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[N] [X]
C/
S.A.R.L. AGRI-EXPERT
Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le
COUR D’APPEL DE DIJON
2ème chambre civile
ARRÊT DU 07 SEPTEMBRE 2023
N° RG 21/01043 – N° Portalis DBVF-V-B7F-FYIE
MINUTE N°
Décision déférée à la Cour : au fond du 05 juillet 2021,
rendue par le tribunal de commerce de Chaumont – RG : 2016003544
APPELANT :
Monsieur [N] [X]
né le [Date naissance 3] 1953 à [Localité 6] (52)
domicilié :
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté par Me Christian BENOIT, membre de la SELARL CHRISTIAN BENOIT, avocat au barreau de HAUTE-MARNE
INTIMÉE :
S.A.R.L. AGRI-EXPERT prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié es qualité au siège social sis :
[Adresse 2]
[Localité 7]
représentée par Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 126
assistée de Me Solen REMY-GANDON, avocat au barreau de l’AUBE
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 11 mai 2023 en audience publique devant la cour composée de :
Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre,
Sophie DUMURGIER, Conseiller,
Sophie BAILLY, Conseiller,
Après rapport fait à l’audience par l’un des magistrats de la composition, la cour, comme ci-dessus composée a délibéré.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Maud DETANG, Greffier
DÉBATS : l’affaire a été mise en délibéré au 06 Juillet 2023 pour être prorogée au 07 Septembre 2023,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ : par Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre, et par Maud DETANG, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La SARL Agri-Expert, société d’expertise comptable, a été créée le 8 janvier 2008 par M. [T] [O] et M. [N] [X], associés à hauteur respectivement de 75 % et 25 %.
Son gérant a toujours été et est encore M. [O], expert-comptable demeurant dans l’Aube.
Son siège social a été fixé dans un premier temps au domicile de M. [X], salarié de la société en qualité d’assistant principal.
Celui-ci a fait valoir ses droits à la retraite à compter du 30 septembre 2015 tout en conservant ses parts dans la société.
Son compte courant d’associé est débiteur et la société Agri-Expert lui reproche de s’être comporté comme un gérant de fait et d’avoir pris des engagements en son nom, notamment l’achat d’une voiture à crédit en mai 2015.
Concomitamment au départ en retraite de M. [X], son gendre, M. [W], est devenu salarié de la société Agri-Expert, dont le siège social a été transféré dans des locaux attenant à la maison d’habitation de M. [W].
La société Agri-Expert soutient que M. [X], qui a continué à exercer son activité comptable, et son gendre ont détourné ses clients qui ont créé au printemps 2016, un groupement d’employeurs dénommé Agapanthe et ont tous mis fin au contrat qui les liait à elle depuis plusieurs années.
C’est dans ces circonstances que :
‘ la société Agri-Expert a :
– transféré son siège social à [Localité 7] à compter du 14 mars 2016, l’adresse de M. [W] étant devenu le siège social d’Agapanthe,
– licencié M. [W] le 23 mars 2016
– assigné M. [X] par acte du 4 novembre 2016 devant le tribunal de commerce de Chaumont afin d’obtenir sa condamnation au paiement de sa dette en compte courant d’associé et de dommages-intérêts en réparation des préjudices causés à la société par son attitude,
‘ M. [O], gérant de la société Agri-Expert, a le 26 avril 2017, déposé une plainte à l’encontre de M. [X], pour abus de biens sociaux, escroquerie, faux et usage de faux et abus de confiance
‘ M. [X] a :
. saisi le conseil des prud’hommes de Chaumont d’une instance à l’encontre de la SARL Agri-Expert ; par jugement du 25 septembre 2018, cette juridiction a condamné la SARL Agri-Expert à lui payer les sommes suivantes : 4 165,65 euros à titre de rappel de salaires sur la période de septembre 2014 à septembre 2015, outre 416,56 euros de congés payés y afférents ; 681,69 euros au titre d’un rappel de prime d’ancienneté sur la même période ; 2 000 euros de dommages-intérêts pour préjudice économique,
. déposé une plainte le 13 mars 2017 à l’encontre de M. [O] pour faux, usage de faux et abus de biens sociaux,
. à titre reconventionnel, dans l’instance engagée devant le tribunal de commerce de Chaumont, formé à l’encontre de la société Agri-Expert diverses demandes en paiement, notamment au titre de la clientèle qu’il lui a apportée en 2008.
