le salarié conteste la réalité.

Il lui sera donc alloué la somme de 8 581,23 euros à titre de rappel de salaire sur la période considérée, outre 858,12 euros au titre des congés payés afférents, dont 2 671,26 euros à déduire au titre des sommes nettes déjà perçues, le jugement déféré étant partiellement infirmé sur ce point.

II – Sur les majorations de nuit et indemnités de repas :

a – Au visa de l’article 36 de la convention collective nationale de la restauration rapide définissant comme heure de nuit toute heure effectivement travaillée entre 2 et 6 heures du matin ouvrant droit pour les salariés des niveaux I et II à une majoration du taux horaire de 25 %, M. [A] produit un décompte de ses heures de travail dont il ressort l’accomplissement régulier d’heures de travail au delà de 2 heures du matin (pièce n° 15).

L’employeur, sur qui pèse la charge du contrôle des heures de travail effectif du salarié, ne produit aucun élément utile, se bornant à affirmer que le décompte produit est fantaisiste et ne rapporte pas la preuve de la réalité de ces heures.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a alloué au salarié la somme de 374,27 euros à ce titre, outre 37,43 euros au titre des congés payés afférents.

b – Nonobstant la mention de 22 indemnités de repas dans chacun des bulletins de paye de décembre 2019 et janvier 2020 (pièces n° 5 et 9) qu’il conteste avoir perçu, M. [A] déduit de ces mentions qu’il avait droit à une indemnité de repas pour chaque jour travaillé et ce depuis le 25 octobre 2019 et sollicite en conséquence un rappel de 110,91 euros correspondant à 97 indemnités.

L’employeur ne justifie pas du paiement des indemnités contestées ni ne formule la moindre observation à cet égard.

L’article 42 de la convention collective applicable définit les modalités des repas, la durée et le moment de la pause repas et des conditions d’attribution de l’indemnité de repas selon différentes options choisies par l’entreprise.

En l’espèce, il ressort des bulletins de paye de décembre 2019 et janvier 2020 que M. [A] devait bénéficier de 44 indemnités, soit 50,31 euros. Dès lors que le salarié conteste avoir perçu cette somme, il appartient à l’employeur de justifier de son paiement effectif, ce qu’il omet de faire. Il y a donc lieu de considérer que la créance est établie.

En revanche, M. [A], qui ne justifie pas qu’il remplissait les conditions d’octroi de l’indemnité conventionnelle pour les autres périodes, ne saurait déduire de la mention de cette indemnité sur ses bulletins de paye de décembre 2019 et janvier 2020 qu’il doit en bénéficier pour chacun des autres jours travaillés.

Sa demande complémentaire à ce titre sera donc rejetée, le jugement déféré étant partiellement infirmé sur ce point.

III – Sur les rappels de salaires au titre de la période de confinement :

Rappelant qu’en raison de l’épidémie de COVID-19 le gouvernement a ordonné la fermeture de tous les bars à compter du 16 mars 2020 jusqu’au 2 juin 2020 et que pendant cette période de fermeture imposée les employeurs devaient mettre leur personnel en chômage partiel, M. [A] soutient que la société EMPIRE n’a fait aucune démarche, de sorte qu’à l’issue de son arrêt de travail le 20 mars 2020, il n’a pu bénéficier d’une indemnité de chômage partiel à hauteur de 70% du salaire brut et ce alors que contrairement aux mentions de son bulletin de paye de mars 2020, il n’était aucunement en “absence non rémunérée” (pièce n° 26).

Sur la base d’un salaire brut mensuel de base de 1 539,45 euros pour 151,67 heures de travail au taux de 10,15 euros de l’heure, il sollicite la somme de 1 796,02 euros bruts, outre 256,57 euros bruts correspondant aux congés payés afférents à la période qui aurait dû être travaillée et qui restent à la charge complète de l’employeur.

La société EMPIRE oppose qu’aucun rappel de salaire, à ce titre ou à un autre, n’est fondé car le contrat de travail a été rompu par la démission du salarié le 7 mars lorsqu’il lui a signifié interrompre la relation de travail, ce qu’il admettrait dans ses écritures et plus particulièrement dans sa requête prud’homale.

