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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 3
ARRÊT DU 4 MARS 2020
(n° , 16 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/10473 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B77I6
Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Avril 2019 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 14/10036
APPELANTE
SCI DU BASSIN NORD représentée par ses deux gérants associés domiciliés audit siège en cette qualité
immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 422 733 402
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Michel GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0020, avocat postulant
Assistée de Me Emmanuel ROSENFELD de l’ASSOCIATION VEIL JOURDE, avocat au barreau de PARIS, toque : T06, avocat plaidant
INTIMÉE
SARL AMC prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de BOBIGNY sous le numéro 439 009 515
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me David PINET de l’ASSOCIATION LEBRAY & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : R189
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 03 Décembre 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Agnès THAUNAT, présidente de chambre
Madame Sandrine GIL, conseillère
Madame Elisabeth GOURY, conseillère
qui en ont délibéré,
un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues par l’article 785 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Madame Marie-Gabrielle de La REYNERIE
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Agnès THAUNAT, présidente de chambre et par Madame Marie-Gabrielle de La REYNERIE, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par la magistrate signataire.
*****
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte sous seing privé des 16 et 23 mars 2010, la SCI DU BASSIN NORD (la SCI) a consenti à la société ADC un bail commercial, d’une durée de dix années à compter de la livraison de la coque, portant sur un local commercial, d’une surface totale de 183 m² dont 155 m² de surface de vente, situé au R +1 du Centre Commercial dit du Millénaire à Aubervilliers (93) en cours de construction, à usage de prêt-à-porter homme et femme sous l’enseigne LEVI’S STORE, et moyennant un loyer minimum garanti de référence (LMG) de 137.250 euros hors taxes et hors charges par an outre un loyer variable correspondant à 7,10% du chiffre d’affaires HT du preneur.
Les parties ont parallèlement convenu d’une réduction du LMG au titre des 24 premiers mois à compter de la date d’ouverture du Centre au public. Par avenant du 21 janvier 2011, le bailleur ayant accepté la substitution de la société AMC à la société ADC, les parties ont convenu que le bail du 23 mars 2010 était réputé avoir été conclu dès l’origine entre le bailleur et la société AMC.
Par acte d’huissier de justice du 10 mars 2014, la SCI a fait assigner la société AMC devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Bobigny (93), en constat de l’acquisition de la clause résolutoire du bail suite à la délivrance d’un commandement de payer du 14 novembre 2013 et en paiement d’une provision sur loyers impayés. Par ordonnance du 1er août 2014, le juge des référés a dit n’y avoir lieu à référé, au vu des contestations sérieuses émises par le preneur et tenant aux manquements du bailleur à ses obligations de délivrance et d’assurer un flux minimal de chalandise. Par arrêt du 22 janvier 2015, la cour d’appel de Paris, saisie par la SCI, a confirmé l’ordonnance.
Par acte d’huissier de justice du 3 juillet 2014, la société AMC a fait assigner la SCI DU BASSIN NORD devant le tribunal de grande instance de Paris, au visa des articles L.442-6 I 2°, D.442-4 et R.145-23 du code de commerce, et 1116, 1134, 1382 et 1719 du code civil, sollicitant pour l’essentiel sa condamnation à lui payer la somme de 561.666 euros à titre de dommages et intérêts en raison des manquements de la SCI à ses obligations contractuelles et notamment à son obligation de commercialité.
Par ordonnance du 8 septembre 2016, le juge de la mise en état, saisi par la société AMC, a notamment commis en qualité de constatant Me [P], huissier de justice, pour se rendre au sein du centre commercial [3], identifier les cellules du centre commercial non exploitées ou fermées au public, leur surface, les répertorier sur un plan, photographies à l’appui, préciser le ratio des cellules non exploitées par rapport au nombre total de cellules du centre commercial, ainsi que le ratio de m² de surface commerciale utile effectivement exploitée par rapport à la surface utile totale du centre commercial, hors grande surface alimentaire, et photographier les devantures des cellules non exploitées ainsi que leur environnement immédiat, et plus généralement les parties communes du centre commercial.
Le constatant a déposé le 24 janvier 2017 au greffe le procès-verbal, de 104 pages, établi le 9 novembre 2016.
Par jugement en date du 18 avril 2019, le tribunal de grand instance de Paris a :
Dit que la SCI DU BASSIN NORD a manqué à son engagement contractuel de délivrer un local dans un centre commercial de haut de gamme présentant une décoration soignée et ne justifie pas de diligences pour tenter de maintenir une offre commerciale diversifiée,
Prononcé la résiliation, au 22 mars 2016 et aux torts du bailleur, du bail liant la SCI DU BASSIN NORD et la société AMC et portant sur des locaux situé au R +1 du Centre Commercial dit du Millénaire à Aubervilliers (93),
Condamné la SCI DU BASSIN NORD à payer à la société AMC la somme de 1.500.000 euros au titre du préjudice matériel subi,
Rejeté la demande de la société AMC en paiement de dommages et intérêts pour préjudice moral,
Condamné la société AMC à payer à la SCI DU BASSIN NORD la somme de 1.082.810,92 euros au titre de sa dette locative comprenant les loyers, charges, accessoires et clause pénale arrêtés au 22 mars 2016, avec intérêt au taux légal sur la somme de 502.522,72 euros à compter du 14 novembre 2013 et du 20 avril 2017 pour le surplus,
Ordonné la compensation entre la créance de dommages et intérêts et la créance de loyers et charges ci-dessus déterminées à hauteur de la plus faible,
Condamné la SCI DU BASSIN NORD aux dépens,
Condamné la SCI DU BASSIN NORD à payer la somme de 8.000 euros à la société AMC sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Ordonné l’exécution provisoire,
Rejeté toute demande plus ample ou contraire.
Par déclaration en date du 7 juin 2019, la SCI DU BASSIN NORD a interjeté appel de ce jugement.
La SCI DU BASSIN NORD autorisée, par ordonnance en date 14 juin 2019, à assigner à jour fixe la société AMC, par acte d’huissier de justice en date du 24 juin 2019, l’a fait assigner à comparaître à l’audience du 3 décembre 2019 à 14h.
Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 28 novembre 2019, la SCI DU BASSIN NORD, demande à la cour de :
Déclarer la SCI du Bassin Nord recevable en son appel,
Y faisant droit,
CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a :
– rejeté les griefs soulevés par la société AMC qu’il ne retenait pas (manquement à une obligation de commercialité, absence de certaines enseignes, travaux aux abords du centre, insuffisance des actions de promotion et d’animation, défaut d’entretien des parties commune) ;
– condamné la société AMC à payer à la SCI du Bassin du Nord le montant de son arriéré, comprenant les loyers, charges, accessoires et clause pénale arrêtés au 22 mars 2016, dont le montant est ramené à 971.959 euros.