Par jugement avant dire droit du 5 février 2018, le tribunal de commerce de Chaumont a ordonné une expertise comptable confiée à Mme [B] [U], sa mission consistant essentiellement à :
– analyser les bilans et l’intégralité des documents comptables de la société Agri-Expert afin de s’assurer que toutes les opérations comptables correspondent à des prestations réelles, en particulier s’agissant des entreprises Audecca, BLV et [T] [O], apparaissant comme débiteurs de la société Agri-Expert au titre de la réalisation de travaux qu’elles lui sous-traitaient,
– donner son avis sur les comptes qui sont présentés par les parties,
– fournir tous éléments procédant de son domaine particulier de compétence afin d’éclairer la juridiction sur les allégations des parties quant aux origines et causes techniques des faits litigieux ainsi que le cas échéant sur les conséquences dommageables évaluées par les parties.
Bien que convoqué aux opérations expertales, M. [X] n’y a pas assisté.
Mme [U] a rendu son rapport le 28 novembre 2018.
Par jugement du 5 juillet 2021, le tribunal de commerce de Chaumont a, au visa des articles 1104, 1188, 1353 et 1382 du code civil et des articles 6 et 9 du code de procédure civile,
– dit la société Agri-Expert recevable et partiellement bien fondée en ses demandes,
– rejeté la demande de sursis à statuer formulée par M. [X],
– débouté M. [X] de ses demandes,
– condamné M. [X] à payer à la société Agri-Expert les sommes suivantes :
‘ 59 575 euros au titre du remboursement de son compte courant, outre intérêts au taux légal à compter du 28 juillet 2016,
‘ 3 861,90 euros au titre de l’achat du véhicule, somme à parfaire des intérêts et frais financiers suite à l’emprunt contracté auprès de la Banque Populaire,
‘ 27 000 euros au titre du détournement de clientèle,
‘ 5 000 euros de dommages-intérêts,
‘ 3 000 euros au titre du remboursement des frais d’expertise,
‘ 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– interdit à M. [X] d’accomplir des actes au nom de la société Agri-Expert et plus généralement d’utiliser le nom de la société si ce n’est en sa qualité d’associé,
– rappelé qu’en cas de violation de cette interdiction, M. [X] sera condamné à verser la somme de 2 000 euros à la société Agri-Expert par violation constatée,
– condamné M. [X] aux dépens y compris les frais de recouvrement à venir et les frais engagés à titre conservatoire par la société Agri-Expert pour assurer la préservation de ses droits,
– ordonné l’exécution provisoire du jugement avec consignation des sommes payées à la Carpa jusqu’à ce que le jugement devienne définitif.
M. [X] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 2 août 2021, critiquant expressément toutes ses dispositions.
