Licenciement économique : 11 janvier 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/00195

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Licenciement économique : 11 janvier 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/00195
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

17e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 11 JANVIER 2023

N° RG 21/00195

N° Portalis DBV3-V-B7F-UIK7

AFFAIRE :

[N] [X]

C/

Société DISTRICOM SALES AND MARKETING

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 1er décembre 2020 par le Conseil de Prud’hommes Formation paritaire de NANTERRE

Section : E

N° RG : F14/03547

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Julie GOURION

Me Aurélie D’HIEUX-LARDON

Me Sophie PELICIER LOEVENBRUCK

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE ONZE JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [N] [X]

né le 12 juin 1984 à [Localité 7]

de nationalité franco-portugaise

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 2]

Représentant : Me Charlotte DUBUISSON, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2372 et Me Julie GOURION, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 51, substituée par Me Olive DARRAGON, avocat au barreau de PARIS

APPELANT

****************

Société DISTRICOM SALES AND MARKETING

N° SIRET : 304 970 031

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentant : Me Aurélie D’HIEUX-LARDON de la SCP TOUBHANS – D’HIEUX-LARDON – CHAPUT, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P304 substituée par Me Hélène OBALDIA, avocat au barreau de PARIS

Société BLACKBERRY FRANCE SAS

N° SIRET : 447 659 590

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentant : Me Sophie PELICIER LOEVENBRUCK de la SCP FROMONT BRIENS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0107 substituée par Me Sarah DAUBIN, avocat au barreau de PARIS

INTIMES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 10 novembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Président,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Stéphanie HEMERY

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [X] a été engagé par la société Ajilon Sales et Marketing, en qualité de délégué commercial, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 31 août 2006.

La société Ajilon Sales Marketing, devenue la société Districom Sales and Marketing (la société DSM) le 1er mars 2012 et la société Research In MotionFrance (la société RIM), devenue la société Blackberry France (la société BBF), ont conclu un contrat de prestation de service le 23 avril 2009, avec effet au 1er février 2008.

La société DSM a pour activité principale la prestation de services en matière commerciale et notamment des solutions de marketing direct. L’effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 10 salariés. Elle applique la convention collective nationale du personnel des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire.

La société BBF, filiale du groupe Blackberry, a pour activité la conception, le développement et la commercialisation de solutions sans fil sécurisées pour le marché de la communication mobile.

En 2008, le salarié a été affecté au sein de la société BBF.

Le 5 février 2014, la société BBF a résilié le contrat de prestation de service la liant à la société DSM avec effet au 5 mai 2014.

Lors d’un rendez-vous avec le salarié le 5 mars 2014, la société DSM lui a proposé une mission chez un autre client.

En avril 2014, le salarié a refusé le poste proposé au motif qu’il engendrerait trop de déplacements par rapport à ses projets personnels.

Par lettre du 4 juin 2014, le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 13 juin 2014.

Il a été licencié par lettre du 25 juin 2014 pour cause réelle et sérieuse liée au refus de changement d’affectation dans les termes suivants :

« (‘) nous vous indiquons que nous sommes contraints de procéder à votre licenciement pour cause réelle et sérieuse, lié au refus de changement d’affectation.

En effet, en date du 6 mars 2014, nous vous avons rencontré pour vous proposer un poste disponible chez un autre client. En date du 24 avril 2014, vous nous avez fait part de votre refus et avez décliné le rendez-vous qui était prévu chez notre client. Vous nous avez précisé que cela ne correspondait pas à vos attentes et que le poste engendrait trop de déplacements.

Ce changement d’affectation n’affectait en rien votre rémunération ainsi que les avantages acquis liés à votre contrat de travail, qui restaient identiques, et ne nécessitait même pas de déménagement.

En date du 4 juin 2014, nous vous avons convoqué à un entretien préalable pour le 13 juin 2014 et vous nous avez à nouveau confirmé votre refus.

Vous êtes dispensé d’effectuer votre préavis de 2 mois, qui prend effet à la 1 ère présentation de cette lettre, et qui vous sera payé sous forme d’indemnité de préavis (‘) ».