Vu les articles 1134, 1719 et 2052 du code civil,
Vu l’article 122 du code de procédure civile,
INFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a :
– dit que la SCI du Bassin Nord avait manqué à son engagement contractuel de délivrer un local dans un centre commercial « haut de gamme présentant une décoration soignée » ;
– dit que la SCI du Bassin Nord avait manqué à son engagement de « tenter de maintenir une offre commerciale diversifiée » ;
– prononcé la résiliation du bail au 22 mars 2016 et aux torts du bailleur ;
– condamné la SCI du Bassin Nord à verser à AMC la somme de 1.500.000 € au titre de son préjudice ;
– rejeté la demande de la SCI du Bassin Nord sur sa demande de condamnation d’AMC au paiement des dommages et intérêts moratoires stipulés à l’article 29 du bail ;
– Condamné la SCI du Bassin Nord à 8.000 euros d’article 700 ainsi qu’aux dépens.
DIRE ET JUGER que la SCI du Bassin Nord ne s’est pas engagée à délivrer un local dans un centre commercial « haut-de-gamme » ;
DIRE ET JUGER que la SCI du Bassin Nord n’est pas tenue de « tenter de maintenir une offre commerciale diversifiée » et de justifier de ses diligences pour relouer, surabondamment que la société AMC ne rapporte pas la preuve de l’absence de diligences pour relouer et encore plus subsidiairement que la SCI du Bassin Nord rapporte la preuve de ses diligences ;
DIRE ET JUGER que la SCI du Bassin Nord ne saurait se voir reprocher aucune inexécution contractuelle ;
CONSTATER l’absence de clause limitative de responsabilité dans l’exposé préalable du bail ainsi que la validité de l’Article 12.4 limitant la responsabilité du bailleur au titre des activités d’animation et de promotions.
DIRE ET JUGER qu’aucune faute de nature dolosive n’a entaché la conclusion du bail et que le prétendu dol invoqué a été couvert.
CONSTATER la résiliation fautive du bail par le preneur au 22 mars 2016 ;
CONDAMNER la société AMC au paiement des dommages et intérêts moratoires stipulés à l’article 29 du bail.
Subsidiairement :
DIRE non rapportée la preuve du lien de causalité ;
DIRE qu’AMC ne justifie pas de la réalité et du quantum du préjudice allégué ;
La DEBOUTER de plus fort de toutes ses demandes ;
En tout état de cause :
CONDAMNER AMC à verser à la SCI du Bassin Nord 50 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et aux dépens ;
CONDAMNER AMC à verser à la SCI du Bassin Nord 20 000 € sur le fondement de l’article 700 CPC.
Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 20 novembre 2019, la SARL AMC, demande à la cour de :
Vu les 1116, 1134, 1149, 1152, 1161, 1382, 1719, 2224 et suivants du Code civil, ayant partiellement été recodifiés aux articles 1137 (ex-1116), 1103 & 1104 (ex-1134), 1188, 1189 et 1192 (ex 1161), 1231-2 (ex-1149) et 1231-5 (ex-1152) du Code civil de par l’effet de l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016,
Vu les articles L. 310-4, L. 145-1 et suivants, L. 145-41 du Code de commerce,
Vu les pièces versées aux débats,
A TITRE PRINCIPAL :
De confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
– dit et jugé que le bailleur avait manqué à ses obligations et résilié le bail du 23 mars 2010 aux torts de la SCI du Bassin Nord ;
– dit et jugé que les clauses de non responsabilité insérées au sein de l’exposé préalable et de l’article 12.4 du bail ne sont pas de nature à exempter le bailleur de sa responsabilité compte tenu notamment du caractère dolosif et délibéré des manquements du bailleur à ses obligations et du périmètre des clauses litigieuses ;
De réformer le jugement entrepris pour le surplus et statuant à nouveau :
– De dire et juger que le bailleur a manqué à ses obligations contractuelles envers AMC au sens de l’article 1134 du Code civil :
. en n’ayant pas créé et implanté au sein du centre commercial du Millénaire les commerces « locomotives » que devaient être la jardinerie, l’animalerie, le cinéma et le « pôle TV cité » ;
. en ayant changé la nature du centre commercial, qui ciblait initialement des enseignes et une clientèle de « haut de gamme », le bailleur ayant manqué à ses obligations en ayant :
d’une part, implanté des enseignes axant leur politique commerciale sur la vente de produits « à bas prix » ou « discount »,
d’autre part, autorisé des enseignes nationales à transformer leurs points de vente « prime » en « outlet » ou « magasins d’usine » au sens de l’article L. 310-4 du Code de commerce, dédiés à la commercialisation à prix cassés de fins de série des collections antérieures et de produits avec défaut ;
. en ayant abandonné la commercialisation du 1 er étage, appelé à être fermé au public ;
. en ayant durablement externalisé la commercialisation des cellules du centre commercial, synonyme d’abandon de toute notion de sélectivité et de complémentarité des commerces qui y sont implantés ;
. en ayant bouleversé le « mix-enseignes » et le « plan merchandising » originel, ce qui a eu pour effet de sacrifier l’équilibre entre les différents pôle d’attraction des offres commerciales du centre, leurs synergies et complémentarités ;
. en s’étant abstenu de produire les redditions de comptes du « fonds d’animation et de promotion » visées à l’article 12.3.1 du bail, outre une attestation de son Commissaires aux comptes de nature à justifier précisément par année calendaire au sens de l’article 12.5 du bail des sommes collectées, des actions entreprises et du coût unitaire et consolidé correspondant ;
. en ayant drastiquement réduit son effort promotionnel, dès lors que l’augmentation exponentielle de la vacance du centre au cours de la période 2014 / 2016 a arithmétiquement rejailli sur le budget du « fond d’animation et de promotion » qui s’est vu amputer d’autant sans que le bailleur n’ait contribué personnellement audit fonds, à proportion des cellules vacantes ;
. en ayant supprimé certains services collectifs du centre commercial et délaissé l’entretien des parties communes de ce dernier ;