Aux termes du dispositif de ses conclusions notifiées le 27 octobre 2021, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens développés au soutien de ses prétentions, M. [X] demande à la cour, au visa des articles 1353 et 1382 du code civil et 6 et 9 du code de procédure civile, de :
– le dire et juger recevable et bien fondé en ses prétentions,
– réformer le jugement dont appel,
Y faisant droit et statuant à nouveau,
A titre principal, surseoir à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure pénale,
A titre subsidiaire,
– débouter purement et simplement la SARL Agri-Expert de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– faire droit à l’ensemble de ses demandes reconventionnelles,
– constater le caractère abusif de l’action engagée à son encontre par la SARL Agri-Expert,
– condamner la société Agri-Expert à lui verser les sommes suivantes :
. 12 000 euros au titre des arriérés de loyers non versés,
. 54 000 euros au titre de la valeur de la clientèle apportée mais non indemnisée,
. 20 000 euros de dommages-intérêts,
– subsidiairement, ordonner la compensation avec les éventuelles sommes mises à sa charge,
– en tout état,
. ordonner la réintégration sur le compte associé de M. [O] de la somme de 13 400 euros prélevée en septembre 2015 depuis les comptes de la société par ce dernier,
. condamner la société Agri-Expert aux entiers dépens, en ce compris les frais d’expertise et à lui verser la somme de 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
Aux termes du dispositif de ses conclusions notifiées le 20 janvier 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens développés au soutien de ses prétentions, la SARL Agri-Expert demande à la cour, au visa des articles 1104 et 1188 du code civil, de :
– la dire et juger recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions,
– débouter M. [X] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
– confirmer le jugement dont appel sauf en ce qu’il a dit qu’elle n’était que partiellement bien fondée en ses demandes,
– en conséquence, réformer le jugement en ce qu’il :
. a condamné M. [X] à lui payer la somme de 27 000 euros au titre du détournement de clientèle,
. l’a déboutée de ses demandes tendant à la condamnation de M. [X] à lui payer les sommes suivantes : 5 000 euros au titre des frais engagés pour recouvrer les sommes dues par ses anciens clients ; 40 000 euros pour le manque à gagner résultant de l’utilisation frauduleuse de l’entité Agri-Expert sans contrepartie financière de la part des clients,
– statuant à nouveau sur ces chefs de jugement infirmés, condamner M. [X] à lui payer les sommes suivantes :
. 85 490 euros correspondant à une année de chiffre d’affaires en réparation de son préjudice et perte de clientèle,
. 5 000 euros au titre des frais engagés pour recouvrer les sommes dues par ses anciens clients,
. 40 000 euros représentant 4 mois de facturation pour le manque à gagner résultant de l’utilisation frauduleuse de l’entité Agri-Expert sans contrepartie financière de la part des clients,
– en toutes hypothèses, condamner M. [X] :
. à lui payer la somme de 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
. aux entiers dépens et aux frais de recouvrement à venir.
La clôture est intervenue le 4 avril 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le sursis à statuer
Ainsi que l’ont justement relevé les premiers juges, la plainte déposée par M. [X] le 13 mars 2017 ne l’a pas été à l’encontre de la SARL Agri-Expert, mais à l’encontre de M. [O] personne physique en sa qualité en outre d’associé, davantage que de gérant de l’intimée.
En toute hypothèse, contrairement à ce que soutient l’appelant, la solution à donner au présent litige ne dépend nullement de l’issue de cette plainte déposée il y a plus de six ans, sur le sort de laquelle il ne démontre même pas avoir interrogé le ministère public et au sujet de laquelle il évoque le secret de l’instruction sans même justifier de l’ouverture d’une information judiciaire confiée à un juge d’instruction.
Dans ces circonstances, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a dit n’y avoir lieu de surseoir à statuer.
Sur le solde débiteur du compte courant d’associé de M. [X]
Il ressort des pièces du dossier et il n’est pas contesté par l’appelant que son compte courant d’associé est devenu débiteur à compter de 2009 et que sa dette à l’égard de la société n’a pas cessé d’augmenter pour atteindre la somme de 59 575 euros.
L’appelant prétend que cette somme devrait se compenser avec les dividendes qui lui sont dus depuis 2013.
Sur ce point, à l’instar des premiers juges, la cour rappelle d’une part que le versement de dividendes ne constitue nullement une obligation de la société à l’égard de ses associés, mais résulte d’une décision annuelle des associés ; si M. [X] affirme que M. [O], gérant et associé majoritaire, aurait pris l’engagement de toujours voter en faveur du versement de la quote-part de bénéfice lui revenant, il ne le démontre pas, un tel engagement étant de surcroît peu crédible surtout sans limitation dans le temps.
