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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
6e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 09 JUIN 2022
N° RG 19/03602 – N° Portalis DBV3-V-B7D-TPCH
AFFAIRE :
[G] [I]
C/
SAS CARREFOUR HYPERMARCHES
Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 27 Août 2019 par le Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de SAINT GERMAIN EN LAYE
N° Chambre :
N° Section : C
N° RG : 17/00247
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Elodie GERVAUD
Me Mathilde ROY-MASUREL
le : 10 Juin 2022
Expédition numérique délivrée à Pôle Emploi, le 10 Juin 2022
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE NEUF JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX ,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant,fixé au 02 Juin 2022, puis prorogé au 09 Juin 2022, les parties ayant été avisées, dans l’affaire entre :
Monsieur [S], [G] [I]
né le 05 Juin 1980 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par : Me Elodie GERVAUD, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B503
APPELANT
****************
SAS CARREFOUR HYPERMARCHES
N° SIRET : 451 321 335
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 3]
Représentée par : Me Mathilde ROY-MASUREL de la SELARL RMBF, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1407.
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 31 Mars 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Isabelle VENDRYES, Président,
Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,
Greffier lors des débats : Mme Elodie BOUCHET-BERT,
Rappel des faits constants
La SAS Carrefour Hypermarchés, prise en son établissement de [Localité 4] dans les Yvelines, appartient au Groupe Carrefour et est spécialisée dans le secteur d’activité du commerce. Elle emploie plus de dix salariés et applique la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001.
M. [G] [I], né le 5 juin 1980, a été engagé par cette société à compter du 8 avril 2004, selon contrat de travail à durée indéterminée, en qualité d’équipier de ventes au sein de l’établissement de [Localité 4].
M. [I] a fait l’objet d’un avis d’inaptitude le 11 juin 2007 au poste d’équipier de ventes, du fait de lombalgies, et a été reclassé, à compter du mois de novembre 2007, sur un poste d’agent administratif au service financier (carte « Pass ») puis au service informatique.
Au mois de mars 2009, M. [I] a été affecté à un poste de manutentionnaire « Cross Merchandising » au rayon « Maison-Cuisine ».
Alors que M. [I] indique avoir de nouveau ressenti des lombalgies au cours de l’année 2011, celui-ci a été victime le 6 octobre 2012, à l’occasion de la manipulation d’une palette, d’un accident du travail au niveau du dos et a été placé en arrêt de travail jusqu’au mois de juillet 2014.
M. [I] a été reconnu travailleur handicapé à compter du 1er juin 2014.
Lors de la visite de reprise du 7 août 2014, M. [I] a été déclaré apte à la reprise sous réserve d’un aménagement de poste dans les termes suivants : « Apte avec proposition d’aménagement du poste. Apte à la reprise sans port de charges de plus de 7 kg. Serait apte à un poste en caisse, et à tout autre poste de nature administrative. »
Lors d’une nouvelle visite du 4 septembre 2014, M. [I] a été déclaré apte sous réserve d’un aménagement de poste : « Apte avec proposition d’aménagement du poste. Apte à certaines des tâches de conseiller de vente. Contre-indication médicale au soulèvement répétitif de charges de plus de 7 kg, aux mouvements de torsion et en flexion du tronc. Proposition d’aménagement technique et/ou organisationnel du poste. Serait apte à un poste en caisse, à la vente au stand « faim de journée », à la découpe et à l’emballage des pains ou viennoiseries par exemple. ».
M. [I] a fait l’objet d’un arrêt de travail prolongé jusqu’au 5 mars 2017.
Lors de la visite de reprise du 16 mars 2017, le médecin du travail a rendu un avis d’aptitude avec réserves ainsi rédigé : « Contre-indication médicale au port répétitif de charges de plus de 8 kg et aux postures répétitives en torsion, flexion/torsion du tronc. Proposition d’aménagement technique et/ou organisationnel du poste : essai de reclassement sur un poste en caisse (sauf en scan libre) ».
Finalement, le médecin du travail a émis un avis d’inaptitude le 28 avril 2017 en ces termes : « Inapte au poste de conseiller de vente dans l’entreprise Carrefour ville de Chambourcy.
1. Contre-indication médicale aux gestes et contraintes suivantes : port répétitif de charges de plus de 8 kg et aux postures répétitives en torsion, flexion du tronc ;
2. Étude de poste et des conditions de travail faites le 27.04.2017 pour proposition d’aménagement, adaptation ou de mutation de poste et de changement de poste. Échange avec l’employeur effectué le 24.04.2017 ;
3. Date d’actualisation de la fiche entreprise : 23.01.2017 ;
4. Serait médicalement apte à tout poste respectant les indications mentionnées au point 1 : essai de reclassement sur un poste en caisse (sauf au scan libre) permettant l’alternance des postures assise et debout (CLS par exemple avec formation ou station-service ou accueil, Gestor) ou sur un poste de type semi-administratif ;
5. Serait médicalement en capacité de bénéficier d’une formation le préparant à occuper un poste adapté ».
Après un entretien préalable qui s’est déroulé le 26 juin 2017, la société Carrefour Hypermarchés a notifié à M. [I] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement par courrier du 29 juin 2017.
Entendant contester son licenciement, M. [I] a saisi le conseil de prud’hommes de Saint-Germain-en-Laye par requête reçue au greffe le 3 août 2017.
La décision contestée
Par jugement contradictoire rendu le 27 août 2019, la section commerce du conseil de prud’hommes de Saint-Germain-en-Laye a :
– dit le licenciement de M. [I] fondé sur une cause réelle et sérieuse,
– condamné la société Carrefour Hypermarchés à verser à M. [I] la somme de 1 293,23 euros bruts à titre de salaire, outre la somme de 129,32 euros bruts au titre des congés payés afférents, pour la période du 6 mars au 31 mars 2017 ainsi que la somme de 1 496,13 euros bruts à titre de salaire, outre la somme de 149,61 euros bruts au titre des congés afférents, pour la période du 1er au 28 avril 2017, déduction faite des provisions versées le cas échéant,
– ordonné la capitalisation des intérêts,
– ordonné la remise des documents sociaux rectifiés,
– condamné la société Carrefour Hypermarchés à verser la somme de 500 euros à M. [I] en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté les parties de leurs autres demandes,
– condamné la société Carrefour hypermarchés aux dépens,
– rappelé que par application de l’article R. 1454-28 du code du travail, l’exécution provisoire est de droit pour la remise des documents et pour les indemnités énoncées à l’article R. 1454-14 dans la limite de neuf mois de salaires et fixé pour ce faire la moyenne des trois derniers mois à la somme de 1 603,61 euros,
– dit n’y avoir lieu d’ordonner l’exécution provisoire de la décision sur les autres dispositions.
M. [I] avait demandé au conseil de prud’hommes :
– salaire du 6 mars 2017 au 31 mai 2017 (complément)
– congés payés afférents : 230 euros brut,
– dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 20 000 euros,
– indemnité compensatrice de préavis : 4 810,83 euros,
– congés payés afférents : 481,08 euros brut,
– dommages-intérêts pour préjudice subi en raison du manquement de l’employeur à son obligation de formation : 20 000 euros net,
– dommages-intérêts pour préjudice subi en raison des circonstances vexatoires de la rupture du contrat de travail : 5 000 euros,
– article 700 du code de procédure civile : 1 500 euros,
– dépens.
La société Carrefour Hypermarchés avait, quant à elle, conclu au débouté du salarié.
La procédure d’appel
M. [I] a interjeté appel du jugement par déclaration du 28 septembre 2019 enregistrée sous le numéro de procédure 19/03602.
Prétentions de M. [I], appelant
Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 20 septembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, M. [I] demande à la cour d’appel de :
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
. dit que son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse,
. dit que la société Carrefour Hypermarchés n’avait pas manqué à ses obligations de loyauté et de formation,
. l’a débouté de ses demandes subséquentes,
– et réformer le jugement en ce qu’il a limité le montant des rappels de salaire dus pour la période du 6 mars 2017 au 28 mai 2017 à la somme de 2 789,36 euros bruts,
statuant à nouveau,
– juger que la société Carrefour Hypermarchés a manqué à son obligation de prévention et de préservation de la santé,
– juger que la procédure de licenciement présente un caractère abusif en raison d’une inaptitude consécutive au manquement de la société Carrefour Hypermarchés à son obligation de sécurité,
– juger que la société Carrefour Hypermarchés n’a pas effectué de recherches sérieuses et loyales de reclassement,
– juger en conséquence que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– juger que la société Carrefour Hypermarchés a commis des manquements graves à ses obligations de loyauté et de formation à son égard,
– juger que la société Carrefour Hypermarchés a manqué à son obligation de versement d’un salaire pour la période du 6 mars 2017 au 28 mai 2017,
– condamner en conséquence la société Carrefour Hypermarchés au paiement des sommes suivantes :
‘ 4 810,83 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 481,08 euros au titre des congés payés afférents,
‘ 20 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
‘ 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour réparation du préjudice spécifique découlant des manquements de la société Carrefour Hypermarchés à ses obligations de loyauté et de formation,
‘ 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour réparation des préjudices financier et moral résultant des circonstances brutales et vexatoires de la rupture,
‘ 4 345,26 euros à titre de rappel de salaires pour la période du 6 mars 2017 au 28 mai 2017 et 434,52 euros au titre des congés payés afférents.
L’appelant sollicite en outre la capitalisation des intérêts, la remise d’certificat de travail, d’une attestation destinée à Pôle emploi et d’un bulletin de salaire conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard et une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Prétentions de la société Carrefour Hypermarchés, intimée
Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 8 février 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la société Carrefour Hypermarchés demande à la cour d’appel de :
– confirmer le jugement entrepris et :
. dire que M. [I] ne démontre pas qu’elle a manqué à son obligation de prévention et de préservation de la santé à son égard,
. débouter M. [I] de ses demandes indemnitaires à ce titre,
. dire que M. [I] ne démontre pas que la société Carrefour Hypermarchés ait manqué à ses obligations de recherches sérieuses et loyales,
. débouter M. [I] de ses demandes de dommages-intérêts au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. dire que la société Carrefour Hypermarchés n’a pas manqué à son obligation de loyauté,
. débouter M. [I] de ses demandes indemnitaires à ce titre,
. dire M. [I] infondé en sa demande de rappels de salaires pour la période du 6 mars 2017 au 31 mai 2017,
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a condamnée aux sommes « de 1 293,23 euros bruts à titre de salaire, outre la somme de 129,32 euros bruts au titre des congés payés y afférents, pour la période du 6 mars au 31 mars 2017 ainsi qu’à la somme de 1 496,13 euros bruts à titre de salaire, outre la somme de 149,61 euros bruts au titre des congés payés y afférents, pour la période du 1er au 28 avril 2017, déduction faite des provisions versées le cas échéant » à titre de rappel de salaire,
statuant à nouveau,
– dire que M. [I] est infondé en sa demande de rappel de salaire pour la période du 6 mars au 31 mai 2017.
Elle sollicite une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance rendue le 9 février 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 10 mai 2022.
À l’issue des débats, il a été proposé aux parties de recourir à la médiation, ce qu’elles ont décliné.
MOTIFS DE L’ARRÊT
Sur le licenciement pour inaptitude
Par courrier du 29 juin 2017, la société Carrefour Hypermarchés a notifié à M. [I] son licenciement pour inaptitude dans les termes suivants :
” Lors de votre visite de reprise maladie, en date du 28 avril 2017 le médecin du travail a émis un avis médical dans les termes suivants :
« INAPTE AU POSTE DE TRAVAIL Art R. 4624-42 du code du travail.
1 Inapte au poste de conseiller de vente dans l’entreprise Carrefour de la ville de Chambourcy.
Contre indication médicale aux gestes et contraintes suivantes : au port répétitif de charges de plus de 8 kg et aux postures répétitives en torsion, flexion du tronc.
2-Étude de poste et des conditions de travail faite le 27 avril 2017 pour proposition d’aménagement, adaptation ou de mutation de poste ou changement de poste. Échange avec l’employeur effectué le 24 avril 2017.
3-Date d’actualisation de la fiche d’entreprise : 23-01-2017.
4- Serait médicalement apte à tout poste respectant les indications mentionnées au point 1 : Essai de reclassement sur un poste en caisse (sauf en scan libre), permettant l’alternance des postures assise et debout (CLS par ex avec formation, ou station service ou accueil ou Gestor) ou sur un poste de type semi-administratif.
5- Serait médicalement en capacité de bénéficier d’une formation le préparant à occuper un poste adapté. »
Après avoir réunis les délégués du personnel en date du 2 juin 2017 et avoir effectué mes recherches sur la base des critères dégagés lors de l’entretien du 30 mai 2017, nous vous avons proposé en date du 7 juin 2017, trois postes :
Assistant de caisse au service Carburant niveau 2B,
Assistant de caisse au service Pré-Accueil niveau 2B,
Assistant de caisse au service Caisses niveau 2B.
Ces 3 postes étaient sur une base contrat de 35 heures hebdomadaires avec un maintien de votre salaire actuel. Vous n’avez pas donné suite à ces propositions et lors de l’entretien avez confirmé votre refus.
Nous sommes malheureusement, dans l’impossibilité de pourvoir à votre reclassement selon les conseils du médecin du travail.
Nous sommes, par conséquent, dans l’obligation de vous notifier, par la présente, votre licenciement qui prend effet immédiatement à la date du 29 juin 2017.”
M. [I] prétend que son employeur a manqué à son obligation de prévention et de préservation de sa santé, de sorte que son licenciement est selon lui, de ce fait, dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Il conteste également que son employeur ait correctement rempli son obligation de recherche d’un reclassement adapté aux préconisations du médecin du travail et sollicite sur cet autre fondement que son licenciement soit dit dépourvu de cause réelle et sérieuse.
S’agissant de l’obligation de sécurité
M. [I] soutient que son employeur a manqué à de nombreuses reprises à son obligation de sécurité. Il prétend que son inaptitude est indiscutablement due à la négligence fautive de la société qui n’a pas tenu compte du premier avis d’inaptitude rendu par le médecin du travail mettant en évidence sa fragilité lombaire et son statut de travailleur handicapé.
La société Carrefour Hypermarchés oppose que M. [I] n’a travaillé que deux mois entre son accident de travail de 2012 et 2017, de sorte qu’il ne peut pas soutenir un quelconque manquement de la société à ses obligations mais surtout que l’inaptitude de M. [I] n’est pas d’origine professionnelle de sorte que ses allégations n’ont aucune logique.
Sur ce, l’article L. 4121-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, applicable au litige, dispose : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. »
L’employeur ne peut s’exonérer de sa responsabilité que s’il démontre qu’il a bien pris toutes les mesures des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ainsi que cela résulte de la chronologie de la relation contractuelle rappelée précédemment, M. [I] reproche, à juste titre, à la société Carrefour Hypermarchés de lui avoir demandé, à compter de mars 2009, sans solliciter l’avis du médecin du travail, d’assurer à nouveau la mise en rayon en qualité de manutentionnaire Cross Merchandising, alors qu’il avait fait l’objet d’un avis d’inaptitude en lien avec le port de charges.
Ces fonctions ont d’ailleurs entraîné des douleurs lombaires et un accident du travail le 6 octobre 2012 (blocage du dos en tirant une palette et un arrêt de travail du 6 octobre 2012 au 31 juillet 2014).
M. [I] reproche encore avec pertinence à son employeur de l’avoir reclassé sur un poste en boulangerie consistant, selon lui, à tirer des chariots, à demeurer debout pendant les 7 heures de travail quotidien, avec une cadence soutenue, à emballer les différents produits boulangerie/pâtisserie et les mettre en rayon avec des mouvements de torsion et flexion du tronc et faire des allers-retours pour récupérer les produits à l’aide d’un chariot depuis la réserve et le réfrigérateur, les douleurs générées par l’exécution de ces tâches ayant nécessité un arrêt de travail à compter du 5 janvier 2015.
Le salarié démontre, au regard de ces éléments, que société Carrefour Hypermarchés a manqué à son obligation de sécurité, en ne tenant pas compte du premier avis d’inaptitude, des éléments ressortant à l’évidence de son dossier médical et de son statut de travailleur handicapé à compter du 1er juin 2014 pour l’affecter sur des postes inappropriés.
S’agissant de l’obligation de reclassement
Il est rappelé qu’en application des dispositions de l’article L. 1226-2 du code du travail, dans sa version applicable au litige, « lorsque le salarié victime d’une maladie ou d’un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l’article L. 4624-4, à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.
Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel lorsqu’ils existent, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d’une formation le préparant à occuper un poste adapté.
L’emploi proposé est aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en ‘uvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail ».
M. [I] prétend que la société Carrefour Hypermarchés n’a pas fait de recherches sérieuses et loyales de reclassement.
Comme le soutient à juste titre le salarié, la chronologie des recherches démontre clairement l’absence de sérieux de celles-ci.
Ainsi, alors que l’inaptitude a été prononcée le 28 avril 2017, l’employeur a informé le salarié qu’il entreprenait des recherches de reclassement le 24 mai 2017 puis a adressé des demandes auprès d’entités du groupe entre le 26 mai et le 2 juin 2017.
Le 26 mai 2017, il a invité les délégués du personnel à se prononcer sur les possibilités de reclassement dans le cadre d’une réunion fixée le 2 juin 2017.
Le 31 mai 2017, Mme [P], DRH, a reçu le salarié et lui a fait remplir un questionnaire en vue d’orienter les recherches de reclassement.
Le 2 juin 2017, les possibilités de reclassement identifiées par la société ont été soumises à l’avis des délégués du personnel, . [I] soutenant à juste titre à ce sujet que cette consultation ne peut être considérée comme régulière dès lors que les recherches avaient débuté moins d’une semaine auparavant et qu’il manquait encore le retour de certains hypermarchés.
L’employeur a formulé ses propositions de reclassement par courrier du 7 juin 2017et dès le 15 juin 2017, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à licenciement, soit quelques jours à peine après la réception du courrier de proposition (l’accusé de réception de la lettre n’est pas produit par l’employeur mais la réception est nécessairement postérieure au 7 juin, date de la lettre) Ainsi, la seule chronologie des recherches révèle une précipitation incompatible avec le sérieux exigé d’une telle démarche.
Au-delà, aux termes d’une lettre du 7 juin 2017, société Carrefour Hypermarchés a proposé trois postes de reclassement au sein du magasin de [Localité 4] :
– assistant de caisse au service carburant,
– assistant de caisse au service pré-accueil,
– assistant de caisse au service des caisses (pièce 32 de l’employeur).
Étaient joints à ce courrier des descriptifs de poste desquels il résultait que les fonctions d’assistant de caisse proposées à . [I] comprenaient des torsions du tronc et l’obligation de tirer et de pousser des charges, de sorte que ces postes n’apparaissaient pas adaptés aux contraintes médicales visées dans l’avis, qu’en toute hypothèse, le médecin du travail n’a pas été sollicité pour se prononcer sur leur compatibilité avec l’état de santé du salarié.
Dans ces conditions, ces propositions étaient illusoires et la société ne pouvait ignorer que le salarié allait les refuser puisqu’il avait déjà refusé ce type de poste précédemment.
Au demeurant, M. [I] souligne avec pertinence que la société ne lui a proposé aucune formation dans le cadre de son obligation de reclassement, ainsi que le suggérait pourtant le médecin du travail dans son avis, alors que des organismes spécialisés proposent des services aux entreprises pour faciliter le maintien dans l’emploi de salariés devenus handicapés et qu’il est justifié d’un programme spécifique « Mission Handicap » au sein de la société Carrefour.
Il se déduit de ces éléments que l’employeur n’a pas rempli son obligation de reclassement, de façon loyale et sérieuse.
La société Carrefour Hypermarchés, ayant par ailleurs manqué à son obligation de sécurité, ainsi que cela a été retenu précédemment, le licenciement M. [I] doit être dit sans cause réelle et sérieuse, par infirmation du jugement entrepris.
Sur l’indemnisation du salarié
Au vu de ses bulletins de paie, le salaire de référence de M. [I] doit être fixé à la somme de 1 603,61 euros et son ancienneté arrêtée à 13,5 ans sous réserve de déduire les périodes d’arrêts de travail.
Conséquence du licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, le salarié peut prétendre à différentes indemnités.
Indemnité compensatrice de préavis
Le salarié déclaré inapte à son poste, dont le licenciement est jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l’employeur à son obligation de reclassement, est en droit de prétendre au versement d’une indemnité compensatrice de préavis.
Conformément à la convention collective applicable en l’espèce, la durée du préavis de . [I] est de deux mois.
En outre, conformément aux dispositions de l’article L. 5213-9 du code du travail, les travailleurs handicapés bénéficient d’un préavis doublé dans la limite de trois mois, l’employeur ne remettant pas en cause ce statut.
L’indemnité compensatrice de préavis due à . [I] s’élève donc ici à la somme de 4 810,83 euros, outre les congés payés afférents.
Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Au regard de l’âge du salarié au moment de son licenciement (37 ans), de son ancienneté, du salaire qui lui était versé, des conséquences du licenciement à son égard, la cour dispose des éléments nécessaires pour fixer la créance indemnitaire due à . [I] au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 18 000 euros.
Sur les conditions vexatoires du licenciement
M. [I] sollicite l’allocation d’une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour réparation des préjudice financier et moral résultant des circonstances brutales et vexatoires de la rupture.
La société Carrefour Hypermarchés s’oppose à cette demande, faute pour le salarié de démontrer l’existence d’un préjudice.
Il est constant qu’un licenciement pour autant fondé peut en outre ouvrir droit à une indemnisation au profit du salarié, à la condition de justifier d’une faute de l’employeur à l’origine d’un préjudice distinct de celui résultant de la rupture du contrat de travail.
M. [I] invoque qu’aucune disposition sérieuse n’a été prise par la société pour assurer son retour au travail au mois de mars 2017 mais ce faisant, ne justifie pas d’un préjudice distinct de celui résultant de la rupture du contrat de travail.
Le salarié invoque encore qu’il a attendu plus de trois semaines pour la remise de son attestation Pôle emploi, sans toutefois justifier que la supposée tardiveté de la remise lui ait causé un préjudice, notamment quant au versement des allocations chômage.
Faute de justifier d’un préjudice spécifique, . [I] sera débouté de cette demande, par confirmation du jugement entrepris.
Sur les indemnités de chômage versées au salarié
L’article L. 1235-4 du code du travail, dans sa version résultant de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, énonce : « Dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L.1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé.
Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées. »
En application de ces dispositions, il y a lieu d’ordonner d’office le remboursement par l’employeur aux organismes concernés du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l’arrêt dans la limite de trois mois d’indemnités.
Sur le rappel de salaire
M. [I] sollicite un rappel de salaire sur la période du 6 mars 2017 au 28 mai 2017.
La société Carrefour Hypermarchés oppose que le salarié était en absences injustifiées, qu’a minima, la période à retenir ne peut prendre en compte le mois qui a suivi l’inaptitude du salarié pendant lequel le salarié était légalement suspendu.
Il est constant que l’employeur doit rémunérer le salarié qui se tient à sa disposition à l’issue d’un arrêt de travail pour maladie.
M. [I] justifie d’un arrêt de travail jusqu’au 5 mars 2017. La visite de reprise a eu lieu le 16 mars 2017.
Les échanges de courriers intervenus sur cette période établissent que l’employeur n’a pas fourni de travail conforme aux préconisations médicales au salarié alors que ce dernier se tenait à la disposition de l’entreprise.
M. [I] indique n’avoir perçu aucune indemnisation d’aucune sorte pendant cette période.
Dans ces conditions, la société Carrefour Hypermarchés, qui était tenue de rémunérer le salarié, y compris après l’avis d’inaptitude, sera condamnée à verser à M. [I] une somme de 3 853,83 euros correspondant aux salaires dus entre le 16 mars 2017, date de la visite de reprise mettant fin à la suspension de l’arrêt de travail, et le 28 mai 2017, outre les congés payés afférents, suivant le décompte proposé par le salarié.
Le jugement sera infirmé sur le quantum de la condamnation.
Sur l’exécution déloyale du contrat de travail
M. [I] sollicite l’allocation d’une somme de 20 000 euros à ce titre, en réparation tout à la fois de manquements de l’employeur à son obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail et à son obligation d’assurer l’adaptation du salarié à son poste de travail, essentiellement au moyen de la formation.
La société Carrefour Hypermarchés s’oppose à cette demande, estimant que le salarié ne rapporte pas la preuve d’un préjudice en lien avec l’obligation de formation.
Il est rappelé que, conformément aux dispositions de l’article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi et que, dans ce cadre, l’employeur a le devoir d’assurer l’adaptation des salariés à l’évolution de leur emploi.
A l’appui de sa demande, M. [I] invoque, pèle-mêle, différents faits, dont certains, relevant des circonstances de la rupture du contrat de travail, déjà examinés au titre de la contestation du licenciement, seront écartés.
Il fait valoir que, le 11 janvier 2016, il a reçu un avertissement pour absences injustifiées alors qu’il était en arrêt de travail et qu’il participait activement aux recherches de reclassement. Il ne produit cependant aucune pièce utile à l’appui de cette allégation, qui sera dès lors écartée.
Il fait encore valoir qu’en août 2014, la société n’a pas participé au financement de la formation qu’il souhaitait et pour laquelle il avait entrepris de nombreuses démarches. Il se limite cependant à produire un courrier de la société Carrefour Hypermarchés du 8 août 2014 (sa pièce 17) aux termes duquel l’employeur fait le constat que le dossier a été refusé par le Fongecif (il justifie de ce refus de prise en charge aux termes d’un courrier que lui a adressé l’organisme le 24 juillet 2014, sa pièce 37) et indique au salarié qu’en l’absence de prise en charge de la formation par cet organisme, il n’accordait pas de congés de formation au salarié. Il ne se déduit dès lors pas de ce courrier un quelconque manquement de l’employeur à son obligation de loyauté.
Le salarié fait ensuite valoir qu’en mars 2017, la société lui a demandé de poser des congés payés pendant une période d’attente pour rechercher un poste adapté, qu’ainsi en attendant la visite du 16 mars 2017, la DRH a donné instruction au service de la paie de « liquider » tous les congés payés restants, soit 16 jours. Il produit son bulletin de paie du mois de mars 2017 (sa pièce 2-3) sans rapporter la preuve que son employeur l’aurait contraint à poser des jours de congés de sorte que cet élément doit être écarté.
Le salarié fait enfin valoir que, le 24 avril 2017, la DRH lui a demandé de joindre son médecin traitant afin d’obtenir un arrêt maladie « pour un autre motif que ses problèmes de dos » du 24 avril 2017 au 27 avril 2017 inclus, puis lui a indiqué que la visite auprès du médecin du travail aurait lieu le 28 avril 2017. Il ne produit toutefois aucun élément de preuve de cette allégation, qui sera donc écartée.
Faute d’établir l’existence de manquements imputables à son employeur au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail, . [I] sera débouté de sa demande, par confirmation du jugement entrepris.
Sur la capitalisation des intérêts
En application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil, il y a lieu de préciser que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêt.
Sur la remise des documents de fin de contrat de travail conformes au présent arrêt
M. [I] apparaît bien fondé à solliciter la remise par la société Carrefour Hypermarchés d’une attestation destinée à Pôle emploi et d’un bulletin de paie récapitulatif, ces documents devant être conformes au présent arrêt.
Il n’y a pas lieu, en l’état des informations fournies par les parties, d’assortir cette obligation d’une astreinte comminatoire. Il n’est en effet pas démontré qu’il existe des risques que la société Carrefour Hypermarchés puisse se soustraire à ses obligations.
Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure
La société Carrefour Hypermarchés, qui succombe dans ses prétentions, supportera les dépens en application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.
Elle sera en outre condamnée à payer à M. [I] une indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, que l’équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 2 000 euros.
La société Carrefour Hypermarchés sera déboutée de sa demande présentée sur le même fondement.
Le jugement de première instance sera confirmé en ses dispositions concernant les dépens et les frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, en dernier ressort et par arrêt contradictoire,
CONFIRME le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Saint-Germain-en-Laye le 27 août 2019, excepté en ce qu’il a dit bien fondé le licenciement prononcé par SAS Carrefour Hypermarchés à l’encontre de M. [G] [I], en ce qu’il a débouté M. [G] [I] de ses demandes d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’indemnité compensatrice de préavis et en ce qu’il a fixé aux sommes de « 1 293,23 euros bruts à titre de salaire, outre la somme de 129,32 euros bruts au titre des congés payés afférents, pour la période du 6 mars au 31 mars 2017 ainsi qu’à la somme de 1 496,13 euros bruts à titre de salaire, outre la somme de 149,61 euros bruts au titre des congés afférents, pour la période du 1er au 28 avril 2017, déduction faite des provisions versées le cas échéant »,le rappel de salaire dû à M. [I],
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DIT le licenciement prononcé par la SAS Carrefour Hypermarchés à l’égard de M. [G] [I] dépourvu de cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE en conséquence la SAS Carrefour Hypermarchés à payer à M. [G] [I] les sommes suivantes :
– 18 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 4 810,83 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 481,08 euros au titre des congés payés afférents,
– 3 853,83 euros à titre de rappel de salaires pour la période du 6 mars 2017 au 28 mai 2017,
– 385,38 euros au titre des congés payés afférents,
DIT que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêt,
ORDONNE à la SAS Carrefour Hypermarchés de remettre à M. [G] [I] une attestation destinée à Pôle emploi et un bulletin de paie récapitulatif conformes au présent arrêt,
DÉBOUTE M. [G] [I] de sa demande d’astreinte,
ORDONNE le remboursement par la SAS Carrefour Hypermarchés aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à M. [G] [I] dans la limite de trois mois d’indemnités,
DIT qu’une copie certifiée conforme du présent arrêt sera adressée par le greffe par lettre simple à la direction générale de Pôle emploi conformément aux dispositions de l’article R. 1235-2 du code du travail,
CONDAMNE la SAS Carrefour Hypermarchés à payer à M. [G] [I] une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE la SAS Carrefour Hypermarchés de sa demande présentée sur le même fondement,
CONDAMNE la SAS Carrefour Hypermarchés au paiement des entiers dépens.
Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour,les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code procédure civile et signé par Madame Valérie DE LARMINAT,Conseiller,en remplacement de Madame Isabelle VENDRYES,Président,légitimement empêché, et par Madame BOUCHET-BERT Elodie,Greffière,auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER P/ LE PRESIDENT empêché