. en ayant supprimé la communication des tableaux de bord mensuels du centre commercial intitulés « états commerce » ;
– De dire et juger que le bailleur a gravement manqué à son obligation de délivrance envers AMC au sens de l’article 1719 du Code civil en n’assurant pas une commercialité qui soit de nature à permettre au preneur d’exploiter son commerce de manière pérenne, dans un environnement adéquat ;
– En conséquence, de résilier le bail en date du 23 mars 2010 aux torts exclusifs du bailleur avec effet au 19 février 2016, date de délaissement des lieux libres de toute occupation (et non pas avec effet au 22 mars 2016) ;
– En conséquence, de condamner la SCI du Bassin Nord à payer à AMC des dommages et intérêts correspondant à la perte de marge brute qu’AMC aurait dû réaliser pendant la période d’exploitation du fonds (2011 / 2016) si le bailleur n’avait pas manqué à ses obligations, soit, sur la base du chiffre d’affaires médian au M² de surface de vente engrangé par les points de vente franchisés sous enseigne « Levi’s » en région parisienne et d’un taux de marge brute médian de 42%, la somme consolidée de deux millions six cent trois mille trois cent soixante-dix-huit (2.603.378) EUR ;
– En conséquence, de condamner la SCI du Bassin Nord à payer à AMC la somme de cent mille (100.000) EUR à titre de dommages et intérêts complémentaires pour préjudice moral;
– De débouter le bailleur du quantum de ses demandes au titre des loyers, charges et indemnités prétendument restés impayés jusqu’au 22 mars 2016 ;
De dire et juger en tout état de cause manifestement excessifs et injustifiés au sens des articles 1231-5 alinéa 2 & 3 du Code civil les dispositions des articles 31 et 29 du bail relatives aux pénalités et intérêts de retard, et le cas échéant de fixer le montant de l’indemnité d’occupation due par le preneur à hauteur du loyer minimum garanti indexé convenu à l’article 22.3 des conditions particulières du bail ;
En conséquence, de dire et juger que le preneur n’est tenu qu’au paiement des loyers contractuels et des charges locatives jusqu’à la date du 19 février 2016, sous déduction du montant du dépôt de garantie effectif, à l’exclusion de toute pénalité au sens de l’article 29 des conditions générales du bail ;
De condamner le preneur de ce chef en deniers et quittances, les comptes restant à faire entre les parties ;
– D’ordonner la compensation des créances réciproques des parties ;
EN TOUT ETAT DE CAUSE :
– de débouter la SCI du Bassin Nord de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;
– de condamner la SCI du Bassin Nord au paiement de la somme de cinquante mille (50.000) EUR au titre de l’article 700 du CPC, ainsi qu’aux entiers dépens ;
MOTIFS DE LA DÉCISION
La SCI DU BASSIN DU NORD qui conclut à l’infirmation du jugement entrepris a principalement fait valoir que le bail ne contenait aucune obligation de commercialité, celle-ci étant même exclue par l’exposé préalable, l’article 12-4 indiquant que bailleur n’était pas tenu d’une obligation de résultat dans le cadre de ses actions d’animation ; qu’il n’était pas tenu de démontrer de diligences particulières pour maintenir une offre commerciale diversifiée ou encore pour tenter de recommercialiser les cellules vides ; que la commercialité n’était pas la cause de l’engagement du preneur ; que le bailleur d’un centre commercial n’est tenu que des obligations résultant de l’article 1719 du code civil ; qu’il n’était pas tenu d’assurer au preneur un environnement commercial favorable ; qu’il était mensonger d’affirmer que le premier étage serait laissé à l’abandon, que si des commerces ont fermé en fin de période triennale d’autres commerces ont ouverts, qu’il justifie de ses efforts afin de permettre la relocation des cellules devenues vacantes. Il conteste avoir manqué à ses obligations contractuelles en n’ouvrant pas une jardinerie-animalerie, un pôle Tv Cité ou encore un cinéma, aucune clause du bail ne lui faisant obligation d’ouvrir de tels commerces ; que le bail ne contenait aucune obligation quant au caractère ‘haut de gamme’du centre, celui-ci ne pouvant résulter de la combinaison des articles 3, 12, 13 et 14 du bail ; que le bail ne contenait aucune obligation quant au choix des enseignes et de la clientèle ciblée ; que pas plus qu’un centre de prestige, [3] n’est une solderie ; que le bail ne contient aucune obligation à la charge du bailleur de garantir la présence d’une d’une clientèle disposant d’un pouvoir d’achat élevé ; il souligne en outre, que la qualité de l’architecture du centre a été particulièrement soignée ; qu’on ne peut lui reprocher un défaut résultant de l’apposition de panneaux devant les cellules vides ; qu’il conteste que l’arrivée de Tati qui attire une clientèle familiale nuirait au centre ; que le centre n’a jamais eu pour vocation d’accueillir des enseignes de luxe ; que la société AMC ne peut se plaindre de l’installation d’enseignes postérieurement à son départ ; que [3] ne se distinguait pas par son luxe mais par la nouveauté de son merchandising mix, la presse en 2011 soulignant la diversité et la nouveauté des enseignes, certaines d’entre elles réalisant au Millénaire pour la première fois leur implantation en France ; qu’il n’avait aucune obligation d’internaliser la commercialisation du centre ; qu’il n’avait pas d’obligation de communiquer les ‘états commerce’ ; qu’il justifiait avoir rempli l’obligation d’assurer la promotion du centre ; qu’il justifiait avoir rempli son obligation d’entretien des parties communes du centre ; qu’il n’était tenu d’aucune obligation quant aux travaux aux abords du centre et de son accessibilité. Le bailleur demande de voir constater la résiliation fautive du bail par le preneur le 22 mars 2016 et sollicite la condamnation de la société locataire à lui payer les dommages-intérêts moratoires de l’article 29 du bail.
La société AMC soutient que le bailleur a manqué à ses obligations contractuelles envers elle au sens de l’article 1134 du code civil, en n’ayant pas créé et implanté au sein du centre commercial du Millénaire les commerces ‘locomotives’ que devaient être la jardinerie, l’animalerie, le cinéma et le pôle TV Cité, en ayant changé la nature du centre commercial qui ciblait initialement des enseignes et une clientèle ‘haut de gamme’, le bailleur ayant manqué à ses obligations en ayant d’une part, implanté des enseignes axant leur politique commerciale sur la vente de produits à bas prix ou discount, d’autre part, autorisé des enseignes nationales à transformer leurs points de vente ‘prime’ en ‘outlet’ ou ‘magasin d’usine’, dédiés à la commercialisation à prix cassé de fins de série des collections antérieures et de produits avec défauts ; en ayant abandonné la commercialisation du 1 er étage appelé à être fermé au public ; en ayant durablement externalisé la commercialisation des cellules du centre, synonyme d’abandon de toute notion de séléctivité et de complémentarité des enseignes qui y sont implantées ; en ayant bouleversé le ‘mix enseignes’ et le ‘plan merchandising’ originel, en s’étant abstenu de produire les redditions de comptes du ‘fonds d’animation et de promotion’ , en ayant drastiquement réduit son effort promotionnel ; en ayant supprimé certains services collectifs du centre commercial et délaissé l’entretien des parties communes de ce dernier ; en ayant supprimé la communication des tableaux de bord mensuel du centre intitulé ‘état de commerce’. Elle soutient également que le bailleur a manqué à son obligation de délivrance au sens de l’article 1719 du code civil en n’assurant pas une commercialité qui soit de nature à lui permettre d’exploiter son commerce de manière pérenne, dans un environnement adéquat. Elle demande de résilier le bail aux torts du bailleur avec effet au 19 février 2016, date du délaissement des lieux libres de toute occupation et sollicite la condamnation de la bailleresse à lui payer une somme de 2.603.378 euros correspondant à une perte de marge brute pour la période 2011/2016 , s’agissant d’une perte de chance.
Sur les obligations contractuelles de la SCI DU BASSIN NORD
Il est constant qu’en application des articles 1134 et 1147 du code civil dans leur version antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 et 1719 du même code, le bailleur d’un local situé dans un centre commercial est tenu de délivrer au preneur la chose louée, d’entretenir cette chose, de servir à son usage, en ce inclus les parties communes accessoires nécessaires de la chose louée, d’en faire jouir paisiblement le preneur pendant toute la durée du bail et d’exécuter de bonne foi ses obligations. A défaut de stipulations particulières du bail, il n’est pas tenu d’assurer la bonne commercialité du centre, cependant, il engage sa responsabilité, s’il manque à des stipulations contractuelles.
L’exposé préalable des conditions particulières du bail consenti à la société locataire stipule :
“il est précisé, en particulier, que la société bailleresse pouvant être amenée, pour assurer un meilleur fonctionnement du centre, à modifier sa distribution, la référence à tous plans ou documents est faite à titre purement indicatif, les seuls plans ayant valeur contractuelle étant ceux des locaux dont la jouissance privative est concédée au preneur en vertu des présentes.
Il résulte de la précision qui précède que la société bailleresse et/ou l’AFUL ou l’ASL resteront libres de modifier, à leur seule convenance, les accès extérieurs du centre, les emplacements de tous locaux et de toutes implantations commerciales y compris celle de la moyenne unité alimentaire.
Le preneur déclare contracter aux présentes en acceptant les aléas économiques pouvant résulter d’une évolution de la zone d’implantation du centre commercial de la concurrence, du dynamisme des commerçants de la galerie marchande, des actions commerciales dans le cadre du fonds d’animation et promotion du centre commercial, du maintien, de la transformation ou de la disparition des commerces constituant le centre commercial, sans pouvoir rechercher le bailleur à cet égard.
Le preneur renonce expressément à se prévaloir des dispositions de l’article 1723 du code civil, le bailleur […] se réservant la possibilité de modifier unilatéralement les lieux loués, leur accès, les flux de clientèle, les emplacements de parking, la disposition de la moyenne unité alimentaire, cette liste n’étant pas limitative, sans que le preneur puisse formuler une quelconque réclamation de ce chef.”
Selon la clause 12-4 des conditions générales du bail, intitulée “renonciation à recours”, “le bailleur […] n’est tenu à aucune obligation de résultat dans le cadre de ces actions d’animation, de promotion, de communication et de publicité.
Par conséquent, le bailleur […] ne saurait assumer une quelconque responsabilité liée aux effets des opérations mises en place par le fonds commun sur l’activité exercée par le preneur dans le local ou sur l’état de la commercialité du centre commercial et le preneur le dégage de toute responsabilité.”
La cour relève que la clause 12-4 ne fait que rappeler que le bailleur n’est tenu à aucune obligation de résultat quant aux opérations de communication mises en oeuvre. Elle ne constitue donc pas une clause exonératoire de responsabilité, puisqu’elle reconnaît implicitement que le bailleur est tenu à une obligation de moyen. Par ailleurs, compte tenu du caractère général des dispositions insérées dans l’exposé préalable, elles ne font pas obstacle à l’application éventuelle de dispositions contractuelles plus précises figurant dans les conditions générales et particulières quant aux obligations réciproques des parties et n’empêchent pas le preneur de rechercher la responsabilité contractuelle du bailleur pour une violation précise de stipulations contractuelles.
L’article 12 des conditions particulières du bail relatif au “fonds d’animation et de promotion du centre commercial”, en son article 12.3.3 “modalités de détermination des contributions annuelles”stipule que le montant de la contribution annuelle des boutiques non qualifiées de moyennes unités spécialisées sera déterminé par le prix au mètre carré, que les moyennes unités spécialisées font l’objet de contributions forfaitaires comme suit :” la moyenne unité alimentaire […] bénéficie d’un forfait annuel ; les moyennes unités spécialisées dans les activités de “jardinerie”, “animalerie”, ainsi que le “pôle TV CITE” ou le local dédié à l’audiovisuel tel que cinéma, TV, théâtre… et les activités de type “parc d’attraction” bénéficient également de forfait”.
L’article 27 des conditions particulières du bail intitulé “charges”, définit un système de pondération par tranche de surface et stipule des coefficients de pondération particuliers pour le local à usage de jardinerie et d’animalerie et pour les locaux constituant le pôle TV Cité et/ou le local dédié à l’audiovisuel et les activités de type parc d’attraction et stipule qu’en “cas de changement de destination en ce inclus en cas de division d’une toute moyenne unité pour créer des locaux d’une surface inférieure à 5000 m² et ce avec agrément du bailleur, le système de pondération par tranche s’appliquera de plein droit”.
L’annexe 2 du bail intitulé “Cahier des charges techniques preneurs” rappelle que le programme de l’opération comprend pour la partie “galerie marchande” “18 moyennes unités dont une surface alimentaire et une jardinerie ; entre 5 et 8 restaurants […] une centaine de boutiques ; un espace ludique et interactif dédié à l’image et au numérique”.