La cour observe d’autre part que le versement effectif de dividendes de 2009 à 2012 n’a nullement empêché la naissance et l’augmentation de la dette de M. [X] à l’égard de la société, les éléments constitutifs de cette dette étant en outre sans rapport avec le fonctionnement de la société.
En conséquence, le jugement dont appel doit être confirmé en ce qu’il a condamné M. [X] à rembourser à la SARL Agri-Expert la somme de 59 575 euros outre intérêts au taux légal :
– sur le principal de 57 628,30 euros à compter de la mise en demeure du 28 juillet 2016
– sur le surplus, à compter du 11 mai 2020, date de l’audience à laquelle la SARL Agri Expert a porté sa demande à 59 575 euros, suite au rapport d’expertise judiciaire.
Sur la gérance de fait de M. [X]
La SARL Agri-Expert fait grief de manière générale à M. [X] de s’être comporté en gérant de fait et d’avoir ainsi outrepassé ses droits.
Elle lui reproche plus précisément une opération survenue en mai/juin 2015 ayant consisté à acheter en son nom un nouveau véhicule qui ne lui était pas utile, qui plus est en souscrivant un crédit, puis à vendre son ancien véhicule. La SARL Agri-Expert soutient qu’à cette occasion, M. [X] a commis un faux en imitant la signature et le paraphe de son gérant, M. [O]. Etant parvenue à revendre ce véhicule, elle limite l’indemnisation du préjudice financier qu’elle lui réclame à 3 861,90 euros.
M. [X] ne conteste nullement s’être de manière générale comporté comme un gérant de fait, ce qui était induit par le mode de fonctionnement de la société tel qu’il est décrit dans le procès-verbal de constat constituant la pièce 1 de l’appelant. La SARL Agri-Expert ne l’ignorait donc pas.
Il n’empêche qu’en qualité de gérant de fait, M. [X] ne devait pas faire des actes contraires à l’objet ou à l’intérêt de la société, ni a fortiori commettre des faux, sauf à engager sa responsabilité.
L’opération litigieuse n’a pas consisté à acheter un second véhicule pour la société mais à changer de véhicule, l’ancien datant de 2008 et le nouveau étant d’un modèle semblable à l’ancien. Si la SARL Agri-Expert prétend que cette opération était inutile pour la société, elle ne l’établit pas ; il n’est notamment pas démontré que la société pouvait se dispenser d’un véhicule pour ses activités en Haute-Marne parfaitement conformes à son objet social. L’intimée raisonne davantage en terme d’opportunité, mais ne justifie pas qu’il était contraire à son intérêt, notamment financier, de changer de véhicule au printemps 2015.
Par ailleurs, si certains des actes conclus dans le cadre de cette opération n’ont été signés que par M. [X] (la cession de l’ancien véhicule), voire par M. [X] et M. [O] (l’acte de prêt dans lequel ils sont désignés l’un et l’autre comme représentants de la SARL Agri-Expert), la cour constate que la facture du nouveau véhicule, notamment le cadre relatif à sa livraison, comporte la seule signature de M. [O] : cf pièce 22 de l’intimée. L’affirmation que les signatures attribuées à M. [O] seraient des faux imputables à M. [X] n’est corroborée par aucun élément, étant observé que le garage qui a émis la facture et duquel est sorti le nouveau véhicule est sis à [Localité 5], soit dans l’agglomération de [Localité 7].
Dans ces circonstances, il n’est pas établi que M. [X] ait commis une faute engageant sa responsabilité à l’égard de la SARL Agri-Expert. La cour infirme donc la disposition du jugement ayant condamné l’appelant à payer à l’intimée la somme de 3 861,90 euros.