Le 5 décembre 2014, M. [X] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre aux fins de faire reconnaître l’existence d’une opération de prêt de main d”uvre illicite, d’un délit de marchandage et d’un co-emploi avec la société BBF, de faire constater qu’il occupait les fonctions de ‘channel sales manager’ puis ‘territory sales manager’, de contester le bien-fondé de son licenciement et d’obtenir le paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

Par jugement du 1er décembre 2020, le conseil de prud’hommes de Nanterre (section encadrement) a:

– débouté M. [X] de l’ensemble de ses demandes,

– mis hors de cause la société Blackberry, en ce qu’elle n’est pas le co-employeur de M. [X],

– débouté les sociétés Districom et Blackberry de leurs demandes reconventionnelles au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– laissé les dépens éventuels à la charge de M. [X].

Par déclaration adressée au greffe le 15 janvier 2021, M. [X] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 20 septembre 2022.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 13 octobre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [X] demande à la cour de :

– déclarer recevable et fondé l’appel interjeté,

y faisant droit,

– réformer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Nanterre en date du 1er décembre 2020 en ce qu’il :

. l’a débouté de l’ensemble de ses demandes,

. a mis hors de cause la société Blackberry, en ce qu’elle n’est pas son co-employeur,

. a laissé les dépens à sa charge,

statuant à nouveau,

– le déclarer recevable et bien-fondé en ses demandes,

– déclarer que sa mise à disposition par la société Districom auprès de la société Blackberry constitue une opération de prêt de main-d”uvre illicite et de délit de marchandage,

– déclarer que les sociétés Blackberry et Districom étaient ses co-employeurs de 2008 à 2014,

– déclarer que les fonctions occupées étaient en réalité de ‘channel sales manager’ puis de ‘territory sales manager’,

– déclarer que les sociétés Blackberry et Districom ont commis un délit de travail dissimulé,

– fixer son salaire de référence à la somme de 4 938,08 euros,

en conséquence,

– condamner in solidum la société Blackberry et la société Districom au paiement des sommes suivantes:

. 2 699,44 euros au titre du reliquat d’indemnité légale de licenciement,

. 1 556,63 euros au titre du reliquat d’indemnité compensatrice de congés payés outre la somme de 155,66 euros au titre du reliquat de l’incidence congés payés sur l’indemnité compensatrice de congés payés,

. 6 300 euros à titre de rappel de salaire au titre de la rémunération variable sur objectifs au titre des années 2009, 2010, 2011, 2012, 2013, 2014 et la somme de 630 euros au titre des congés payés y afférents,

. 234 309,72 euros et à la somme de 23 430,97 euros à titre de rappel de salaire au titre de la rémunération mensuelle brute de base relative à la qualification de ‘territory sales manager’ au titre des années 2008 au 26 août 2014,

. 50 000 euros au titre de la perte de chance de bénéficier du plan sur rémunération sur objectifs, du PEE, du PERCO, de la participation et de l’intéressement et de la prévoyance d’entreprise, mis en place au sein de la société Blackberry France,

. 29 628,48 euros à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

. 26 928,48 euros au titre de la perte chance de bénéficier du PSE mis en place au sein de la société Blackberry en 2014,

. 44 442,72 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– rejeter les demandes, fins et prétentions des sociétés Blackberry France et Districom,

y ajoutant,

– condamner les sociétés Blackberry et Districom au paiement chacune de la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner les sociétés Blackberry et Districom aux entiers dépens,

– dire que les dépens d’appel pourront être directement recouvrés par Me Gourion, avocat au Barreau de Versailles, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 15 juillet 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Districom Sales and Marketing demande à la cour de :

– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Nanterre le 1er décembre 2020 dans toutes ses dispositions,

en conséquence,

a) sur les prétendus délits de prêt de main d”uvre illicite et de marchandage,

– constater l’existence d’une convention de prestation de services entre la société Blackberry et elle-même,

en conséquence,

– débouter M. [X] de l’ensemble de ses demandes formulées à ce titre,

b) sur la prétendue qualité de co-employeur de la société Blackberry et elle-même,