La cour relève que contrairement à ce que soutient le preneur il ne s’évince pas de ces dispositions que la bailleresse s’est engagée par ces clauses de répartition des charges, contractuellement, à créer dans le centre commercial les commerces et activités visées à ces clauses, l’objet de ces clauses étant uniquement de prévoir par avance les modalités de répartition des charges en cas de présence de tels ou tels commerces ou activités. Par ailleurs, le cahier des charges qui précise qu’il a pour objet de donner aux preneurs une définition des travaux de construction et d’aménagement à effectuer par la société et par les preneurs, ne peut avoir eu pour effet d’engager la bailleresse quant à l’ouverture d’une jardinerie et d’un espace ludique, quand bien même, viserait-il expressément, les frais du bureau de contrôle devant être supportés par la jardinerie( 2.2.5), la structure de la serre et de la façade Tv cité (3.1), le type d’abonnement du poste dont devrait disposer Tv cité (4.20.2.4), ou encore le type de vitrine de l’animalerie (appendice I, article II), ces précisions ne trouvant à s’appliquer qu’en cas de création de ces commerces. Aucun manquement contractuel de la bailleresse ne peut en conséquence être retenu à son encontre du fait de l’absence d’ouverture des “locomotives” qui lui est reprochée par la société locataire, il importe peu que la surface concernée par les commerces et activités correspondant à ces “locomotives” ait correspondu à 20% du total de la surface du centre commercial.
La société locataire reproche à la bailleresse un changement de la nature du centre, en implantant désormais dans le centre des enseignes discounts et de” magasins d’usine /outlets”, alors que son caractère “haut de gamme” était contractualisé par l’article 3, qui interdisait au preneur d’adopter une enseigne de moindre notoriété en cours de bail, par l’article 13 qui interdisait au preneur d’axer sa communication sur la vente de produit à bas prix et par l’article 14 relatif aux aménagements luxueux que le preneur devait réaliser à ses frais.
La cour relève qu’il ressort de l’article 3 des conditions générales du contrat de bail, que le centre commercial “doit répondre au respect permanent d’une organisation rationnelle et d’un équilibre entre les différents commerces et services”, que l’enseigne du preneur est par conséquent un élément déterminant du consentement du bailleur et qu’en cas de changement d’enseigne, il appartiendra au preneur de proposer au consentement du bailleur “un enseigne de notoriété et de niveau de gamme et qualité équivalentes”.
L’article 13 des conditions générales dudit bail stipule que “le bailleur rappelle au preneur qui lui en donne acte, que toutes formules de ventes portées à la connaissance du public et ayant pour objet de permettre au preneur d’attirer la clientèle en lui proposant des prix inférieurs, soit à ses prix habituels, soit à des prix de référence, constituent une image de marque particulièrement dommageable au Centre tout entier si elles ne sont pas, soit organisées de façon concertées par l’Association des Commerçants, soit justifiées par des circonstances exceptionnelles et, dans ce cas, expressément autorisées par le représentant du bailleur, et simultanément par l’administration compétente, conformément à la réglementation en vigueur.
Le bailleur rappelle au preneur que le strict respect du présent article constitue une condition essentielle à la bonne exécution du bail.”
L’article 14 des conditions particulières stipule que :”le centre commercial a un positionnement et une démarche “HQE” qui doit lui permettre de bénéficier d’une image très qualitative. Ainsi sa réalisation nécessite la mise en oeuvre de moyens exceptionnels pour atteindre cet objectif. De plus, son architecture, sa décoration et ses aménagements extérieurs ont été particulièrement soignés.
Il en résulte l’absolue nécessité de pouvoir offrir aux consommateurs du centre des concepts et des aménagements de boutiques eux-mêmes exceptionnels ; ceci afin de permettre à ce centre commercial de marquer sa différence par rapport à un environnement concurrentiel.
Aussi le preneur s’engage à faire ses plus grands efforts pour développer dans ce Centre un nouveau concept ou celui le plus récent de son réseau de magasins.
De manière plus générale, il lui appartient de mettre en oeuvre tous les moyens possibles pour hisser le niveau de qualité de son magasin, notamment en matière d’agencement et de décoration, à hauteur de celui atteint par la réalisation du Centre commercial.
Cet engagement du preneur constitue une condition déterminante de l’engagement du bailleur sans lequel il n’aurait pas contracté.”
Contrairement à ce que soutient le bailleur, il résulte de ces clauses qu’il entrait dans la commune intention des parties de tout mettre en oeuvre pour que le Centre ait un positionnement différent des autres centres, non seulement en terme de qualité environnementale, mais également quant à l’architecture et la décoration du Centre, celle-ci ayant été particulièrement soignée, le preneur devant tout mettre en oeuvre pour hisser “le niveau de qualité de son magasin” à la hauteur de celui atteint par la réalisation du Centre commercial. Par ailleurs, la clause 13 sus-visée, en interdisant au preneur de pratiquer des soldes permanents, et rappelant que ces pratiques “constituent une image de marque particulièrement dommageable au Centre tout entier”, renforçait l’engagement de qualité des parties, quant au positionnement du centre.
Il résulte de ces stipulations contractuelles que la SCI DU BASSIN NORD était tenue de délivrer à la société AMC un local dans un centre commercial de haut de gamme, avec des commerces d’une gamme élevée, avec une décoration soignée.
Sur le manquement du bailleur de délivrer un local dans un centre commercial de haut de gamme avec une décoration soignée
Ainsi que l’ont relevé les premiers juges il résulte du rapport d’expertise amiable de M. [C] en date du 24 avril 2014, réalisé à la demande de la société AMC et des photographies qui y sont annexées, du procès-verbal dressé par Me [P] le 9 novembre 2016 et des photographies annexées, des articles de presse versés aux débats par les parties, qu’en 2012 plusieurs allées du centre présentaient des cellules vides avec de grands panneaux annonçant l’arrivée d’enseignes, qu’il en était de même en 2014, les photographies annexées au rapport amiable de M. [C], montrant des cellules vides occultées par de grands panneaux annonçant l’arrivée d’enseignes et par des panneaux blancs (pages 36 et 39), qu’en 2016, plusieurs allées présentaient des cellules vides avec soit des panneaux annonçant l’arrivée d’enseignes, soit des panneaux blancs, visiblement de mauvaise qualité et des allées ne présentant aucun élément de décoration.
Dans ces conditions, il ressort suffisamment des pièces produites aux débats qu’alors même que le centre et sa décoration devaient être soignés, de nombreuses cellules étaient vides avec des façades aveugles et recouvertes de planches peu esthétiques, sans effort particulier pour remédier à l’effet ainsi créé, le constat de Me [L], établi quelques mois après le départ des lieux de la société AMC, montrant, en outre, la persistance de la présence de façades aveugles, de cellules vides recouvertes de planches peu esthétiques, ou de panneaux blancs. Le fait que ce constat montre également ainsi que le souligne le bailleur que d’autres cellules vides étaient alors occultées par des dispositifs plus esthétiques et qu’il existait quelques plantes en pots et guirlandes dans le centre, ne peut suffire à établir qu’antérieurement au départ des lieux de la société locataire, le
bailleur n’a pas manqué à son obligation de délivrer des locaux dans un centre à la décoration soignée.