Sur la clientèle
Sur la rémunération de la clientèle apportée en 2008 par M. [X]
Il est constant que :
– M. [X] n’a jamais eu la qualité d’expert-comptable
– il a été successivement salarié du CER, de 1977 à 2004, puis des agriculteurs dont il tenait la comptabilité de 2004 à 2008,
– en 2008, tous les agriculteurs dont il était le salarié sont devenus les seuls clients de la SARL Agri-Expert.
Ainsi, l’apport factuel d’une clientèle par M. [X] à la SARL Agri-Expert est incontestable et d’ailleurs admis.
L’une des missions de l’experte judiciaire a consisté à apprécier la valeur de cette clientèle, évaluée à 54 000 euros, somme que réclame M. [X]. Toutefois dès lors qu’il était le salarié des dits clients, à l’égard desquels il se comportait comme un expert-comptable sans en avoir la qualité, la valeur de cette clientèle a été minorée de 50 % et réduite à 27 000 euros. Cette réduction est justifiée par le fait que la clientèle apportée par M. [X] était le fruit d’une activité comparable à celle d’un exercice illégal de la profession d’expert-comptable.
S’agissant du paiement de cet apport, il est certain qu’il n’a pas été compensé par l’attribution de parts sociales, les statuts révélant que les seuls apports des deux associés ont été des apports en numéraires, à hauteur de 750 euros pour M. [O] et de 250 euros pour M. [X], donnant lieu à l’attribution des parts sociales constituant le capital social de 1 000 euros.
La SARL Agri-Expert soutient que l’apport de la clientèle a été compensé par l’attribution de dividendes à M. [X]. Toutefois, dès lors qu’elle dépend d’une part de la réalisation de bénéfices par la société et d’autre part d’une décision de l’assemblée générale décidant du sort de ces bénéfices, la distribution de dividendes aux associés au prorata de leurs droits dans le capital social, ne peut valoir paiement de l’apport en clientèle réalisé par M. [X].
En conséquence, la cour infirme le jugement déféré et condamne la SARL Agri-Expert à payer à M. [X] la somme de 27 000 euros.
Sur le détournement de la clientèle de la SARL Agri-Expert par M. [X]
Il est constant que :
– en mars 2016, soit concomitamment au licenciement de M. [W], seul salarié de la SARL Agri-Expert depuis le départ en retraite de M. [X], dont il est le gendre, tous les clients de la SARL Agri-Expert lui ont notifié la fin de leurs relations contractuelles, leurs courriers ayant tous été regroupés dans une seule et même enveloppe (pièce 40 de l’intimée) dont la SARL Agri-Expert indique qu’elle lui a été adressée par M. [X], ce que ce dernier ne contredit pas,
– en mai 2016, a été créée l’association ‘Groupement d’employeurs Agapanthe’ regroupant les anciens clients de la SARL Agri-Expert, cette association étant devenue l’employeur de M. [W].
Il ressort clairement des pièces produites aux débats, notamment des échanges intervenus le 3 février 2016 lors de la réunion organisée par la SARL Agri-Expert avec ses clients, du courriel échangé entre M. [X] et une juriste de la FDSEA le 3 mars 2016 et de ceux adressés par MM. [X] et M. [W] les 21 et 22 mars 2023 aux futurs adhérents de l’association Agapanthe, que M. [X] a eu un rôle moteur dans la création de la nouvelle structure conçue pour la réalisation des prestations comptables jusqu’à alors effectuées par la SARL Agri-Expert au profit des agriculteurs qui étaient ses clients.
Même si M. [X] n’a pas détourné la clientèle de la SARL Agri-Expert à son profit, il a indéniablement trahi le pacte social, ainsi que l’ont justement relevé les premiers juges. Cette attitude déloyale est fautive et elle a causé un préjudice à la SARL Agri-Expert.
La SARL Agri-Expert soutient à juste titre que la réparation de ce préjudice ne doit pas correspondre à la valeur de la clientèle perdue.