La démission est l’acte unilatéral par lequel le salarié manifeste, de manière claire et non équivoque sa volonté de mettre fin à son contrat de travail à durée indéterminée. Dès lors qu’elle est caractérisée, la démission consomme la rupture du contrat de travail, et produit tous les effets qui lui sont propres, même si elle n’est pas préalablement acceptée par l’employeur.

En l’espèce, il ressort de la requête initiale de M. [A] que “le 7 mars 2020 au soir, ils ont indiqué à Monsieur [N] [SJ] qu’ils interrompaient la relation de travail jusqu’à ce qu’ils soient rétablis dans leurs droits”.

La formulation retenue par le salarié, sous-entendant un ou plusieurs manquements imputables à l’employeur, ne manifeste aucune volonté claire et non équivoque de rompre le contrat, seulement celle d’interrompre son exécution jusqu’à être “rétabli dans ses droits”, ce dont il s’explique d’ailleurs de manière détaillée dans les deux pages qui précèdent cette mention.

Il s’en déduit que le moyen n’est pas fondé et donc que le contrat de travail n’était pas rompu lors de la mise en oeuvre du décret du 25 mars 2020 relatif à l’activité partielle prévoyant que tous les salariés des entreprises contraintes de réduire leur durée de travail habituelle ou de fermer temporairement un établissement, partiellement ou totalement, en raison de l’épidémie de Covid-19, pouvaient bénéficier d’une allocation spécifique versée par l’entreprise et, sous réserve que celle-ci en fasse la demande, prise en charge par l’État.

M. [A] est en conséquence bien fondé à réclamer le paiement d’une indemnité correspondant à 70% de son salaire bruts sur la période du 21 mars au 10 mai.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu’il lui a alloué la somme de 1 796,02 euros à ce titre, outre 256, 57 euros au titre des congés payés afférents au salaire brut mensuel.

IV – Sur les dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail :

Considérant qu’outre le non paiement des salaires et d’indemnités, la société EMPIRE l’a faite travailler au-delà des maximas quotidiens et hebdomadaires (respectivement 8 heures et 40 heures) prévus par la convention collective, et sans lui faire bénéficier d’une pause de 20 mn toutes les 6 heures, M. [A] sollicite la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts.

L’employeur conclut au rejet de la demande sans plus de précision.

Il résulte des développements qui précèdent que le non paiement des salaires, majorations de nuit et indemnités de repas caractérisent un manquement de l’employeur à son obligation d’exécuter loyalement le contrat de travail.

Par ailleurs, il ressort du décompte des heures de travail effectuées produit par le salarié que celui-ci a travaillé sans pause jusqu’à 3 heures du matin plusieurs soirs par semaine, soit jusqu’à 9 heures quotidiennes et 43 heures par semaine.

Dès lors que ce constat d’un dépassement de la durée maximale de travail cause nécessairement un préjudice au salarié, il lui sera alloué la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.

V – Sur le travail dissimulé :

Au terme de l’article L. 8223-1 du code du travail, le salarié auquel l’employeur a recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 du même code relatifs au travail dissimulé, a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

L’article L. 8221-5 2° du code du travail dispose notamment qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Toutefois, la dissimulation d’emploi salarié prévue par ces textes n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle.

En l’espèce, M. [A] soutient que la société EMPIRE a volontairement et intentionnellement omis de le déclarer, de lui établir des bulletins de paye et de lui remettre un contrat de travail à partir du 25 octobre 2019 dans le but de réduire les charges de l’établissement.

Néanmoins, nonobstant le faits que les divers manquements de l’employeur à l’égard du salarié constituent un comportement négligent de sa part, ils ne sont pas de nature à caractériser une volonté avérée de dissimulation d’emploi salarié, eu égard notamment à la brièveté de la période considérée qui se limite à moins de 6 mois.

Le rejet de la demande d’indemnité pour travail dissimulé s’impose, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.

VI – Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail :

Le salarié peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail en démontrant que l’employeur est à l’origine de manquements suffisamment graves dans l’exécution de ses obligations contractuelles de telle sorte que ces manquements ne permettent pas la poursuite du contrat de travail.

Si la résiliation est prononcée, elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul selon le cas.

En l’espèce, M. [A] fait grief à la société EMPIRE :

– de ne pas l’avoir déclaré à partir du 25 octobre 2019 ni remis aucun bulletin de paye ou réglé aucun salaire sauf partiellement et tardivement,

– de ne pas lui avoir payé ses heures supplémentaires,

– de ne pas lui avoir permis de disposer d’une mutuelle,

– de ne pas avoir fait les démarches auprès de la CPAM pour lui permettre d’être pris en charge au titre de son arrêt de mars 2020,

– de ne pas lui avoir réglé l’indemnité de chômage partiel pendant le confinement, – de l’avoir menacé à plusieurs reprises de représailles s’il ne reprenait pas son poste et s’il faisait valoir ses droits.

L’employeur oppose que la résiliation suppose que le contrat soit en vigueur au jour de la saisine du conseil de prud’hommes or s’agissant de M. [A], il a été rompu par le salarié le 7 mars 2020 en raison de sa démission.

Néanmoins, il ressort des développements qui précèdent :

– d’une part qu’à la date de sa requête le 12 mai 2020, le contrat n’avait pas été rompu, que ce soit à l’initiative du salarié ou de l’employeur,

– d’autre part que les manquements imputables à la société EMPIRE au titre du non paiement des salaires, majorations de nuit et indemnités de repas sont établis.

Dans ces conditions, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les autres griefs allégués, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le contrat est considéré rompu à la date du jugement dès lors qu’à cette date il n’a pas déjà été rompu et que le salarié est toujours au service de l’employeur.

En l’espèce, aucun licenciement n’ayant été prononcé et l’exécution du contrat de travail s’étant poursuivie, la date de la résiliation du contrat de travail sera fixé au 28 octobre 2021, date du jugement du conseil de prud’hommes de Dijon.

En conséquence, il sera alloué à M. [A] les sommes suivantes :

– 1 539,45 euros à titre de dommages-intérêts au titre de la résiliation judiciaire produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 1 539,45 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis conformément à l’article 12 de la convention collective applicable, outre 153,94 euros au titre des congés payés afférents,

– 511,71 euros au titre des congés payés acquis figurant sur le bulletin de paie de mars 2020 (pièce n° 7),

le jugement déféré étant confirmé sur ces points.

VII – Sur les demandes accessoires :

– Sur les documents de fin de contrat :

Le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a ordonné à la société EMPIRE de remettre à M. [A] un bulletin de paye, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi.

En revanche, les circonstances de l’espèce ne justifiant pas que cette condamnation soit assortie d’une astreinte, la demande à ce titre sera rejetée, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.

– Sur les intérêts au taux légal :

Le jugement déféré sera partiellement infirmé sur ce point.

Il sera dit que les condamnations au paiement de créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par la société EMPIRE de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes et que les condamnations au paiement de créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du présent arrêt,

– Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Le jugement déféré sera confirmé sur ces points.

La société EMPIRE sera condamnée à payer à M. [A] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel,

La demande de la société EMPIRE au titre de l’article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

La société EMPIRE succombant au principal, elle supportera les dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement rendu le 28 octobre 2021 par le conseil de prud’hommes de DIJON sauf en ce qu’il a :

– condamné la société EMPIRE à payer à M. [M] [A] les sommes suivantes :

* 110,91 euros bruts à titre d’indemnités de repas,

* 9 236,70 euros nets à titre d’indemnité pour travail dissimulé,

– ordonné une astreinte,

– précisé que les condamnations prononcées emporteront intérêts au taux légal à compter de la réception de la requête par l’employeur pour toutes les créances de nature salariale, soit le 18 mai 2020, à compter du prononcé du présent jugement pour toutes les autres sommes,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE la société EMPIRE à payer à M. [M] [A] les sommes suivantes :

* 50,31 euros à titre de rappel d’indemnité de repas,

* 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

REJETTE la demande de M. [M] [A] à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé et au titre de l’astreinte,

DIT que les condamnations au paiement de créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par la société EMPIRE de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes et que les condamnations au paiement de créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du présent arrêt,

REJETTE la demande de la société EMPIRE au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société EMPIRE aux dépens d’appel.

Le greffier Le président

Frédérique FLORENTIN Olivier MANSION

 


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