Selon un article de LSA du 16 août 2014, le centre était à l’origine positionné à un niveau de gamme trop élitiste pour son audience de proximité, même si ainsi que le souligne la société bailleresse, le centre n’était pas destiné à des enseignes de luxe comme Dior.
Il n’est pas contesté par la société bailleresse et il est établi par les pièces produites aux débats que son gestionnaire [Y] a fait le choix dès 2014 d’orienter les enseignes en fonction des besoins de la clientèle, celui-ci annonçant en septembre 2014 avoir fait le choix de se tourner vers des enseignes davantage mass market, réorientant ses offres vers un positionnement un peu plus populaire (extrait du journal du textile du 23 septembre 2014 ‘le centre commercial [3] descend d’un cran de gamme’) et de se repositionner (Le Parisien du 17 septembre 2014).
C’est ainsi que l’enseigne TATI, connue pour vendre du prêt-à-porter à petit prix, s’est installée dans le centre. Il résulte en outre des pièces versées aux débats par la société locataire, que se sont également installées d’autres enseignes pratiquant des prix bas. Ainsi en est-il de commerces “outlet”, comme Camaïeu ou Agatha (pièce 8.10.I. de la locataire). L’appellation “outlet” renvoyant à la notion de vente de produits de marques à bas prix, dans le cadre de destockage ou de magasins d’usine, il ne peut sérieusement être soutenu par la bailleresse, que ce terme apposé sur différentes vitrines ne renverrait qu’à la pratique d’opérations de promotions périodiques, alors que selon les pièces produites aux débats par la société locataire, les commerces sus visés sont désignés comme étant des commerces ‘outlets’ (Camaïeu Outlet ; Agatha Outlet) . Le maintien des enseignes Lacoste et Séphora et l’arrivée en 2016 du club de sport Neoness et en 2019 de l’enseigne Vapiano, allégués par la bailleresse ne peuvent suffire à établir qu’elle a maintenu le positionnement initial du centre commercial et ne l’a pas réorienté vers une clientèle plus populaire à moindre pouvoir d’achat.
Ainsi que l’ont décidé les premiers juges, la société AMC établit ainsi un manquement de la SCI à son engagement contractuel de délivrer un local dans un centre commercial de haut de gamme présentant une décoration soignée.
Sur les autres manquements reprochés au bailleur
La société AMC reproche au bailleur d’avoir abandonné la commercialisation du 1er étage, appelé à être fermé au public. Cependant, si le nombre de cellules vacantes est important au premier étage, puisqu’en avril 2014 sur la soixantaine de cellules du 1er étage, 22 étaient inoccupées, pour autant la preuve n’est pas rapportée par la société locataire qu’à l’époque à laquelle son bail a pris fin, le bailleur avait abandonné la commercialisation du premier étage qu’elle lui reproche.
La société locataire reproche également au bailleur d’avoir durablement externalisé la commercialisation des cellules du centre commercial, synonyme d’abandon de toute notion de sélectivité et de complémentarité des commerces qui y sont implantés. Ainsi que le soutient le bailleur, il n’existe au bail aucune obligation de conserver ce service en interne.
La société locataire reproche également au bailleur d’avoir bouleversé le « mix-enseignes» et le « plan merchandising » originel, ce qui a eu pour effet de sacrifier l’équilibre entre les différents pôles d’attraction des offres commerciales du centre, leurs synergies et complémentarités. Elle soutient notamment que le plan merchandising originel, proposait une offre équilibrée entre notamment le textile, la culture, la décoration, l’équipement de la personne et la restauration ; que l’offre a été par suite déséquilibrée avec la suppression du pôle culturel, la disparition de toute notion de complémentarité entre les enseignes, l’arrivée massive de ‘solderie’ et la surreprésentation du pole restauration, passée de 8 cellules à l’ouverture à 18 cellules.
La cour relève que s’il peut être reproché au bailleur d’avoir changé la gamme des commerces existant dans le centre, il ne peut lui être fait reproche, ni de n’avoir pas développé le pôle culturel, ni d’avoir augmenté le nombre de commerces de restauration, qui n’étaient pas contractuellement définis.
La société locataire reproche encore à son bailleur de s’être abstenu de produire les redditions de comptes du « fonds d’animation et de promotion » visées à l’article 12.3.1 du bail, outre une attestation de son Commissaire aux comptes de nature à justifier précisément par année calendaire au sens de l’article 12.5 du bail des sommes collectées, des actions entreprises et du coût unitaire et consolidé correspondant.
La cour relève que la société bailleresse observe à juste titre que le preneur n’avait jusqu’à présent jamais demandé la production des comptes, alors qu’il pouvait depuis le début du bail demander à consulter les comptes.
La société bailleresse justifie suffisamment par la production notamment de sa pièce n°60 de l’organisation au sein du centre commercial de diverses actions d’animation, si bien qu’elle a satisfait de ce chef à son obligation de moyen d’assurer la promotion du centre et il ne peut lui être reproché de ne pas avoir contribué personnellement au dit fonds à proportion des cellules vacantes, le bail ne contenant aucune stipulation en ce sens.
La société locataire reproche également à la société bailleresse d’avoir supprimé la communication des tableaux de bord mensuels du centre commercial intitulés « états commerce ». Cependant, la société locataire ne vise aucune clause du bail faisant obligation au bailleur de produire ces “états”, dans ces conditions, elle ne peut soutenir que ce défaut de communication est un manquement du bailleur à ses obligations.
La société locataire soutient encore que la société bailleresse a supprimé certains services collectifs du centre commercial et délaissé l’entretien des parties communes de ce dernier.
Cependant, elle ne se plaint que d’une absence de chauffage suffisant dénoncée par une pétition du 18 janvier 2017 ou encore fait état d’un procès verbal de constat établi le 29 janvier 2019 à la demande d’un autre commerçant, et encore du rapport de M. [C] dans une autre affaire.
La cour relève que le rapport de M. [C], ne contient pas de constatation personnelle de cet expert amiable mais la reprise des dires de la société Bridac Optique (pièce 9-7) que celle des dires de la société AMC (pièce 9-8), qui l’avaient choisi, et en toute hypothèse il fait état d’une situation postérieure au départ des lieux de la société AMC. Il en est de même des faits dénoncés par la société locataire, tous postérieurs à son départ des lieux et dont elle ne saurait se plaindre.
Le bailleur, sur lequel pèse une obligation d’entretenir les parties communes, dans le cadre de son obligation de délivrance, n’a donc pas manqué à ses obligations d’entretenir les parties communes et aucun manquement de ce chef ne peut lui être reproché.
Sur la résiliation du bail liant les parties
Il résulte des articles 1147 et 1184 alinéa 2 du code civil, dans leur version antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 et 1719 du même code, qu’un manquement du bailleur à ses obligations contractuelles peut justifier la résiliation du contrat à ses torts, si le preneur établit un manquement suffisamment grave compromettant la poursuite des relations contractuelles.
Le bail liant les parties indique qu’il a pour objet l’exercice de l’activité suivante :’ à
titre principal : prêt-à-porter homme et femme ; à titre accessoire : les accessoires s’y rapportant, le tout griffé LEVI’S ou toute autre marque de gamme et de notoriété au moins équivalente; à l’exclusion de toute autre activité, le tout sous l’enseigne ‘LEVI’S STORE’ ou toute autre enseigne de gamme et de notoriété au moins équivalente’.
A l’époque où la société AMC à mis fin à son bail, les seuls manquements du bailleur à ses obligations, retenus par la cour, étaient de n’avoir pas respecté son obligation de mettre à disposition un local commercial dans un centre commercial à la décoration soignée et d’avoir modifié la cible du public initialement visée dans un centre ‘haut de gamme’ pour réorienter ses offres vers un positionnement un peu plus populaire avec des enseignes davantage mass market. A l’époque, du départ de la société AMC, cette réorientation commençait et des enseignes comme ‘Auber Marque’, qui indique sur sa vitrine ‘tout à 2€’, n’était pas encore installée dans le centre.
Ces seuls manquements ne sont pas d’une gravité suffisante pour entraîner le prononcé de la résiliation du bail aux torts du bailleur. En revanche, compte tenu du délaissement des lieux par le preneur, le bailleur est bien fondé à demander que soit constatée la résiliation du bail au torts du preneur au 22 mars 2016.
Sur la réparation du préjudice subi
Tout manquement par un contractant à ses obligations engage sa responsabilité en application de l’article 1147 du code civil devenu l’article 1231-1 du code civil.
Le bailleur fait valoir que la preuve d’un lien de causalité entre le dommage qu’aurait subi la société locataire et le manquement qui lui serait reproché n’est pas rapportée. Il fait valoir notamment la baisse du commerce de détail, la crise du marché textile et plus particulièrement en ce qui concerne la marque LEVI’S le fait que la presse se soit fait l’écho des difficultés qu’elle rencontrait. Il rappelle l’ouverture à quelques centaines de mètres d’une vaste galerie dans l’ancien entrepôt Macdonald. Il conteste en outre la pertinence de l’évaluation du préjudice effectuée par la société locataire et les premiers juges.
La société locataire fait valoir que le préjudice qu’elle a subi du fait des manquements du bailleur s’établit à la somme de 2.603.378 euros, correspondant à une perte de chance, calculée sur la base d’un chiffre d’affaires médian au m² de surface de vente constaté dans les points de vente franchisés de la marque en région parisienne avec un taux de marge brute médian de 42%. Elle verse aux débats, outre une attestation établie le 12 septembre 2017 par le responsable financier de la société LEVI STRAUSS INTERNATIONAL, son budget prévisionnel ainsi que ses liasses fiscales et comptes annuels de résultat pour les années 2011 à 2016.
La cour relève que si la crise du commerce de détail, celle du textile et celle traversée par la société LEVI’S, ne peuvent être niées, de même que doivent être pris en compte les choix de gestion du preneur, pour autant ainsi que l’ont relevé les premiers juges le manquement de la SCI de son engagement de livrer un local dans un centre commercial de standing à la décoration soignée a causé à la société AMC un préjudice en ce que le développement de son activité n’a pu pleinement se réaliser, la clientèle du centre n’étant pas celle qui avait été contractuellement promise, sans que la société AMC ne puisse imputer à cette seule faute l’entier différentiel constaté entre les bénéfices espérés et les bénéfices effectivement réalisés, ceux-ci dépendant également de ses propres choix de gestion ni ne puisse extrapoler au vu des bénéfices réalisés par d’autres sociétés exerçant sous la même enseigne dans des centres commerciaux situés dans des communes différentes, ceux-ci dépendant aussi des choix de gestion des différents exploitants. La faute retenue étant tant la réorientation de la clientèle cible, que le défaut de respect par la société DU BASSIN DU NORD, de son engagement d’assurer un caractère soigné au centre, ces manquements ne sont pas établis pour la période antérieure à l’année 2012, et les demandes de la société locataire au titre de l’année 2011, doivent être rejetées.
Les chiffres d’affaires HT et résultats d’exploitation de la société AMC sont les suivants :
pour 2012 CA 489.469 euros (-85.296 euros), pour 2013 CA 493.616 euros (-119.932) pour 2014 CA 411.149 euros (-184.162 euros) ; pour 2015 CA 415.612 euros (-177.350 euros) ; pour 2016 CA 98.464 euros (-157.763 euros). Selon le budget prévisionnel, le chiffre d’affaires prévisionnel de l’année 2011 était de 950.000 euros HT. Le CA moyen au m² de surface de vente de la région parisienne a varié de 15.627 euros TTC/m² an en 2012, à 12.910 euros TTC/m² par an en 2016. Le taux de marge brute de 42% n’est pas utilement contesté par le bailleur. S’agissant d’une perte de chance et compte tenu de l’ensemble des éléments évoqués ci-dessus le préjudice subi par la société AMC pour la période écoulée entre l’année 2012 et son départ des lieux en mars 2016, s’élève à la somme arrondie de 172.000 euros.
Le jugement entrepris sera en conséquence réformé sur le quantum des dommages-intérêts accordés au preneur.
Pour les motifs développés par les premiers juges, et que la cour adopte, il y a lieu de débouter la société locataire de sa demande de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral.