En revanche, ce préjudice ne peut pas correspondre comme elle le soutient à 85 490 euros, montant du chiffre d’affaires perdu du fait de la perte de cette clientèle, dès lors que le préjudice subi consécutivement au fait qu’elle n’a plus aucune activité consiste en la perte de la valeur qui était la sienne en 2015.
En pièce 83 de son dossier, l’intimée produit une étude, non discutée par l’appelante, dont il résulte qu’en 2015, le prix de cession des cabinets d’expertise comptable, et donc leur valeur, était égale en moyenne à 87 % de leur chiffre d’affaires.
Toutefois en l’espèce, la valeur de l’intimée ne peut pas être déterminée par application de ce pourcentage à la somme de 85 490 euros, dans la mesure où selon le rapport de l’experte judiciaire, ce chiffre d’affaires ne donne pas une image fidèle de la réalité économique de la société, car il a été majoré par certaines factures émises à l’encontre d’autres structures dans lesquelles M. [O], son gérant avait des intérêts, factures dont elle a relevé qu’elles correspondaient exactement à 75 % de ce chiffre d’affaires et qu’elles n’étaient pas ou peu payées, si ce n’est par des mouvements sur le compte courant d’associé de M. [O] ; elle a indiqué que ce ‘mode de facturation complémentaire’ était destinée à générer des bénéfices et à permettre la distribution de dividendes.
En conséquence, la cour réduit de 75 % la somme 85 490 euros et ramène ainsi le chiffre d’affaires réalisé exclusivement avec les clients perdus par la faute de M. [X] à une somme de l’ordre de 22 000 euros. En appliquant à cette somme le pourcentage moyen de 87 %, elle fixe à 19 140 euros, l’indemnité qu’il convient d’allouer à la SARL Agri-Expert pour réparer intégralement le préjudice qu’elle a subi du fait du départ de tous ses clients agriculteurs, orchestré par M. [X].
En conséquence, après compensation, la SARL Agri-Expert est débitrice de la somme de 7 860 euros à l’égard de M. [X], le jugement dont appel étant infirmé en ses dispositions afférentes à la clientèle.
Sur les loyers dus à M. [X] par la SARL Agri-Expert
Les parties affirment et l’experte judiciaire a constaté qu’elles étaient liées par un contrat de bail aux termes duquel la SARL Agri-Expert était tenue au paiement d’un loyer de 6 000 euros par an, en contrepartie du local mis à sa disposition par M. [X] et que, bien qu’aucun avenant au bail n’ait été signé, le montant du loyer servi a été réduit à 3 600 euros par an à compter de 2009, soit une différence de 2 400 euros par an.
M. [X] présente une demande en paiement des loyers impayés à hauteur de 12 000 euros, soit 2 400 euros x 5 ans, demande dont il a été débouté au motif qu’il avait tacitement accepté cette réduction de loyer, ce qu’il conteste.
Or, c’est M. [X] qui, en sa qualité de gérant de fait de la SARL Agri-Expert, émettait les chèques de paiement du loyer.
Par ailleurs, les comptes des années 2009 et suivantes ne recensant qu’une charge de loyer annuel de 3 600 euros au lieu de 6 000 euros, ont tous été approuvés lors des assemblées générales, sans que M. [X] ne fasse la moindre observation ou ne demande l’inscription de la différence annuelle de 2 400 euros à son compte courant d’associé, pourtant débiteur.
A l’instar des premiers juges, la cour déduit de ces circonstances que le loyer convenu entre les parties avait été tacitement réduit à 3 600 euros par an. Le jugement dont appel est donc confirmé en ce qu’il a débouté M. [X] de sa demande en paiement de la somme de 12 000 euros.
Sur l’inscription au débit du compte courant d’associé de M. [O] de la somme de 13 400 euros
Dès lors que M. [O], personne physique associé de la SARL Agri-Expert n’est pas partie à la présente instance, cette demande présentée par M. [X] au nom et pour le compte de l’intimée dont il n’est pas le représentant légal, est irrecevable.
Sur ce point, le jugement déféré qui a débouté M. [X] de cette demande est infirmé.
Sur la demande de la SARL Agri-Expert relative aux frais de recouvrement des dernières factures dues par les clients perdus
Si la SARL Agri-Expert reproche à M. [X] d’avoir invité au moins un des clients qu’il considérait comme étant les siens, à ne plus payer les sommes qu’il lui devait (cf pièce 27 datée du 20 octobre 2015) et de n’avoir pas facturé les dernières prestations à l’égard de ces mêmes clients, elle indique qu’elle a toutefois pu émettre en avril 2016 les dernières factures de ses créances et qu’elle a pu procéder à leur recouvrement.
Toutefois, elle demande la condamnation de M. [X] à lui payer 5 000 euros au titre des frais qu’elle a dû exposer pour y parvenir. Outre qu’elle ne justifie pas avoir déboursé une telle somme, le lien de causalité entre ces dépenses et les fautes commises par M. [X] n’est pas certain, l’attitude des clients litigieux à l’égard de l’intimée relevant tout de même de leur libre arbitre.
Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu’il a débouté la SARL Agri-Expert de cette demande.
Sur l’utilisation de l’entité Agri-Expert par M. [X] postérieurement à son départ en retraite
Ainsi que l’ont justement relevé les premiers juges, il est établi que M. [X] a continué au moins jusqu’en juillet 2016 à utiliser l’adresse électronique qui était la sienne lorsqu’il était le salarié de la SARL Agri Expert, notamment pour échanger avec les clients agriculteurs qu’il considère comme avoir été les siens et une juriste de la FDSEA.
En revanche, il n’est pas démontré que M. [X] aurait poursuivi au profit de ‘ses’ clients une activité professionnelle en utilisant les moyens de la SARL Agri-Expert, sans aucune contrepartie pour cette société, étant rappelé qu’elle a obtenu le paiement de toutes les factures finalement émises à l’encontre de ceux-ci. Ainsi, la demande de l’intimée tendant à la condamnation de M. [X] à lui payer 40 000 euros pour un prétendu manque à gagner subi de ce chef ne peut pas prospérer. Le jugement déféré doit être confirmé en ce qu’il a débouté la SARL Agri-Expert de cette demande.
Même si l’utilisation de certains moyens de l’intimée avait manifestement cessé lorsque les premiers juges ont statué, dans la mesure où il convient désormais qu’il ne puisse plus le cas échéant se comporter en gérant de fait de cette société, la cour confirme l’interdiction qui lui a été faite d’accomplir des actes au nom de la société Agri-Expert et plus généralement d’utiliser le nom de la société si ce n’est en sa qualité d’associé, cette interdiction étant assortie d’une astreinte que la cour réduit à 500 euros par violation effectivement démontrée.
Sur les autres demandes indemnitaires des parties
‘ La SARL Agri-Expert demande la confirmation du jugement déféré en ce qu’il a condamné M. [X] à lui payer la somme de 5 000 euros de dommages-intérêts au motif :
– d’une part, qu’elle avait subi un préjudice du fait des agissements de l’appelant ayant vidé la société de sa substance ; or, ce préjudice a déjà été réparé par l’allocation d’une indemnité compensant sa perte de valeur,
– d’autre part, qu’il avait fait preuve de résistance abusive en refusant de régler le solde débiteur de son compte courant. Toutefois, selon l’alinéa 3 de l’article 1231-6 du code civil, le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l’intérêt moratoire. Or, en l’espèce, même en admettant que M. [X] soit de mauvaise foi, ce malgré les conditions dans lesquelles les parties sont entrées en relation et les pratiques qu’elles suivaient, il n’est pas établi que la SARL Agri-Expert subisse un préjudice distinct de celui généré par le seul retard de paiement et déjà réparé par les intérêts moratoires alloués sur la somme de 59 575 euros.
En conséquence, la cour infirme le jugement déféré en ce qu’il a fait droit à la demande indemnitaire de la SARL Agri-Expert.
‘ M. [X] demande à la cour de condamner la SARL Agri-Expert à lui payer 20 000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Or, dans la mesure où certaines des demandes de la SARL Agri-Expert ont prospéré et où, finalement même après compensation, elle est créancière de M. [X], elle n’a commis aucun abus de droit.
Sur les frais de procès
Conformément à l’article 696 du code de procédure civile, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a condamné M. [X] aux dépens de première instance comprenant les frais d’expertise avancés par la SARL Agri-Expert et de mettre à sa charge les dépens d’appel.
Les conditions d’application de l’article 700 du code de procédure civile ne sont donc réunies qu’en faveur de la SARL Agri Expert à laquelle il convient d’allouer en sus de la somme de 3 000 euros accordée en première instance, la somme complémentaire de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens qu’elle a exposés en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme le jugement déféré en ce qu’il a :
‘ débouté M. [N] [X] de sa demande de sursis à statuer,
‘ condamné M. [N] [X] :
‘ à payer à la SARL Agri-Expert
– la somme principale de 59 575 euros au titre du solde débiteur de son compte courant d’associé,
– la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile en première instance,
‘ aux dépens de l’instance et à ce titre à rembourser à la SARL Agri-Expert la somme de 3 000 euros au titre des frais d’expertise judiciaire qu’elle a avancés,
‘ interdit à M. [N] [X] d’accomplir des actes au nom de la société Agri-Expert et plus généralement d’utiliser le nom de la société si ce n’est en sa qualité d’associé,
‘ débouté la SARL Agri-Expert de ses demandes tendant à la condamnation de M. [N] [X] à lui payer les sommes suivantes :
– 40 000 euros au titre d’un manque à gagner résultant de l’utilisation frauduleuse de l’entité Agri-Expert,
– 5 000 euros au titre des frais de recouvrement des sommes dues par ses anciens clients,
‘ débouté M. [N] [X] de ses demandes en paiement des sommes suivantes :
– 12 000 euros à titre de loyers,
– 20 000 euros pour procédure abusive,
Pour le surplus, infirme le jugement déféré,
Statuant à nouveau et ajoutant,
Dit que la somme de 59 575 euros due par M. [N] [X] au titre du solde débiteur de son compte courant d’associé produit intérêts moratoires au taux légal à compter du 28 juillet 2016 sur le principal de 57 628,30 euros et à compter du 11 mai 2020 sur celui de 1 946,70 euros,
Assortit l’interdiction faite à M. [N] [X] d’accomplir des actes au nom de la société Agri-Expert et plus généralement d’utiliser le nom de la société si ce n’est en sa qualité d’associé, d’une astreinte provisoire de 500 euros par infraction démontrée par la SARL Agri-Expert,
Sur la clientèle,
– condamne la SARL Agri-Expert à payer à M. [N] [X] la somme de 27 000 euros au titre de la valeur de la clientèle qu’il lui a apportée en 2008,
– condamne M. [N] [X] à payer à la SARL Agri-Expert la somme de 19 140 euros au titre de la valeur qu’elle a perdue suite au détournement de clientèle qu’il a orchestré en 2015 / 2016,
– après compensation, condamne la SARL Agri-Expert à payer à M. [N] [X] la somme de 7 860 euros outre intérêts au taux légal à compter du 5 juillet 2021,
Déclare irrecevable la demande de M. [N] [X] tendant à l’inscription d’une somme au débit du compte courant d’associé de M. [T] [O], au sein de la SARL Agri-Expert,
Condamne M. [N] [X] :
– aux dépens d’appel,
– à payer à la SARL Agri-Expert la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,
Déboute les parties de toutes leurs autres demandes.
Le Greffier, Le Président,