– débouter M. [X] de l’ensemble de ses demandes formulées à ce titre,

c) sur le licenciement prononcé le 25 juin 2014,

1. à titre principal,

– dire bien fondé le licenciement de M. [X],

en conséquence,

– débouter M. [X] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

2. à titre subsidiaire,

– réduire à de plus justes proportions la demande de dommages et intérêts de M. [X] pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

d) en tout état de cause,

– condamner M. [X] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. [X] aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 13 juillet 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Blackberry France demande à la cour de :

– dire que le contrat de prestation de services conclu entre la société Districom et elle’même en vertu duquel M. [X] a réalisé une mission d’animation et de formation commerciale auprès de ses revendeurs était parfaitement licite,

– dire en conséquence que la prestation commerciale en cause ne constitue pas une opération illicite de prêt de main d”uvre à but lucratif,

– dire qu’eu égard notamment au caractère parfaitement licite de la prestation commerciale en cause, M. [X] n’a subi aucun préjudice et ne peut se prévaloir d’un prétendu délit de marchandage,

– dire qu’elle n’a nullement exercé les prérogatives d’un employeur à l’égard de M. [X] pendant toute la durée de son affectation, ce dernier ayant continué à être en lien de subordination avec son employeur, la société Districom,

– dire par ailleurs que M. [X] n’a nullement exercé des fonctions de « Channel Sales Manager » ou de « Territory Sales Manager » dans le cadre de sa mission à son profit en vertu du contrat de prestation de services conclu entre cette dernière et la société Districom,

– la mettre en conséquence hors de cause aux titres des allégations de M. [X] relatives à de prétendus prêt de main d”uvre illicite, délit de marchandage et de « co-employeur »,

– débouter en conséquence M. [X] de l’intégralité de ses demandes indemnitaires et salariales, dont le caractère exorbitant et excessif est particulièrement manifeste,

– constater au demeurant le caractère irrecevable des demandes de rappels de salaire et de congés payés y afférents de M. [X] à hauteur de 141 978,55 euros bruts, eu égard à la prescription triennale applicable,

– débouter en tout état de cause M. [X] de sa demande au titre de l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé dirigée à son encontre,

– rejeter les demandes de M. [X] aux titres de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens,

– condamner à titre conventionnel M. [X] au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

MOTIFS

Sur les demandes liées à l’exécution du contrat de travail et l’existence d’un co-emploi avec la société BBF

Sur le prêt de main d”uvre illicite

Le salarié soutient que sa mise à disposition auprès de la société BBF constitue un prêt de main d”uvre illicite dès lors que la société DSM ne disposait pas d’une expertise ou d’un savoir-faire particulier qui ne pouvait être assumés par la société BBF, que la société DSM n’a pas conservé son pouvoir de direction à son égard, que ses moyens de travail ont été fournis par la société BBF et qu’il occupait en réalité les fonctions de ‘channel sales manager’ puis ‘territory sales manager’ existant au sein de la société BBF.

Les sociétés intimées contestent les allégations du salarié, répliquant que sa mise à disposition au sein de la société BBF s’est inscrite dans le cadre d’un contrat de prestation de service licite avec pour employeur la société DSM et qu’il a effectué ses missions de délégué commercial définies contractuellement, selon un savoir-faire propre à la société DSM, avec les moyens que cette dernière lui mettait à disposition et sous sa subordination.

Les articles L.8241-1 et L. 8241-2 du code du travail, dans leurs différentes versions applicables au litige, disposent que :

« Toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre est interdite. »

« Les opérations de prêt de main-d’oeuvre à but non lucratif sont autorisées (‘) ».

Dans sa version en vigueur à compter du 30 juillet 2011, l’article L. 8241-2 précise que « Le prêt de main-d’oeuvre à but non lucratif conclu entre entreprises requiert :

1° L’accord du salarié concerné ;

2° Une convention de mise à disposition entre l’entreprise prêteuse et l’entreprise utilisatrice qui en définit la durée et mentionne l’identité et la qualification du salarié concerné, ainsi que le mode de détermination des salaires, des charges sociales et des frais professionnels qui seront facturés à l’entreprise utilisatrice par l’entreprise prêteuse ;

3° Un avenant au contrat de travail, signé par le salarié, précisant le travail confié dans l’entreprise utilisatrice, les horaires et le lieu d’exécution du travail, ainsi que les caractéristiques particulières du poste de travail (‘) »

L’existence du but lucratif est caractérisée par l’avantage que le donneur d’ordre retire de la mise à disposition du salarié par l’entreprise prestataire en évitant d’employer lui-même les salariés, cela au détriment du salarié mis à disposition du donneur d’ordre, ce salarié subissant un préjudice notamment en terme de salaires et d’avantages sociaux.

Il ne peut y avoir opération de sous-traitance ou de prestation de service que lorsqu’est confié à une entreprise un travail précisément identifié et objectivement défini, faisant appel à une compétence spécifique qu’elle va réaliser en toute autonomie, avec son savoir-faire propre, son personnel, son encadrement et son matériel moyennant le versement d’une prix fixé forfaitairement.

Inversement, il y a prêt illicite de main d’oeuvre lorsque la convention a pour objet la fourniture de main d’oeuvre moyennant rémunération pour faire exécuter une tâche permanente de l’entreprise utilisatrice, sans transmission d’un savoir-faire ou mise en oeuvre d’une technicité qui relève de la spécificité propre de l’entreprise prêteuse.

Au cas présent, le contrat de prestation de service du 23 avril 2009 (pièces E BBF n°1 et DSM 11 et 11bis) définit précisément dans l’annexe 1 la prestation de service : l’animation commerciale de réseaux, ce qui consiste à gérer des revendeurs des produits BBF.

Les revendeurs sont gérés par « l’équipe de terrain », laquelle est recrutée et administrée par le prestataire qui en assume la responsabilité exclusive.

L’annexe 2 du contrat susvisé précise que la rémunération forfaitaire mensuelle de la prestation de service s’élève à 5 260 euros.

Le contrat fixe enfin les obligations respectives des deux sociétés intimées.

En pratique, il est démontré que l’activité de la société BBF consistait à fabriquer et commercialiser des solutions sans fil pour la communication mobile tandis que celle de DSM avait pour objet de conseiller et assister les entreprises en matière commerciale et marketing de sorte que cette dernière disposait d’un savoir-faire spécifique justifiant le recours à un prestataire extérieur.

De plus, il est établi que la société DSM facturait les prestations de services réalisées au sein de la société BBF.

Par ailleurs, le salarié disposait de moyens matériels – une carte affaires, un véhicule de fonction, un téléphone portable, un ordinateur et un GPS – et de moyens immatériels – une adresse mail et l’ensemble des outils internes-, ensemble de moyens fournis par la société DSM.

En outre, l’ordinateur et le smartphone de la marque BBF également fournis au salarié par la société BBF correspondent au matériel de terrain évoqué à l’article 7 et dans l’annexe 1 du contrat de prestation de service mis à disposition dans une finalité commerciale afin de promouvoir auprès des tiers les produits BBF, les outils logiciels et le badge d’accès BBF quant à eux dans une finalité technique afin de permettre au salarié de pouvoir exercer sa prestation de travail pour le compte de la société BBF.

Quant à la relation entre la société BBF et M. [X], il ressort des pièces versées aux débats que:

-la société BBF a formulé des demandes ou a communiqué des informations à M. [X] en sa qualité de client,

– M. [F], responsable commercial de la société BBF invoque dans son témoignage des directives données à M. [X].

Toutefois, ces éléments, relevant de la relation classique entre un prestataire extérieur et son client, sont insuffisants à caractériser un lien de subordination.

La société DSM démontre au contraire qu’elle conservait son pouvoir d’encadrement et de direction de son salarié : gestion des jours de congés et notes de frais, réponses aux demandes quotidiennes du salarié, organisation de réunions avec le salarié, demandes des rapports hebdomadaires d’activité pendant toute l’exécution de sa mission, organisation des rendez-vous auprès de la médecine du travail et gestion des demandes spécifiques de la société BBF à l’égard du salarié.

La circonstance que le salarié verse aux débats des courriels de la société BBF relatifs à ses congés prévisionnels, dont elle devait être informée, n’est pas contradictoire avec le fait que la société DSM produise de nombreuses autorisations de congés qu’elle a délivrées au salarié sur toute la période litigieuse.

Enfin, le salarié échoue à démontrer qu’il occupait les fonctions de ‘channel sales manager’ ou ‘territory sales manager’ existant au sein de la société BBF.

En effet, l’organigramme dont le salarié se prévaut se réfère à sa fonction d’attaché commercial et M. [F], salarié de la société BBF dont l’attestation est produite par le salarié n’évoque à aucun moment le fait que M. [X] occupait les fonctions de ‘channel sales manager’ ou ‘territory sales manager’.

Au contraire, les missions du salarié évoquées par M. [F] correspondent à celles prévues dans le contrat de prestation de service ou dans son descriptif de mission et en tout état de cause, ne correspondent pas aux missions principales incombant à un ‘channel sales manager’ ou ‘territory sales manager’ présentées dans leur descriptif de poste

En outre, si le salarié démontre avoir repris des missions de Mme [T], pendant son congé maternité, il ne justifie pas du poste occupé par cette dernière qui serait selon lui celui de ‘channel sales manager’. Le profil LinkedIn de cette dernière fait au contraire état d’un poste de directrice de réseaux B2B au sein de BBF de septembre 2008 à novembre 2014.

Quant à son pavé de signature, la simple mention de ‘channel sales manager’ rédigée par le salarié à compter de novembre 2013 ne suffit pas à démontrer qu’il exerçait les fonctions afférentes à cet emploi.L’ensemble de ces éléments ne constitue pas le prêt de main d”uvre illicite allégué par M. [X].

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de cette demande.

Sur le délit de marchandage

Le salarié soutient qu’il a subi un préjudice du fait de sa mise à disposition illicite au sein de la société BBF en ne pouvant bénéficier des avantages existant au sein de cette dernière.

L’article L. 8231-1 du code du travail prévoit que :

« Le marchandage, défini comme toute opération à but lucratif de fourniture de main d’oeuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ou d’éluder l’application de dispositions légales ou de stipulations d’une convention ou d’un accord collectif de travail est interdit ».

Le salarié se prévaut du préjudice issu des éléments suivants présents selon lui au sein de la société BBF:

– Non-application de plans d’intéressement et de participation

– Non-application du PSE et des mesures de reclassement et d’outplacement

– Rémunération mensuelle brute bien moindre

– Rémunération variable et intéressement

– Plan d’épargne entreprise

– Plan d’intéressement aux ventes

– Plan de prévoyance.

Il a été précédemment retenu que le salarié n’a pas exercé les fonctions de ‘channel sales manager’ ou ‘territory sales manager’.

Par ailleurs, le salarié ne fournissant pas d’élément sur la rémunération qu’il aurait perçue en qualité de délégué commercial au sein de la société BBF, il ne démontre pas le préjudice issu de l’absence de versement de la rémunération fixe et variable applicable à un poste équivalent au sein de la société BBF.

De plus, il est démontré que le PSE mis en oeuvre en 2014 au sein de la société BBF n’a pas concerné l’ensemble des salariés de l’entreprise mais seulement 42 postes dont 27 suppressions et 15 modifications de postes de sorte qu’il n’est pas démontré que le salarié aurait été licencié pour motif économique et ainsi bénéficié des mesures prévues par le PSE.

Il est également établi que le salarié de DSM bénéficiait d’une prévoyance.

En outre, il n’est pas contesté que les salariés de DSM bénéficiaient d’un plan de participation, et d’un plan d’épargne d’entreprise, ce qui est justifié au dossier notamment pour M. [K], salarié licencié au même moment et pour les mêmes motifs.

Au demeurant, le salarié ne démontre pas l’existence d’un plan d’intéressement au sein de la société BBF mais seulement d’un plan de rémunération variable individuelle, dont le salarié a lui-même bénéficié au sein de la société DSM.

En tout état de cause, le salarié ne fournit aucun élément chiffré comparatif entre les avantages perçus au sein de la société DSM et ceux qu’il aurait perçus au même titre au sein de la société BBF.

Ainsi, le délit de marchandage n’est pas caractérisé.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour délit de marchandage.

Sur le coemploi

Le salarié prétend que la société BBF était son co-employeur en raison d’un lien de subordination, ce que cette dernière réfute.

Une situation de co-emploi nécessite la démonstration par le salarié qu’il se trouve dans l’exécution de son travail sous la subordination directe d’un autre employeur que celui avec lequel il a contracté.

Au cas présent, le salarié établit qu’il était mentionné dans un organigramme de la société BBF en qualité d’attaché commercial pour le client SFR, qu’il disposait d’un accès intranet y compris à distance de la société BBF, d’une adresse mail BBF et des matériels susmentionnés BBF, qu’il adressait des «weekly » à la société BBF et qu’il recevait des demandes et consignes de la part de BBF.

Toutefois, ces éléments qui sont soit inhérents à la relation entre un prestataire et un client soit prévus dans le contrat de prestation de service et justifiés par l’exécution de la prestation de travail ne suffisent pas à caractériser l’existence d’un lien de subordination entre la société BBF et M. [X].

Au contraire, il a été démontré précédemment que la société DSM disposait seule du pouvoir de direction et d’encadrement à l’égard de son salarié. Il est également établi qu’elle a conservé durant toute la relation contractuelle le pouvoir de déterminer le montant des primes, contrairement à ce que prétend le salarié.

Dès lors, le coemploi n’est pas caractérisé.

Ainsi, le jugement sera confirmé en ce qu’il a mis hors de cause la société BBF et débouté le salarié de ses demandes à son égard.

Sur les rappels de salaires et compléments d’indemnités de rupture liés à la fonction du salarié

Dès lors qu’il a été précédemment retenu que le salarié ne démontrait pas avoir occupé les fonctions de ‘channel sales manager’ et ‘territory sales manager’ au sein de la société BBF, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de ses demandes de rappels de salaires et de compléments d’indemnités de rupture afférents.

Sur l’indemnité pour travail dissimulé

Dès lors que le salarié fonde sa demande sur l’existence d’un co-emploi avec la société BBF et d’un prêt de main d”uvre illicite qui n’ont pas été retenus, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande à ce titre.

Sur les demandes liées à la rupture du contrat de travail

Le salarié soutient que son licenciement était motivé par une cause économique liée à la rupture du contrat de prestation de service avec la société BBF, qu’aucun poste ne lui a été proposé pas plus qu’un descriptif de poste et que l’employeur a en réalité perdu le client Sony.

Il ajoute que la lettre de licenciement ne fait pas référence à l’intérêt de l’entreprise justifiant l’usage de la clause de mobilité, laquelle esten tout état de cause nulle, et n’indique pas si le poste constitue une modification de ses conditions de travail ou de son contrat de travail.

L’employeur conteste ces allégations.

S’agissant de la motivation de la lettre de licenciement, l’article L1232-6 du code du travail, dans sa version applicable au litige, dispose que « Lorsque l’employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception.

Cette lettre comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur ».

Au cas présent, la lettre de licenciement, dont les termes ont été rappelés précédemment, indique de façon explicite et précise le motif de licenciement du salarié de sorte qu’elle est suffisamment motivée.

S’agissant de la validité de la clause de mobilité, celle-ci doit délimiter précisément la zone géographique de mobilité. Le salarié doit savoir précisément à quoi il s’engage, cette exigence conduisant à écarter les clauses évolutives ou les clauses permettant à l’employeur de se réserver un droit d’extension du périmètre de mutation.

Par ailleurs, elle doit être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché.

Au cas présent, les articles 6.1 et 6.2 du contrat de travail signé par le salarié précisent que « Le collaborateur pourra être amené à effectuer des missions de durée variable sur l’ensemble du territoire français . Les frais de déplacements et de séjour lui seront remboursés selon les barèmes et modalités en vigueur dans l’entreprise.

Par ailleurs, la société se réserve le droit de modifier le lieu d’affectation du collaborateur tel que précisé au 1er alinéa ci-dessus sur l’ensemble du territoire français.

La société s’engage à ne mettre en oeuvre cette clause que pour des motifs dictés par l’intérêt de l’entreprise et sous réserve d’en informer le collaborateur dans les délais actuellement prévus par la convention collective avant la prise d’effet de la nouvelle affectation. Dans l’hypothèse où ce changement d’affectation devait nécessiter un changement de résidence du collaborateur, les frais de déménagements justifiés pourront lui être remboursés par la société, après accord préalable de la direction, et dans les conditions fixées par la convention collective ou les règles en vigueur au sein de l’entreprise.

L’acceptation des dispositions de la présente clause par le collaborateur constitue un élément déterminant du présent contrat, sans laquelle les parties n’auraient pas contracté.

Par conséquent, tout refus par le collaborateur de déplacements temporaires ou d’un changement de lieu d’affectation – y compris si celui-ci devait s’accompagner d’un changement de résidence- , serait de nature à entraîner la rupture du présent contrat.’

Dans la mesure où le périmètre géographique est précisément défini sans possibilité pour l’employeur de le modifier unilatéralement et que le salarié était délégué commercial au sein d’une société de prestation de service aux entreprises ce qui implique nécessairement que le salarié effectue des missions sur l’ensemble du territoire national, la clause de mobilité était indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché.

Compte-tenu de ces éléments, la clause de mobilité est licite.

S’agissant de la mise en ‘uvre de la clause de mobilité géographique, il incombe au salarié qui entend s’y opposer de démontrer que celle-ci a été prise pour des raisons étrangères à l’intérêt de l’employeur ou dans des conditions exclusives de la bonne foi contractuelle, qu’elle constitue en réalité une modification de son contrat de travail ou encore qu’elle porte une atteinte excessive à ses droits, notamment au respect à sa vie personnelle et familiale ou à son droit au repos.

À défaut, le refus du salarié d’accepter un changement de ses conditions de travail constitue une faute contractuelle susceptible de conférer un caractère réel et sérieux au licenciement.

Au cas présent, le salarié reconnaît lui-même que l’employeur a changé son affectation en raison de la perte du contrat avec la société BBF, laquelle ne suffit toutefois pas à caractériser un motif économique de licenciement au sens de l’article L1233-3 du code du travail dans sa version en vigueur, invoqué par le salarié comme étant le véritable motif de licenciement, mais démontre l’intêrêt objectif de l’entreprise de faire usage de la clause de mobilité.

L’entretien entre Mme [U] et le salarié en mars 2014, le refus du poste par le salarié en avril 2014 en raison des déplacements engendrés par cette affectation démontrent que le salarié avait une exacte connaissance du poste proposé par l’employeur, dont il n’est pas établi qu’il emportait modification du contrat de travail.

Enfin, le salarié n’allègue ni n’établit l’existence d’une atteinte excessive à ses droits concernant sa vie personnelle et familiale ou son droit au repos.

Le salarié ne justifiant pas d’un motif valable le conduisant à refuser l’affectation chez un autre client, son refus est fautif et constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Le jugement sera ainsi confirmé en ce qu’il a dit le licenciement du salarié fondé sur une cause réelle et sérieuse et débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts afférente.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

Succombant, le salarié sera condamné aux dépens de première instance et d’appel.

Toutefois, pour des raisons d’équité, il n’y a pas lieu de faire application à son encontre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS:

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

DÉBOUTE M. [X] de sa demande en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,

CONDAMNE M. [X] aux dépens d’appel.

. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, président et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier Le président

 


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