Sur l’arriéré locatif
Le bailleur sollicite le paiement d’une somme de 971.959 euros au titre de l’arriéré locatif arrêté à la date du 22 mars 2016, en produisant aux débats deux décomptes en pièces 115 et 128. Ce deuxième décompte, arrêté à la somme totale de 977. 144,53 euros au 31 mars 2016, duquel le bailleur déduit la somme de 5.184,61 euros, correspondant au prorata des loyers pour la période du 23 mars 2016 au 31 mars 2016, intègre la somme de 66.600 euros correspondant au solde du droit d’entrée demeuré impayé. Il souligne que ces décomptes n’intègrent ni pénalités de retard, ni indemnités d’occupation et que le dépôt de garantie, qui n’a jamais été réglé par le preneur ne peut être déduit de l’arriéré. Le preneur conteste les décomptes produits par le bailleur, aux motifs qu’ils intégreraient des indemnités d’occupation et des pénalités, ne déduiraient pas le montant du dépôt de garantie de 34.312,50 euros, ni les loyers ou indemnités d’occupation dus entre le 19 février et le 22 mars 2016. Il conteste l’application de la clause 31 du bail, relative à la fixation des indemnités d’occupation et celle de l’article 29 relatif aux pénalités de retard qui présentent un caractère manifestement excessif au sens de l’article 1231-5 du code civil.
A la suite de la production d’une note en délibéré demandée par la cour afin d’expliciter les décomptes produits par le bailleur en pièces 115 et128, la société locataire a fait observer que ces décomptes intégraient des sommes indues, notamment des charges privatives d’un nommé [H] [O], des ‘taxes région Ile de France’ qui correspondraient à la taxe sur les bureaux, alors qu’elle n’exploite pas un local à usage de bureau, des frais d’huissier de justice, des appels de provisions pour charges et travaux et au titre du fonds d’animation et de promotion sans que les comptes de reddition n’aient été produits ; que le dépôt de garantie pour une somme de 34.313 euros, portée à 35.681,07 euros à la suite de réajustements de 1081,65 euros et de 286,42 euros devait lui être remboursé.
La cour relève que les décomptes produits par le bailleur n’intègrent ni calcul d’intérêt de retard, ni pénalités, ni indemnités d’occupation, lesquelles ne sont d’ailleurs pas réclamées, le bail ayant pris fin le 22 mars 2016, alors que le preneur avait délaissé les lieux.
La comparaison des décomptes produits en pièces 115 et 128 avec les factures correspondantes également communiquées en pièce 115, permet d’établir les points suivants:
C’est à tort que le décompte locatif intègre des frais d’huissier de justice le 22 août 2011, sous l’appellation ‘charges privatives [H] [O]’ pour 412,40 euros et le 13 octobre 2011 pour 412,40 euros, le 1er décembre 2013 pour 399,66 euros,le 1er avril 2014 pour 412,81 euros. En revanche, la taxe communément appelée taxe sur les bureaux, s’applique également aux locaux commerciaux. Cette taxe est donc récupérable sur la société locataire, le preneur étant selon l’article 28 du bail tenu au paiement de tous impôts et taxes actuels ou futurs afférents aux locaux loués.
Le preneur se plaint d’un défaut de production des comptes de reddition annuelle des provisions pour charges ou encore du fonds d’animation et de promotion.
Il résulte de la lecture du décompte produit en pièce 115 par le bailleur, que les charges ont bien été régularisées une fois par an, ledit décompte faisant apparaître des appels pour soldes de charges.
Les sommes appelées au titre du ‘fonds d’animation et de promotion’ ne sont pas des provisions, dans ces conditions une absence d’arrêté de compte annuel, conforme à l’article 12.3.1 du bail, ne les rend pas sans cause et elles sont dues.
Le montant du dépôt de garantie soit une somme totale de 35. 681,07 euros, compte tenu des appels en vu de son réajustement, étant demeuré impayé, le bailleur, qui ne réclame par ailleurs aucunes réparations locatives au preneur, après son départ des lieux ne peut en réclamer le paiement au titre de l’arriéré locatif et cette somme doit être ôtée du décompte présenté par le bailleur.
La société locataire n’apporte pas la preuve qu’elle se soit libérée des sommes dues. Dans ces conditions, la preuve est suffisamment rapportée par le bailleur que la société locataire reste redevable de la somme de 934.640,66 euros [971.959-(35.681,07+ 412,40 + 412,40 + 399,66 + 412,81)] au titre de l’arriéré locatif arrêté au 22 mars 2016.
L’article 29 du bail stipule que ‘toute somme non réglée par le preneur à sa date d’exigibilité portera intérêt si bon semble au bailleur depuis la date de son exigibilité jusqu’au jour du paiement effectif, sans qu’il soit besoin d’effectuer une mise en demeure. Cet intérêt sera égal au taux de l’intérêt légal applicable à l’année considérée majoré de 5 points’. Cette clause constitue une clause pénale, mais son caractère manifestement excessif n’étant pas rapportée elle doit recevoir application et le jugement sera infirmé sur ce point.
Une compensation sera opérée entre les créances réciproques des parties.
Sur les demandes accessoires,
Le jugement étant confirmé à titre principal, il le sera aussi en ce qui concerne le sort des dépens de première instance et celui de l’application de l’article 700 du code de procédure civile.
En cause d’appel, il ne sera pas fait application de l’article 700 du code de procédure civile.
Il sera fait masse des dépens d’appel, et chacune des parties sera condamnée à en supporter la moitié.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant contradictoirement,
Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a :
– Dit que la SCI DU BASSIN NORD a manqué à son engagement contractuel de délivrer un local dans un centre commercial haut de gamme présentant une décoration soignée ;
– prononcé la résiliation à compter du 22 mars 2016, du bail liant la SCI DU BASSIN NORD et la société AMC et portant sur des locaux situé au R+1 du centre commercial dit du Millénaire à Aubervilliers, (93);
– rejeté la demande de la société AMC en paiement de dommages intérêts pour préjudice moral,
– ordonné la compensation entre la créance de dommages-intérêts et la créance de loyers et charges à hauteur de la plus faible,
– condamné la SCI DU BASSIN NORD aux dépens,
– condamné la SCI DU BASSIN NORD à payer la somme de 8000 euros à la société AMC sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
l’infirme pour le surplus,
Dit que la résiliation du bail est prononcée aux torts du preneur ;
Condamne la SCI DU BASSIN NORD à verser à la société AMC une somme de 172.000 euros en réparation de sa perte de chance,
Condamne la société AMC à payer à la SCI DU BASSIN NORD une somme de 934.640,66 euros au titre de l’arriéré locatif arrêté au 22 mars 2016 ;
Dit que le bailleur pourra faire application de la clause 29 du bail en ce qui concerne le calcul des intérêts moratoires ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Dit n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,
Fait masse des dépens d’appel et dit qu’ils seront supportés par moitié par chacune des parties .
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE