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délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
2e chambre sociale
ARRET DU 25 JANVIER 2023
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 18/01182 – N° Portalis DBVK-V-B7C-N42M
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 22 OCTOBRE 2018
CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER N° RG 15/01638
APPELANTE :
S.A.S EGIS EAU
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Yann GARRIGUE de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER
Représentée par Me Christophe PLAGNIOL de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE
INTIME :
Monsieur [H] [K]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représenté par Me Evelyn BLEDNIAK de la SELARL ATLANTES, avocat au barreau de PARIS
Représenté par Me Marjorie ETIENNE, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 04 Novembre 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 NOVEMBRE 2022,en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Jean-Pierre MASIA, Président, chargé du rapport.
Ce(s) magistrat(s) a (ont) rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Jean-Pierre MASIA, Président
Mme Véronique DUCHARNE, Conseillère
Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller
Greffier lors des débats : M. Philippe CLUZEL
ARRET :
– CONTRADICTOIRE;
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par M. Jean-Pierre MASIA, Président, et par M. Philippe CLUZEL, Greffier.
*
* *
EXPOSÉ DU LITIGE
La SA GUIGUES a embauché M. [H] [K] suivant contrat de travail à durée indéterminée du 3 octobre 1983 en qualité d’ingénieur.
Le salarié été promu directeur d’ingénierie à compter du 1er octobre 1983.
Les relations contractuelles des parties sont régies par les dispositions de la convention collective nationale dite SYNTEC du 15 décembre 1987.
Le contrat de travail s’est trouvé transféré à la SAS EGIS EAU.
Le salarié a enfin été promu expert à compter du 1er juillet 2012.
Il a été licencié pour motif économique et impossibilité de reclassement suivant lettre du 13 mai 2015 ainsi rédigée :
« La société Egis Eau a été contrainte de mettre en ‘uvre une procédure de licenciement collectif pour motif économique. À l’issue de la procédure d’information-consultation du comité d’entreprise, qui s’est déroulée du 17 novembre 2014 au 9 février 2015, les représentants du personnel ont rendu un avis sur le projet de réorganisation ainsi que sur le projet de licenciement collectif pour motif économique et de plan de sauvegarde de l’emploi qui en résulte. Par décision du 16 février 2015, l’unité territoriale du département de l’Hérault de la DIRECCTE a homologué le document unilatéral relatif au plan de sauvegarde de l’emploi. Dans ce contexte, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour motif économique. Cette mesure est motivée par la réorganisation de la société Egis Eau, mesure indispensable compte tenu des graves difficultés économiques auxquelles elle est confrontée depuis 2 ans. Nos marchés se situent principalement en France et essentiellement pour des maîtres d’ouvrage publics (métropoles, villes, communes, syndicats de communes’) et à l’international pour des clients publics et privés. Egis Eau fait face depuis 2 ans à :
‘ à la baisse du marché français, plus forte qu’anticipée conjuguée à l’absence de reprise d’investissement public suite aux élections municipales,
‘ à une prise de commandes et une activité plus faible qu’espérée sur les marchés internationaux,
‘ dans une moindre mesure à la baisse d’activité sur les opérations de spécialité en provenance du groupe.
Cela a engendré des résultats dégradés en 2013 (- 0,2 M€) et catastrophiques en 2014 (- 9 M€). La chute drastique et très rapide des résultats en 2014, sans perspectives de remontée rapide en 2015, voire 2016, a imposé le plan de réorganisation qui se décline dans les orientations stratégiques suivantes :
‘ internationalisation plus forte de tous les segments,
‘ intervention sur des grands projets,
‘ développement de nos activités pour des clients privés, travaux publics et industriels,
‘ ciblage pays : investir dans les pays cibles Egis et maintenir notre développement dans les pays historiques,
‘ recentrage de la production au sein de 2 deux pôles à [Localité 5] et [Localité 3],
‘ maintien d’agences en région en France de taille plus petite mais maintenant une proximité client.
Dans le cadre de cette nouvelle organisation, votre poste d’expert est supprimé. Pour rappel les faits sont les suivants :
‘ Conformément aux dispositions de l’article L. 1233-4-1 du code du travail issu de la loi du 18 mai 2010, nous vous avons sollicité sur votre souhait éventuel de recevoir des offres de reclassement à l’étranger le 9 mars 2015.
‘ Vous avez souhaité recevoir de telles offres par votre courrier du 17 mars 2015.
‘ Par courrier du 14 avril 2015 nous vous avons proposé en reclassement un poste d’expert à [Localité 5].
‘ L’absence de réponse de votre part dans le délai imparti a été considérée comme un refus.
‘ Par courrier du 5 mai 2015 nous vous avons informé que nous n’avons pas trouvé de poste à l’international correspondant à votre profil ou aux réserves que vous avez exprimées.
De ce fait nous sommes contraints de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour motif économique. Votre contrat de travail prendra donc fin à l’expiration de votre préavis d’une durée de 3 mois, commençant à courir à compter de la première présentation de cette lettre. Toutefois, nous vous informons que nous vous dispensons de l’exécuter et votre rémunération sera maintenue jusqu’au terme de votre contrat de travail. De plus, nous vous rappelons que vous avez la possibilité d’adhérer à un congé de reclassement vous permettant de bénéficier des prestations d’une cellule d’accompagnement et de suivre des actions de formation. Vous trouverez dans la note d’information jointe, toutes les explications dont vous avez besoin sur le déroulement de ce congé. Vous disposez pour cela d’un délai de réflexion de 8 jours, courant à compter de la première présentation de cette lettre, pour nous faire connaître expressément, par courrier avec accusé de réception ou par courriel à l’attention de la DRH, votre volonté d’adhérer à ce dispositif. L’absence de réponse de votre part au terme de ce délai sera assimilée à un refus. La durée de ce congé est fixée à 9 mois, préavis inclus. La durée du congé de reclassement est portée à 12 mois pour les salariés âgés de plus de 50 ans ou les collaborateurs reconnus travailleurs handicapés. Si vous adhérez à ce dispositif, le congé de reclassement débutera à l’expiration du délai de réflexion de 8 jours. Au cours du congé de reclassement, votre salaire vous sera maintenu pendant la période correspondant à la durée de votre préavis que vous serez dispensé d’effectuer. Pour la période excédant la durée du préavis et jusqu’au terme du congé de reclassement, vous bénéficierez d’une allocation brute mensuelle dont le montant est porté à 80 % de votre rémunération brute moyenne de référence des 12 derniers mois. Le terme du congé de reclassement constituera la date effective de rupture de votre contrat de travail. Par ailleurs, durant l’année qui suivra la fin de votre contrat de travail, vous bénéficierez d’une priorité de réembauchage dans notre entreprise à condition que vous nous informiez durant cette période, par courrier avec accusé de réception de votre désir d’en user. Celle-ci concerne les postes compatibles avec votre qualification et également ceux qui correspondraient à une nouvelle qualification acquise après la rupture de votre contrat de travail, sous réserve que vous nous la fassiez connaître. Nous vous rappelons également qu’à la fin de votre contrat de travail, vous pourrez conserver le bénéfice des régimes de prévoyance et de couverture des frais médicaux en vigueur eu sein de notre entreprise, dans les conditions suivantes :
‘ maintien gratuit de la couverture des frais médicaux pendant une durée maximale de 12 mois
‘ maintien du régime de prévoyance pendant une durée maximale de 9 mois en vous acquittant de la part salariée.
Ces maintiens sont possibles sous réserve de justifier d’un statut de demandeur d’emploi. Un courrier spécifique concernant la portabilité de ces 2 régimes vous sera adressé. Au terme de votre contrat, nous tiendrons à votre disposition votre certificat de travail, votre reçu pour solde de tout compte ainsi que votre attestation Pôle Emploi. ».
Contestant notamment son licenciement, M. [H] [K] a saisi le 9 novembre 2015 le conseil de prud’hommes de Montpellier, section encadrement.
L’inspection du travail ayant refusé le licenciement d’un salarié protégé, et l’employeur ayant contesté cette décision, le tribunal administratif de Montpellier s’est prononcé en ces termes sur le motif économique du licenciement collectif suivant jugement du 7 avril 2017 :
« 3. Considérant que, pour établir l’existence des difficultés économiques qu’elle rencontre, la société Egis Eau se borne à produire un rapport de commissaire aux comptes validant la cohérence entre, d’une part, des données comptables de la société telles que figurant dans le « Bilan et comptes de résultats comparés pour 2012, 2013 et 2014 » établi par la société et d’autre part, les comptes annuels de la société au 31 décembre 2012, 2013 et 2014 également établis par la société requérante mais non certifiés ; qu’ainsi, en l’absence de certification des comptes de la société et alors que les comptes de résultats pour 2014 prennent en compte les charges exceptionnelles du plan de sauvegarde de l’emploi, ce document ne permet pas, à lui seul, d’établir que l’année 2014 aurait été « catastrophique », comme la société requérante le qualifie, en termes de résultats, de chiffre d’affaires, de trésorerie mobilisable ou de facturation cumulée ; que la circonstance que le comité d’entreprise n’ait jamais remis en cause les difficultés économiques de la société, qu’il a tout de même fortement relativisées, n’est pas de nature à établir la réalité de ces difficultés dès lors que le comité d’entreprise et l’entreprise d’experts comptables ayant réalisé un rapport très critique à 1’égard de la nécessité de procéder à des licenciements n’ont pu se fonder que sur des diagrammes et tableaux fournis par la société Egis Eau ; que la société Egis Eau impute la baisse de ses produits, laquelle au demeurant ne ressort d’aucun document probant, à la baisse du marché français et à l’absence de compensation par le marché international ; que, toutefois, d’une part, il ressort des pièces du dossier, et notamment de la note de la Banque Postale sur laquelle se fonde la société requérante pour soutenir que le marché français est en baisse, que la baisse des investissements des collectivités territoriales n’est que conjoncturelle, due à une année d’élections municipales ; que, d’autre part, il est constant que les produits du marché international qui est plus concurrentiel et a rapporté, dans un premier temps, moins que ce que la société espérait, sont en constante hausse ; que la société n’établit ainsi pas la baisse de ses produits ; qu’à supposer même que la société requérante établisse l’existence de difficultés économiques au niveau d’Egis Eau, celles-ci doivent être appréciées dans le cadre du « secteur d’activité du groupe auquel appartient l’entreprise » comme l’a relevé à bon droit l’inspecteur du travail ; qu’alors que la société requérante a pu sous-traiter une partie de ses activités à la société Egis Structures et environnement, membre du groupe Egis, et que la société Egis eau, par son objet, semble agir dans un secteur assez proche de la société Egis Port, et qu’elle n’apporte aucun élément comptable ou chiffré relatif à ce secteur d’activité, elle n’établit pas qu’au sein de ce secteur d’activité, les résultats seraient mauvais ; qu’enfin un document intitulé « quel bilan pour 2015 » établi par le directeur général d’Egis Eau fait état d’un redressement des résultats avec une prise de commande de 68 millions d’euros et notamment un retour sur investissement à l’international, l’année 2015 étant sur le plan international 2,5 fois meilleure que l’année 2014 ; que s’il n’appartenait à l’inspecteur du travail de se prononcer sur les choix de la société en termes de réorganisation et de mutualisation, ce motif n’est pas le motif déterminant de la décision du 23 juillet 2015 ; qu’il résulte ce qui précède que l’inspecteur du travail a pu légalement en l’absence de preuve de la matérialité des difficultés économiques rencontrées par la société Egis Eau, tant dans sa décision initiale du 23 juillet 2015 que dans sa décision du 19 novembre 2015 prise sur recours gracieux précédée d’un examen « minutieux » des pièces produites par la société contrairement à ce que soutient cette dernière, refuser le licenciement de M. [M] sans même avoir besoin d’apprécier l’effet des difficultés alléguées sur le poste de M. [M] ; »
Le conseil de prud’hommes, par jugement rendu le 22 octobre 2018, a :
dit que le licenciement pour motif économique est sans cause réelle et sérieuse pour défaut de motif économique ;
dit que l’employeur n’a pas manqué à son obligation de formation et d’adaptation ;
condamné l’employeur à payer au salarié les sommes suivantes :
‘114 734,85 € au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
‘ 1 000,00 € au titre des frais irrépétibles ;
fixé la moyenne mensuelle brute des salaires à la somme de 7 648,99 € ;
ordonné l’exécution provisoire du jugement en application de l’article 515 du code de procédure civile ;
condamné l’employeur à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées au salarié dans la limite d’un mois d’indemnité ;
débouté le salarié du surplus de ses demandes ;
débouté l’employeur de sa demande reconventionnelle ;
condamné l’employeur aux entiers dépens.
Cette décision a été notifiée le 13 novembre 2018 à la SAS EGIS EAU qui en a interjeté appel suivant déclaration du 23 novembre 2018.
L’instruction a été clôturée par ordonnance du 4 novembre 2022.
Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 8 juillet 2019 aux termes desquelles la SAS EGIS EAU demande à la cour de :
déclarer son appel recevable et bien fondé ;
déclarer l’appel du salarié mal fondé ;
confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
‘dit qu’elle n’a pas manqué à son obligation de formation et d’adaptation ;
‘débouté le salarié de sa demande tendant à obtenir le versement de la somme de 22 946,97 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de formation et d’adaptation ;
infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
‘dit que le licenciement pour motif économique est sans cause réelle et sérieuse pour défaut de motif économique ;
‘condamné l’employeur à payer au salarié les sommes suivantes :
‘114 734,85 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
‘ 1 000,00 € au titre des frais irrépétibles ;
‘fixé la moyenne mensuelle brute des salaires à la somme de 7 648,99 € ;
‘ordonné l’exécution provisoire du jugement en application de l’article 515 du code de procédure civile ;
‘condamné l’employeur à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées au salarié dans la limite d’un mois d’indemnité ;
‘condamné l’employeur aux entiers dépens ;
débouter le salarié de l’ensemble de ses chefs de demande ;
condamner le salarié à lui verser la somme de 1 500 € au titre des frais irrépétibles et aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 16 avril 2019 aux termes desquelles M. [H] [K] demande à la cour de :
confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
‘fixé la rémunération moyenne mensuelle brute à la somme de 7 648,99 € ;
‘dit que le licenciement pour motif économique est sans cause réelle et sérieuse pour défaut de motif économique ;
‘condamné l’employeur à lui payer la somme de 114 734,85 € au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
‘condamné l’employeur à rembourser à Pôle Emploi les indemnités chômage versées dans la limite d’un mois d’indemnités ;
infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts au titre de la violation par l’employeur de son obligation de formation et d’adaptation ;
fixer sa rémunération moyenne mensuelle brute des trois derniers mois à la somme de 7 648,99 € ;
dire que le licenciement pour motif économique est sans cause réelle et sérieuse pour défaut de motif économique ;
dire que l’employeur a manqué à son obligation de formation et d’adaptation ;
dire que les condamnations prononcées porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes ;
condamner l’employeur à lui payer les sommes suivantes :
‘114 734,85 € au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
‘ 22 946,97 € au titre des dommages et intérêts pour violation de l’obligation de formation et d’adaptation ;
‘ 2 500,00 € au titre des frais irrépétibles ;
condamner l’employeur aux entiers dépens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1/ Sur le motif économique du licenciement
Au temps du licenciement, l’article L. 1233-3 du code du travail disposait que :
« Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.
Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail à l’exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 et suivants, résultant de l’une des causes énoncées au premier alinéa. »
Pour l’application de ce texte, les difficultés économiques doivent être appréciées au regard du secteur d’activité du groupe auquel appartient l’entreprise concernée. Le secteur d’activité est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.
1-1/ Sur le secteur d’activité
L’employeur soutient qu’il constitue à lui seul un secteur d’activité au sein du groupe EGIS, le secteur « eau » à savoir essentiellement l’hydraulique fluviale et l’hydraulique urbaine. Il explique que le groupe EGIS constitue un groupe d’ingénierie, de montage de projets et d’exploitation qui compte 13 000 collaborateurs dans le monde dont 4 000 en France, qu’au titre des missions d’ingénierie le groupe intervient dans plusieurs secteurs d’activité dont le transport ferroviaire et urbain, la route, le bâtiment, le multimodal, la mobilité, l’aéroport et la navigation aérienne, l’industrie, l’énergie et l’eau, ce dernier secteur, occupé uniquement par la société EGIS EAU, représentant 6,5 % de l’activité du groupe en 2013.
L’employeur précise qu’il a été créé le 1er juillet 2007 à partir de l’activité France de la société EGIS BCEOM et s’est vue par la suite rattaché l’ensemble des activités « eau » des autres sociétés du groupe, soit le 1er janvier 2010 l’activité « eau » de la Société Lorraine d’Ingénierie, les activités « eaux industrielles » et « eaux urbaines » de la société Guigues Environnement à compter du 1er janvier 2011 et le 1er juillet 2011, l’activité « eau » de la société EGIS BCEOM International. Il explique que dans son secteur d’activité « eau », il réalise toutes les missions d’études générales en amont, d’assistance à la maîtrise d’ouvrage, d’aide à l’exploitation et à la maintenance, de gestion de projets, d’ordonnancement, de pilotage et de coordination d’opérations de toutes natures.
Le salarié soutient à l’inverse que les difficultés économiques doivent être appréciées au niveau du secteur « ingénierie » du groupe EGIS, dès lors qu’il n’existe pas de secteur d’activité pertinent « eau », le groupe proposant des services « packagés » intégrant plusieurs activités. Il ajoute que la société EGIS EYSER couvre notamment l’activité du domaine de l’eau du groupe en Amérique latine et que les sociétés EGIS INDIA et EGIS PORT interviennent aussi dans le domaine de l’eau et qu’à l’inverse son employeur pilote l’activité « barrages » qui combine l’eau et les infrastructures.
L’employeur répond que la société EGIS EYSER est une société de droit espagnol qui peut intervenir dans plusieurs domaines d’activités de l’ingénierie, que la société EGIS INDIA est une société de droit indien qui elle aussi peut intervenir dans plusieurs domaines d’activités de l’ingénierie et que la société EGIS PORTS est une société de droit français qui intervient à tous les stades des projets d’aménagement des ports, voies navigables et du littoral et qui apporte son expertise dès les études amont, jusqu’à la supervision de travaux et a pour client les chambres de commerce et d’industrie. Il précise que pour les aménagements des ports, terminaux maritimes et marinas, cette dernière société réalise les études générales (études économiques, juridiques et financières, schémas de développement, organisation), conçoit les ouvrages (digues, quais, jetées) ainsi que les équipements et systèmes d’information et que dans le domaine des voies navigables, elle intervient aussi bien pour les études de navigabilité et schémas directeurs, que pour la conception d’ouvrages d’accostage, de ports fluviaux et de franchissement de chutes et enfin que pour l’aménagement du littoral, elle intervient dans la lutte contre l’érosion et la submersion marine, l’hydrodynamique côtière, la création de plages artificielles ainsi que pour les aménagements urbains réalisés en extension sur la mer.
À l’examen attentif de l’ensemble des pièces produites par les parties, la cour retient qu’il existait bien au temps du licenciement au sein du groupe EGIS un secteur d’activité pertinent relatif aux eaux urbaines (réseaux et ouvrages des eaux usées et de l’eau potable), aux eaux industrielles, et aux eaux fluviales et rurales (ouvrages de protection contre les inondations, aménagement des cours d’eau et des canaux et des ouvrages associés), prestations se rapportant toutes à un même marché, celui de l’eau, caractérisé par une clientèle spécifique, notamment les directions de l’eau et de l’assainissement au sein des collectivités territoriales, les syndicats des eaux, les régies des eaux et de l’assainissement, les agences de bassin, ainsi que par la mise en ‘uvre d’un savoir spécifique relatif à la modélisation d’écoulement, à la chimie de l’eau, aux techniques membranaires, au pompage, à la résistance des matériaux à la pression hydraulique et au dimensionnement des digues ou barrages, savoir mis en ‘uvre avec des outils logiciels spécifiques, et entretenu au moyen de recrutements au sein d’un établissement d’enseignement spécifique, l’ENGEES, ou de filières spécialisées d’école plus généralistes.
L’existence d’un tel secteur d’activité « eau » n’apparaît pas remise en cause par les pratiques commerciales du groupe EGIS qui tendent à offrir au client des prestations d’ingénierie intégrées bénéficiant de l’ensemble des compétences des sociétés du groupe ni par le recours à la sous-traitance par la société EGIS EAU pour des prestations excédant le secteur « eau ».
Aucune pièce produite ne permet d’intégrer au secteur d’activité « eau » du groupe EGIS les sociétés EGIS EYSER, EGIS INDIA et EGIS PORTS au vu de leurs activités dominantes.
Dès lors, le motif économique sera apprécié au sein de la seule société EGIS EAU qui constitue en l’espèce, à elle seule, le secteur d’activité « eau » du groupe EGIS.
1-2/ Sur les difficultés économiques du secteur d’activité « eau » du groupe EGIS
L’employeur fait valoir qu’entre 2012 et 2014 son chiffre d’affaires a diminué de 26,7 % passant 62 404 145 € en 2012 à 57 659 267 € en 2013 puis 45 759 672 € en 2014 ; que sur la même période son résultat d’exploitation de 2 622 151 € en 2012 est devenu négatif en 2013 soit – 361 736 € puis – 9 399 790 € en 2014 ; et que son résultat net est passé de 1 706 341 € en 2012 à 783 042 € en 2013 puis à – 9 040 246 € en 2014. Il indique que ces chiffres ont été certifiés par le commissaire au compte et que même si l’on retire du résultat de 2014 les frais de restructuration de 3 200 000 €, la perte d’exploitation reste de 6 199 790 € et la perte de résultat de 5 840 246 €.
L’employeur ajoute que ses difficultés n’étaient pas isolées et que l’exercice 2014 a aussi été difficile pour certains de ses concurrents, expliquant que :
‘ le groupe IRH ENVIRONNEMENT a subi une perte de ‘ 1 776 000 €, ce qui l’a conduit à réduire ces centres au nombre de 2 au lieu de 5 avant d’être racheté par ANTEA fin 2015 ;
‘ le BUREAU D’ÉTUDE RECHERCHE INDUSTRIE MODERNE a connu une baisse de 26 % de son résultat d’exploitation ;
‘ la société G2C INGÉNIERIE a enregistré un résultat d’exploitation de – 105 400 € ;
‘ ARTELIA EAU & ENVIRONNEMENT a connu une baisse de 73,90 % de son résultat d’exploitation et une baisse de 41 % de son résultat ;
‘ la société ISL INGÉNIERIE a connu une baisse de 26 % de son résultat d’exploitation ;
‘ la société HYDRATEC a enregistré une baisse de 105,43 % de son résultat d’exploitation (- 56 200 €) et une baisse de 98,46 % de son résultat (10 700 €);
‘ la SAFEGE, entreprise de taille comparable, a subi une perte de ‘ 2 605 300 € (soit une baisse de 420 % de son résultat par rapport à 2013), et a enregistré un résultat d’exploitation à ‘ 3 955 000 € ;
‘ la société SCE a subi une perte de – 1 397 000 € (soit une baisse de 348 % de son résultat par rapport à 2013), et a enregistré un résultat d’exploitation à ‘ 2 068 000 € (soit une baisse de 271 % de son résultat par rapport à 2013) ;
‘ la société SOGETI INGÉNIERIE a subi une baisse de 47 % de son résultat après avoir enregistré un résultat d’exploitation de – 150 400 € lui-même en baisse de 147 % par rapport à 2013 ;
‘ la société CEREG INGENIERIE a connu une chute de 24 % de son résultat d’exploitation et de 12 % de son résultat.
L’employeur fait enfin valoir que le plan de redressement qu’il a mis en ‘uvre autour des actions suivantes :
‘ internationalisation plus forte de ses segments ;
‘ intervention sur des grands projets ;
‘ développement des activités pour des clients privés, travaux publics et industriels ;
‘ ciblage des pays ;
‘ recentrage de la production au sein de deux pôles à [Localité 5] et [Localité 3] ;
‘ maintien d’agences en région en France, de taille plus petite mais permettant de maintenir une proximité avec les clients ;
‘ réduction des charges de fonctionnement à hauteur de 1 600 000 € ;
a porté ses fruits, la perte de l’exercice 2015 ayant ainsi été contenue à 3 564 000 € pour un chiffre d’affaires en hausse à 50 397 000 €.
Le salarié discute tout d’abord la sinistralité du marché. Mais la cour retient que ce point n’est pas pertinent pour évaluer la réalité des difficultés de l’entreprise elle-même.
Le salarié conteste encore la réalité des difficultés économiques de l’entreprise en expliquant que son activité n’a pu se contracter dès lors qu’il est avéré que les salariés subissaient une surcharge de travail. Il affirme que la baisse du chiffre d’affaires s’explique par un plus grand recours à la sous-traitance et que le budget prévisionnel pour l’exercice 2015 était exagérément pessimiste.
Mais les éléments comptables produits, qui apparaissent fiables s’agissant de comptes certifiés, ne laissent pas apparaître une construction de difficultés artificielles par un recours excessif à la sous-traitance. La charge de travail des salariés ne permet pas d’occulter la réalité de la diminution très significative du chiffre d’affaires des exercices 2013 et 2014 ainsi que l’apparition de pertes importantes même hors charges de restructuration. Il n’apparaît pas que le budget prévisionnel pour 2015 ait été substantiellement démenti par les comptes de l’exercice une fois ce dernier clôturé.
Il n’appartient pas à la cour de rechercher si le plan de redressement rendu nécessaire par des difficultés économiques avérées aurait pu présenter des modalités différentes permettant de mieux sauvegarder l’emploi, mais simplement de vérifier la réalité des difficultés économiques invoquées dans la lettre de licenciement, comme il vient d’être dit, ainsi que la suppression effective du poste de travail du salarié, point qui n’est pas contesté en l’espèce.
Il n’est pas plus contesté que l’employeur a satisfait à son obligation de rechercher loyalement, sérieusement et activement le reclassement du salarié. Dès lors, le licenciement pour motif économique apparaît fondé sur une cause réelle et sérieuse et le salarié sera débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
2/ Sur les efforts de formation et d’adaptation
Le salarié reproche à l’employeur d’avoir manqué à son obligation de formation et d’adaptation à l’emploi dès lors qu’en 31 ans il n’a bénéficié que de 6 formations, dont deux au cours des dernières années alors qu’il a été licencié à l’âge de 62 ans. Il ne conteste pas la validité du licenciement de ce chef, bien que visant les dispositions de l’article L. 1233-4 du code du travail, mais il sollicite des dommages et intérêts à hauteur de 22 946,97 €.
L’employeur répond que le comité d’entreprise a émis un avis favorable sur le bilan 2014 de la formation ainsi que sur le plan de formation 2015 et que le salarié a suivi outre les 6 formations qu’il cite, une formation « deal core model de gestion » en 2014.
Au vu des formations suivies par le salarié, de sa carrière dans le groupe, ainsi que de la proposition de reclassement sur un poste d’expert, il n’apparaît pas que l’employeur ait manqué à son obligation de formation et d’adaptation à l’emploi. Le salarié sera en conséquence débouté de sa demande de dommages et intérêts de ce chef.
3/ Sur les autres demandes
Il convient d’allouer à l’employeur la somme de 500 € au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Le salarié supportera les dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a dit que la SAS EGIS EAU n’a pas manqué à son obligation de formation et d’adaptation.
L’infirme pour le surplus.
Statuant à nouveau,
Dit que le licenciement pour motif économique se trouve fondé sur une cause réelle et sérieuse.
Déboute M. [H] [K] de l’ensemble de ses demandes.
Condamne M. [H] [K] à payer à la SAS EGIS EAU la somme de 500 € au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel.
Condamne M. [H] [K] aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT